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L'engagement des chrétiens dans la Résistance
et l'attitude de la hiérarchie catholique dans la Marne
Pour
les chrétiens, l'entrée dans la Résistance au nom
de leur foi est une initiative hardie, dans la mesure où
ils s'affranchissent du discours frileux du magistère pour se
rapprocher du christianisme des premiers temps, celui des catacombes
et des persécutions systématiques.
Trop de clichés réducteurs ont été
véhiculés pour assimiler l'attitude des catholiques à
celle des autorités religieuses et ne retenir du Vatican que
des généralités éloignées des textes
publiés avant et pendant la Seconde Guerre mondiale par les papes
Pie XI et Pie XII.
Comment expliquer cette implication
des croyants dans l'action clandestine ?
Elle résulte d'un refus
de l'occupation nazie et de l'emprise hitlérienne sur les consciences.
Elle est la conséquence du rejet d'un pouvoir emmuré dans
le mensonge, renonçant à ses missions fondamentales et
aux valeurs humanistes. Elle est une réaction réfléchie
à la négation de l'homme et une défense consentie
des valeurs annoncées dans l'Évangile.
Le combat qui est mené s'inscrit autour
d'enjeux sociétaux fondamentaux. Il s'établit
dans la proximité du quotidien, mais il est aussi relayé
par un travail en profondeur des intellectuels.
À ce titre, la formidable aventure du Témoignage
chrétien, fondé à l'initiative d'un
groupe de jésuites, illustre avec saveur une insurrection fruit
d'une réflexion approfondie, indissociable du Christ en croix
et du sens de cette image pour l'homme libre ( 1 ).
Cela peut sembler paradoxal,
parce qu'au sommet des instances de l'Église de France,
rien ne semble bouger après la signature à
Rethondes de l'armistice, le 22 juin 1940.
L'assemblée des cardinaux, des archevêques et des évêques
pratique un loyalisme convenu envers le pouvoir
du maréchal Pétain. S'il n'existe pas une inféodation
juridique, la proximité politique est
avérée par des déclarations publiques
portées à la connaissance des chrétiens de base,
à l'exemple de celle éditée en
juillet 1941 : « Nous
vénérons le chef de l'État autour duquel les Français
doivent s'unir. Chacun doit se placer à ses côtés
dans l'uvre de redressement qu'il a entreprise sur les trois terrains
de la famille, du travail et de la patrie ».
Les
positions des évêques sont variables selon les diocèses. Dans le département de la Marne,
partagé entre le
diocèse de Reims et celui de Châlons-sur-Marne,
on est loin d'une homogénéité
des propos.
L'archevêque de Reims, Mgr
Louis MARMOTTIN ( 2 ),
avertit les fidèles :
« C'est
un devoir de conscience, d'obéir au chef de la nation, de le
servir, de le soutenir et un catholique commet un péché
s'il prend le parti de rebelles, de ceux qui se révoltent contre
le chef de l'État ».
Une recommandation appréciée par
le préfet René BOUSQUET,
qui ne manque pas de la mentionner dans le rapport
qu'il adresse au gouvernement en janvier 1942
:
« Mgr
Marmottin, dont l'action ecclésiastique a toujours été
importante dans la région, en réponse aux vux
qui lui ont été exprimés par les associations
et uvres catholiques de Reims, a précisé l'attitude
que doivent adopter les catholiques à l'heure présente
au point de vue religieux, social et civique.
Sur le terrain civique en particulier, l'archevêque
de Reims invoque, les plus hautes raisons doctrinales, affirme le
caractère impérieux qui met la conscience en cause de
l'obéissance au chef de l'État et à ses représentants
légaux, comme investis du pouvoir légitime de Dieu ».
L'important,
pour le préfet, repose sur la capacité
de l'Église à cautionner les actes politiques de Vichy
en les justifiant par l'Évangile. Les tensions enregistrées en 1940 semblent oubliées.
On ne se souvient plus de la mise en garde du
20 juillet du commandant SCHUBERT
au maire de Reims Paul MARCHANDEAU qui, ayant accepté la réouverture de la basilique Saint-Remi,
rappelle : « En aucun cas, les prêtres
ne devront tenir des propos ou même faire des allusions contre
le Reich, son führer, l'armée allemande ou contre le national
socialisme ». On ne parle plus du
bras de fer entre l'autorité ecclésiastique
et l'administration d'occupation lorsqu'en
octobre 1940, les Allemands placent les coffres de l'archevêché sous scellés,
ce qui en rend les documents inaccessibles pendant deux mois.
À
Châlons-sur-Marne, Mgr Joseph-Marie TISSIER
( 3 ),
celui que Benoît XV avait baptisé
« l'évêque orateur »,
ne s'abandonne à aucun compliment envers
le gouvernement et l'occupant, et met en valeur dans
La Semaine religieuse certaines figures de la résistance
spirituelle pendant la Première Guerre mondiale comme le cardinal
MERCIER, archevêque de Malines en Belgique. Vichy témoigne
à plusieurs reprises à l'égard du prélat
châlonnais d'une bienveillance patente, mais n'obtient aucune
réponse de l'intéressé. L'évêque entretient
des relations courtoises avec le
préfet René BOUSQUET,
puis avec son successeur Louis PERETTI DELLA
ROCCA ( 4 ).
Lors de la nomination de son vicaire général, Mgr PETIT, à l'évêché
de Verdun, le maréchal
PÉTAIN déclare : « l'assurance
que vos prières comme votre fidèle dévouement m'accompagnent
dans ma lourde tâche est pour moi le réconfort le plus
précieux, et c'est avec une satisfaction toute spéciale
que je sens l'Église de France me garder sa confiance ».
