Lecture d'oeuvre intégrale- Le sagouin, Mauriac
Lycée voie générale
Questionnaire sur l'ensemble de l'œuvre : Qui est le Sagouin? Pour quelles raisons l'a-t-on surnommé ainsi ? Qu'est-ce qui différencie Galéas de Cernès de sa femme Paule ? Pourquoi la vieille baronne de Cernès déteste-t-elle sa bru ? Quelles sont les différentes raisons qui expliquent, après des moments d'hésitation, le refus de Robert Bordas d'apporter son aide à Guillaume? A quelle époque l'action de ce roman est-elle située ? Combien de temps dure-t-elle ? |
Ce roman paraît en 1951.
Une lecture intégrale ne devrait pas poser de difficultés majeures ; l'on pourrait cependant, avec des classes plus faibles, envisager un découpage : seraient ainsi rassemblés les deux premiers chapitres (p 7 à 90) qui permettent au lecteur d'être immédiatement plongé dans l'atmosphère romanesque, la lecture des deux derniers chapitres se faisant par la suite.
(Les références du texte sont celles de l'édition Press-Pocket n°1440.)
On attendra des élèves qu'ils répondent à ces questions en rédigeant cinq paragraphes distincts, mais liés entre eux par un effort de cohérence argumentative. Les citations tirées du texte, notées entre guillemets, joueront dans ce type d'exercice le rôle des exemples dans une démonstration.
Guillaume, dit Guillou, dit Le Sagouin.
L'enfant des amours malheureuses de Galéas de Cernès et de Paule Meulière, le jeune Guillaume de Cernès, âgé d'un peu moins de treize ans, apparaît, dans un incipit démarrant in medias res, comme un être rejeté par sa mère. Son apparence physique d'enfant dégénéré, le dégoût qu'il inspire à sa mère, à sa grand-mère, mais aussi à la femme de l'instituteur, font de lui une des figures, dans la littérature française, de l'enfant malheureux.
Vu au travers du regard haineux ou désespéré de Paule (système narratif dans lequel successivement sont analysés les points de vue des différents personnages), Guillaume est un enfant au « bras fluet », aux « genoux cagneux », aux « cuisses étiques », aux « chaussettes rabattues sur les souliers » (p 8). « Il frottait sa bouche de son mouchoir sale », « bouche ouverte, réplique d'une autre bouche mouillée et froide » (p 83), celle, « détestée » du mari, « l'idiot » (p 12). Guillaume a toutes les apparences d'une « pauvre poule», selon le mot de Fräulein, la cuisinière autrichienne au regard attendri. Comme son père, il « lampe [sa] soupe à grand bruit. » « Cet enfant est dégoûtant ! » (p 81), s'indigne la grand-mère. Rejeté de plusieurs pensionnats parce qu'il « salissait ses draps »(p 15), il ne trouve un peu d'affection que près de Fräulein, personnage qui, selon un système de focalisation interne, semblait « étend[re] sur lui l'ombre de sa masse tutélaire » (p 25).
Seule une des interventions du narrateur omniscient nous fait découvrir, « sous son aspect misérable », sous « la figure barbouillée de morve, de salive et de larmes », de « larges yeux couleur de mûres » (p 9).
Cet enfant, présenté à l'instituteur comme « un arriéré bien sûr ! » (p 69), « n'était pas très attachant, non ! ni très ragoûtant, son pauvre 'sagouin' » (p 71). [Nombre de passages du texte permettent une étude de l'emploi du discours indirect libre.] « Il lisait Ö sans qu'on ait jamais eu la preuve qu'il en retînt quoi que ce fût. » Paule avait honte de lui.
Guillaume est, de plus, la figure emblématique de l'animal fragile cherchant à trouver refuge dans la terre : « sa grand-mère, son père, Fräulein lui dispensait l'atmosphère de sécurité nécessaire, dont sa mère s'acharnait à le débusquer, comme un furet attaque un lapin au plus profond de son terrier » (p 25) ; il lui suffit d'entendre prononcer son nom, pour qu'il se sente comme « tiré par les oreilles hors de son terrier, exposé au jour aveuglant des grandes personnes » (p 40) ; c'est « le petit lièvre débusqué de son gîte qui « désespérait de s'y tapir encore ; il clignait des yeux dans la lumière aveuglante des grandes personnes (p75) ; mené par son père jusqu'au cimetière, après une des violentes disputes qui habituellement opposaient les grandes personnes, les « dieux », « l'enfant chassé de son terrier, tremblait de peur et de froid au milieu de la vie hostile , de la nature ennemie » (p 87). [Une étude croisée des champs lexicaux de l'animalité, de la terre, de la mort et de la vie pourrait être une approche intéressante de ce roman.]
