Édu_Num Thématique N°09
Introduction
Les technologies numériques entraînent selon Jérôme Bondu une cinquième révolution informationnelle (après le langage articulé et l’oralisation, l’apparition de l’écrit, la découverte de l’imprimerie et la diffusion électronique de l’information) qui affecte et modifie le rapport de l’homme et de son corps à l’environnement par l’entremise de la tekhnê. Cette médiation artefactuelle s’inscrit dans le cadre de la troisième, voire de la quatrième révolution industrielle. L’évolution de l’Homme, rappelle Bernard Stiegler en s’appuyant sur les thèses d’Alfred Lotka, s’inscrit dans une logique d’exo-somatisation, à savoir qu’« un être humain est un être inachevé qui produit des organes artificiels exo-somatiques, c'est-à-dire hors de son corps, entre les corps, formant ainsi un corps social ». L’accélération de ce processus d’extériorisation technique à l’ère numérique est toutefois perçue comme disruptive car elle « produit désormais une perte de repère à la fois environnemental, social, identitaire, somatique, sensoriel » (Interfaces numériques, 2018). Cela dit, dans une logique ni technolâtre ni technophobe, Stiegler souligne que tout objet technique est pharmacologique, à la fois poison et remède (pharmakon).
Sommaire
La revue scientifique Interfaces numériques dirigée par Nicole Pignier et Benoît Drouillat propose un dossier (Volume 7 - n°2/2018) consacré au corps et à ses métamorphoses à l’ère numérique ou plutôt digitale (espaces tactiles, indexation) devrait-on préciser désormais.
Selon les coordonnatrices du numéro (Samira Ibnelkaïd et Isabel Colón de Carvajal), il convient de s’interroger sur les effets desdites technologies numériques sur la corporéité et pour ce qui concerne la présente lettre à la manière dont les disciplines et enseignements incorporent ces différents questionnements en contexte éducatif.
Plusieurs déclinaisons peuvent être envisagées dans cette perspective :
- Le corps augmenté et/ou réparé, voire aliéné (handicap, biotechnologies, transhumanisme…)
- Le corps calculé (quantification de soi, données personnelles et traçabilité, vie privée…)
- Le corps (trans) figuré (corps numérique, exposition de soi, avatar…)
On s’interrogera auparavant sur la mise en scène du corps de l’enseignant à travers sa
« gestuelle particulière, [sa] posture assumée, [son] regard global et [sa] voix didactique spécifique à la situation de classe » (Recherche et pratiques pédagogiques en langues de spécialité, Vol. 37 N°2 | 2018) ou ses 5 micro-gestes, pour reprendre la terminologie de Jean Duvillard, « qui interagissent constamment entre les protagonistes de la scène du cours », à savoir la posture gestuée, la voix, le regard, l’usage du mot, et le positionnement tactique (le placement/déplacement). De la même manière on s’intéressera également aux postures des corps apprenants et en quoi il semble
« primordial de repenser les espaces et d’utiliser un mobilier plus adapté aux diverses pratiques scolaires » pour mettre les élèves dans les meilleures conditions d’apprentissage possibles.
1. les corps enseignants et apprenants
Le Dossier de veille n°126 du mois de novembre 2018 interroge la notion du corps à l'école, précise Marie Gaussel, « en particulier lors de la période adolescente, que ce soit dans la prise en compte du corps des élèves dans l'enceinte scolaire, au niveau des représentations enseignantes et adolescentes liées au corps, pendant les apprentissages du et sur le corps et enfin dans les espaces et interactions corporels ».
Questionner la place du corps à l’école, c’est s’intéresser conjointement à la forme scolaire, au bien être, à la réussite des élèves, à la construction de l’identité, à l’estime de soi, aux objets didactiques, aux représentations, à la santé et à la culture. Dès l'école primaire, la construction progressive du schéma corporel résulte d'expériences motrices, de coordinations de mouvements, de sensations tactiles et visuelles.
L'utilisation d'outils numériques peut renforcer cette construction en particulier au cours des séances d'EPS. Les outils de capture photographique, de vidéos prises au ralenti, simples à utiliser sur tablette, couplés à des outils de projection, peuvent permettre de comparer la réalisation d'un mouvement, d'un déplacement, d'une posture avec une intention préalable. Les retours immédiats sur une pratique personnelle offrent des possibilités accrues d'ajustement des propositions corporelles.
Corps et espaces
L’importance du corps et de la posture des apprenants est rappelé dans plusieurs contributions sur le site Archiclasse : Témoignage de David Cohen, médiateur de ressources et services numériques à l’atelier Canopé de Nice, Postures d’apprentissage , atelier mené dans le cadre d’une expérimentation sur les classes de CP dédoublés, Habiter, article de Jean-Paul Moiraud, ingénieur de formation à l’IH2EF. En Histoire des Arts, la 7e édition de l’université de printemps de Fontainebleau avait pour thème « Le corps, entre nature et culture » et s'interrogeait entre autres sur la manière dont les espaces de l'école et du musée sont repensés aujourd'hui pour mieux accueillir la présence physique des jeunes publics.