Mgr TISSIER se
montre accommodant à l'égard
des prêtres et des séminaristes qui sont pleinement engagés dans la Résistance, ou qui viennent
en aide ponctuellement à des groupes de renseignements puis à
des maquis.
La
situation est bien différente à
Reims et elle s'en ressent après la Libération.
Le nom de Mgr Louis MARMOTTIN figure
dans le rapport remis le 3 février 1945
par André LATREILLE, historien
catholique, directeur des cultes au ministère de l'Intérieur,
au ministre des Affaires étrangères Georges
BIDAULT, ancien président du Conseil national de la
Résistance ( 5 ).
Parmi les douze prélats que le gouvernement souhaite voir remplacer
par le Pape et dont il informe le nonce Mgr
Ange-Joseph RONCALLI ( 6 ),
l'archevêque de Reims est nommé
en deuxième position, juste derrière Mgr
FELTIN, archevêque de Bordeaux,
et précède Mgr GUERRY,
archevêque coadjuteur de Cambrai.
Le propos est sans ambiguité :
« Le
gouvernement provisoire de la République française demande
à Sa Sainteté d'examiner le cas des évêques
dont il réclame formellement qu'ils soient éloignés
de leur diocèse soit par la voie de la démission spontanée,
soit par un retrait de juridiction » ( 7 ).
Que reproche-t-on au primat de Gaule-Belgique ?
D'abord son manque de distance avec le pouvoir :
« Il ne s'est pas contenté de faire un devoir de
conscience à tous les catholiques d'obéir à Vichy,
il a poussé son attitude jusqu'à des déclarations
démesurées d'attachement à la personne du maréchal
Pétain ».
On lui reproche aussi le contenu de ses homélies après les bombardements meurtriers qui ont frappé Reims au printemps 1944. Le ton est fort
différent de celui employé par Mgr
TISSIER, qui préside également les obsèques
des victimes des bombardement de Châlons-sur-Marne et de Vitry-le-François ( 8 ).
Le 5 mai 1944,
ne s'insurge-t-il pas contre les oiseaux meurtriers
« qui ont jeté la terreur
et la désolation sur la ville sainte de la patrie française » ? N'exprime-t-il
pas « sa réprobation devant
les méthodes de guerre qui ne respectent rien, qui se rient des
lois divines et humaines, qui font servir la science et le progrès
à une destruction de la civilisation » ?
André LATREILLE s'appuie, dans sa démonstration, sur un questionnaire rempli en décembre 1944 par le commissaire
de la République GRÉGOIRE-GUISELIN qui, globalement,
n'accable pas le clergé marnais : « Il
a été profondément national, anti-allemand, loyaliste
à l'égard du gouvernement du maréchal Pétain
auquel il devait bien des avantages matériels et une place plus
officiellement reconnue dans le pays. Il est resté parfaitement
digne devant les autorités d'occupation ».
En revanche, dans un rapport de
février 1945, GRÉGOIRE-GUISELIN
sollicite le déplacement de Mgr
MARMOTTIN et met en garde contre
son éventuelle inscription par le Pape sur la liste des prochains
cardinaux qu'il créerait lors d'un consistoire ( 9 ).
De fait, depuis Mgr SUHARD, aucun
archevêque de Reims n'a plus reçu la pourpre cardinalice ( 10 ).
Les propos postérieurs, plus convenables, de Mgr MARMOTTIN ne plaident pas en
sa faveur. Cela est plutôt jugé comme un exercice de rattrapage.
Son discours de la victoire prononcé
le 13 mai 1945 passe trop rapidement sur l'action de la Résistance
et ne cite jamais le général de
GAULLE, même si le besoin de réconciliation
nationale y est mentionné. En réalité, le prélat
s'aligne sur la déclaration de l'Assemblée
des cardinaux, archevêques et évêques de France
de mars 1945 où il est précisé
: « Il faut chasser définitivement
l'esprit de délation, de vengeance et de suspicion parce qu'il
faut être convaincu que l'ensemble des Français a voulu
servir sa patrie et lui demeurer fidèle ».
La lettre de Carême
1945 de l'archevêque, dans
laquelle il atteste son loyalisme au gouvernement, est jugée
par le commissaire de la République GRÉGOIRE-GUISELIN
comme une volte-face : « Les
mêmes arguments sont employés pour justifier l'obéissance
au gouvernement provisoire de la République que ceux qui ont
été avancés pour suivre Vichy ».
L'exemple
du père Gillet
Prisonnier
de guerre évadé, l'abbé
Pierre GILLET rejoint Châlons-sur-Marne où il
s'inscrit d'entrée dans une logique de
résistance. Il refuse que le pays soit sous la botte
nazie, et il considère qu'il puise son action dans l'Évangile
ouvert.
Son engagement de la première heure est relayé
dans le diocèse de Châlons par un concours actif, régulier
ou ponctuel, du presbyterium en faveur de la Résistance. Souvent
au fait de l'action de ses prêtres, Mgr
TISSIER se montre bienveillant.
Il les laisse agir, ne les sermonne
pas.Tout juste les invite-t-il à la prudence et à ne pas
exposer inutilement les fidèles.
Membre de la commission provisoire
d'administration de la cité juste après l'exode
et cofondateur d'un petit journal d'information Trait
d'union, l'abbé
Pierre GILLET ne se contente pas
de sa mission à la Maison des uvres et auprès des jeunes.
En novembre 1940,
lorsqu'un jeune lui apporte un texte en vingt-quatre points et intitulé
« Conseils à l'occupé »,
il n'hésite pas à en modifier quelques passages puis à
le polycopier pour qu'il soit distribué en ville ( 11 ).
