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Enseigner la mémoire ? > H et M au collège et au lycée > 2ème GM > Georges Guingoin | ||
A
propos des deux guerres mondiales : Le
témoignage du
Résistant | |||
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Depuis
les « commentaires » de Jules César sur
la guerre des Gaules, les historiens savent qu'à côté
de l'histoire proclamée, il y a l'histoire cachée. Très tôt, je m'en suis aperçu. Je fais partie des 980 000 orphelins que la Première Guerre mondiale a privés de leur pères. Ma mère sera toujours vêtue de noir et jamais je n'entendrai les sons de la mandoline qui faisait autrefois ses délices. Elle avait conservé la collection de l'hebdomadaire L'illustration qui mettait en évidence la vaillance des « poilus ». Garçonnet, plusieurs fois, j'avais feuilleté ces pages et ma mémoire a encore en souvenir celles qui étaient consacrées au colonel Driant qui, avec ses chasseurs à pied, ont tenu garnison à la caserne Beurnonville à Troyes avant de mourir héroïquement au cours de l'attaque du bois des Caures au début de la bataille de Verdun. Elève à l'école primaire supérieure de Bellac, le hasard fit que le directeur, M. Timbal, s'était trouvé en 1914, quand il avait été mobilisé, dans la même compagnie du 338ème Régiment d'infanterie que mon père. Dans la bataille du 28 août 1914, près de Bapaume, où ce dernier avait trouvé la mort, lui-même avait été blessé et fait prisonnier. Sur ma demande, il me fit connaître les circonstances du drame qui s'était joué dans les plaines du Nord. Après une patrouille du 20ème Dragons devant la ligne allemande, le 338ème Régiment d'infanterie s'était déployé. Le commandement : « Baïonnette haute ! » avait retenti et les malheureux « pantalons rouges », offrant une cible de choix aux mitrailleuses allemandes, avaient chargé. Ils furent immédiatement fauchés ... Selon le rapport officiel, 19 officiers, 1 420 sous-officiers, caporaux et soldats ont été tués. Si l'on tient compte du nombre des blessés, on comprend qu'après son premier combat, le régiment n'existait plus. Il en fut de même pour un autre régiment de cette division, la 62ème Division d'infanterie, le 263ème Régiment d'infanterie qui perdit 1 299 hommes. Tous ces massacres étaient dus à l'application stricte des ordres du Haut-Commandement militaire. Le général Ganeval, dans son ordre du jour, en prenant le commandement de la division, n'avait-il pas proclamé : « N'oubliez pas que la baïonnette, l'arme française par excellence, est l'ultime argument ». Ce fut une véritable hécatombe dès le premier mois de la guerre ; d'août 1914 à décembre, 492 000 de nos soldats sont tombés, c'est-à-dire davantage que pendant la terrible année 1916, l'année de Verdun. En toute hâte, le général Joffre releva de leur commandement 134 officiers généraux, les envoyant en disponibilité dans la 12ème Région militaire, celle de Limoges d'où l'expression « limoger » restée célèbre. Naturellement, sur les blancs des écoles, on apprenait que nos revers du début de la guerre étaient dus à la violation inattendue de la neutralité de la Belgique qui avait surpris notre bonne foi. Or, il a été prouvé que le Plan Schlieffen qui prévoyait pour l'armée allemande le passage par la Belgique était bien connu de notre état-major. Vérité historique délibérément dissimulée ! Il en fut de même pour le 2ème conflit mondial, je peux en témoigner. Le 18 juin 1940, alors que le général de Gaulle lançait de Londres son célèbre appel, blessé à l'hôpital de Moulins tandis que les Allemands attaquaient la ville, je me refusais à être fait prisonnier. Sous la mitraille, je réussis à gagner le poste de secours du régiment qui défendait la ville et fus évacué sur Montluçon et Limoges. Revenu dans « mes foyers », à Saint-Gilles-les-Forêts, j'organisai aussitôt un réseau de résistance et, en août 1940, je rentrai en contact avec l'appareil clandestin du Parti communiste illégal. Chargé de l'organisation pour les deux départements, Haute-Vienne et Creuse, quelle ne fut pas ma stupéfaction quand je reçus le numéro 9 de septembre 1940 de La Vie du Parti où l'on pouvait lire : « Nous avons plus de possibilité d'action vu le transigement de l'occupant. Nous devons être sans haine vis-à-vis des soldats allemands » ... « Organiser des actions déterminées pour la réinstallation de nos municipalités » ... « Exiger la reparution de L'Humanité » ... Je refusai d'assurer la diffusion de ce document et de ce document, et le fis savoir à Jacques Duclos. A la Libération, ces erreurs furent niées farouchement. On faisait feu de tout bois pour démontrer que dès le début de 1940 la direction du Parti avait participé à la lutte contre l'occupant. Ainsi, quand Albert Ouzoulias fit paraître son livre Les fils de la nuit, il allégua qu'au cours d'une réunion clandestine tenue le 5 septembre 1940 au château des Cours à Saint-Julien-les-Villas ( Aube ) par la voie de Maurice Romagon, des instructions