Aménager, accueillir, apaiser
Les pédagogies actives placent l’élève dans un rôle plus dynamique, ce qui questionne l’organisation des espaces-classes. Il est donc important de repenser les espaces et les mobiliers pour favoriser l’apprentissage scolaire ; c’est l’un des objectifs des laboratoires pédagogiques qui questionnent également la posture des différents acteurs de la communauté éducative (élèves, parents, enseignants, cadres, professionnels).
C’est dans ce contexte que s’inscrit le Future Classroom Lab, projet porté par European Schoolnet dédié aux nouvelles pratiques pédagogiques visant à promouvoir et diffuser une méthodologie de création et d’accompagnement de scenarii pédagogiques innovants et ouverts aux nouvelles technologies, dans un espace classe repensé pour développer chez les élèves et les enseignants, les compétences du 21ème siècle.
Cela peut être une salle, un ensemble d’espaces ou même tout un établissement scolaire comme la Vittra School de Stockholm, projet mené par Rosan Bosch. En France, il existe plusieurs laboratoires pédagogiques dont L’espace FCLP2I (académie de Poitiers), L’espace ECLA dans l’académie de Lyon qui offre notamment des espaces de travail collaboratifs dans lesquels les élèves se déplacent au gré des activités mises en œuvre, la Salle @ctif dans l’académie de Rouen qui propose entre autres un espace pour les élèves timides, le projet Tip-e dans le 1er degré dans l’académie d’Amiens présenté sur Archiclasse avec notamment un mobilier déplaçable ou encore l’atelier Canopé de Brest vient d’être labellisé FCL.
En Éducation musicale, des réflexions sont menées sur la disposition des salles de cours ainsi que la circulation et la mise en activité des élèves dans ces espaces aménagés . Dans ces lieux, la posture de l'apprenant et de l'enseignant se module afin de faciliter la créativité et l'expression artistique. Cette dimension est particulièrement prise en compte en Documentation sous l'angle du du corps apaisé. Le corps apaisé, c’est celui de l’élève qui est accueilli au CDI dans le cadre d’une politique documentaire « qui tient compte de l'environnement de l'établissement, permet aux élèves de disposer des meilleures conditions de formation et d'apprentissage ». Le professeur documentaliste aura à cœur, au sein du CDI, de veiller à l’épanouissement et au bien-être de l’élève, au développement de son autonomie et à sa prise d’initiatives :
- Bien-être et Espaces zen
- Retour d’expérience de l’académie de Nice
- Ambassadeurs du CDI en Guyane (article sur Archiclasse)
- Espace zen au CDI (Guyane)
- Dossier « Vie du CDI » académie de Nancy-Metz
- Bibliothérapie
- Faut-il avoir peur de la bibliothérapie ?
- Des ressources pour se lancer en bibliothérapie au CDI
- La bibliothérapie au service du bien-être individuel et collectif
- Sieste contée
- Retour d’expérience (Nice)
Ces enjeux ont été explorés notamment dans le cadre des TraAM Documentation en 2017-2018, qui traitaient la thématique « Repenser les espaces existants du CDI pour répondre aux besoins des usagers », avec les questions du bien-être, des espaces zen et de la bibliothérapie. Sur ces questions, nous vous renvoyons à la lecture de la lettre Edu_Num Hors-série consacrée aux TraAM Documentation et à l’ensemble du dossier Repenser les espaces…
Mais c’est également un aspect quotidien des missions du professeur documentaliste, en particulier dans sa politique d’acquisition, qui va proposer des ressources répondant aux questions de santé, de psychologie, de cultures et loisirs, d’identité, que peuvent se poser les élèves, et qui va être à même de répondre aux besoins de tous les élèves sans exception.
La notion de bien-être est un des enjeux des premières visites des élèves au CDI, il s’agit pour eux de s’approprier un espace et de s’y épanouir. C’est ce que peuvent explorer des scénarios mettant en œuvre des escape games au CDI ou des concours de bookfaces.
Apprendre par le mouvement
Le projet Learn-O (Ludique Éducatif Autonome Rapide Numérique-Orienté) soutenu par la mission numérique départementale des Alpes Maritimes (Anne Chiardola, IEN Le Cannet) et la CARDIE de Nice trouve son origine en 2010. Il s’agit d’utiliser le doigt électronique qui sert à valider les passages à des balises positionnées dans un espace ouvert . L’activité se fait généralement dans une cour d’école ou un terrain d’évolution de sport. L’élève a une petite carte sur laquelle figure la tâche à faire et il va se déplacer sur « la tablette géante » et aller valider ses réponses sur les balises qui vont enregistrer ses déplacements. Ensuite l’enfant va valider ses réponses sur un ordinateur.
