|
Enseigner la mémoire ? > Histoire et mémoire de la déportation > Témoins 51 > Lucien Hess | ||||
Arrestation et déportation Témoignage mis en ligne par Jean-Pierre HUSSON Mon arrestation - Les interrogatoires - Mon séjour au siège de la Gestapo Mon transfert de Reims à Châlons et mon séjour à la prison de Châlons L'hommage des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation
|
|||||
Lucien Hess Le rapport qui va suivre ne veut être que l'exposé de faits vécus, dont je garantis l'authenticité.
L'arrestation La
cérémonie terminée, après quelques prières
personnelles, comme je quittais la Basilique, je fus rejoint rue Simon,
à la hauteur de l'arrêt de l'autobus, par un civil corpulent,
dont je sus plus tard qu'il était le
chef de la Gestapo. À la Conciergerie, il y avait un groupe nombreux de soldats : l'homme leur donna en accents furieux des explications me concernant évidemment. Tous se mirent à me regarder avec des airs de vautours qui vont fondre sur leur proie. Puis l'homme téléphona. Une voiture arriva ( leur traction-avant noire ), tourna dans la cour. Elle contenait trois hommes, le chauffeur, un homme à ses côtés, un autre derrière. Mon compagnon me fit monter derrière, coincé entre lui et l'autre homme : en avant, celui qui ne conduisait pas resta constamment tourné vers moi. Nous suivîmes la route du tramway : rue du Ruisselet, rue Chanzy, rue de Vesle. « Voilà la Maîtrise » me dirent-ils en passant. Premier interrogatoire Arrivé
rue Jeanne d'Arc, je fus immédiatement
conduit au 1er étage, dans le bureau
du chef, qui était la salle d'interrogations, les
quatre hommes me fouillèrent, mirent tout ce qu'ils trouvèrent
sur moi dans une grande enveloppe à mon nom, me dépouillèrent
de ma soutane, puis m'énoncèrent leurs
accusations : Ces
3 chefs d'accusation constituèrent le fond de tous les interrogatoires
suivants. Sur mes dénégations absolues, car je n'ai jamais donné mon adhésion nominale à la Résistance, ils cherchèrent à obtenir des aveux à coups de poings dans la figure et à coups de nerfs de buf dans le bas du dos, depuis les reins jusqu'au pieds. Flagellation cruelle et savante, douloureuse à faire hurler, appliquée avec méthode, mais ne risquant pas d'atteindre des organes. Le Chef était le bourreau. Pour l'infliger, ils me mettaient à plat ventre sur une chaise, l'un deux tenait ma tête entre ses jambes, un autre maintenant les pieds. La flagellation finie, ils me jetaient à terre sur le dos puis, d'un coup de pied, m'indiquaient d'avoir à me relever. Il y eut au cours de ce premier interrogatoire quatre de ces flagellations. Le processus fut toujours le même : coups de poings dans la figure, allongement sur la chaise, coups de nerfs de buf au bas du dos, projection par terre, coup de pied pour me faire relever. J'étais à jeun, anéanti par la souffrance, ruisselant de sueur et d'humeur. Après ce premier interrogatoire, ils me firent descendre avec eux à l'entresol dans un salon attenant à la salle à manger où ils me gardèrent à vue, péniblement assis, toujours ruisselant de sueur, tandis qu'ils dînaient. Puis ils me menèrent dans une cellule au sous-sol, très étroite, ne prenant l'air que sur un couloir, dans l'épaisseur du mur, lampe souvent éteinte, soit cause de panne, soit autre chose. La cellule contenait un sommier, deux chaises, une tinette. Je n'eus rien à manger ce soir-là, et je dus me coucher sur le ventre pour pouvoir me reposer. Deuxième interrogatoire Il eut lieu le lundi 10, vers 9 heures du matin, dans les mêmes procédés, sur les mêmes chefs, mais avec des questions nouvelles. On me demanda mon emploi du temps du dimanche. J'expliquai qu'avec les enfants Thirion de ma Maîtrise, j'avais été porter un colis à Madame Chatelin, à la Croix-Rouge, pour leur sur Jacqueline, arrêtée la veille dans les Ardennes : grand triomphe, ils y virent la preuve de ma connivence avec le maquis des