Pragmatique, l'abbé
veut éviter que les jeunes ne soient embrigadés dans des
groupes qu'il estime sans avenir. Aussi défend-t-il les patronages existants et bien structurés de la Rive Gauche et du Bois de
l'Evêché :
« Nous
souhaitions qu'ils ne se germanisent pas à la vue des uniformes
de l'occupant, des défilés bien réglés
et nous avons agi pour qu'ils soient initiés à un patriotisme
sain, à l'amour de la patrie vaincue et résistent aux
appels des ligues fascistes et des formations militaires pronazies
».
Il
faut tromper son monde et oser mettre au programme des chants
le célèbre Maréchal,
nous voilà pour bénéficier des subventions
du Secours national.
Les sociétés
de gymnastique sont aussi un bon moyen pour freiner de mauvaises
tentations. La Renaissance,
La Jeanne
d'Arc, le Club olympique châlonnais sont des viviers pour la Résistance. L'abbé stimule l'aide
aux familles en difficulté. Les conférences
Saint-Vincent de Paul font un beau travail :
« Elles
ont pris sous la direction de l'abbé Piérard un essor
appréciable en agissant par charité fraternelle auprès
de ceux qui en avaient le plus besoin. Des milliers de boîtes
de conserves ont été stérilisées dans
les locaux de la rue Latouche pour les prisonniers et les déportés ».
L'Institution
Saint-Étienne s'affirme aussi comme un foyer actif
de patriotisme militant. Les Allemands surveillent de près l'établissement
après le geste de colère de jeunes surveillants à
l'égard d'un officier qui avait observé qu'on crachait
dans sa direction. L'abbé GILLET,
qui a des relations régulières avec l'équipe de
direction, peut compter sur l'engagement de plusieurs membres du pôle
éducatif et du personnel des services généraux.
Sans doute l'action la plus
efficace a-t-elle été menée conjointement par
l'abbé GILLET
et sur Marie, supérieure
des Filles de la charité. Cette infirmière et assistante
sociale de la maison de la rue de Noailles, responsable du patronage
des jeunes filles sur la rive gauche, a été une auxiliaire
active de la Résistance, prenant des risques inouïs
pour venir en aide aux détenus et assister les familles éplorées.
Le père Gillet a écrit d'elle : « Elle
avait un talent unique pour dénicher les vraies misères,
les plaies morales les plus secrètes »
( 12 ).
Constamment dans l'illégalité des règles
édictées par l'ennemi, elle n'a jamais fléchi et
son courage a été unanimement salué. Même
le conseil municipal a reconnu son rôle après
le bombardement meurtrier du 27 avril 1944
: « Cette religieuse, devant laquelle
nous devons nous incliner, a droit à toute notre reconnaissance,
notre admiration et notre respect pour ses initiatives heureuses en
face des épreuves que nous subissons » ( 13 ).
La
puissance du service civique mis
en place par Ceux de la Libération
dans la Marne est patente. Lucien PAUL,
directeur des établissements Mielle à Châlons-sur-Marne
en est le responsable et dispose autour de lui d'une toute petite équipe
composée du notaire Maître SIMON
et de l'abbé GILLET. Le travail
confié au prêtre est d'accueillir
des évadés, de leur fournir de faux papiers
et de bonnes adresses pour qu'ils puissent poursuivre leur périple.
Le lien s'effectuait via les cheminots résistants qui dirigeaient
vers la Maison des uvres des
hommes en recherche d'assistance. L'abbé explique : « Grâce
à ma mère qui, tout en gémissant sur les dangers
encourus, les rhabillait et les nourrissait, ils se requinquaient et
restaient le temps de leur procurer le nécessaire pour continuer.
Une chambre leur était réservée au 2e étage,
elle était rarement vide ».
Lorsqu'il dispose d'informations importantes mettant en jeu l'avenir
du groupe ou la liberté de membres de la Résistance, il
n'hésite pas à tout tenter pour les avertir.
Quant il est prévenu par son camarade, le
lieutenant HENNEQUIN, gendre du docteur
AUMONT, que l'abbé MICHAUX de Châtillon-sur-Marne va être interpellé,
il l'informe. Après les arrestations
de septembre 1943 et la déportation de plusieurs Châlonnais, l'abbé
GILLET est conscient de la détresse de bien des familles,
aussi met-il en place dans son bureau du 1er étage du 16, rue
du Lycée, un rendez-vous pour les épouses
de déportés avant de les aider à vivre
l'épreuve de la séparation. Il commente : « Elles tremblaient en entendant les pas lourds des feldgendarmes
passant rue du Collège vers leur caserne. Une douzaine d'entre
elles venaient régulièrement et c'était très
émouvant. On parlait des absents sans savoir au juste ce qu'étaient
ces fameux camps de concentration dont on commençait à
tant parler avec horreur ».
Dans
le même temps, une chaîne de solidarité
se met en place pour que des colis puissent leur être adressés. Chaque soir de la semaine,
entre 17 heures 30 et 19 heures, l'abbé reçoit au rez-de-chaussée
donnant sur la rue du collège les Châlonnais ayant des
problèmes, et essaie avec ses maigres moyens de les aider à
surmonter leurs difficultés. Il résume : « Être
résistant en 1943, c'était surtout un état d'âme ».
C'est au cours d'une de ses permanences le
mercredi 17 mai 1944 que le père
GILLET est appréhendé
par deus agents de la Gestapo, DRASKOWITCH
et BISCHOF. Au même moment,
le lieutenant HENNEQUIN se présente
pour prendre des instructions. L'abbé conserve son sang-froid
et déclare : « Vous voyez,
la réunion des jardins ouvriers ne pourra pas avoir lieu ».