Le thème de la mésalliance.
Pour Paule, la nièce du maire de Bordeaux - aucun autre lien de parenté n'est indiqué dans l'histoire de ce personnage - épouser « le baron de Cernès », c'était « franchir le pas » ; « folie » contre laquelle son oncle et sa tante « l'avaient mise en garde » (p 10). Dans un monologue intérieur, au discours indirect libre, Paule s'interroge sur ce qui l'a poussée à ce mariage. « Au lycée, qui donc lui aurait appris à vénérer ces titres ? A quelle impulsion avait-elle cédé ? Elle se sentait incapable aujourd'hui de la définir. La curiosité peut-être, le désir de forcer l'entrée d'un milieu interdit... » Or, c'est précisément un souvenir de l'enfance, ressenti comme cruel, qui hante l'esprit de celle qui n'a pas le droit d'être la baronne de Cernès. « Elle n'avait jamais oublié, au jardin public, ce groupe d'enfants nobles : les Curzay, les Pichon-Longueville, avec lesquels il n'était pas question de jouer. La nièce du maire tournait en vain autour des pimbêches : « Maman nous défend de jouer avec vous... » La jeune fille avait voulu venger, sans doute, l'enfant humiliée. Et puis ce mariage, c'était une porte, croyait-elle, ouverte vers l'inconnu, un point de départ vers elle ne savait quelle vie. Elle n'ignore plus aujourd'hui, [dans le présent fictionnel de la narration,] que ce que l'on appelle un milieu fermé, l'est à la lettre : y pénétrer semblait difficile, presque impossible, mais en sortir ! »(p 11)
Paule est désormais obsédée, « la nuit », par « l'horreur de s'être vendue pour une vanité dont l'ombre même lui était dérobée. » (p 12) Cette alliance jadis souhaitée est devenue « une fosse où elle-même s'était précipitée et d'où elle ne remonterait pas. » Pourtant, nul ne l'ignore : à la suite de la première visite que Paule rend au couple d'instituteurs, Robert Bordas se souvient que «ce n'est pas une noble... »
[Il serait intéressant, dans le passage allant des pages 10 à 12, d'étudier comment le système de narration utilise différentes formes de focalisation : interne, propre au monologue intérieur, avec utilisation du discours indirect libre ; intervention discrète d'un narrateur externe, n'intervenant certes pas dans l'action, mais commentant les pensées du personnage.]
Il semble que Paule se soit forgé une violente haine de la noblesse, comme le lui reproche sa belle-mère : « ...votre haine de la noblesse ne me surprend pas le moins du monde. Quoi que vous pensiez, les paysans nous aiment, ils se sentent de plain-pied avec nous ; c'est la petite et moyenne bourgeoisie qui nous haïssent, d'une haine à base d'envie. Ce sont les bourgeois qui pendant la Terreur ont fourni le plus de bourreaux. » (p 49) La référence historique aux événements de 1793 permet à la baronne de Cernès de rejeter sa bru d'un monde dont l'Histoire l'exclut, tout comme la religion : « ...elle avait jugé naturel que la présence de Dieu à Cernès fût incompatible avec celle de cette bru, née Meulière. » (p 32) Paule est désormais la « figure maudite », « l'adversaire » (p 38), la « furie », « l'ennemie [...] portée sur la bouteille » (p 41), reproche si fréquemment émis à l'endroit des non nobles.
L'héroïne mauriacienne, une femme frustrée dans ses illusions sociales, dans sa maternité, dans ses amours.
Paule est des personnages féminins de Mauriac, avec Thérèse Desqueyroux, celle qui semble réunir les plus lourdes frustrations. Elle a d'abord été une jeune fille, peut-être orpheline, confiée à un oncle de la bourgeoisie bordelaise : elle se souvient de ses illusions de jeune femme, rêvant de devenir comtesse de Cernès, compensation aux humiliations infligées par des enfants nobles avec qui il lui était interdit de jouer. Or, épouse du baron Galéas de Cernès, hobereau du sud-ouest, il lui est cependant impossible de supplanter une belle-mère âgée qui, seule, a droit au titre. La nièce du maire radical-socialiste de Bordeaux prétendra retrouver des accents progressistes quand elle rencontrera l'instituteur frisé, « le rouge » honni par la vieille baronne ; mais celui-ci se refusera à travailler avec les gens du château.
Bien sûr, c'est aussi dans sa maternité, que l'on peut supposer non désirée, que Paule apparaît comme la plus souffrante : elle a donné naissance à un enfant qui, comme le rappelle Fräulein, « n'était pas prévu au programme » (p 79). Paule « ne luttait pas contre le dégoût » (p 14) que lui inspirait ce fils, en qui elle retrouvait l'image du mari honni.
