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Louis Carrière après son retour de déportation
L'engagement
dans l'Armée de l'Air
Après
des études au
collège de Sézanne, je suis entré dans les
Écoles de l'Armée de l'Air en
septembre 1938.
J'en suis sorti en
mars 1940 avec un diplôme de Radio-Navigation aérienne.
Affecté au
Groupe de Bombardement 1/15 à Reims, puis en Bourgogne à
Saint-Yan sur Quatrimoteur Farman, j'ai effectué
trois bombardements sur l'Allemagne.
Cette unité a été transférée au Maroc vers
le 15 juin 1940.
Je suis rentré en France à Istres, et j'ai été placé en congé d'armistice le
1er décembre 1942 après le débarquement
anglo-américain en Afrique du Nord : donc libre de toute
activité militaire.
Le
réseau Gallia
Contacté par un camarade pilote, je
me suis engagé au réseau GALLIA, dans la
zone sud ouest, à
Toulouse, réseau dépendant du BCRA de Londres, comme
agent de renseignement, catégorie P2 c'est-à-dire disponible 24 heures sur 24.
En
juillet 1943, j'ai été désigné
pour diriger la
section de Limoges.
Au cours d'une liaison à
Toulouse, j'ai
été arrêté par la Gestapo au PC du réseau, le 10
octobre 1943.
Les
prisons de Vichy et la déportation
Une
aventure se terminait, une autre fort différente débutait
:
- 10 heures d'interrogatoires
et près de 2 mois à la prison
Saint-Michel à Toulouse ;
- 3 heures d'interrogatoires et près de 2 mois de prison au
Fort du Hâ à Bordeaux ;
- enfin, trois semaines dans
le quartier
des otages à Fresnes, seul dans une cellule.
À
Fresnes, le huitième jour, à 5 heures du
matin, j'ai entendu des détenus qu'on allait fusiller, chanter La Marseillaise et crier « Au
revoir les copains ».
Durant les quinze jours qui ont suivi, j'ai cru
perdre la tête ; je faisais 15 kilomètres par jour en
arpentant ma cellule et en comptant les pas, et à chaque centaine
j'essayais de reprendre esprit. L'attente fut terrible. Puis un jour
on est venu me chercher. Allais-je être fusillé ?
Ce fut avec un certain soulagement que j'ai constaté qu'on
m'emmenait au
Camp de Compiègne.
Quinze jours après,c'était le départ vers l'Allemagne.
L'univers
concentrationnaire des camps :
Neue Bremm, Mauthausen - Gusen, Flossenbürg - Leitmeritz
Un
groupe de 50 personnes fut rassemblé et placé en tête
d'un train de permissionnaires allemands à destination de Saarbrück,
puis du camp
de NEUE BREMM, petit camp de transit où l'on ne
travaillait pas, mais où l'on marchait la plus grande partie
de la journée autour d'un bassin.
Ce fut la découverte et l'apprentissage terrible
de la vie dans
l'univers concentrationnaire.
Trois semaines plus tard, transport annoncé.
Nous sommes partis le jeudi matin et sommes arrivés
le samedi soir dans
une petite gare où l'on a lu « Mauthausen ».
On n'allait pas tarder à savoir ce qu'était le
camp de concentration de MAUTHAUSEN, une forteresse
construire en 1938, sur une colline, dans laquelle « vivaient »
50 000 personnes environ.
Ce fut ensuite une
marche forcée de la gare au camp encadrés
par des SS hurlant avec des chiens et des matraques vers un but que
nous ignorions. Épreuve terrible qui dura
une bonne heure, d'autant plus qu'aucune nourriture ne nous avait
été donnée depuis le jeudi matin.
Ensuite, direction le bâtiment
de « quarantaine » et enfin le
Kommando de Gusen, à 15 kilomètres du camp
principal avec affectations dans une usine fabriquant des matériels
d'avions.
C'est
là que j'ai appris comment fonctionnait le régime des détenus en camp de concentration
:
- réveil vers les 5 ou 6 heures du matin ;
- appel d'une durée de 1 heure à
2 heures, debout, sans parler, avec obligation d'amener les décédés
de la nuit ;
- distributions d'un liquide noirâtre
appelé « café » et départ
pour le lieu de travail ;
- arrêt de 30 minutes le midi pour manger
une bouche de soupe ;
- retour au camp pour un nouvel appel et distribution
d'une tranche de pain avec une rondelle de saucisson.
Mais le plus important était la menace permanente d'être battu, selon l'humeur
des SS et des Kapos, la plupart du temps pour satisfaire leur pouvoir,
qui pouvait aller jusqu'à tuer
ou martyriser sans aucune explications.
Quelques
mois plus tard, j'ai
été renvoyé au
camp principal dans un groupe d'une dizaine de détenus
parmi lesquels j'étais le seul Français, et transféré
au camp
de FLOSSENBURG, puis dans le Kommando de LEITMERITZ,
en Tchécoslovaquie, où j'ai été affecté dans une usine de fabrication radio.
La
vie au camp était la même que ce que j'ai décrit
ci-dessus, mais le travail était moins épuisant.
Une dizaine de Français arrêtés en
septembre 1944 appartenant à des services
de Télécommunications vinrent me rejoindre. Ce qui me
permit enfin, de
pouvoir « parler ». Et la vie continua
de se dérouler avec ses espoirs mais aussi avec
la faim provoquant un affaiblissement progressif général.
Le
mois de mai 1945 arriva enfin sans que rien ne change dans
le camp et l'encadrement.