L'officier pâlit, mais fait demi tour, descend calmement l'escalier.
Que reproche-t-on à Pierre GILLET ? Principalement des délits anti-nazis. Les Allemands ont bien
des difficultés à porter contre lui des accusations précises.
Ils ne le libèrent pas pour autant. Il est enfermé dans la cellule 67 de la prison de Châlons-sur-Marne.
Après le repli de la Gestapo locale, il est interrogé
le 15 août par les agents d'Orléans.
Il fait partie des sept derniers détenus libérés
pour faits supposés de résistance. Avant son arrestation,
l'abbé a fait aussi circuler des numéros et des textes
des cahiers clandestins de Témoignage
chrétien. Comme cet extrait :
« Rien
de ce qui touche au sort de l'homme n'est étranger au chrétien
; l'Église est fidèle à sa mission, qu'elle tient
du Fils de l'Homme, quand elle prend la défense des droits
de l'homme, en ces sombres temps de mépris de l'homme, systématiquement
organisé par des tyrans contemporains : les puissants ont toujours
essayé d'acheter le silence de l'Église par les promesses,
par les menaces, par l'exploitation de la peur.
Ce silence serait un reniement.
Péguy fait dire justement à Jeanne
d'Arc : " celui qui laisse faire est comme celui qui fait
faire. C'est tout un. Ça va ensemble. C'est pire que celui
qui fait " ».
Le chanoine Pierre GILLET est décédé le
jeudi 14 mars 1985 à l'hôpital de Châlons-sur-Marne,
cinq jours après avoir reçu la croix de chevalier
de la Légion d'honneur des mains de Jacques
BALLET, président national de Ceux
de la Libération ( CDLL ) et compagnon de
la Libération.
Lorsqu'il évoquait les chrétiens dans la Résistance, il aimait
citer l'un des fondateurs de CDLL, Maurice
RIPOCHE, décapité à Cologne en
juillet 1944, écrivant à son aumônier
et témoignant avant de mourir de son espérance:
« Ce
sont les hommes tels que vous, les hommes de bonne volonté
qui relèveront l'Europe de ses ruines et feront renaître
dans le cur des hommes après cette période d'obscurité,
l'espérance, la paix véritable et la joie ».
Avant de conclure :
« Que
la sainte volonté de Dieu s'accomplisse, je m'y soumets sans
murmurer, car Lui seul sait les voies qui sont les meilleures pour
le salut des âmes qui me sont chères.
Je fais le sacrifice de ma vie pour la renaissance
chrétienne de ma patrie, mais aussi pour que l'Europe retrouve
enfin le Christ qui est la seule voie de vérité et de
vie ».
Le
frère Birin :
un courage de tous les instants
« Alfred,
par son exemple, par le rayonnement de sa bonté, par sa volonté
d'aider partout où il le pouvait, sans égards au danger,
sans considération des opinions philosophiques ou religieuses,
a galvanisé bien des volontés, provoqué des réveils
de l'homme civilisé, a arraché non seulement des centaines
de Français aux mains d'assassins des SS mais les a sauvés
bien plus encore d'eux-mêmes ».
Ainsi
s'exprime le préfet Émile
BOLLAERT, compagnon de la Libération, dans l'hommage
qu'il rend à Alfred UNTEREINER,
frère BIRIN des
Écoles chrétiennes ( 14 ).
Ce religieux d'Épernay, résistant de la première
heure, ennemi du STO qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le départ des jeunes
Sparnaciens en Allemagne, est un faussaire d'une rare compétence
qui bénéficie de complicités appréciables
dans le vignoble.
Le mercredi 15 décembre
1943, il est arrêté
par l'agent de la Gestapo BISCHOF qui pénètre revolver au poing dans sa salle de classe
à l'école Notre-Dame-Saint-Victor. L'Allemand énervé
ordonne le renvoi des élèves. Gardant son sang-froid, frère BIRIN leur fait cette
déclaration :
« Chers
enfants, voici la police allemande qui vient m'arrêter. Retournez
chez vous, mais retenez les dernières paroles de votre maître.
Je suis arrêté pour avoir commis le crime d'être
un bon Français. Je crains de ne plus vous revoir. En souvenir
de moi, restez de bons chrétiens, restez de bons Français ».
BISCHOF ordonne une perquisition de sa chambre, lui demande s'il possède
des armes et s'insurge de sa réponse négative lorsqu'il
sort d'un étui son livre de prières
! Frère BIRIN est transféré à la Feldgendarmerie où il
retrouve le directeur du personnel de chez Moët et Chandon, Henri
FIGNEROL accusé d'avoir aidé des réfractaires.
Cette arrestation survient une huitaine de jours après celle
du comte Robert-Jean de VOGÜÉ,
patron de chez Moët et Chandon, et que le religieux considère
comme le chef du groupe Libération vengeance.
Dans la nuit, frère
BIRIN est transféré
à la prison de Châlons-sur-Marne et le
jeudi 16 décembre à 6 heures, il est réveillé
par un sous-officier allemand qui l'interroge : « Alors
curaillon, avez-vous bien prié ? ». Comme
il répond par l'affirmative, il est immédiatement privé
de nourriture pour la journée. Pendant plusieurs
jours, Alfred UNTEREINER subit des
interrogatoires musclés ( 15 ).