Ardennes, avec M. et Mme Ognois, oncle et tante de Jacqueline Thirion, arrêtés la veille à Reims. Ils m'expliquèrent que c'était eux qui m'avaient envoyé la veille un homme me réclamant des armes pour le maquis des Ardennes, me montrant à l'appui de ces revendications, différents papiers marqués de cachets anglais. « Vous n'avez pas marché, me dirent-ils, mais beaucoup tombent dans le piège ». Ce deuxième interrogatoire fut coupé comme le premier et comme les suivants de plusieurs attaques à coups de poings et de flagellations. Revenu dans ma cellule, j'eus à midi une assiette de soupe excessivement salée, alors que j'avais la bouche sèche, empâtée par la soif ; je la mangeai dans l'obscurité complète. Troisième interrogatoire Il eut lieu vers 16 heures. On m'y montra des photos de nombreuses personnes, m'interrogeant sur des listes de noms de membres de la Résistance. On me donnait le nom de guerre d'abord, le nom de famille ensuite. Quand j'avouais connaître celui-ci après avoir dénié connaître le nom de guerre, c'était une explosion de fureur et de coups. Je me plaignis de la soif sans obtenir pitié. Je ne sais comment cet interrogatoire se termina. Je m'évanouis sans doute, car je n'en ai aucun souvenir. Ramené dans ma cellule, j'eus ce soir-là une tasse de thé et un sandwich beurré. Quatrième interrogatoire Le mardi 11, vers 9 heures. Cet interrogatoire porta particulièrement sur mes relations avec l'abbé Fontaine, curé de Savigny-sur-Ardre, qui avait été arrêté dans les Ardennes. Ils me dirent leurs griefs contre lui, m'interrogèrent sur le maquis, la Résistance dans les Ardennes. Un coup de téléphone fit venir un chef, sans doute, ils se mirent au garde-à-vous lors de son entrée et de sa sortie. Ils parlèrent de moi. Il me regardait de temps en temps avec attention. Après son départ, on fit une copie allemande dactylographiée de mes dépositions, on m'en lut une traduction. On me fit signer. Puis on me maintint, sans plus rien me dire, pendant une heure, douloureusement assis en face d'eux, malgré mes supplications d'être debout ou à genoux. Mais on m'apporta un verre d'eau sans que je l'aie demandé. Ce geste inattendu me fit pleurer comme un enfant en leur exprimant ma reconnaissance. Revenu à ma cellule, j'eus une nourriture plus copieuse, c'est-à-dire une assiettée de légumes. Les trois semaines à la Gestapo Et c'en fut fini des interrogatoires mais je n'en savais rien. Gardé jusqu'au 28 juillet, je pouvais toujours craindre de les voir reprendre. À cette angoisse s'ajoutait celle d'être amené à prononcer des noms compromettants, la crainte des perquisitions à la Maîtrise, la crainte qu'on emprisonnât, comme on m'en avait menacé, les membres de ma famille ou du personnel de la Maîtrise. Et j'étais hanté par cette phrase qu'ils se plaisaient à me répéter : « Monsieur Hess, vous ne dites pas la vérité », craignant qu'elle ne provoquât soudain une détente de ma volonté. Je fus seul dans ma cellule pendant 10 jours, puis comme il y avait trop de pensionnaires, nous fûmes 3 ou 4 toujours dans les cellules du même type, dans le même couloir. Je fus ainsi en contact avec l'affaire de Sillery, avec Morizet et Goulard de Sillery, avec Trémé d'Avize. J'entends parler de M. Hodin de la Municipalité de Reims. Je ne vis plus mes bourreaux. Les SS n'apparaissaient que pour la toilette faite sous leur garde au lavabo, sans savon, ni serviette ; et les repas : café le matin, assiette de soupe à midi, thé et sandwich le soir. Mais je rends hommage au dévouement de Raphaëlle, femme de service, dont je me méfiais d'abord, quand elle me proposa de donner des nouvelles à ma famille. Mais elle vainquit cette méfiance en me jetant par l'orifice d'aération, grand comme celui d'un tuyau de poêle, du sucre, du jambon, du beurre, pris dans les provisions de la Gestapo, en me donnant des nouvelles de ma famille et de mes supérieurs ecclésiastiques.