avaient été données par le Parti communiste pour constituer un dépôt d'armes. Affirmé par une haute personnalité de la Résistance, qui avait été commissaire militaire national aux Francs-Tireurs Partisans ( FTP ), qui se serait permis de nier ce fait ? Or, en réalité, ce dépôt d'armes avait été constitué à l'initiative du nommé Lienhart ainsi que l'affirme un camarade ayant assisté à la réunion, Eugène Kilian, dont je possède le rapport. Contradiction absolue entre la ligne proclamée de défendre les humbles alors que l'on tait l'initiative créatrice de l'un d'eux. Crime contre la mémoire envers ceux qui, de bonne foi, reprennent ce mensonge. Pour ceux qui voudraient compléter leurs connaissances sur cette période, je conseille la lecture d'un livre écrit, enfin, il y a deux ans, par un membre du Parti communiste, Roger Bourderon : La négociation, été 1940, crise au PCF, édition Syllepse. Vous pourrez y lire que quelque temps avant sa mort, dans une lettre écrite à sa femme, le malheureux Jean Catelas, qui guillotiné, disait à propos des hommes qui se croient supérieurs, parce que dirigeants, qu'il avait « des doutes sur leur honnêteté morale ». C'est là le fond de la question : sans cesse, le mythe - parfois fabriqué de toutes pièces - qu'il s'agisse du mythe gaullien ou de celui de l'appareil de direction du Parti communiste, fait oublier l'initiative créative qui surgit de la profondeur du peuple. « C'est toujours du peuple laborieux, reconnaissait le général de Gaulle, que se lèvent les grandes vagues dont la patrie sort renouvelée ». Je ne peux m'étendre sur ce sujet car j'en aurais pour des heures et des heures. Je voudrais, pour terminer cette courte allocution, attirer votre attention sur le fait qu'en dehors des motivations économiques qui déclenchent les guerres, il y a la motivation personnelle des dirigeants. Le 11 septembre dernier, nous avons pu voir jusqu'où conduit le fanatisme religieux qui nous fait reculer de mille ans. Pour ma génération, ce fut aussi l'incroyable quand nous avons appris, le 25 février 1933, l'incendie du Reichstag. Ce fut le prétexte pour Hitler d'en finir avec la démocratie allemande et d'ouvrir les premiers camps d'extermination. C'est ce qui m'amena à lire Mein Kampf dans lequel Hitler proclamait la supériorité de la race aryenne et son intention d'assurer sa suprématie en Europe pour mille ans. Le 6 février 1934, ses émules, en France, tentaient un coup de force contre la Chambre des députés. Le 12 février, les grandes confédérations syndicales, avec l'appui des partis de gauche, ripostaient par une grève générale. En conscience, je décidai d'y participer ; je fus le seul normalien présent, ce qui me valut un bon savon de mon directeur avec mise en garde d'être mis à la porte si je récidivais. Car les normaliens n'avaient pas le droit de faire grève comme les instituteurs. Ce fut ma première prise de risques. Plus tard, dans la Résistance, selon le principe que celui qui dirige doit donner l'exemple, combien de fois ai-je frôlé la mort ! L'ironie de l'Histoire a voulu qu'une fois la France libérée, je sois en butte à la hargne de policiers et magistrats qui bien qu'ayant servi avec zèle le gouvernement de Vichy étaient restés en fonctions. Arrêté à la veille de Noël 1953, incarcéré à la prison de Brive, je devais y subir de tels sévices que, par deux fois, je parcourus le chemin des agonisants qui revoient leur vie à l'envers dans leurs derniers instants jusqu'à l'éblouissante lumière. Les experts médicaux devront reconnaître que « l'état de G. Guingouin inspire de réelles inquiétudes pour sa vie ». Il me faudra attendre le 13 novembre 1959, soit six ans plus tard, pour que le déni de justice dont je fus victime soit reconnu, le magistrat Thomas chargé du réquisitoire contre moi ayant le courage de déclarer « ne pas comprendre, en son âme et conscience, qu'ont ait envisagé des poursuites contre Georges Guingouin ». J'ai maintenant atteint le temps de la sérénité et je souhaite à vous toutes et tous qui êtes venus m'écouter, de ne pas connaître des jours sombres comme ceux que nous avons vécus. Intervention
de Georges GUINGOUIN in
Les Amis du Musée de la Résistance Pour aller plus loin : - Jean-Jacques
FOUCHÉ,
Francis JUCHEREAU et
Gérard MONÉDIAIRE,
Georges Guingouin. Chemin de Résistances,
Limoges, Lucien Souny Cercle Gramsci, 2003. - Entretien avec Georges Guingouin, le 6 août 2002, à lancienne école de Saint-Gilles les Forêts ( Haute-Vienne ) organisé par le Cercle Gramsci, entretien recueilli par Francis JUCHEREAU. Sur
le site du cercle Gramsci - Georges
Guingouin, militant-philosophe ( utile ) pour ce siècle,
par Francis JUCHEREAU. - Sur
le site des Amis du Musée de la Résistance de Limoges - Sur
le site du CDDP de l'Aube - " Georges Guingoin ", sur le site de l'Ordre de la Libération. - Magali JAUFFRET, " Georges Guingoin, l'épopéec de la Résistance ", L'Humanité, 31 octobre 2005.
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