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Relation
sur Mauthausen -
Gusen Témoignage mis en ligne par Jean-Pierre HUSSON De la prison de Châlons au camp de Compiègne Le transport de Compiègne à Buchenwald
En
arrivant en Suisse, et après avoir réalisé que
j'étais enfin libre, ma pensée est allée vers
les camarades que j'avais laissés là-bas, dans ce pays
inhumain, et je me suis rappelé la
promesse que nous avions faite ensemble de répandre
chacun dans notre sphère, non pas les souffrances que nous
avions endurées, mais les méthodes employées
par les nazis pour établir rapidement leur hégémonie.
Ainsi
que je l'avais pressenti, c'est dans la nuit
du 18 au 19 janvier 1944 que je fus appelé dans
la cellule que je partageais avec cinq camarades, à la prison
de Châlons. Parmi ceux-ci CLÉMENT,
menottes aux mains depuis cinq jours, n'était pas compris dans
cet appel nous désignant pour Compiègne.
J'eus vite fait ma valise et la porte ouverte je descendis dans le
couloir central où se rassemblaient les autres détenus.
Le
trajet du camp à la gare parcouru sous bonne escorte, je montai
dans un wagon étiqueté "
8 chevaux-36 hommes ", avec la plupart des camarades
déjà cités, dont le nombre total approchait 150.
Une fois installé, le wagon clos, je me trouvais debout dans
l'attitude d'un spectateur au milieu d'une foule, il était
alors midi. À quinze heures, départ. Les sentinelles, mitraillette au bras, arrivèrent en hurlant et vociférant des injures, proférèrent des menaces à l'encontre de ceux qui avaient essayé de boucher le trou, puis tirèrent une rafale de mitraillette dans le wagon. Je me trouvais près de la deuxième ouverture qui était presque achevée, les soldats en firent tomber les planches à coups de crosse et s'adressant à moi avec des menaces, ils me demandèrent de leur donner les outils. Quand la chose fut faite, évidemment non sans un certain flottement, les soldats étant particulièrement menaçants nous reçûmes l'ordre de nous déshabiller entièrement et de sortir du wagon. Nous
quittâmes ce dernier pour monter dans un autre, situé
à une trentaine de mètres ayant contenu du charbon ;
les coups de crosses sont généralement distribués
en sautant du wagon, en défilant l'un après l'autre
et en remontant dans le deuxième wagon. Toutes
les issues étant closes, l'air devint
vite irrespirable, les camarades se tassant comme des bêtes
traquées, certains d'entre eux avaient de ce fait une respiration
difficile et se débattaient pour essayer de se dégager. À quatre heures de l'après-midi, le lendemain, nous étions à Trêves où, devant la population, nous avons dû descendre du wagon, tous nus, le corps noirci de charbon, pour rejoindre celui que nous avions précédemment quitté afin de nous habiller, mais la chose était pratiquement impossible, nos effets ayant été éparpillés à plaisir et nous n'avions que quelques secondes pour nous vêtir. Il tombait à ce moment-là de la neige fondue et c'est transis de froid que nous attendîmes sur le quai un peu de soupe qui n'arriva pas à nous réchauffer, ni à étancher notre soif, ne pouvant la boire qu'incomplètement à cause du manque de temps et de sa chaleur. Après
avoir rejoint le deuxième wagon, avec aux pieds une paire de
chaussures que je dois quitter aussitôt, nous ne connûmes
plus de répit. Je vois, avec anxiété,
les camarades se disputer puis déraisonner ; dans
la soirée la folie atteint facilement
les quatre cinquième des occupants qui se recherchent,
se battent, ceux-ci prétextant de vouloir s'évader,
puis, ceux-là, de vouloir les en empêcher ; quelques
uns qui veulent soigner leurs camarades sont pris à leur tour
de démence et, continuant leurs efforts, c'est en bâillonnant
et en entassant les uns sur les autres les camarades les plus faibles,
qu'ils arrivent à étouffer certains. Depuis le début, j'avais gardé mon calme, recherchant une place contre une paroi, me frottant les tempes à l'aide de la condensation que je trouvais sur celle-ci, mais j'avais les pieds ensanglantés et, venant de souffrir de rhumatismes, gonflés d'dèmes occasionnés par la station debout pendant trois jours.
