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L'utilisation pédagogique des archives
de la Seconde Guerre mondiale

Exposé de Bertrand VERGÉ
professeur agrégé d'histoire-géographie
responsable du service éducatif
des Archives d épartementales de la Marne
( Centre de Châlons-en-Champagne )

à l'occasion de la présentation du
Guide du détenteur d'archives de la Résistance et de la Déportation
et de La Marne de A à Z dans la Seconde Guerre mondiale
Conseil général de la
Marne
Châlons en Champagne
25 janvier 2008

Guide réalisé par le ministère de la Défense
le ministère de la Culture ( Archives nationales )
la Fondation de la Résistance
et la Fondation pour la mémoire de la Déportation

Ouvrage de Bertrand Vergé
édité par le Conseil général de la Marne
Archives départementales
Service éducatif





   Traiter de l’utilisation pédagogique des sources de la Seconde Guerre mondiale, c’est se poser la question de savoir comment intéresser aujourd’hui un adolescent à l’étude d’un sujet qui lui est de plus en plus étranger. En effet, tous les enseignants constatent que beaucoup de jeunes ont du mal à donner du sens à leur travail, condition pourtant indispensable à la réussite scolaire.
   Comme pour tout sujet abordé, l’enseignant doit donc préalablement s’interroger sur l’intérêt que sa classe trouvera en abordant la période 1939-1945. En outre, il faut aussi tenir compte de la place  que les programmes réservent à cette question et du moment
où elle est traitée dans le courant de l’année scolaire.
   Si quelques pistes d’utilisation des archives de la guerre se dessinent, il appartient in fine à chaque enseignant de déterminer sa pédagogie.

Dans quel environnement est abordée
l'étude de la Seconde Guerre mondiale aujourd'hui  ?

   Le professeur d’Histoire est en permanence confronté à la nécessité d’éveiller chez ses élèves une curiosité, un intérêt pour des thèmes souvent totalement étrangers à leurs préoccupations.
   S’agissant des années 1939-1945, la problématique peut sembler moins ardue que pour l’étude de questions plus anciennes telles que la Révolution française, les Croisades ou l’Empire romain pour ne citer que quelques exemples
   Pourtant, elle se pose avec de plus en plus d’acuité.
   Les raisons sont les suivantes :

Le recul de la sensibilisation par le milieu familial

   Les générations nées après la guerre ont « bénéficié » pendant longtemps des récits, anecdotes, témoignages en tous genres que leurs parents et grands-parents, contemporains de l’événement leur ont rapportés. Qui n’a pas en mémoire cette remarque du père ou de la mère agacés par la mauvaise volonté de leur enfant devant une assiette de soupe : « si tu avais connu la guerre, tu ferais moins le difficile ! ». Inconsciemment, cela préparait ces jeunes à entendre  par la suite un discours d’une autre nature, celui du professeur faisant écho à tout ce que la famille avait déjà pu transmettre sur le sujet.

L’effacement progressif des témoins et de leurs associations

   Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur le rôle que les associations d’Anciens Combattants, Résistants ou Déportés ont tenu et tiennent encore dans le travail de mémoire et l’éducation des plus jeunes . Nous en reparlerons plus précisément avec le concours de la Résistance et de la Déportation. Malheureusement, les années passant, ces témoins disparaissent et l’on peut craindre le jour où leur voix  s’éteindra, à l’image de ce que l’on observe pour la Première Guerre mondiale dont tous les acteurs directs se sont tus.

La rareté et la méconnaissance de lieux de mémoire

   Contrairement à la Première Guerre mondiale, la Seconde n’a laissé que peu de vestiges dans notre région. Si Verdun, le fort de la Pompelle, les nécropoles de la Grande Guerre sont connus de tous, il n’en va pas de même de la salle de reddition où l’Allemagne a capitulé le 7 mai 1945 à 2 heures 41. C’est pourtant à Reims, dans l’enceinte de l’actuel lycée Roosevelt que l’événement historique s’est passé, ce que beaucoup de Rémois jeunes et moins jeunes ignorent comme beaucoup de Français qui parlent de « l’armistice » du 8 mai ! Quant aux lieux de tortures où la Gestapo martyrisa les Résistants et tous ceux qui s’opposèrent à l’ordre nazi, qui les connaît ?