On peut utiliser ce principe pour tous les champs disciplinaires. Avec le logiciel adéquat, l’enseignant et même l’élève peut créer ses propres nouveaux exercices. Tous les enfants sont actifs en même temps mais chacun à son rythme dans le principe de la pédagogie différenciée. Ils se déplacent sans arrêt sur le terrain, souvent en courant, et combinent ainsi les activités sportives avec les activités intellectuelles. A l’heure où les élèves sont souvent démotivés et peinent à se concentrer, immobiles, dans une salle de classe, Learn-O propose une pédagogie réellement différenciée voire individualisée qui met en mouvement le corps de l’élève et le motive par le jeu. Le dispositif s’appuie sur la collaboration de Thierry Blondeau, le concepteur, avec Arnaud Simard, maître de conférence en mathématiques (ESPÉ de l’Université de Bourgogne Franche-Comté).
Communiquer
La communication et notamment la communication non verbale constitue un champ très large omniprésent en économie et gestion. La communication non verbale englobe tout ce qui a trait au langage corporel agissant comme vecteur inconscient de nos émotions : postures, style, gestuelle, mimiques, intonation, micro expressions faciales, contacts physiques, mouvements, etc.
Aujourd’hui, l’acquisition de compétences communicationnelles, indispensable en sciences de gestion, passe par la maîtrise des technologies numériques.
Les programmes de sciences de gestion encouragent à travailler la communication interpersonnelle à partir de scénarii, de vidéos, de jeux de rôles, de l'observation de situations de communication, de simulations orales et/ou de l'analyse de pratiques technologiques afin que l’élève puisse être en mesure de caractériser et analyser les situations de communication verbales et non verbales, par exemple en 1ère STMG, à travers un escape game pour découvrir le programme de sciences de gestion, en TSTMG, (scénario pédagogique relatif à la maitrise de la communication dans les organisations) ou encore en STS où des classes de BTS et de DCG réalisent des vidéos de communication professionnelle.
Pour tout enseignant, capter et maintenir l’attention d’un groupe d’apprenant passe par le corps qui devient un vecteur d’informations visuelles et de communication. Pour l’enseignant de Langues vivantes, la gestuelle est primordiale pour faire comprendre aux élèves de quoi il parle en langue étrangère. Les consignes, les conseils et erreurs sont souvent accompagnés, sous forme non verbale, par les gestes, des mimiques, en particulier pour débutants. Le corps est également très présent dans des exercices de diction et de posture pour donner confiance aux élèves qui apprennent une nouvelle langue.
Par ailleurs, le jeu théâtral a un rôle prépondérant dans l’apprentissage d’une langue à travers la création ou la représentation de saynètes. Dans ce cadre, une importance particulière est donnée aux mouvements et à l’expression du corps. Non seulement son positionnement donne un sens à la communication, mais en plus, le travail corporel facilite également la mémorisation, et donc les apprentissages. Les vidéos et séquences pédagogiques qui suivent mettent en valeur le corps dans l’apprentissage des langues étrangères : Quelle place pour l'engagement physique dans la compréhension de l'oral ou comment comprendre pour agir ?, Superheroes : Approche méthodologique et collaborative en classe de 6ème, TraAM Théâtre et théâtralité pour aider les élèves à s'approprier une langue étrangère, Travail préparatoire à la pratique théâtrale en anglais (vidéo), « Monsters », Le corps en classe de langue (vidéos).
2. corps et numérique
Les technologies digitales influent sur notre rapport à la corporéité, notamment à travers les dispositifs écraniques et dans un contexte de datafication de nos comportements au quotidien. Dans quelle mesure questionne le dossier d'Interfaces numériques ces technologies constituent-elles des « instances de procuration » et « jusqu'où peuvent-elles procurer le corps biologique » ? Faut-il envisager un adieu au corps chair à l'image du transhumanisme [portant] « à considérer que l’homme supposé « augmenté » par les ressources technoscientifiques soit au final un homme diminué, contraint à une simplification toute machinique » ?
Arts plastiques
Tout d'abord pensé comme absent des pratiques numériques artistiques au profit d'une technê triomphante, le corps s'en retrouve le plus souvent au centre, en particulier en arts plastiques. Mais de quel corps parle-t-on ? Du corps représenté, du corps agissant, du corps-support, du corps-perception, du corps avatar, etc. Autant d'acceptions qui ouvrent sur des problématiques qui traversent souvent l'art depuis des millénaires, se réinventent parfois depuis des décennies au-delà du numérique qui en aura renouvelé les questions.