Mais la fin de la guerre le 8 mai incita les SS et les Kapos à partir
le 10
mai.
Au matin, sans intervention extérieure, nous
étions enfin libres !!!
C'était évidemment une grande joie, mais surtout intérieure, car tout ce que je viens de résumer avait
marqué mon esprit de façon indélébile.
Depuis
le 10 octobre 1943 jusqu'à ce jour le 10 mai 1945,
tous les souvenirs accumulés depuis ces 17 mois représentaient une
lutte permanente entre l'esprit qui enregistrait
ce que le corps supportait, au fur et à mesure des épreuves
évoquées.
C'était la fin non pas d'un cauchemar mais
d'une réalité incroyable que
le monde aura du mal à comprendre.
Le
retour dans la Marne
Nous
avons été libérés par l'Armée Rouge, mais ce
sont les Tchécoslovaques qui nous ont aidés à quitter le camp pour Prague,
et qui nous ont acheminés à Pilsen,
sur une base aérienne où des avions se posaient et décollaient.
Ces avions étaient des « Dakotas »,
un modèle que je ne connaissais pas évidemment. Ils
appartenaient à mon ancien groupe, qui comptait beaucoup de
camarades. Ils m'auraient certainement embarqué, mais
il fallait traverser toute la base et je ne m'en sentais pas le courage.
Le retour fut plus fatigant qu'un vol : en
autobus jusqu'à Francfort, puis en train jusqu'à Paris,
où nous sommes arrivés le
26 mai 1945.
Mes parents, sans nouvelles de moi depuis mon départ
de Compiègne vers
la mi-mars 1944, ne croyaient plus me revoir étant
donné qu'une grande partie des déportés était
déjà revenue.
Je suis revenu dans
mon village de la Marne, Suizy-le-Franc, où j'ai
retrouvé la sérénité avec la possibilité
de faire de bonnes promenades, les mêmes que dans mon enfance,
enfance qui m'avait souvent aidé à « m'évader
»
par la pensée.
Mais c'était tellement réconfortant.
J'ai été particulièrement sensible
à l'accueil reçu à mon retour : les habitants,
mes camarades d'école, voulaient tous connaître mon parcours.
Mais au bout de quelques jours, j'ai
décidé d'interrompre l'évocation de mes souvenirs, car ce n'était pas ainsi que je pourrais « oublier ».
L'Armée
de l'air m'a donné 6
mois de repos avant de reprendre ma carrière d'aviateur.
C'était le début de nouvelles aventures
qui m'ont permis d'éloigner mon esprit de cette terrible épreuve,
en prenant d'autres
risques.
C'est ainsi que du
1er décembre 1945 à avril 1970, j'ai effectué
plus de 5 000 heures de vol, dont 3 500 comme chef de bord en Afrique,
en Europe, aux État-Unis, aux Antilles
J'ai effectué un séjour en
Indochine de
juillet 1949 à décembre 1950.
Je me suis posé en zone vietminh pour reprendre
des prisonniers blessés : instants très émouvants
surtout pour un ancien déporté.
En
1960, j'ai été admis à l'École
d'état-major pour suivre un stage de 6 mois à l'École
Militaire à Paris, ce qui m'a permis de terminer ma carrière
comme sous-chef
d'état-major au Commandement des Écoles.
- Prison
à Toulouse du 10 octobre 1943 au début
du mois de décembre 1943
- Prison à Bordeaux de
début décembre 1943 à la fin janvier 1944
- Prison à Fresnes de
la fin janvier 1944 à la mi-février 1944
- Camp de Compiègne de
la mi-février 1944 à la mi-mars 1944
- Camp de Neue Bremm de
la mi-mars 1944 à début avril 1944
- Camp de Mauthausen de
début avril 1944 à début juin 1944
- Commando de Gusen du
début du mois de juin 1944 à août 1944
- Commando de Leitmeritz d'août
1944 au 10 mai 1945
Installé à Reims à la retraite, Louis CARRIÈRE a présidé la section départementale des Français libres jusqu'à sa dissolution et son intégration dans la Fondation de la France libre.
Il participait aux activités des deux grandes associations de déportés FNDIRP-UNADIF, et de l'AFMD-51, des associations au sein desquelles il entourait ses camarades déportés de beaucoup d'amitié et de solidarité. Avec eux, il témoignait devant les élèves de collège et de lycée dans le cadre de la préparation au Concours national de la Résistance et de la Déportation.
Chaque année, il participait en avril à la Veillée du souvenir de la Déportation et invitait deux lauréats du Concours national de la Résistance et de la Déportation à lire l'Appel du 18 juin 1940 du général DE GAULLE et l'Appel à tous les Français d'Août 1940 au cours de la cérémonie commémorative devant le monument aux morts de la Ville de Reims.
Louis CARRIÈRE est décédé à Reims le 10 mai 2012.
À Sézanne où il a été élève, une salle du lycée porte son nom. |
Le colonel Louis CARRIÈRE, photographié
en gare de Reims le 23 mai 2004
lors du passage du Train de la France libre
Avec
l'amiral Philippe de Gaulle à la sortie du train-exposition
26 février 2005
Louis Carrière accompagné d'Andrée
Paté, déportée à Ravensbrück,
et de Lucien Hirth, déporté à Neuengamme,
témoigne devant les élèves du lycée Clemenceau
de Reims
dans le cadre de la préparation du Concours de la Résistance
et de la Déportation
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