À
la fin de la matinée nous sommes arrivés à Buchenwald
où nous avons été réceptionnés
pour la première fois par les SS. Nous avons pris contact avec
eux dès la descente du train jusqu'au camp avec des coups
de crosses ou des coups de pieds. Nous devions rester vingt jours en quarantaine. Le règlement ne permettant pas d'entrer à l'infirmerie pendant cette période, ce temps-là fut très dur pour beaucoup d'entre nous et rares ont été ceux qui n'ont pas été atteints de maux causés par les fatigues du voyage et le froid qui sévissait durement. Pour ma part, mon tempérament fiévreux m'a permis de réagir à plusieurs reprises. Il s'agissait de garder la diète et tout rentrait dans l'ordre. Je
sais maintenant que ce n'est pas le froid qui fait mourir, mais les
changements brusques de température car, pendant
la quarantaine, nous avons dû stationner
souvent plusieurs heures dans le costume indiqué
précédemment, par une température très
basse et un vent glacial, le camp étant situé su un
plateau. Nous avons été piqués six fois. Certains ont voulu s'y soustraire ne sachant pas dans quel but étaient faites ces piqûres. C'est je crois un des seuls camps d'Allemagne où cela se pratiquait. Par la suite, je me suis rendu compte dans les autres camps, qu'il n'en était nullement question. La
nourriture n'était certainement pas abondante, mais les distributions
bien faites. Peu de contacts avec les SS, ce qui rendait la vie supportable.
Il y avait des bousculades, mais peu de coups. Buchenwald,
camp de concentration n° 1 était dirigé intérieurement
par des détenus politiques allemands. Je
me suis rendu compte à l'arrivage des colis de camarades plus
anciens, que ceux-ci leur étaient remis sans prélèvement
par le chef de bloc. Nous avons pu également
écrire une carte dont le texte était réglementé,
mais comportant plusieurs lignes.
Nous
sommes des Déportés, Composé
par Daniel SCHILCK, Le
18 février 1944, je fus
désigné pour partir comme travailleur non spécialisé
à Mauthausen (Autriche)
après une visite médicale ridicule. J'étais habillé
en forçat, vêtement d'une étoffe synthétique,
rayé bleu et blanc, ne garantissant pas des atteintes du froid,
béret assorti, chaussettes informes et claquettes neuves. La
route de la gare au camp, 5 kilomètres, fut faite presque en
courant. Nous étions poussés
comme un troupeau, les SS hurlaient, nous frappaient à
coups de crosses et tiraient des coups de feu. Réception au bloc, maintenant la méthode ne variera plus : cris, et schlague toujours, ceci avec un «goumis », c'est-à-dire un tuyau de caoutchouc plus ou moins garni de fils métalliques selon la frénésie méchante du possesseur. Ils sont 6 ou 8 par bloc à avoir le triste privilège d'être les maîtres absolus des détenus. Nous sommes dévorés par la soif, l'urine est couleur sang ; il y a une quantité de malades. Le lendemain, 210 descendent à l'hôpital. Je n'éprouve pas l'épuisement du premier voyage, mais je souffre des jambes et il est impossible de s'asseoir, on est trop nombreux, et pour des manuvres différentes il faut guetter son nom et son numéro. Cela durera trois jours. Entre temps des Russes sont mélangés à nous et le bloc est plein. Il n'y a pas de lits, nous couchons par terre sur des paillasses, « en sardines », tassés au maximum les uns contre les autres, à la volonté du garde chiourme, et c'est pendant une bonne heure des cris et des coups qui accompagnent cette opération. Le régime alimentaire est le suivant : un litre de soupe de rutabagas, 300 grammes de pain, mais quel pain, il est impossible d'en reconnaître la composition ; une rondelle de charcuterie remplacée une fois par semaine par 60 grammes de margarine (soit 15 grammes de matières grasses) ou 100 grammes de fromage blanc, maigre, accompagné d'une cuillère d'ersatz de marmelade. Le
désordre est de rigueur ; de véritables course-poursuites
sont organisées par les schlagueurs, et chaque distribution
de soupe est agrémentée de spectacles lamentables :
c'est plusieurs distributions de 25 coups
de bâton sur les fesses des fraudeurs ; celles-ci
se tuméfient et deviennent bleu-noir. Par
groupes d'une centaine, nous sommes désignés pour partir
dans différents kommandos. Moi-même je suis affecté
au camp de Gusen situé à
cinq kilomètres, où je suis dirigé avec 60 français
dans un convoi de 500 déportés de nationalités
différentes, je me trouvais alors seul des camarades partis
de Châlons avec moi. La
nature humaine ne doit être plus résistante aux coups,
proportionnellement à son squelette, qu'aucune
bête. Pour se lever, pour se coucher, pour recevoir
une ration, c'est chaque fois une épreuve. Je suis versé dans divers kommandos de l'usine souterraine de Gusen qui va se construire. Au début, nous étions 500 environ. Le lieu du travail était à plusieurs kilomètres du camp ; lever à 3 heures et demie, café ou petite soupe, c'est-à-dire de l'eau chaude, les pâtes restant au fond étaient automatiquement réservées aux " Caïds ". Cinq heures, rassemblement. Il
neige jusqu'en mai et il pleut
jusqu'en juin. Quel pays ! Nous
sommes à 1 500 mètres du " Danube Bleu ".