Corps représenté
Les pratiques artistiques numériques n’auront pas échappé à cette tradition quasi originelle de la représentation du corps. Qu’elles soient hyperréalistes, simplifiées, schématiques, stylisées,... ces représentations sont définies par les questions récurrentes des enjeux de la représentation : déformation, imitation, altération, corps-machine, mouvement, ... .
« What shall we do next », de Julien Prévieux, film d’animation, 2006.
Julien Prévieux nous projette dans notre avenir corporel en répertoriant les gestes conçus pour les interfaces du futur. Ce film d’animation se présente comme une « archive des gestes à venir ». Il est basé sur des brevets pour l’invention de nouvelles interfaces homme-machine, déposés entre 2006 et 2011 auprès de l’agence américaine USPTO. Le fonctionnement de ces machines (tablettes, téléphones portables, ordinateurs, outils médicaux, consoles de jeux…) nécessite des actions qui sont spécifiées et brevetées alors même que l’objet n’existe pas encore.
What Shall We Do Next? (Sequence #1) - Julien Prévieux
Constatant que la technologie joue le rôle d’un prescripteur de comportements, qui relèvent de plus en plus de la propriété privée, l’artiste s’approprie ces gestes et les soustrait à leur fonction utilitaire. Il imagine un enchaînement de figures qui semblent flotter à la surface de l’écran et transforme la vidéo de démonstration en abstraction chorégraphique.
Cette œuvre s’inscrit dans l’une des grandes thématiques développées par l’artiste, à savoir l’étude de la manière dont notre corps est configuré par notre environnement, qu’il soit social ou technologique. Elle résonne également avec l’une des autres recherches de Julien Prévieux, celle des innovations périmées, une modernité désuète en quelque sorte qui, une fois oubliée, n’est plus que la trace d’un avenir imaginé autrefois.
Corps agissant
Le corps est à la fois engagé dans l’œuvre par le geste producteur de l’artiste (que cela soit à l’aide d’un stylet sur une tablette graphique ou du doigt sur une surface comme un tableau interactif [TBI] par exemple), mais aussi par celui agissant du spectateur sur l’œuvre, convoqué dans bien des travaux à une participation souvent ludique de métamorphose visuelle du fait de son action.
« L’ombre de la vapeur » de la compagnie Adrien M & Claire B, 2018
La compagnie Adrien M & Claire B crée des formes allant du spectacle aux installations dans le champ des arts numériques et des arts vivants. Elle est co-dirigée par Claire Bardainne et Adrien Mondot. Leur démarche place l’humain au centre des enjeux technologiques, et le corps au cœur des images, avec comme spécificité le développement sur-mesure de ses outils informatiques. Ils poursuivent la recherche d’un numérique vivant : mobile, artisanal, éphémère et sensible.
« L’ombre de la vapeur » est une installation qui a inauguré l’ouverture de la Fondation Martell à Cognac en 2018. Une œuvre immersive et interactive, de grand format (900 m2) qui rend hommage à la mémoire du bâtiment et à un champignon nommé Torula, dont les parois étaient tapissées avant les travaux, se nourrissant de l’évaporation naturelle d’alcool. Portée par une fiction animiste et réalisée grâce à un dispositif numérique, l’œuvre révèle ainsi l’ombre de la vapeur. Le spectateur évolue alors dans cet environnement dont le mouvement de son corps rend évolutives les formes qui le composent. Un lien intrinsèque s’établit alors entre, le lieu, l’image immatérielle et le corps du spectateur et son mouvement qui conditionne les métamorphoses permanentes de l’œuvre.
Corps avatar
Le corps dans l'univers virtuel aura finalement très vite eu besoin d'incarnation dans sa déambulation immatérielle. Double cloné ou réinterprété, le corps-avatar questionne la représentation de soi, de l'autre, dépassant largement la simple prolongation de soi que l'on va retrouver notamment dans les jeux vidéo.
« Unnamed soundsculpture » de Daniel Frank et Cedric Kiefer, 2012
Cette sculpture sonore est une performance numérique où une danseuse a été enregistrée par trois caméras de profondeur dans lequel l’intersection des images a été assemblée pour un volume en trois dimensions.
L’idée de base du projet de Daniel Franck et Cédric Kiefer est construite sur la création d’une sculpture en mouvement à partir des données enregistrées sur une personne réelle. Une danseuse visualise une pièce musicale (« Kreukeltape » par Machinenfabriek) aussi près que possible par des mouvements de son corps, enregistrée par trois caméras de profondeur (Kinect).