Les aléas de la production cinématographique et télévisuelle

   On sait à quel point le cinéma ou la télévision peuvent être des alliés précieux en jouant un rôle de « déclencheur d’intérêt » lorsqu’ils s’emparent d’un sujet et parviennent à toucher un large public. La filmographie sur la guerre est considérable et il serait trop long de la détailler. Force est de constater cependant que l’impact d’un film est limité dans le temps et que les dernières grandes productions remontent à quelques années (La liste de Schindler, Le pianiste, Stalingrad ou Il faut sauver le soldat Ryan pour ne citer que quelques exemples des quinze dernières années). Certes, la télévision rediffuse des œuvres sorties en salle, même anciennes, comme Le Jour le plus long mais il semblerait qu’aujourd’hui c’est par le biais des jeux vidéo que les jeunes générations découvrent le sujet…

La Seconde Guerre mondiale au collège et au lycée

   Intéressons-nous maintenant à la place occupée par l’étude de la Seconde Guerre mondiale dans les programmes scolaires. La question est moins anodine qu’il n’y paraît. Quelques remarques s’imposent :

Au collège, en classe de troisième

   La question est abordée dans le cadre d’un programme qui couvre la période de 1914 à nos jours. Les grandes phases du conflit sont évoquées rapidement. L’accent est mis sur l’attitude des Français pendant le conflit ainsi que le régime de Vichy. Aux quatre  ou cinq heures de cours proprement dites, s’ajoute le temps de l’évaluation et son compte rendu, soit en tout environ deux semaines placées un peu avant ou après les vacances de Noël, selon la progression de l’enseignant. Ce chapitre est un de ceux auxquels on accorde le plus d’importance, le programme de la classe de troisième étant chargé et devant être conduit à son terme comme pour toute classe d’examen.

Au lycée

   Dans les sections d’enseignement général notamment, l’étude de la Seconde Guerre mondiale intervient en classe de première… ce qui n’a pas toujours été le cas : elle démarrait le programme de terminale il n’y a pas si longtemps. Le programme de première s’étale sur un siècle environ de 1850 à 1945. La période 1939-1945 est donc étudiée en toute fin d’année et elle n’est pas objet d’épreuve au baccalauréat, la classe de première n’étant pas classe d’examen en Histoire-Géographie. Selon les séries, le chapitre est censé retenir l’attention pendant six à huit heures, à la condition que le professeur n’ait pas de retard dans sa progression ou que le mois de mai ne comporte pas trop d’heures supprimées pour cause de jours fériés. On l’aura compris, l’étude de la Seconde Guerre mondiale n’intervient pas au moment le plus favorable.

Le concours de la Résistance et de la Déportation

   Collégiens et lycéens sont invités chaque année à participer au concours de la Résistance et de la Déportation. Il a lieu au mois de mars, s’adresse aux élèves de troisième qui à cette époque de l’année ont déjà étudié le sujet ainsi qu’aux élèves de la seconde à la terminale qui peuvent concourir sur deux formes : un travail individuel, composition en temps limité ou un travail de groupe, mémoire ou autre production collective préparés sur le même thème et remis le jour de la composition. En 2008, le sujet portait sur la Résistance et l’aide aux personnes persécutées pendant l’occupation. Par rapport au calendrier scolaire, le concours qui vise en priorité les élèves de première souffre d’être placé avant l’étude de la période en classe entière. Rappelons que la participation à ce concours se fait sur la base du volontariat et qu’il n’est pas facile de susciter l’adhésion  des potaches.

Bilan

   C’est donc un bilan contrasté qu’il convient de dresser. Si les conditions d’enseignement de ce sujet ne sont pas les meilleures, il n’en reste pas moins que les élèves ont un a priori favorable. Preuve en est l’impact de la projection d’un film tel que  Nuit et Brouillard, souvent utilisé sur le thème précis de la déportation et qui, ainsi que peuvent en témoigner les enseignants, ne laisse jamais indifférent.

Comment utiliser au mieux les archives
que la Seconde Guerre mondiale nous a laissées dans la Marne en particulier ?