Lors du dernier, le responsable de la Gestapo lui assure avec un large
sourire qu'il sera fusillé. Appelé
dans la nuit du 18 au 19 janvier 1944, il croit sa dernière
heure arrivée et retrouve dans le couloir de la maison d'arrêt
plusieurs détenus qu'il connaît bien : Hubert TOUVET, Gaston POITTEVIN, BRUN, Henri MARTIN, Jean FRÉLY,
René TERVER, Pierre KULEMANN, Georges GUÉRIN, René
GUILLEPAIN, LECOMPTE, Bernard RAMILLON, Pierre MAÏER, Marcel FOUJU,
Jacques RICHON ainsi que l'abbé Georges
MICHAUX. Ils sont conduits à Reims avant de gagner Compiègne,
le 19 janvier 1944 au soir.
Après
quelques jours, frère BIRIN est
affecté au bâtiment 12 réservé à l'aumônerie
du camp :
«
La plupart de mes amis d'Épernay partirent déjà
de Compiègne le 22 janvier pour Buchenwald. Je fis partie du
convoi du 27. Chaque partant avait touché une boule de pain
et 200 grammes de saucisse pour le voyage mais le tout nous fut confisqué
avec nos vêtements la nuit suivante ».
Frère
BIRIN monte dans le même wagon que les Sparnaciens Hubert TOUVET et René TERVER et le Châlonnais Alfred
CHABAUD. Prévu pour 8 chevaux ou 40 hommes, les détenus
sont entassés à 125. Le train s'ébranle à
la mi-journée. À la nuit tombante, plusieurs jeunes gens
qui ont caché des couteaux à scie affichent
leur intention de s'évader. Le religieux qui connaît
bien la ligne SNCF conduisant vers la Lorraine leur conseille d'attendre
pour agir la montée vers Bar-le-Duc dans la Meuse. Il leur déclare
: « Mes amis, ceux d'entre vous qui
vont essayer de se sauver comme ceux qui vont rester sont tous en danger
de mort ; si vous voulez, nous allons réciter ensemble un bon
acte de contrition ».
Dès la prière achevée, un panneau
du wagon est retiré et les évasions commencent jusqu'à
ce que les Allemands s'en aperçoivent. Le neuvième candidat
à la liberté est criblé de balles. Le convoi est
stoppé entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François.
Les Allemands vident le wagon, constatent qu'il manque neuf hommes, choisissent neuf jeunes gens qu'ils fusillent
entièrement nus sur le ballast. Tous les autres détenus
sont également contraints de se déshabiller, transférés
dans un wagon métallique dans lequel ils vont voyager
quatre jours et quatre nuits. La porte du wagon est ouverte une fois
à Trêves puis à l'arrivée à Buchenwald, dans la nuit du 31 janvier 1944.
Le stationnement pendant une journée en gare d'Erfurt est des
plus pénibles et plusieurs détenus ont des crises de folie.
Lorsqu'il s'adresse à une sentinelle pour obtenir de l'eau, frère
BIRIN reçoit pour toute réponse : « Comment,
ces cochons ne sont pas encore crevés ».
Au
camp, frère BIRIN reçoit
le n° 43 652 et est affecté,
toujours avec MM. TERVER,
TOUVET et CHABAUD,
dans un grand baraquement prévu pour 500 déportés.
La nourriture manque, les journées de travail ne sont pas inférieures
à douze heures et déjà les rangs des Marnais s'éclaircissent.
Le 13 mars 1944,
le religieux est désigné pour un convoi de 1 200 Français
vers une destination inconnue, après avoir passé une nuit
entière sous une pluie glaciale sur la place d'appel. Le convoi
arrive à Dora tard dans la
soirée. Sous les coups et les aboiements de chiens féroces,
les déportés sont conduits dans un tunnel et dispersés dans des blocks souterrains. Il décrit ainsi
ce moment :
« J'eu
l'impression de descendre tout vivant aux enfers. Tout le long du
parcours traînaient des cadavres décharnés, nus
ou presque ; des êtres squelettiques, d'un aspect repoussant,
les yeux fiévreux enfoncés dans leurs orbites, peinant
en maniant pioche ou pelle, tandis que leurs cerbères ne leur
ménageaient pas les coups ».
Après
quelques semaines de régime commun, frère
BIRIN obtient une place au bureau de la direction de la répartition
de la main-d'uvre à l'Arbeitsstatistik.
Il va s'engager alors dans une autre forme de
résistance. Il constate une inhumanité indescriptible
et une culture de mort insupportable. La volonté d'exterminer
les déportés est une obsession des geôliers. Son
analyse de ce qu'il voit est d'une lucidité remarquable. Il comprend
d'entrée que les Allemands font fabriquer leurs armes secrètes
à Dora pour que les Alliés n'en soient pas informés.
Ce qui signifie que les déportés n'ont aucune chance de
survie. Il mesure l'organisation rationnelle de cette
industrie de mort avec un travail à la chaîne
épuisant, des groupes de vingt-cinq ouvriers affectés
dans chaque équipe à des tâches répétitives
et strictement définies. Il explique combien le forage des galeries
est exténuant et affaibli les organismes. Ce passage obligé
avant l'affectation à d'autres tâches aussi éreintantes
procède d'une extermination programmée.
S'ajoute à cela un harcèlement physique et moral psychologiquement
destructeur. Cette situation n'est pas réservée au commando
disciplinaire de Steinbruch ni à celui de Grossverter aux environs
de Nordhausen. Frère BIRIN a expliqué :
« La
cadence de travail ne pouvait ralentir et, plus que partout ailleurs,
nos gardiens se montraient féroces. Je reçus d'un kapo
une pelletée de ciment en pleine figure, et comme j'eus un
réflexe un peu vif, la brûlure causée par le ciment
m'a fait perdre l'il gauche ».