Unnamed soundsculpture - Daniel Franke
Ensuite, l’intersection des images a été mise ensemble pour un volume en trois dimensions (nuage de points 3D), de sorte qu’il était possible d’utiliser les données recueillies tout au long du processus. Les trois images en relief permettent un traitement numérique complètement libre, sans limites de la perspective, le corps numérique, composé alors de 22 000 points semble réel.
La caméra réagit également au son et soutient l’imitation physique de la pièce musicale par le performeur. « Unnamed Soundsculpture » est un espace de réalité nouvelle, dont l’esthétique va bien au-delà des codes numériques.
Corps perception
Le corps est toujours le premier récepteur de l’œuvre, quels que soient les sens sollicités. Les œuvres numériques le sollicitent de différentes manières selon les dispositifs de monstration, mais il est à noter que la réalité virtuelle emmène notre corps dans un ailleurs reconstruit nous faisant perdre nos repères, nous rendant vulnérables puisque tel un aveugle perdu dans son imaginaire.
« Je ne t’ai jamais promis un jardin » de Mélanie Courtinat, 2018
Mélanie Courtinat propose un voyage immersif (à l’aide d’un casque) dans un jardin suspendu fantasmé utilisant la réalité virtuelle. Le public est invité à se promener parmi les plantes chimériques et à les faire fleurir d’un simple toucher. Ayant remarqué que certains spectateurs ont tendance à ne pas être impliqués et à rester passifs devant une œuvre de design interactif, ce projet remet en question leur participation volontaire. Que faire lorsqu’un spectateur choisit consciemment de ne pas interagir avec un projet interactif ? Quelle est la conception du refus ?
Documentation
Le CDI est donc aussi bien au cœur de l’apprentissage du corps physique de l’élève que, désormais, au cœur des enjeux de maîtrise d’un corps augmenté, de plus en plus sollicité par les problématiques de l’identité numérique, des avatars, du transhumanisme et de l’intelligence artificielle. Sur l’Édubase, en documentation, 24 fiches sont consacrées à la compréhension de l’identité numérique : ce questionnement irrigue les formations de professeurs documentalistes, comme en témoignent cet atelier organisé dans l’académie d’Aix-Marseille ou ce scénario déposé sur le site de l’académie de Guyane.
La maîtrise de ce corps augmenté et des sollicitations numériques qui entourent désormais les élèves au quotidien s'inscrit dans les problématiques actuelles du CDI - Tiers-lieu : data, réalité augmentée, codage et programmation, en particulier dans le cadre de fablabs, afin « de permettre aux élèves, à partir d’un objet technologique, de comprendre le poids croissant du numérique et les enjeux qui en découlent », comme l’invitent à le faire les nouveaux programmes de lycée, en particulier celui de Sciences numériques et technologiques en seconde.
Par ailleurs sensibiliser les élèves aux questions du corps, c’est aussi les sensibiliser aux problématiques du harcèlement et du cyberharcèlement abordées plus particulièrement dans le carnet de recherches de Bérengère Stassin, maître de conférence en SIC.
Éducation musicale
Il est intéressant d'évoquer l'utilisation du Bao Pao qui permet entre autres à des enfants souffrant d'un handicap de faire de la musique avec les autres et comme les autres. Par ailleurs sur le site d'INAGRM, une synthèse de la journée sur « Corps musiques et numérique » est disponible: https://sites.inagrm.com/cfmi/co/Journees_Pro_2017_CFMI.html. On y aborde différents outils numériques comme instruments (gants connectés, thérémine, accessoire de console de jeu, ...). Pour illustrer cela d'un point de vue "scolaire" voici un scénario pédagogique (les élèves forment un orchestre avec comme instruments des smartphones et l'application SmartFaust.
Une enseignante d'éducation musicale de l'académie de Besançon utilise des ressources éduthèque pour faire appréhender à ses élèves la structure d'une œuvre musicale grâce au corps (et des percussions corporelles).
Histoire Géographie - EMC
Les découvertes scientifiques et les avancées techniques qui en découlent dépassent et souventtranscendent leurs objectifs initiaux. Les conséquences sur le corps humain en sont immenses et donnent l’espoir d’une vie meilleure. Ces notions sont notamment abordées dans le programme de première baccalauréat professionnel avec la thématique « L’Homme face aux avancées scientifiques et techniques » pour lequel le site académique Lettres-Histoire de l’académie de Reims recense une série de ressources. Le même site propose une page sur la thématique « Corps naturel, corps artificiel » de l’enseignement de culture générale et expression en deuxième année de BTS avec notamment un corpus intitulé « De la réparation des gueules cassées à la sculpture du visage ». Deux ressources du portail éduthèque sur les gueules cassées peuvent être exploitées dans ce cadre : Le service de prothèse maxillo-faciale du docteur Pont à Lyon (ECPAD) ; Soigner les blessés : les "gueules cassées" (Lesite.TV).