   À la lumière des remarques développées précédemment, trois axes se dégagent :

Animations par le service éducatif des Archives Départementales
d’ateliers dans les établissements scolaires

   À Reims, où les possibilités matérielles d’accueil de classes par les Archives sont très réduites, ce sont les Archives qui se rendent en milieu scolaire à la demande des enseignants. L’opération appelée « Archives en ville » existe depuis plusieurs années, sur une multitude de thèmes, et permet aux élèves d’avoir un contact direct avec une sélection de documents originaux. A Châlons-en-Champagne, l’accueil des élèves se fait au centre, rue Carnot, un espace pédagogique ayant été aménagé lors de la restructuration du bâtiment au milieu des années quatre-vingt-dix.

Visites d’expositions organisées par les Archives Départementales
ou en partenariat avec elles

   L’animation culturelle fait partie intégrante des missions dévolues au service d’archives qui régulièrement draine dans ses locaux ou ceux mis à sa disposition, un public nombreux. Entre le 25 janvier et le 11 avril 2008 s’est tenue au centre de Châlons l’exposition La Marne dans la Seconde Guerre mondiale réalisée avec l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, inaugurée à l’occasion de la présentation du Guide du détenteur d’archives de la Résistance et de la Déportation. 553 élèves de tous niveaux, du primaire à l’IUFM ont découvert une sélection de documents originaux, uniques pour beaucoup d’entre eux, complétant les panneaux réalisés par l’ONAC. Des affiches, des journaux, des dessins ainsi que de nombreux objets du quotidien exposés à cette occasion ont permis d’établir un lien direct entre les jeunes générations et une période dont elles ignoraient la plupart des aspects.

Mise à disposition des sources de la Seconde Guerre mondiale
conservées dans la Marne

   Les expositions ne durent qu’un temps… malheureusement limité. Tous les enseignants n’ont pas la possibilité de se déplacer avec leur classe et l’opération « Archives en ville » ne concerne que l’agglomération rémoise. Pour faciliter l’accès aux documents, un guide documentaire réalisé par le service éducatif : La Marne dans la Seconde Guerre mondiale de A à Z vient d’être édité par le Conseil Général. Il a été adressé gratuitement dans tous les établissements d’enseignement secondaire, publics et privés du département. Ce n’est pas un guide des sources qui est l’affaire des archivistes, ni un guide purement pédagogique, mais un outil destiné à faciliter la tâche des enseignants et à répondre à la curiosité de tous. Conçu non pas en fonction d’un quelconque plan de classement ou de la chronologie de la période, c’est un abécédaire dicté par les mots clés, ceux qui viennent immédiatement à l’esprit quand on évoque ces années sombres. Chaque notion est accompagnée d’une fiche explicative pour éclairer le ou les documents, tous tirés des fonds conservés dans la Marne, documents ancrés dans la vie quotidienne et l’espace local ou régional, qui est aussi l’espace de vie des  élèves d’aujourd’hui. Plus que d’autres ces documents sont à même de faire comprendre aux adolescents que la petite et la grande Histoire n’en forment qu’une dès lors que les destins individuels se croisent avec le destin de la nation. En outre, et parce qu’ils sont trop souvent ignorants des richesses patrimoniales de leur département, les jeunes Marnais entrent du coup en contact avec des « trésors » méconnus.

L'utilité et l'intérêt du service éducatif des archives

   La guerre de 1939-1945 a longtemps constitué un sujet d’étude à nul autre pareil mais qui tend à se banaliser au fur et à mesure que le temps passe et que nous nous en éloignons. Cela doit conduire l’enseignant à être d’autant plus vigilant s’il veut capter l’attention de ses élèves, susciter chez eux un réel intérêt nonobstant les inconvénients du calendrier scolaire et du déroulement des programmes.
   La recherche et l’exploitation de documents à la fois authentiques, proches des élèves et de leur vécu, susceptibles de raviver une mémoire collective ou familiale  de plus en plus vacillante, est sans doute le meilleur moyen de lutter contre une évolution défavorable.
   Le rôle d’une administration comme les Archives Départementales ne peut que s’en trouver renforcé à travers le service éducatif, interface privilégiée avec l’Education nationale.

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