Le
religieux décrit aussi les conséquences de l'embrigadement
de la jeunesse, lorsqu'il est surveillé avec d'autres
par des enfants de 8 ans appartenant aux Jeunesses hitlériennes,
en uniforme et portant revolver à la ceinture. Lorsqu'ils observent
un déporté affaibli, peinant au travail, ils relèvent
son numéro sur un carnet afin que le
kapo lui administre les 25 coups réglementaires pour
le punir de son insuffisance. Il relate avec soin toute l'entreprise
de déshumanisation associant la faim, un régime
insensé de travail, les vexations et les punitions souvent mortelles.
Là où il se trouve, frère
BIRIN observe le détournement
de tous les colis de nourriture adressés par les familles
et la Croix-Rouge :
« J'ai
reçu moi-même un colis pensant au départ 15 kilos
mais dans lequel je ne trouvai que quelques comprimés de saccharine.
Sur les 219 colis envoyés par ma famille,
mes confrères et mes amis d'Épernay, une vingtaine au
plus m'ont été remis après avoir été
allégés par le chef de block.
Vers le mois d'octobre 1944, il est arrivé
à Dora un envoi de mille colis de la Croix-Rouge française
et autant de la Croix-Rouge belge. Ces deux mille colis furent entièrement
pillés par les SS ».
Il
mentionne aussi le cynisme et le machiavélisme
des bourreaux. Ainsi le dimanche
de Pâques 1944, à l'issue d'un appel d'une durée
de six heures, un officier annonce aux déportés qu'ils
vont avoir « leurs ufs de Pâques ».
C'est alors qu'une vingtaine de ses camarades surgissent les mains attachées
dans le dos, un morceau de bois fixé par un fil de fer vers la
nuque, leur servant de bâillons. Ils sont alors conduits à
la potence dressée sur la place d'appel puis exécutés ( 16 ).
Frère
BIRIN, qui ne se ménage pas pour protéger les
déportés et leur éviter les pires commandos, est
appréhendé le 4 novembre 1944 et conduit à la prison de Niedersachs
Werfen. Le lendemain, il est transféré à
la prison civile de Nordhausen où
il retrouve notamment un autre Sparnacien, Paul
CHANDON-MOËT. C'est alors leur dénonciateur qui
devient kapo de la prison. Accusé d'être le chef de l'organisation
française de résistance au camp, le religieux est emmené
au bunker de Dora. Il va y rester
cinq mois dans des conditions indescriptibles :
« Le
régime alimentaire comportait invariablement un litre de soupe
et 100 grammes de pain distribués à 6 heures.
Deux fois par jour nous avions une sortie pour satisfaire
aux besoins naturels et faire un soupçon de toilette ».
Au
cours de ce temps de détention à régime très
sévère, il y a eu 280 pendaisons.
Le religieux est témoin le
9 mars 1945 d'une tentative d'évasion de Russes qui
sont sauvagement abattus. Une impitoyable répression s'en suit
: « treize détenus furent
pris dans ma cellule ; j'étais du nombre. On nous mit dans la
bouche un morceau de bois lié très fort sur la nuque avec
un fil de fer. Nous étions placés par rang de cinq, j'étais
au troisième ». Le frère
BIRIN demande alors à s'exprimer. L'officier SS le
fait sortir des rangs en vociférant : « ce
cochon n'a pas encore causé, il parlera d'abord, et ensuite,
on le pendra ». L'officier lui fait passer une
nuit du 10 au 11 mars 1945 infernale. La progression américaine
décide les Allemands à suspendre ces interrogatoires.
Le
2 avril, les SS démontent la potence du camp et vers
midi les portes des cellules s'ouvrent. On jette alors aux déportés
une boîte de conserves et une boule de pain.
Le 4 avril, c'est
l'évacuation. Les rescapés sont dirigés
vers la gare où stationnent entre 7 000 et 8 000 hommes :
« Nous
étions près de 150 par wagon de marchandises découvert.
Nous étions exposés à la pluie
et au froid mais nous ne manquions pas d'air.
Durant six jours et six nuits nous avancions puis
reculions, tantôt en direction de Hanovre, tantôt en direction
de Hambourg ; voyage angoissant et pénible ».
À
trois reprises pendant ce périple infernal,
les SS leur font creuser des fosses communes le long des voies. Les déportés sont enfin débarqués
à une dizaine de kilomètres du
camp de Bergen-Belsen où règne le typhus parmi
51 000 détenus, hommes et femmes.
« Les 1 700 Français venant
de Dora et d'Ellrich survivants du convoi, eurent la chance d'être
mis dans la partie du camp de Bergen non contaminé par le typhus ».
Le
15 avril 1945, le cauchemar prend fin. frère
BIRIN témoigne :
« Ce
fut un indescriptible délire joyeux de milliers d'hommes qui
revenaient tous de la frontière de la mort et qui maintenant
se sentaient libres.
J'étais à ce point malade, brisé,
fatigué, que je pus à peine me traîner à
la fenêtre de la pièce où mes camarades m'avaient
déposé.
Je vis passer nos libérateurs et j'éprouvai,
moi aussi, cet ardent et vibrant bonheur que clamaient toutes les
poitrines : libres, libres ! ».
Frère
BIRIN salue la gentillesse des Sparnaciens lorsqu'ils l'ont
accueilli à son retour et en particulier la sensibilité
de Pierre SERVAGNAT, commandant des
FFI de l'arrondissement d'Épernay ( 17 ).
L'abbé
Georges Carré
Contacté
en mai 1943 pour participer à
un groupe de résistants que Ceux de la
Libération veulent mettre en place en
Argonne, l'abbé Georges CARRÉ,
vicaire à la paroisse Saint-Charles de Sainte-Ménehould répond présent.
À l'automne, sous l'impulsion de Christian
HECHT, l'un des adjoints du commandant René DERRIEN, chef
militaire départemental de CDLL, le groupe lui est confié.