Néanmoins, face à certaines dérives, une éthique est à construire ou à faire évoluer afin d’éviter que sciences et techniques ne se développent sans tenir compte de l’homme. La thématique du corps peut ainsi faire l’objet de travaux et débats en EMC, en particulier sur la bioéthique. Autour du thème de terminale « Biologie, éthique, société et environnement », le site Jouer à débattre propose par exemple des ressources pour débattre autour de « L’humain augmenté » ou de « L’intelligence artificielle ». Une séquence de l’académie de Lille « L’homme augmenté, un homme parfait dans le meilleur des mondes ? » invite les élèves à réfléchir sur la notion de bioéthique à travers la thématique de l’homme augmenté. Source d’inquiétude pour les uns, motif d’espérance pour les autres, l’amélioration des performances humaines soulève interrogations et débats. Cette séquence propose d’apprendre aux élèves à savoir nuancer leur jugement et examiner le point de vue de l’autre pour se forger leur opinion personnelle. Là aussi des ressources éduthèque d’INA-Jalons et de l’INSERM sur les lois sur la bioéthique peuvent alimenter des séances (en tapant le mot-clé "bioéthique" dans le moteur de recherche).
Philosophie
Les ordinateurs et l’intelligence artificielle d’abord, les clones et les avatars informatiques ensuite, les robots et les cyborgs enfin – disons le numérique en général – ont renouvelé le questionnement philosophique sur le corps en produisant au moins 3 nouveaux concepts : le trans-humanisme, l’embodiment et le zombi-p.
Le transhumanisme
Le trans-humanisme répond à notre désir d’éternité et à la question de l’avenir de l’humanité : l’homme fusionnera-t-il avec ses prothèses numériques au point de changer de nature ? Les scénarios sur l’homme augmenté relèvent-ils de la science-fiction ? N’interrogent-ils pas en réalité notre rapport à l’animalité ? Le trans-humanisme affirme, dans toutes ses versions, que les nouvelles technologies guériront l’homme de la mort, qui n’est pas une nécessité biologique, mais un accident physique. La transformation du corps par la génétique et la cybernétique lui ouvrira les portes de l’immortalité. Les apologues de ce courant nous expliquent depuis les années 1990 que les dernières découvertes scientifiques et le progrès technique accréditent leurs thèses, dont ils discutent les problèmes éthiques, comme l’eugénisme, aux forts enjeux économiques. On trouve de nombreuses références sur le web, mais on lira plutôt les ouvrages de Jean-Gabriel Ganascia, Luc Ferry, Mark Hunyadi ou de Jean-Michel Besnier pour saisir les enjeux philosophiques de cette remise en question du corps par les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle, que l’on ne confondra pas avec les envolées futurologiques que l’on trouve sous la plume de Laurent Alexandre par exemple. On distinguera aussi le trans-humanisme et le post-humanisme, qui offre une alternative à la fusion du corps et de la machine, ou à son amélioration par les nanotechnologies et le génie génétique, que quelques apôtres promettent à l’humanité. Ces deux courants constatent que l’humanisme a fait son temps. Mais le trans-humanisme estime que le salut de l’âme réside dans la transformation de la nature même du corps, sinon dans sa transmutation, tandis qu’une partie du post-humanisme pense qu’elle le trouvera plutôt en se réconciliant avec lui et avec l’animalité. On peut lire les ouvrages de Michel Serres, Dominique Lestel, Georges Chapoutier ou de Élisabeth de Fontenay sur le sujet. Parce que l’humanisme est un spécisme, qui élève l’espèce humaine au-dessus de l’animal, le trans-humanisme prétend accomplir son programme en raison de ses positions aussi spiritualistes, dualistes et spécistes. Tourné vers l’animalité, le courant post-humaniste anti-spéciste lui propose une alternative crédible, matérialiste et moniste.
La cognition incarnée
L’intelligence serait-elle plutôt du côté du corps que des machines ? Peut-elle se développer sans support biologique, de façon purement artificielle ? Sinon quel rôle le corps joue-t-il dans la cognition ? On peut travailler philosophiquement sur ces questions en dégageant les présupposés métaphysiques des programmes de recherches scientifiques qui y répondent dans le champ des sciences cognitives, depuis l’avènement de l’IA. Distinguons dans cette perspective deux approches, très différentes de celle de la philosophie classique qui vit le corps comme un obstacle, un objet, un support ou un instrument. À la différence de l’idéalisme, du réalisme ou du rationalisme et de l’empirisme, la philosophie contemporaine de l’esprit est d’inspiration physicaliste : elle explique les états mentaux par ceux du cerveau et affirme que l’esprit en est le produit. Cette thèse admet cependant différentes versions – réductionnisme, survenance ou émergentisme – discutées dans les années 80 par Donald Davidson, Jaegwon Kim, Daniel Dennett ou John Searle. Si certaines sont compatibles avec l’IA, toutes font abstraction du corps, de sa situation et de ses interactions avec l’environnement. Pointant cet impensé, d’autres philosophes inspirés par la phénoménologie continentale et les théories de l’évolution, ont critiqué cette approche et formulé une alternative selon laquelle la cognition dépend du corps en situation et pas seulement de l’activité cérébrale.
