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Tracts et journaux clandestins dans la Marne

Dossier mis en ligne par Jocelyne et Jean-Piere HUSSON

 

   Compte tenu des forces limitées de la Résistance dans la Marne, du peu de moyens matériels dont elle disposait, de l’adhésion au moins jusqu’en 1942 d’une majorité des élus d’avant-guerre et des notables à la Révolution nationale mise en œuvre par le préfet de Vichy, René BOUSQUET, en raison aussi de la répression, la propagande clandestine dans la Marne s'est réduite à la diffusion épisodique et irrégulière de feuilles ou de tracts de petit format, ronéotés ou parfois imprimés, et distribués sous le manteau, essentiellement dans les villes.
   Les polices française et allemande traquaient les résistants qui transportaient et distribuaient ces journaux et ces tracts. Fabriqués souvent dans la région parisienne, ils étaient acheminés dans la Marne par des cheminots, parfois par des étudiants et des jeunes appartenant à des équipes sportives.
    De nombreuses arrestations ont désorganisé l’approvisionnement en papier et en encre, les imprimeries clandestines et les circuits de distribution.
  Cependant, journaux et tracts clandestins ont continué de circuler tout au long de l’Occupation.

La presse clandestine en 1940-1941

   Au début de l’Occupation, les rapports de police ne font qu’exceptionnellement état de tracts ou de journaux clandestins émanant d’initiatives individuelles.

   Le 23 novembre 1940, un tract dénonçant la répression de la manifestation parisienne du 11 novembre 1940 a été découvert à la Bibliothèque Carnegie de Reims : « Pas de Gauleiter à l’Université de Paris ! Lettre ouverte à Carcopino ». [Jérôme CARCOPINO a été nommé recteur de l’Académie de Paris par le gouvernement de Vichy après la répression de la manifestation du 11 novembre 1940].

Tract découvert à l'intérieur de la Bibliothèque Carnegie de Reims le 23 novembre 1940

   Entre novembre 1940 et juillet 1941, une trentaine de numéros d’un journal dactylographié, intitulé En captivité, créé à Nantes par un groupe de jeunes étudiants conduit par Pierre LE ROLLAND ont été diffusés à Reims, ville où son père Albert avait été coiffeur avant-guerre.
  À la même époque est signalée de temps à autre la diffusion de photographies du général de Gaulle, de papillons et de chansonnettes.

   Par contre très nombreux sont les rapports de police concernant la presse communiste qui avait été interdite le 26 août 1939 par le gouvernement Daladier au lendemain de la signature du pacte de non-agression germano-soviétique. Malgré l’arrestation dès cette époque de nombreux responsables du Parti communiste, elle était parvenue à renaître dans la clandestinité, devenant la principale cible de la répression vichyste.
  
    Ont été diffusés de façon irrégulière dès cette époque, sous forme de feuilles ronéotées ou imprimées de formats très variés :

   - La Champagne, organe marnais du Parti communiste ;

La Champagne, n° 12 , novembre 1941

   - L'Humanité, organe national du Parti communiste ; au printemps 1941 a circulé dans la Marne le numéro 114, daté du 26 mai 1941, qui appelait « tous les Français en dehors des capitulards et des traîtres, à s'unir en un front national de lutte pour l'indépendance de la France », organisation qui allait devenir un des quatre mouvements de résistance implanté dans la Marne aux côtés de Ceux de la Résistance (CDLR), de Ceux de la Libération (CDLL) et de Libération-Nord.


   - L'Avant-Garde, organe de la fédération des Jeunesses communistes de France, daté du 26 mai 1941 et diffusé en juin 1941 à Épernay ;
   - La Voix Féminine, organe marnais des Comités féminins du Front national de lutte pour l'indépendance de la France, et La Voix des Femmes de la Marne, organe du Comité des femmes de la Marne dont des exemplaires ont circulé au printemps-été 1941 ;
   - La France libre, un journal de 10 pages diffusé en août 1941 à Reims par le Front national de lutte pour l’indépendance de la France, qui se définissait comme un « Journal d’union et de combat pour l’indépendance de la France » et affichait en exergue : « Des millions de Français veulent la liberté et l’indépendance de la Patrie. À bas la trahison ! Vive la France ! ».

La France libre, n° 1, août 1941

   Les rapports de police font aussi mention de tracts communistes.
   Au printemps 1941, la police française signalait au préfet la diffusion dans les maisons de champagne d’un tract ayant pour titre « Réintégrons nos syndicats » signé « les militants restés fidèles à l’esprit de 1936 » (allusion à l’époque du Front populaire). L’enquête montra que ce tract avait été tapé sur la même machine à écrire que La Champagne ouvrière et elle remonta jusqu’à Marcel CHATTON, un jeune caviste communiste de Reims. Le 17 septembre 1941, la police française a perquisitionné chez lui et y a trouvé un tract intitulé « Brisons l’arme de l’antisémitisme », signé « Le Parti communiste français-SFIC [Section française de l'Internationale communiste] ».