Outre l'échec de son mariage avec Galéas de Cernès et la mésalliance qu'il supposait, Paule a été blessée dans sa vie, sinon amoureuse du moins sentimentale, elle a subi « dès les premières années de son mariage », la honte de la calomnie. « Son histoire avec l'ancien curé », « l'infamie [...] colportée par tout le diocèse » (p 27) avait fait d'elle « une créature dangereuse pour les hommes » (p 27). « Or, [aux yeux de Paule] (nouveau système de discours indirect libre rendant compte du monologue intérieur du personnage), il n'y avait jamais eu entre eux que la rencontre de deux solitudes qui ne se mêlèrent jamais. »(p 29) Le souvenir de cette amitié impossible, jamais assumée par le personnage comme un amour, lui revient à l'esprit lorsque à son tour elle tente de convaincre l'instituteur de s'occuper de Guillaume. La perfide allusion de la baronne de Cernès, laissant entendre que le refus de l'instituteur serait lié à la sulfureuse réputation de sa belle-fille ranime le souvenir de ces rencontres furtives dans la forêt, qu'il fallait cacher à tous. Ce « héros de Verdun », ce « rouge » est encore jeune, elle aimerait trouver auprès de lui l'amitié qui comblerait sa solitude. Elle échouera, et Robert Bordas, un peu effrayé par cette « femme à barbe », comme il la désigne ironiquement avec Leone, son épouse, choisira, avant de s'en repentir, de ne pas s'occuper de Guillaume, ni de répondre à cette trop visible demande d'amitié. Quelle que puisse être sa souffrance, Paule soutiendra à sa belle-mère outragée par le refus de l'instituteur de prendre en charge l'éducation de son petit-fils, qu'elle comprend les raisons politiques de cette attitude.
Paule n'est cependant pas la seule femme blessée dans ce roman. La baronne de Cernès a perdu son « fils cadet, Georges de Cernès, disparu 'en Champagne' (p 16) pendant une des grandes batailles de la Grande Guerre, son nom est inscrit sur le monument aux morts, dans le cimetière de Cernès où se retrouvent Guillaume et son père. La vieille baronne se refuse à admettre qu'elle n'a pas été « la plus heureuse des mères » (p 51), comme le lui assène violemment Paule, en désignant Galéas ; elle ne sait que répondre aux propos de sa bru qui ne prive pas de lui signifier l'attitude distante et intéressée de ses enfants de Paris : « Vous n'avez jamais été pour eux qu'une vache à lait. »
Le thème de la mort.
Thème qui pourrait être analysé dans le paysage, en particulier si l'on s'en tient aux indicateurs temporels qui situent l'histoire dans les derniers jours de l'automne, le plus souvent au soleil déclinant, au moment des premiers froids. La première apparition de la baronne de Cernès « les vieux ormes embrasés, elle-même tout enveloppée du soleil à son déclin » (p 16), ou encore celle où elle nous est présentée chauve et édentée, (dernière journée de ce drame) ; celle de Guillaume, « squelette » aux « cuisses étiques » ; les images récurrentes de l'ensevelissement font de cette thématique un des axes de lecture essentiel de ce roman. Il conviendrait d'insister sur l'image positive de la mort, dans le point de vue de l'enfant, préférant fuir le monde des vivants. Aux connotations sombres et assourdies des eaux dans lesquelles disparaissent Guillaume et son père, on opposera celles lumineuses et bruyantes de l'eau dans laquelle se baignent des jeunes gens dont les cris parviennent à l'enfant malgré la distance et le temps.
L'Histoire dans le récit.
Autre thème de recherche, retrouver dans le récit les allusions historiques. Non seulement est largement évoquée la Grande Guerre, mais encore l'on peut retrouver, dans ce texte de précisions sur les aspects idéologiques de cette époque : l'opposition entre conservateurs attachés aux valeurs d'avant la Révolution française, comme en témoignent les réactions de la baronne de Cernès et progressistes, Robert Bordas et, dans une moindre mesure, sa femme, pour qui tout être humain doit pouvoir trouver sa place dans la société, quelle que soit son origine sociale.
Pour Ètudier le personnage de Robert Bordas, personnage complexe, qui évolue au cours de ces quatre jours (du mercredi au samedi) et de l'épilogue, l'on proposera aux élèves la rédaction d'une lettre.
Travail d'Écriture.
Robert Bordas écrit à son fils pour lui raconter les événements récents qui l'ont bouleversé, et lui expliquer son attitude.
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Créé ledimanche 28 décembre 2014
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RédacteurMartignoni Hélène
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Dernière mise à jourvendredi 9 décembre 2016
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