Le 28 juillet après-midi, subitement, un gardien ouvre la porte de ma cellule, me fait sortir, me mène à l'entrée. Après une pause, on me fait monter dans un car Ardon, ayant déjà pris une charge de détenus à l'Hôtel de Ville. On nous emmène vers la prison de Châlons. Dans le car, je reconnais Madame Deguerne de Ville-sur-Retourne. Dans la cour de la prison de Châlons, tandis que les gardiens examinent les paquets de mes camarades, je me fais reconnaître du chauffeur du car qui, naguère, conduisit ma Maîtrise en colonie de vacances. Je lui demande de donner des nouvelles à ma famille - ce qu'il fit dès son retour. Lucien Lundy d'Aussonce et son frère Georges de Beine m'aperçoivent et me reconnaissent malgré mon accoutrement et ma barbe et me font signe de rester avec eux. Ainsi, je suis placé avec eux dans une cellule de 8 prisonniers au 3ème étage. Vie à Châlons La vie à la prison de Châlons est beaucoup plus douce que dans les sous-sols de la rue Jeanne d'Arc de Reims. J'y suis en compagnie d'autres détenus qui deviennent des amis. Nous recevons des colis nombreux que nous savourons en commun. Nous n'avons rien à faire et une atmosphère de gaîté règne le plus souvent dans la cellule. Nous composons des chansons. Dès ma première rencontre avec la religieuse, Sur Marie, des Filles de la Charité, qui soigne à l'infirmerie et m'a remarqué dès mon arrivée, elle me donne un autel portatif et je peux ainsi célébrer quotidiennement ma messe. Quelques jours plus tard, de mon 3ème étage, par la fenêtre grillagée, je peux échanger toute une conversation avec ma sur Madeleine, venue de Reims rôder autour de la prison de Châlons. J'ai ainsi, quoique la Gestapo de Reims n'ait jamais voulu accorder la permission de me visiter, le soulagement d'avoir des nouvelles de ma famille, de la Maîtrise, d'apprendre que personne n'a été inquiété, que tout est sauf. Je reçois les soins dévoués de Sur Marie à qui va toute ma reconnaissance, ainsi que celle de tant d'autres détenus qu'elle a secourus de toutes les façons possibles. Ainsi, ce séjour providentiel rétablit ma santé et me permet de reprendre des forces morales pour les mois pénibles qui m'attendent encore. Pendant mon séjour, je rencontre Monsieur Hutin qui me procure quelques livres religieux. Départ Le 19 août, de très bon matin, nous fûmes rassemblés dans le couloir de notre cellule, avec toutes nos affaires, menés à la cour d'entrée où les gardiens nous distribuèrent les derniers colis arrivés ; pour mon compte, j'en avais deux. Nous sommes environ 80. On nous fait monter dans les autocars. Madame Hutin arrive à temps pour serrer furtivement la main de son mari ( qui ne devait pas revenir ) et pour assister à notre départ qu'elle fera connaître aussitôt à ma famille. Dans le car, placé à côté de M. Hutin, je fais plus ample connaissance avec lui. Nous traversons l'Argonne, la Lorraine, les Vosges, admirant ces paysages de notre chère France dont la beauté tranquille fait contraste avec la tension de nos esprits. Le
camp de Natzviller, surnommé « l'Enfer
de l'Alsace » est situé au sommet d'un vallon
dans le déroulement d'un panorama splendide. Le camp est construit
en amphithéâtre avec une série de plate formes
reliées par des escaliers. Les baraques sont séparées
par des plans inclinés de gazon. Aspect artistique qui contraste
hypocritement avec la vie misérable des détenus. Le
car y parvient non sans difficultés. Je
reçois le n° 22 808. À partir de
ce moment, nous ne sommes plus pour nos gardiens