Il y a deux mois que nous grelottons. On se rend à St Georges
par le train, en wagon découvert, et pendant
12 heures, c'est le travail plus ou moins pénible
; le terrassement n'est rien à côté des kommandos
où il faut porter des charges trop lourdes pour des forces
qui s'épuisent. À midi, nous recevions l'inévitable soupe de rutabagas, quelquefois de céréales, dans un baraquement. Cette distribution était toujours faite au milieu d'un désordre général. Dans l'espoir d'avoir un peu de " rabiot ", on se brûlait la bouche pour finir un des premiers. Le soir, on ne rentrait pas au bloc avant la nuit. Il fallait deux heures pour toucher son quart de pain, soit 300 grammes et sa rondelle de saucisson. Rares étaient les soirs où l'on pouvait se coucher sans avoir passé une revue de numéros cousus sur les habits, un contrôle de poux, à la douche, etc Les vêtements étaient souvent trempés et n'avaient pas le temps de sécher pendant la nuit. A ce régime-là, il est évident que les prisonniers s'épuisaient rapidement. La mortalité était d'une vingtaine par jour pour tous le camp se composant de neuf à dix mille hommes. L'année précédente, la mortalité oscillait entre 30 et 50, le camp n'ayant alors que 5 000 prisonniers. C'était l'époque de sa construction et du travail à la carrière ; chaque pierre était payée de sang humain. De même qu'à la construction de Mauthausen à laquelle participèrent les prisonniers espagnols en 1941, 7 500 sur 9 000 périrent. Aussi, par la suite, j'ai constaté que les survivants ramenés à quelques centaines y vivaient à peu près tranquilles. Deux fois, pendant mon séjour à Gusen 1 le car spécial à gaz emmenant les déportés déficients, a fait plusieurs voyages, conduisant ceux-ci dans l'éternité. Cette opération se faisait chaque fois que le décongestionnement du Revier était nécessaire. Il s'agissait à peu près de 300 hommes chaque fois. Le chiffre et l'exactitude des faits m'ont été confirmés par Monsieur GRUBER, docteur en Théologie, autrichien de Linz, victime des nazis dans les conditions suivantes : le digne homme, rare bienfaiteur des Français qu'il soutenait a eu maintes fois l'occasion de faire rayer de la liste des partants du car, des compatriotes. Il occupait une certaine place dans le camp. Il organisait, pour plusieurs groupes de Français, des soupes : distribution de pain, de margarine et de confiture. Pendant huit jours quatre nouveaux arrivants Français dont je faisais partie, profitèrent de ces dons discrets. Il devait aussi nous faire travailler aux usines de surface, mais il fut pris dans un trafic de marks qui lui permettait d'acheter aux " Proeminents " les dons qu'il prodiguait. Il fut exécuté par les SS après bien des tortures. Chaque jour, une ou plusieurs exécutions se faisaient à la suite de vol, de retard à l'appel, de rébellion envers les Kapos et c'étaient ces derniers qui se chargeaient de l'opération. Début
avril, les premiers colis
des Français arrivés avec moi parvinrent mais quelle
déception. J'en ai reçu neuf en tout jusqu'au
16 mai sur 35. Avant de les distribuer, les SS et les Polonais
attachés au service, se servaient et prélevaient
50 à 70 % du contenu, nos colis faisant prime, alors
que ceux des Polonais ne contenaient que du pain et de la margarine.