Appelée « énactivisme », cette hypothèse admet différentes versions – cognition située, incorporée, étendue ou incarnée – selon les processus mentaux qu’elle explique ou met en jeu. On peut lire l’ouvrage de Francisco Varela, Evan Thompson et Eleanor Rosch sur le sujet ou celui d’Andy Clark et consulter les encyclopédies en lignes pour trouver un état de l’art. Contre le paradigme de l’IA qui réduit la cognition au calcul statistique de réseaux de neurones artificiels, l’énactivisme rappelle que c’est une activité sensori-motrice dynamique distincte du calcul qui met le corps en action et distribue non seulement une partie de la charge cognitive à d’autres organes que le cerveau, mais étend son système au-delà des frontières de l’individu en interaction avec son environnement physique et social.
Le zombi philosophique
Les informaticiens et les roboticiens ont depuis proposé une approche incarnée ou distribuée de l’IA dans l’architecture de subsomption et les systèmes multi-agents. Relèveront-ils le défi du trans-humanisme et de la cognition incarnée ? Comment réagirions-nous devant un cyborg dont l’apparence et les réactions seraient indiscernables des nôtres ? Le tiendrions-nous pour un agent moral ou un objet dénué de conscience ? Les philosophes ont conçu différentes expériences de pensée pour examiner les hypothèses que l’on a évoquées sur les rapports entre le corps et l’esprit. On peut citer celle du « cerveau dans une cuve » due à Hilary Putnam : supposons cet organe extrait du corps et placé dans une cuve commandée par un ordinateur lui envoyant des stimuli, puis demandons-nous comment il distinguerait alors le monde réel et son simulacre. On trouve de nombreux articles sur cette expérience de pensée, dont on retiendra seulement ici qu’elle se fonde sur l’hypothèse physicaliste de la philosophie de l’esprit. David Chalmers a plus récemment conçu celle d‘un « zombi-philosophique » pour en montrer les limites. On peut concevoir qu’un individu ait la constitution physique et le comportement d’un être humain sans être doué de conscience, tel un zombi. Mais cette expérience de pensée oblige à rejeter le physicalisme, qui identifie l’esprit au cerveau, puisque le zombi a l’un sans l’autre. Son corps sans esprit discrédite l’hypothèse d’un esprit sans corps dans une cuve. John Searle avait déjà sapé dans les années 80 un autre fondement de l’IA : le computationnalisme qui réduit la pensée à une manipulation de symboles. Supposons qu’un individu enfermé dans une chambre puisse transcrire dans différentes langues les énoncés Chinois que l’on y fait entrer en appliquant un système de règles. Ceux qui les liraient pourraient croire qu’il les comprend alors que ce n’est pas le cas. L’expérience de « la chambre chinoise » laisse ainsi penser que les machines n’ont pas l’intelligence de leurs opérations. L’IA a abandonné le computationnalisme et s’est convertie au connectivisme. Mais la conclusion que les enseignants en tireront ne changera peut-être pas. L’intelligence des zombis, dont la pensée est réduite au traitement de l’information, n’est pas celle qu’ils attendent des élèves et on peut donc imaginer qu’ils la cherchent plutôt du côté de la cognition incarnée.
Il existe différents programmes de recherche sur l’éducation dans le champ des sciences cognitives. À l’heure où l’on envisage que les machines non seulement secondent, mais concurrencent l’homme dans son humanité, il conviendrait de s’intéresser plus particulièrement aux outils intellectuels susceptibles d’aider les enseignants à faire un usage plus « humainement intelligent » et moins « zombiesque » du numérique.