des personnes humaines mais des êtres quelconques numérotés,
qui ne sont qu'une charge et un objet de rebut. Toujours
nus, nous sommes complètement rasés,
opération humiliante faite en public, sans le moindre ménagement
de pudeur. On nous rase sans doute par crainte de la vermine. On nous
fait passer aux douches. J'y rencontre un rémois,
M. Godbert, directeur du Pari Mutuel, dont le dos était
labouré de raies violettes, témoins d'une flagellation
subie l'avant-veille. Puis on nous donne une chemise,
le pyjama rayé accompagné d'une calotte ;
aux pieds nous aurons les fameuses claquettes
si peu pratiques pour gravir et descendre les nombreux escaliers du
camp que je préférais aller pieds nus. Le travail auquel je fus soumis consistait à porter des pierres et des plaques de gazon pour construire des fortins de défense contre l'arrivée possible des armées alliées. Ce travail était rendu plus pénible par la difficulté de la marche avec les claquettes ou pieds-nus. Malade, je ne pus le continuer. La nourriture consistait en un peu de café le matin, à midi un litre d'une soupe indéfinissable accompagnée parfois de choucroute crue, le soir un morceau de pain avec de la margarine, parfois une cuillerée de confiture. Plus de colis. Plus de nouvelles non plus, il fallait sans cesse ( ce me fut une souffrance très sensible au début ) entendre la hiérarchie du camp employer la langue allemande. Il fallait comprendre sous peine de bourrade. Enfin, pour moi, l'épreuve la plus grande fut la privation de tout secours religieux, sauf les conversations que je pouvais avoir avec les confrères. De plus, le spectacle hallucinant de cette vie misérable. Du bloc, nous voyions sans cesse descendre vers le four crématoire, situé à l'extrémité inférieure du camp, les civières soutenant les cadavres des détenus morts pendant la nuit. Au début de mon séjour, le four ne fonctionnait pas régulièrement, mais au fur et à mesure de l'avance alliée, nous vîmes des camions d'hommes et de femmes descendre le camp, depuis la porte du sommet jusqu'à la sinistre baraque, et remonter vides. Nous comprenions que ces malheureux étaient pendus d'abord, dans une chambre mitoyenne au four, puis immédiatement incinérés, comme en témoignait une fumée plus épaisse. Le four fonctionna bientôt jour et nuit et les flammes dépassaient la cheminée de 30 ou 40 centimètres. Le
départ Mais, dans la nuit du 3 au 4 septembre, nouveau rassemblement, nouveau départ. Nous allons cette fois-ci jusqu'à la gare de Rothau et, dans la plus grande déception, nous sommes embarqués dans des wagons à bestiaux, par groupes de 45 à 50. Le train s'ébranle et nous emmène vers Strasbourg. C'est une nouvelle déception, d'y parvenir. Nous croyions la ville entre les mains françaises, or la gare est paisible, peu atteinte en ses bâtiments principaux. Les nouvelles qui circulaient parmi nous étaient donc fausses. De Strasbourg par Stuttgart, en pleine saison de fruits ( quel supplice de Tantale pour nous de voir des pommiers et poiriers chargés ). Nous fûmes amenés à Dachau, le camp modèle des SS. Débarqués, nous traversons à pied la coquette Cité des SS pour arriver au Camp des détenus y attenant. Le