De plus, au bloc, l'état-major étant prévenu,
il fallait payer une dîme et au total
20 à 25 % du colis restait au destinataire. Nous
partagions le reste entre Français. Il fallait, afin d'éviter
le vol, le manger tout de suite, nous n'avions rien, évidemment,
pour le renfermer. Malgré tout, ce petit apport si petit soit-il
me sauva. En mai, descendant du wagon, j'ai été mordu par un chien SS et mes jambes enflant, je fus admis au Revier où je demeurai quinze jours ; je n'étais pas soigné comme tout le reste des malades d'ailleurs, ayant été pansé seulement trois fois, mais le repos amena une sérieuse amélioration. Pendant mon absence du camp, les kommandos travaillant à l'usine souterraine avaient quitté Gusen 1. Gusen
2 fonctionnait et c'est à ce moment que commence
son histoire. Nous
étions un nombre sans cesse croissant au fur et à mesure
de l'extension des travaux ; à cause de cela, la vie y était
rendue impossible. Il fallait compter 18 heures
de station debout dont 5 heures de rassemblement sans bouger,
ce qui est très pénible. Mes jambes commencèrent
à couler, le moindre choc faisait une plaie interminable ;
la plupart du temps, impossibilité de se faire panser ;
je suis resté parfois plus d'un mois sans recevoir de soins.
Aucune
hygiène, douches très rares, changement de linge après
plusieurs semaines, environ 6 ou 8 parfois. Vers le 15 juillet 1944, j'ai été admis comme aide-géomètre à l'intérieur de l'usine, je portais les appareils des ingénieurs et le travail me restant à faire après leur départ était à peu près nul ; la fatigue résultait de la course le long des galeries encombrées de tapis roulants et de matériel, mais je n'avais plus de Kapos, donc tranquillité de ce côté-là. J'étais sauvé une deuxième fois. Je retrouvais les survivants des camarades du début dans un bloc de huit heures ; le chef était un sadique de la matraque, nous étions frappés à tort et à travers : quatre fois j'ai reçu une raclée magistrale me laissant abruti ; j'ai réussi chaque fois à me maintenir debout ; tomber était dangereux : c'était le piétinement et les coups de pieds dans la tête qui sont le plus à craindre. Combien de prisonniers j'ai vus, atteints ainsi mortellement ! Repos et appel général tous les quinze jours. Un dimanche, pendant cet appel, un voisin russe fumait discrètement pendant qu'un autre n'était pas tout à fait aligné. Cela a coûté la vie à tous les deux. Ce jour-là, le chef de bloc avait un morceau de fer à la main. Le
camp ne cessait de s'étendre et, fin
novembre, le nombre de prisonniers atteignait 12 000, sans
cesse renouvelés au fur et à mesure des manquants,
car l'usine de Gusen 2 était
une dévoreuse d'hommes. Des Italiens, des Belges
arrivèrent. Ils furent rapidement exterminés.
Savoir économiser ses forces est un art et ils étaient
arrivés trop confiants sur la marche rapide des événements. Un matin, le 28 novembre, je fus réveillé puis rossé n'allant pas assez vite pour m'habiller par le secrétaire du bloc. Je sus par la suite que j'étais désigné comme géomètre pour partir en Pologne à Auschwitz avec plusieurs autres spécialistes. Je ne pus dire adieu aux camarades. Conduit à Gusen 1, puis à Mauthausen, j'ai été arrêté à la douche et admis au Revier à cause de l'état de mes jambes. J'étais sauvé pour la troisième fois. J'étais donc au Revier de Mauthausen le 2 décembre 1944, lorsque 500 malades de Gusen 2, retirés du bloc des condamnés, y arrivèrent vêtus de caleçon et chemise ayant fait la route à travers bois, à pied. C'était un moyen d'extermination déguisé. Beaucoup s'écroulèrent en route ou en arrivant à la porte des blocs. Ils durent attendre pendant une partie de la nuit leur admission. Peu réchappèrent de l'aventure, parmi eux quelques Français. Avec
du repos, mes plaies furent vite guéries et comme le froid
était très vif, c'était le 20
décembre, je me souciai fort peu de repartir à
Gusen 2 où j'avais perdu
ma place, ou bien dans un autre kommando que je ne connaîtrais
pas et comme il était très facile de se procurer du
chlore, j'en ai mis sur mes jambes,
pensant ainsi séjourner plus longtemps au Revier, chose
facile quand on avait des plaies sans être déficient. En effet, dans ce bloc, pas de trafic de ration, ni de vendeurs de soupe, la plupart des prisonniers espagnols ne mangeant pas leur part et se subvenant à l'aide d'organisation dans les emplois qu'ils occupaient dans le camp, j'avais de la soupe à volonté et je fis tous mes efforts pour secourir les Français en quarantaine. Ayant
des furoncles au bras, puis une blessure au pied, je suis resté
sans travailler, ne faisant que le service du bloc. Profitant de cette
fonction, j'ai pu m'habiller comme je voulais et aider aussi les camarades