 

Tract saisi en septembre 1941 au domicile de Marcel Chatton 20, rue de la Cerisaie à Reims (recto)

   Marcel CHATTON, exécuté à 22 ans le 23 décembre 1941, a été l’un des premiers fusillés marnais.

   En septembre 1941, un tract recto-verso au format A4, tapé à la machine à écrire et dupliqué sur une machine à alcool, a été diffusé par les Comités départementaux du Front national de lutte pour l’indépendance de la France dans les trois départements de la région de Champagne dont faisait partie la Marne sous le titre « Patriotes champenois ! Voici notre réponse au " Herr Général Von Stulpnagel " ». [Stülpnagel était le chef des forces d'occupation allemandes en France et le gouverneur militaire de Paris] :

   « Le général Von Stulpnagel vient de faire placarder des affiches menaçantes pour tous les Français qui veulent libérer la Patrie de l’odieuse oppression allemande. Ce hobereau […] croit donc que la menace fait reculer les Français, il ne nous connaît pas […] En Champagne, tous les patriotes, Gaullistes ou Communistes, sont unis pour vous écraser, vous et votre régime, Herr Von Stulpnagel ! […]
   Champenois patriotes debout ! Unissez-vous, luttez coude à coude ! Par vos efforts joints à ceux des soldats soviétiques et des aviateurs anglais, l’heure de la résurrection et de l’indépendance de la France sonnera bientôt ! Vive la France libre et indépendante !
   Pour nous tous patriotes champenois, un mot de ralliement : France !
   Un mot d’ordre : Chassez l’envahisseur ! »

Tract diffusé en Champagne en septembre 1941 (recto)

 

1942-1943

   Au printemps 1942, des numéros de La Vie ouvrière, journal de la CGT clandestine (Confédération générale du travail), ronéotés au format A5 ont été interceptés et saisis à Reims.
   Le numéro 79 daté du 21 mars 1942, dénonçait l’exécution de Pierre SEMARD, responsable CGT des cheminots arrêté dès novembre 1939 qui venait d’être fusillé comme otage à Evreux, et appelait à lutter contre la répression.
   Le numéro 80 daté du 28 mars 1942, incitait à arrêter par tous les moyens « la production pour les boches ».

   À la veille du 1er mai 1942, un numéro spécial de La Vie ouvrière, imprimé au format A5, a été distribué à Épernay qui invitait à faire du 1er mai une « journée de lutte pour la défaite du fascisme, pour la liberté, pour le pain ». Dans le même temps, circulait le numéro 155 de L’Humanité, daté du 27 mars 1942, qui appelait les Français à ne pas livrer leurs armes : « Cachez-les, le jour viendra où vous en aurez besoin pour chasser les boches du sol de France, pour reconquérir notre liberté et notre indépendance ».

La Vie Ouvrière, numéro spécial, 1er mai 1942

   Même si elle continuait à être la principale cible de la surveillance policière, la presse clandestine du Parti communiste et du Front national de lutte pour l’indépendance de la France n’était plus la seule à être diffusée dans la Marne. Des numéros de Défense de la France, journal créé au cours de l’été 1941 par des étudiants parisiens, ont été acheminés à Reims et à Épernay. Circulaient aussi des exemplaires des Cahiers du Témoignage Chrétien et, à partir de mai 1943, du Courrier français du Témoignage chrétien.

En-têtes de Défense de la France et du Courrier français du Témoignage Chrétien

   Datée du 1er juillet 1943, La Libre Champagne, organe des Comités champenois de la France combattante, titrait : « 14 juillet ! Journée d’unité nationale » et diffusait deux appels.
   Le premier, adressé « À tous les Champenois ! » par le « Comité départemental de la France combattante réunissant tous les groupements de résistance et de lutte pour la libération et l’indépendance de la France », revêtait les accents d’un appel à l’insurrection nationale, à l’action aux côtés des Francs-tireurs et partisans (FTP) « qui luttent les armes à la main ».
   Le second lancé par le « Comité départemental de la Marne de la France combattante », sous le titre « Français, pensez… et agissez Français… », annonçait que « les groupements de résistance de la Marne, unis fraternellement, sans distinction de tendances ou de religion, dans un large Comité de la France combattante, [avaient] décidé de lutter jusqu’au bout, côte à côte pour chasser l’envahisseur ». Il dénonçait « les traîtres à la Patrie », les « vendus de Vichy », et considérait qu’on ne pouvait pas être « avec Vichy et avec la France ». En affirmant « Qui est pour Vichy est pour les Boches », cet appel s’adressait à ceux qu’on a appelé après la guerre les vichysto-résistants qui, après avoir adhéré à la Révolution nationale, hésitaient encore à rejoindre la Résistance.