Sciences de la Vie et de la Terre, Technologie et Biotechnologies
Au-delà des ressources en ligne liées à la connaissance du corps (Corpus, Anatomie, Virtuali-Tee) se pose la question de l'augmentation et de la réparation du corps physique grâce aux technologies numériques. L’ère numérique amplifie assurément la qualité, la précision et la diversité des images radiologiques, tomodensitométriques, quand d’autres techniques renseignent sur l’anatomie physiologique et fonctionnelle du corps sain ou malade, figé ou mobile avec l’essor de l’imagerie échographique, nucléaire (scintigraphie) et radio-magnétiques (IRM). Le corps numérique, par la puissance calculatrice et mnésique de l’ordinateur apparait reconstitué en trois dimensions, l’anatomie devient virtuelle, la télé-médecine collaborative, et notre soi numérique, nouveau modèle d’apprentissage diagnostic et chirurgical. L’apprentissage anatomique par les élèves recourt donc à l’exploitation des banques d’imagerie et d’outils de simulation pour découvrir et comprendre les représentations numériques du corps tels que la banque anatomique (académie de Grenoble), le logiciel ÉduAnat2 et la banque téléchargeable ANAPEDA, l’anatomie de l’encéphale du sujet sain, avec Eduanatomist (scénario), les différents niveaux d’organisation du corps humain (traAM Caen), l’exploration numérique du corps aux sens biologique : l'ostéodensitométrie.
Ce développement a notamment rendu possible la télémédecine (voir par exemple la thèse de Manuela Perez « Chirurgie Robotique : de l’Apprentissage à l’Application » et ce scénario pédagogique en Technologie dans l'académie de Clermont-Ferrand). En immunité, on peut en outre aborder le cas des greffes artificielles avec des composants électroniques (greffes de rétine artificielle) ; l’apport des imprimantes 3D est également de plus en plus courant et permet à l’Homme de résoudre des problèmes d’organes ou de parties présentant des dysfonctionnements en évitant les problèmes des donneurs (communauté e-nable, tissus humains et grands brûlés) sans oublier les tablettes pour les personnes en situation de handicap visuel.
Ces systèmes permettent de compenser le handicap mais il y a une limite avec les systèmes augmentatifs qui permettent d’améliorer voire augmenter la fonction en déficit ce qui entraîne des problèmes d’égalité. On peut étendre ces dispositifs à d’autres fonctions de l’organisme comme les mouvements en permettant à l’homme de réaliser des mouvements qui pourront aboutir à soulever des charges lourdes par exemple : c'est le cas des exosquelettes qui pourraient servir aux personnes paralysées. Interpréter les signaux émis par le cerveau et les traduire en commande utilisables par l’homme est l’objectif poursuivi par les chercheurs qui développent ce que l’on appelle des interfaces cerveau-machine. Jusqu’à présent les chercheurs se heurtent à des limites technologiques car les capteurs utilisés pour enregistrer l’activité cérébrale ne le font pas encore assez finement.
3. Se tenir informé
Zotero éduscol
Sur le compte Zotero éduscol, vous trouverez plusieurs collections de références imprimées et numériques qui prolongent les lettres thématiques.
Comme pour les autres collections, les ressources proposées sont classées alphabétiquement et identifiées selon le type de support. La recherche au sein de cette base s'effectue grâce au moteur de recherche interne (plein texte, par champ) ou par tag (nuage de mots clefs). Plus de 500 références sont actuellement disponibles : articles de presse, travaux de chercheurs, scénarios pédagogiques, émissions de radio ou de télévision, extraits vidéos...
Collection Corps
Cette nouvelle collection agrège plus de 50 références. Elle est directement accessible à cette adresse : https://www.zotero.org/groups/eduscol
Pour rappel, Zotero est un logiciel libre et gratuit multiplateformes de gestion bibliographique qui permet de faciliter la collecte, le catalogage et l'indexation des ressources. Une déclinaison simplifiée de l'application (adaptée à l'édition rapide de courtes bibliographies) est également disponible sur le web : ZoteroBib.
La Revue Interfaces numériques
Le dossier du mois de février 2018 (volume 7) est consacré au corps et à ses ses métamorphoses à l'ère numérique. Les analyses des professionnels et des chercheurs servent de points d'appui
théoriques à cette lettre. On reprendra notamment ici cette définition de Biagio Carrano (2013) traduite par Jacopo Bodini : « Le corps numérique, ce n'est pas seulement nous-mêmes en train de laisser sur Internet les sillages du webtracking où les traces de notre utilisation des médias sociaux, mais c'est la reconstruction digitalisée de toutes les informations que nous produisons dans l'ensemble de nos interactions numériques de toutes sortes constamment mises à jour et archivées dans leur intégralité par les différentes plateformes qui enregistrent ».
Le corps dans le socle commun et les programmes d'enseignement
Le portail national éduscol consacre un dossier complet sur la corporéité dans le cadre de la 7ème édition de l'Université de printemps d'histoire des arts (« Le corps, entre nature et culture »), qui s'est tenue dans le cadre du Festival de l'histoire de l'art de Fontainebleau en juin 2017. De nombreuses restitutions d'ateliers sont ainsi disponibles. La place du corps dans le socle et les programmes d'enseignement est également rappelée.
-
Créé lemardi 4 juin 2019
-
RédacteurSinet Eric
-
Dernière mise à jourmardi 4 juin 2019