français. C'est pendant les plus grands froids de janvier
et février 1945
que se sont effectués les repliements du camp d'Auchswitz,
Sachsenhausen, etc. Le nombre de ces malades ne cessant d'augmenter à la suite des replis, le Revier était complet : six par lit dans certains blocs et les prisonniers se battant et même se tuant entre eux la nuit pour dormir. Le pain se faisait rare, il fut supprimé aux malades et remplacé par une demie soupe qui était pour ainsi dire de l'eau. Un médecin belge surprit des déportés se partageant le cur et un membre d'un camarade venant de mourir. Le 25 mars 1945, je partis pour Amsteren afin de travailler au déblaiement de la gare ; nous étions 3 000 prisonniers. Rien n'était organisé pour nous recevoir, aussi nous eûmes à souffrir de ce séjour : réveil à onze heures du soir, soupe, 150 grammes de pain ; nous devions aller prendre le travail à 6 kilomètres puis travailler jusqu'à dix heures du matin, heure de l'alerte et nous partions dans les bois assez loin des civils, jusqu'à quatre heures de l'après-midi. Ensuite, retour au camp et repos pendant quatre ou cinq heures. Le
11
avril 1945, je rentrai au camp de Mauthausen,
mais cette fois en quarantaine. Les derniers quinze jours au camp
furent durs : une soupe, un pain parfois entièrement moisi
pour dix ; en le mangeant, la fumée sortait de la bouche. Sortant de quarantaine, je n'étais pas au courant des événements du camp. J'appris que dans les derniers jours, des massacres massifs avaient été effectués ; de nombreux camarades du Revier, squelettes vivants, étaient montés au camp et avaient été entassés dans certains blocs de quarantaine, décimés : 1 200 et 500 de ces derniers sont passés par la chambre à gaz la veille et l'avant-veille de mon départ. Que sont devenus les camarades de Gusen 2 où l'extermination a dû également se précipiter dans les derniers temps, avant l'arrivée de la Croix-Rouge ? La décimation y a été sûrement plus importante, les hommes épuisés étant plus nombreux. Avant
de conclure ce petit mémoire, il faut que je cite trois faits
prouvant la mentalité des nazis. 75 parachutistes anglais et hollandais furent massacrés en janvier 1945 à la suite de leur refus de porter des pierres d'un poids hors de proportion avec leurs forces. Il fallait, dans le parcours de la carrière au camp, gravir 186 marches. La compagnie de discipline comportait le même travail, mais les pierres ne dépassaient pas 40 kilos et les prisonniers recevaient une nourriture plus substantielle. Au point de vue moralité dans les camps, parmi les droits communs, elle était déplorable ; la plupart étaient des invertis. Dans les camps se trouvait un bloc de prostituées destinées aux Kapos et au chef de bloc, et c'était vraiment ahurissant d'entendre dans notre misère les jacassements de ces dames. Évidemment, aucun service de culte n'était autorisé et les prêtres étaient particulièrement maltraités, soumis aux travaux de la carrière. Par la suite, dans le courant de l'année 1944, leur sort fut un peu amélioré, ils ne travaillèrent plus. Je ne voudrais pas achever sans citer des chiffres. Il sera difficile de connaître le nombre de déportés passés à Mauthausen, les SS ayant brûlé dans les derniers jours la plupart des archives du camp. Le
professeur FAWTIER de la Sorbonne
a su, grâce à ses relations du bureau politique du camp,
tenu ici en grande majorité, par les prisonniers allemand et
tchèques, que courant janvier 1945
le chiffre des morts pour l'ensemble des Kommandos
était de 120 000.
À ce moment, les numéros enregistrés étaient
dans la tranche des 95 000. À mon départ, cinq mois
après, j'ai vu des prisonniers portant les numéros dans
la tranche des 139 000. Ces différences proviennent de ce que,
nombre de prisonniers n'ont jamais reçu
de numéros, ils étaient condamnés
à mourir à brève échéance tels
que ceux des blocs 19 et 20 et certains convois juifs. Je
laisse à chacun le soin de conclure après cette relation,
mais avec l'expérience de mon séjour en Allemagne, je
crois pouvoir dire à tous mes compatriotes qu'ils peuvent,
à bon droit, se montrer fiers d'être Français. Nous avons été à peu près la seule nation qui a apporté aux camarades juifs un peu de réconfort et de pitié. Mais je dois dire également que tous mes camarades français ont laissé percer dans la misère un grave défaut : c'est d'être trop individuel. Là-bas, il y avait une excuse, ici à l'heure du relèvement de notre pays, il n'y en aura point devant l'Histoire. Il nous faut l'union pour mettre à profit nos qualités et des conducteurs pour guider toutes nos aspirations. St
Gall, 1er mai 1945
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