Il compose une équipe de gens
sûrs avec M. MINUEL, professeur
au collège, le gendarme Paul DEAUDET,
Robert DESTREZ, un négociant
en bois des Islettes, M. Procureur, le maire de Valmy, M.
CANONNE et bénéficie de la neutralité
bienveillante du sous-préfet Francis
WAIFFRET, de l'aide d'une secrétaire, Andrée
BUACHE ainsi que de la complaisance du lieutenant
de gendarmerie RIVALLAND.
Outre l'assistance aux prisonniers évadés, l'aide aux réfractaires
et cacher des personnes recherchées, le groupe de
l'abbé CARRÉ constate
que de nombreuses interceptions de bombardiers alliés s'effectuent
au-dessus de l'Argonne. Déjà en
mars 1943, l'équipage d'un Stirling est mort
à Minaucourt qui possède
une puissante station radar. Ce n'est pas la seule de l'arrondissement.
D'autres postes de repérages sont établis à Contault
et Possesse. RIVALLAND
et DEAUDET effectuent le relevé de ces positions qui est transmis au commandant
DERRIEN. Sur l'insistance de l'abbé
CARRÉ, les deux hommes proposent aussi un
terrain de parachutage aux Islettes ainsi qu'une planque sûre pour d'éventuelles livraisons aériennes. Bien
renseigné, le groupe évite plusieurs arrestations et prévient
en particulier les responsables du chantier forestier de Vienne-le-Château de l'imminente descente des Allemands à la recherche de réfractaires
hébergés en nombre sur ce site.
En
novembre, la décision est prise de dynamiter les installations
ennemies d'écoute et un petit groupe d'action s'établit
à Givry-en-Argonne pour s'occuper
du relais de Contault. Repérés
par les Allemands, les résistants prévenus par l'hôtelière
de Givry, Mme RÉGNIER, se
replient. Christian HECHT recommande
alors au prêtre la plus grande prudence. Les Argonnais, déçus
d'être freinés dans leur action, se tournent alors vers le groupe CDLL de Reims des lieutenants
PAILLARD et ROBERT. Dans
le même temps, un groupe CDLR est constitué sur Sainte-Ménehould sous l'impulsion d'André
NOIZET, un officier de réserve de l'armée de
l'air. Autour du 15 novembre 1943,
le lieutenant PAILLARD rencontre
l'abbé CARRÉ pour
organiser l'union au plan local des mouvements de résistance et ordonne une enquête visant plusieurs de ses acteurs.
Le 30 novembre 1943,
Georges CARRÉ remet à
Christian HECHT plusieurs rapports, peu de temps avant que ne se produisent à
Reims de nombreuses arrestations.
PAILLARD, mais aussi Jean-Jacques
GOGUEL, René MENU,
Jean ESTÉVA tombent alors
dans les griffes de la Gestapo.
Le
6 janvier 1944 à 16 heures 15, alors qu'il anime une
réunion de louveteaux dans la cour du presbytère ménéhildien, la Gestapo surgit et appréhende l'abbé
CARRÉ sous le regard médusé des enfants
:
« Je
n'ai pas eu le temps de réagir et pendant la perquisition de
mon bureau qui a duré 1 heure 30, ils ont trouvé dans
un dossier un plan des installations de surveillance aérienne
de Contault. J'ai été transféré
à la Gestapo du cours d'Ormesson à Châlons-sur-Marne,
interrogé puis enfermé dans la cellule 72 de la maison
d'arrêt.
Le 8 janvier, j'ai été transféré
à Reims sur les genoux d'Alfred Chabaud arrêté
le 7 à la préfecture, en même temps que le docteur
Robert.
J'ai subi de difficiles interrogatoires à
la maison de la Gestapo de la rue Jeanne-d'Arc à Reims.
J'ai cru que c'était la fin ».
Dans
la cellule 52 de la prison rémoise,
il se trouve en compagnie du commandant MERLINGE,
intendant départemental de l'Aube, et de M.
FONTAINE, un commerçant rémois qui seront tous
les deux déportés en Allemagne
le 18 janvier 1944.
Les interrogatoires auxquels il est confronté
sont d'une violence inouïe :
« Dans
un premier temps les tortures ont été supportables.
J'ai encaissé les gifles et les coups de poing au visage et
sur la nuque. Devant mon refus de parler et de reconnaître les
accusations portées contre moi, j'ai été soumis
à une première séance de schlague suivie quelques
minutes plus tard d'une seconde. Une confrontation avec le lieutenant
Paillard s'est mal terminée ».
Comme
l'abbé CARRÉ refuse
de le reconnaître, il subit une troisième séance
de schlague et perd connaissance. Dans l'après-midi, il
est encore frappé et perd à plusieurs reprises connaissance.
Les deux compagnons de cellule de l'abbé attestent ses tortures.
Les propos de l'intendant Merlinge rapportés par l'abbé
Gillet sont explicites : « Il
était à bout de force. Deux soldats le soutenaient et
l'ont déposé sur son lit. Nous l'avons déshabillé
et avons pu constater que son corps n'était qu'une plaie du sommet
jusqu'aux mollets ».
Pierre JOHNSON du réseau Kléber-Uranus a écrit : « Je
certifie que l'abbé Georges Carré a été
abominablement brutalisé par les agents de la Gestapo de Reims
et que sont corps était martyrisé lorsqu'il a été
raccompagné en cellule ».
Intransportable,
l'abbé est maintenu en détention et ne part pas à
Compiègne dans le convoi du 19 janvier.
