Alfred CHABAUD est né le 12 novembre 1899 à Antibes ( Alpes-Maritimes ). Après un baccalauréat latin, grec, philosophie, une licence ès lettres, un diplôme d’études supérieures d’histoire et géographie, il enseigne de 1923 à 1932 successivement au collège Frédéric Mistral en Arles, au collège de Revel ( Haute-Garonne ), au collège de Blois, au lycée Rollin de Paris, au lycée d’Oran, avant de rejoindre le collège d’Épernay.
En 1932, il est nommé professeur à l’École nationale des arts et métiers de Cluny, puis à celle de Châlons-sur-Marne en 1937.
Lauréat 1937 de l’Académie des sciences morales et politiques, il est chargé de recherches scientifiques en Italie, puis en Grande-Bretagne, dénonce avec vigueur le renoncement de la France et la signature de l’armistice par PÉTAIN, approuve les quatre-vingts parlementaires qui ont refusé les pleins pouvoirs au maréchal, s’insurge d’entrée contre les lois antijuives.
Son autorité comme la pertinence de ses raisonnements ont impressionné lors de son séjour à la Maison de l’Institut de France à Londres en 1938, et ce n’est pas un hasard si l’un de ses collègues anglais recommande dès novembre 1940 CHABAUD aux services de renseignements britanniques.
Docteur de 3e cycle pour ses travaux sur le révolutionnaire marseillais BARBAROUX, il était venu en effet analyser les conséquences de la Révolution française en Grande-Bretagne et préparait une thèse d’État sur les Girondins marseillais avec le professeur Georges LEFÈVRE de la Sorbonne.
Dès janvier 1941, CHABAUD travaille pour eux. Révoqué de l’enseignement par le gouvernement de Vichy, il retrouve un poste de responsable du service des actes administratifs à la préfecture de la Marne et devient un agent clé du réseau Brutus nord dans la région. En effet en raison de ses travaux de recherches sur les révolutionnaires marseillais, il est aussi approché par son ami Pierre FOURCAUD, le fondateur du réseau Brutus dont font partie Félix GOUIN et Gaston DEFFERRE.
Après l’arrestation du lieutenant Louis-Armand PAILLARD, officier du génie sur le quai de la gare de Reims au retour de l’un de ses déplacements à Paris, le 18 décembre 1943, la Gestapo recherche tous les liens que l’Armée secrète peut avoir dans la Marne afin de porter un rude coup à la Résistance dans le département.
Elle apprend notamment qu’à Châlons-sur-Marne, elle a un correspondant très important qui est un homme de grande taille, portant des lunettes et qui n’a plus beaucoup de cheveux. Détail important, ce monsieur qui porte costume et cravate a été révoqué par le gouvernement de Vichy. L’identification d’Alfred CHABAUD est proche.
Celui qui a laissé dans la nuit du 11 au 12 novembre 1943 près de Rosnay sa place au commandant BERTIN, patron marnais du Bureau des opérations aériennes, de l’Armée secrète et de Ceux de la Résistance au cours d’une double opération de récupération et de transfert à Londres par Lysander, est en danger. Cette opération est dirigée par le commandant VERITY et le capitaine HANLEY du 161e squadron de la RAF. L’urgence lui semble de protéger BERTIN activement recherché par la Gestapo.
Le 7 janvier 1944, Alfred CHABAUD quitte son appartement au 2e étage du 4, rue Chevalier à Châlons-sur-Marne. Il ignore qu’il n’y reviendra plus. Peu avant l’ouverture des services, des agents de la gestapo surgissent à la préfecture, rue Carnot et en bloquent les issues. Ils se précipitent dans le bureau où travaille l’ancien professeur. Il est alors en possession d’un plan très détaillé de la prison de Châlons-sur-Marne. Il a juste le temps de le dissimuler dans un placard. Le précieux document sera récupéré par son fils, Jean.
CHABAUD est empoigné sans ménagement et transféré à Reims dans un véhicule où se trouve aussi l’abbé Georges CARRÉ arrêté la veille à Sainte-Ménehould.