camp L'entrée L'infirmerie Dix jours passés au Revier me font constater par expérience l'absence quasi totale de médicaments et la difficulté d'obtenir un régime convenable. Je n'ai toujours que de la soupe aux choux. Le seul avantage acquis est la dispense de l'appel. J'expérimente la misère des détenus malades, l'isolement dans la différence des langages, l'agonie des voisins. Enfin je remarque - et on me le confirme - l'inadmissible subordination des médecins, tous des détenus, à un chef de chambrée, détenu lui aussi, mais ayant cherché et l'ayant obtenue, la faveur des gardiens et voulant la conserver, qui s'arroge invariablement, par bassesse et méchanceté, et à qui on reconnaît le droit de changer de son propre chef les traitements, malgré son absolue incompétence. Quelle humiliation pour les médecins et quelle souffrance d'avoir à administrer ainsi des soi-disant remèdes qui entraînent le pire. J'ai connu le Docteur Bettinger de Reims qui, me voyant affamé, me donna plusieurs fois des pommes de terre et du pain gris sur sa ration personnelle et me soutint moralement de ses conversations amicales. Ce docteur rémois n'est pas revenu. Lorsque sévit l'épidémie de typhus, son bloc fut vite contaminé et le mal s'y développa rapidement et violemment. Il y resta et soigna ses malades avec dévouement ; il contracta alors la maladie et en mourut, victime de sa fidélité à son devoir. La
vie courante Chaque arrivée comporte une quarantaine. Elle a lieu pour nous du 4 au 28 septembre. Le bloc est isolé par des clôtures, il est interdit de rentrer dans les chambrées pendant le jour. Or il n'y a dehors ni bancs, ni tabourets. La seule façon de se reposer est de s'asseoir par terre, adoucissement impossible les jours de pluie. Le nombre des détenus du bloc rend difficiles les rassemblements ; or ils sont nombreux pour des appels multiples, certains jours, sans doute par crainte d'évasion ou pour la désignation des futurs kommandos. De sorte que, quoique n'ayant pas de travail déterminé à faire pendant cette pause, nous sommes toujours dans l'attente d'un ordre sévère de rassemblement précipité, d'où une continuelle tension d'esprit. Le
bloc 26 La nourriture est toujours aussi réduite, la soupe va s'éclaircissant, quelles que soient les exigences du travail. Les prisonniers allemands, polonais, slaves, recevaient des colis expédiés par leur famille ou des colis de la Croix-Rouge, très réguliers et bien conditionnés. Ils cuisinaient et se faisaient des repas à tour de rôle, selon les inscriptions dans le réfectoire où il y avait un poêle, et qui était aussi la salle de travail. La vue et l'odeur de ces aliments provoquaient une envie torturante chez les affamés que nous étions. Or quand même ils auraient désiré partager leurs colis, il était impossible de le faire avec tous. Poussé par une faim de plus en plus lancinante, les tiraillements de l'estomac allant jusqu'à provoquer les larmes, je me résolus à mendier auprès des heureux cuisiniers les rations de soupe qu'ils dédaignaient et jetaient dans les lavabos. Je visitais aussi les poubelles, épiant le moment où on y jetait des épluchures de fruits, et prenant les déchets de viande avariée, pour les gratter et en manger ce que je pouvais, au risque de me faire du mal, mais la faim exigeait un apaisement, quel qu'il fût. Ainsi jusqu'à la fin de l'année 1944 où arrivèrent les colis de la Croix-Rouge pour tous, au rythme à peu près régulier d'un par quinzaine. Tous les déportés de Dachau sont unanimes à dire que, sans ces colis, ils n'auraient pu que s'affaiblir de jour en jour jusqu'à la maladie et la mort inévitables. L'entassement
de 2 ou 3 hommes par paillasse individuelle facilitait
le développement d'une vermine
dégoûtante et dangereuse. Nous
ne changions jamais de linge. L'air était vicié.
Au début de l'hiver apparut la dysenterie
dont les effets augmentèrent l'insalubrité des lieux.