La Libre Champagne, 1er juillet 1943 (en-tête du recto)

   S’ajoutaient à la presse clandestine diffusée par les organisations de résistance les journaux et les tracts tels que Le Courrier de l’Air qui étaient lancés au-dessus du territoire marnais par des avions de la RAF.

Le Courrier de l'Air daté du 14 février 1943

 

La presse clandestine marnaise à la veille de la Libération

   En 1944, au fur et à mesure qu’on s’acheminait vers la Libération, des feuilles et des journaux clandestins spécifiquement marnais ont vu le jour.

   L’Union se présentait comme l’organe officiel du Comité départemental de la libération nationale (CDLN). Quatre numéros clandestins ont été imprimés de nuit 21, rue de Sousse à Reims, chez un résistant de l’Aisne passé à la clandestinité dans la Marne, Serge LABRUYÈRE, sur une machine Minerve utilisée pour imprimer des cartes de visite qui avait été acheminée en pièces détachées et remontée sur place. Des couvertures avaient été tendues devant les fenêtres pour amortir le bruit. Le premier numéro, imprimé au format A4 et daté de mai 1944, a été diffusé à Reims.
   En haut de la première page et sur toute la largeur s’affichait un appel aux Marnais à refuser d’aller travailler dans les usines allemandes dans le cadre du STO et un avertissement aux policiers aux ordres du gouvernement de Vichy.

Numéro 1 du journal L'Union imprimé dans la clandestiné, daté de mai 1944

   La Marne enseignante était l’organe de la section départementale du Syndicat national des instituteurs. Le premier numéro diffusé en mai 1944 annonçait la reconstitution dans la clandestinité de ce syndicat dissous par Vichy. Il appelait à la défense de l’école laïque, à la solidarité face à la répression, au refus du STO, et il demandait aux instituteurs d’aider la Résistance.

La Marne enseignante, n° 1, mai 1944 (extrait du recto)

   Les Fils de Valmy se présentait comme l’organe du Front national de lutte pour l'indépendance de la France dans la Marne et affichait « Vaincre » comme devise. Il a commencé à être diffusé au cours de l’été 1944 sous forme d’une feuille recto-verso au format A5. Le numéro 2 daté d’août 1944 portait en exergue : « Le devoir simple et sacré pour tous les Français quels qu’ils soient, où qu’ils se trouvent est de Combattre. Général de Gaulle 8-6-1944 », et il appelait les Champenois à « la mobilisation générale pour la France ».

Les Fils de Valmy, n° 2, août 1944 (recto)

  Le 30 août 1944, jour de la libération de Reims, est publié le premier numéro de L'Union Champenoise. Ce journal était né dans la clandestinité sous le titre de L’Union, titre qu’il a repris peu après la Libération.

L'Union Champenoise, numéro 1, 30 août 1944

   La Libération qui a mis fin à l'Occupation et au régime de Vichy a immédiatement entraîné la suspension de L'Éclaireur de l'Est et du Nord-Est, seuls quotidiens qui avaient été autorisés à paraître sous contrôle allemand. Leurs sièges ont été confisqués et plusieurs de leurs journalistes ont été traduits devant la Cour de Justice de la Marne.
   Avec le retour de la liberté de la presse, les feuilles clandestines sont sorties de la clandestinité.

En-têtes de La Champagne et des Fils de Valmy

  D'autres journaux, qui n'avaient pas été autorisés à reparaitre en 1940 au retour de l'exode, ont refait surface comme Le Travail, hebdomadaire de la fédération marnaise du Parti socialiste, le quotidien L'Union Républicaine de la Marne imprimé à Châlons-sur-Marne, ou encore Le Réveil de la Marne à Épernay.

En-tête du Travail, organe de la fédération socialiste SFIO de la Marne

L'Union Républicaine de la Marne, 1er septembre 1944

   Des journaux se réclamant de la Résistance ont vu le jour comme La Jeune Champagne, La Concorde, Est-France.

La Jeune Champagne, numéro 1, novembre-décembre 1944

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L'hebdomadaire La Concorde, publié par Ceux de la Libération (CDLL)

Est-France, quotidien créé à Reims et parrainé par Henri Ribière,
un des dirigeants nationaux de Libération-Nord

 L'Union, où étaient représentées toutes les sensibilités issues de la Résistance, est parvenu à s'imposer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale comme un grand quotidien régional.


Source

 Jocelyne et Jean-Pierre Husson,  La Résistance dans la Marne, dévédérom, Histoire en mémoire, Département AERI / Fondation de la Résistance et CRDP de Champagne-Ardenne, 2013.

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