Le responsable de Brutus nord doit être interrogé sur ses relations avec le Bureau des opérations aériennes, sur la nature des renseignements qu’il collecte pour l’Armée secrète et sommé de produire un inventaire de tous les documents qu’il a détournés à la préfecture de la Marne. Affreusement battu, CHABAUD ne parle pas.
Le 27 janvier 1944, vers 10 heures, un convoi de détenus qui vient de quitter le camp de Royallieu à Compiègne arrive en rang par cinq sur le quai de la gare. Sur le même rang qu’Alfred CHABAUD se trouvent trois Sparnaciens, le frère BIRIN des écoles chrétiennes et Marie TOUVET, ingénieur de la SNCF, et Jean TERVER, comptable, arrêtés à Épernay fin 1943-début 1944. Ils sont alignés devant des wagons qui portent la mention : « Huit chevaux ou quarante hommes ». Les SS n’en ont rien à faire. Ils entassent cent vingt cinq individus par wagon. Avant de refermer la porte, un SS suffisant s’avance et déclare : « Une dernière fois, je demande s’il y en a qui possèdent des couteaux. Ceux qui essayeront de s’évader seront fusillés ».
Il est presque midi. Les wagons sont cadenassés et il ne reste qu’une petite ouverture hérissée de barbelés pour avoir un peu d’air. TERVER parvient à y jeter une lettre pour les siens alors que le convoi approche de Laon. Plusieurs jeunes détenus ont bien l’intention de s’évader et, ni le frère BIRIN, ni Alfred CHABAUD ne les découragent. Ils s’avèrent même d’utiles complices. Aussi les plus débrouillards qui sont parvenus à dissimuler aux Allemands, outils et couteaux à scie se mettent à l’ouvrage.
C’est finalement entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François que le panneau est enlevé. Le premier prisonnier puis deux autres se laissent glisser sur le ballast avec beaucoup d’assurance. Soudain des coups de feu éclatent. Quatre détenus parviennent encore à sauter mais le neuvième est criblé de balles. Le train stoppe. CHABAUD et BIRIN ordonnent aux autres de se mettre à plat ventre. Sage décision car les sentinelles tirent à hauteur d’hommes.
Le wagon est ouvert et une fouille minutieuse commence tandis que pleuvent les coups de nerfs de bœuf. Il manque neuf prisonniers aussi un SS choisit au hasard neuf détenus qui, une fois entièrement nus sont fusillés le long de la voie. Tous les autres doivent également se dévêtir et sont poussés dans un wagon métallique où ils sont enfermés jusqu’à l’arrivée du convoi en gare de Trêves. Puis le train continue jusqu’à Erfurt où il stationne une journée entière. Les détenus n’ont alors ni à boire, ni à manger.
Dans la nuit du 31 janvier 1944, CHABAUD, BIRIN et TERVER arrivent à Buchenwald où ils sont sauvagement frappés et attaqués par des molosses.
Le 13 mars 1944, après une nuit glaciale passée sur la place d’appel du camp, ils sont transférés à Dora, là où les nazis font fabriquer les V1 et les V2 et où les détenus Geheimnisträger ( porteurs du secret ) doivent être massacrés. Alfred CHABAUD reçoit le matricule n° 43.635 et frère BIRIN le n° 43.652.
Affecté au Kommando d’Ellrich, Alfred CHABAUD meurt d’épuisement le 30 juillet 1944 dans le tunnel de l’enfer.
À Châlons-sur-Marne, bien que sans nouvelle de lui, une place lui avait été réservée dans la délégation municipale de la Libération.
Le 18 mai 1945, le maire de la Libération, Irénée DLÉVAQUE lui a rendu un hommage solennel à l’hôtel de ville.
Alfred CHABAUD a été nommé chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume et a reçu la Croix de guerre 1939-1945 avec palme ainsi que la Médaille de la Résistance. Il était déjà officier de l’Instruction publique.
Le 18 juin 2003, le grand amphithéâtre de l’École nationale supérieure des arts et métiers a été baptisé du nom d’Alfred CHABAUD.
À Paris 16, rue Cadet, le nom d'Alfred Chabaud est gravé sur le Mur du souvenir du Mémorial du Grand Orient de France « À la mémoire des Frères Maçons fusillés, déportés, morts au combat, victimes des nazis et de leurs alliés ».