La contagion se propagea rapidement. Autre vision navrante : les déportés revenant des kommandos, des travaux de terrassement, dans les mines, les tunnels, les souterrains précipitamment emménagés en usine, soumis au même régime, n'ayant pas davantage de nourriture, ils ne pouvaient résister longtemps, leur santé était irrémédiablement altérée. La faim qui les tenaillait les faisait se jeter avidement sur le moindre morceau de pain que nous pouvions leur offrir, au point que les disputes violentes que provoquaient ces maigres générosités nous faisaient hésiter à en faire le geste. Pour les plus affaiblis de ces malheureux, les douches obligatoires à l'arrivée étaient souvent fatales ; il en mourait 20, 30, 40 en une seule séance. Le Docteur Bardon de Montceau-les-Mines, qui me soignait et qui dut être souvent témoin de ce triste spectacle, vit une fois un de ces ouvriers assister là à la mort de son troisième frère au retour du même kommando - les deux autres étaient morts en cours de route. La
fin Après la libération, on a retrouvé un pressant télégramme d'Himmler ainsi conçu : « 14 avril. La capitulation n'entre pas en question. Le camp doit être évacué immédiatement. Aucun détenu ne peut tomber vivant aux mains de l'ennemi. Les prisonniers de Buchenwald se sont comportés cruellement vis-à-vis des populations civiles. Signé : Himmler au Commandant Weiss, Camp de Dachau ». Ainsi les intentions des chefs allemands sont indéniables : c'était l'extermination totale des déportés. Le
29 avril Mais lorsqu'ils trouvèrent près du four crématoire 1 400 cadavres qui n'avaient pu être incinérés et, à la gare de Dachau, un train de Juifs, embarqués sans doute depuis huit jours et morts de faim, dans les wagons où les SS les avaient bouclés, le train n'ayant pu partir à cause des bombardements, l'horreur des vainqueurs fut à son comble : ils ne firent plus de quartier, ne gardèrent plus de prisonniers, tous les gardiens SS furent abattus. À ce récit uniquement fait de ce que j'ai vu, pourraient s'ajouter des descriptions de tortures subies, soit au cours d'interrogatoires de la Gestapo en France, soit dans d'autres camps de concentration, descriptions faites par les victimes elles-mêmes que je connais et dont je peux garantir la sincérité. Ce
supplément me paraît inutile. Les faits que j'ai vécus
suffisent à démontrer à
quel degré de sauvagerie sadique ces troupes allemandes en
étaient venues, en dépit de la « correction
» déployée dans nos villes. Je ne veux pas cultiver
la haine, mais de tels faits font souhaiter en toute conscience humaine
et même chrétienne des clauses
de paix soigneusement étudiées et suffisamment sévères
pour éviter la réédition de telles preuves d'hypocrisie,
d'inhumanité, de perversion de la civilisation. Lucien
HESS
Le
23 mars 2005,
une conférence en hommage à
Lucien HESS s'est tenue dans
la salle Saint Remi de la Maison Saint-Sixte de Reims, à l'initiative
de la délégation marnaise des Amis de la Fondation pour
la mémoire de la déportation, de son président,
Jean CONSTANT, et du neveu de
Lucien, Benoît HESS. Le retour à Reims de Lucien Hess, le 14 mai 1945 La
chorale des enfants de l'École de Contrai, Au
premier plan : Lucien
HESS aux côtés de son
père ( au centre ) Peu
de temps après son retour de déportation, Lucien
HESS, a effectué à pied un pélerinage
en plusieurs sanctuaires, puis il a repris son ministère à
Reims, où il a fondé l'École
de la Maîtrise qu'il a dirigée jusqu'en 1958. Le
8 juillet 1962, dans la cathédrale où Monseigneur
MARTY, archevêque de Reims, accueillait le président
de la République, Charles de GAULLE,
et le chancelier d'Allemagne fédérale, Konrad
ADENAUER, venus sceller la réconciliation
franco-allemande, la messe a été célébrée
par Monseigneur BÉJOT, évêque
auxiliaire, assisté très symboliquement de Monseigneur
LALLEMENT, ancien prisonnier de guerre, et du Chanoine
HESS, ancien déporté.
|