Malade, début avril, il est
transféré un temps à l'hôpital
allemand de Clamart avant d'être rapatrié à
Reims, le 8 mai. Il est enfermé
à la prison Robespierre lorsque
le 30 mai 1944 se produit un violent
bombardement allié sur la ville. Le souffle de l'explosion des
bombes arrache la porte de sa cellule. Partout on s'affaire et l'abbé
tente sa chance :
« Comme
l'on transportait des blessés vers l'extérieur, j'en
ai profité pour suivre et je me suis retrouvé dans la
rue avec le docteur Bussel de Fismes parce qu'on m'a pris pour un
aumônier de l'établissement.
Je ne savais pas trop où aller mais un homme
à vélo m'a interpellé. Très vite, il m'a
proposé de m'emmener chez lui. C'était
un boulanger de l'avenue Jean-Jaurès, Imbert, qui m'a fourni
des vêtements civils. Il est entré en contact avec la
Résistance et j'ai pu être aidé ».
L'abbé
CARRÉ est récupéré par André
SCHNEITER et Jean JOLY de CDLR puis caché. L'abbé est brûlé, CDLL décapité en Argonne et c'est le groupe CDLR-Argonne
qui va y préparer la Libération.
L'assassinat
de l'abbé Jean Brion
Le
jeudi 22 juin 1944 à 8 heures 30, une douzaine de
garçons et de filles âgés de 9 à 12 ans assistent
à une leçon de catéchisme de l'abbé
Jean BRION, 36 ans, qui a en charge les paroisses de Clamanges,
Pierre-Morains, Villeseneux,
Trécon et Écury-le-Repos dans le diocèse de Châlons-sur-Marne ( 18 ).
Le prêtre est un résistant actif
qui travaille en liaison avec le capitaine Pierre
SERVAGNAT, commandant des FFI de l'arrondissement d'Épernay.
Il est chef de trentaine, participe
aux parachutages et cache des aviateurs alliés en partance pour
la frontière espagnole.
André COULMIER qui avait 11 ans au moment des faits s'est souvenu. :
« La
petite porte de la nef sud s'est ouverte une première fois,
on a aperçu une main. Comme nous regardions dans cette direction,
l'abbé nous a rappelé à l'ordre. Il a repris
la leçon pendant une minute puis la porte s'est ouverte une
deuxième fois et un soldat est entré armé.
L'abbé a compris. Il nous a demandé
de rester dans l'église et est sorti par la petite porte opposée
permettant de gagner le presbytère. Je ne l'ai pas revu vivant ».
Auparavant,
un officier était descendu d'une voiture allemande arrivant de
Pierre-Morains et avait interpellé les
fils VOILLEREAU qui travaillaient
dans leur forge pour savoir si la maison devant laquelle il stationnait
était bien le presbytère.
Après avoir sonné et ne pas avoir obtenu de réponse,
l'officier très mécontent s'adresse une seconde fois aux
forgerons pour savoir où le curé se trouve. Il défonce
alors d'un coup de botte la porte de la petite maison. Il ouvre les
volets de la chambre du prêtre. Puis la gestapo tente l'arrestation
à la porte de l'église.
Les amis de l'abbé savent qu'il ne se laissera
pas prendre vivant. L'abbé va vers le presbytère et se
dirige vers un Allemand qui pratique immédiatement une fouille
corporelle. Il lui ordonne de prendre quelques effets personnels. C'est
le moment qu'il choisit pour prendre la fuite : « L'abbé
a contourné l'église par le grand portail puis a dégringolé
le talus en direction de la Somme. Suzanne Mignot l'a vu traverser le
pré du presbytère. Il a franchi la passerelle qui enjambe
la rigole à cet endroit et a couru le long de l'eau dans les
hautes herbes en direction de Villeseneux » a rapporté
le maire Charles PÉRARDELLE.
L'officier qui le poursuit s'arrête, pose son
revolver sur son bras pour mieux ajuster et tire à plusieurs
reprises. L'abbé est blessé. « Nous
sommes restés une dizaine de minutes dans l'église avant
de partir par la porte donnant sur la rivière. Nous ne savons
pas exactement ce qui s'est passé mais d'autres habitants du
village en ont été témoins » a
précisé André COULMIER.
Tandis que les soldats tentent de rattraper le prêtre,
la femme de l'instituteur Mme RIGAUX et
sa fille qui ont été alertées par les coups de
feu accourent dans la cour de l'école et sont mises en joue par
un soldat. Un autre a rejoint le silo chez Henri
GALLOIS pour prendre position. Lorsqu'il arrive face au rucher
d'Odile PETIT, l'abbé se lance
dans la rivière et la traverse en biais pour revenir vers l'église
et gagne l'abri d'un aulne où il s'écroule. Le cadavre
de l'abbé est jeté dans le pré de M.
LALLEMENT, puis l'officier se rend à la mairie.
Il s'adresse alors à Mme
RIGAUX en ces termes : « Votre
curé est tué, allez le chercher ! ».
Furieuse d'apprendre la nouvelle, l'épouse de l'instituteur s'emporte
: « Vous avez tué notre curé,
mais quel mal avait-il fait ? ». L'Allemand
réplique : « Pourquoi s'est-il
sauvé s'il n'avait rien à se reprocher ? ».
Les agents de la gestapo souhaitent d'abord que le
corps soit déposé dans la remise à incendie mais
ils consentent finalement à ce qu'il soit déposé
au presbytère, à même le sol.
Lorsque vers 11 heures, Albert
MOREAU, le maire, est de retour des champs, les Allemands
lui déclarent : « Voyez ce
que nous avons trouvé chez lui un revolver anglais et un chargeur ».
Une fouille systématique est alors entreprise.
Le grenier est visité et un vieux poste TSF intrigue les agents
ennemis, la sacristie et l'église n'échappe pas à
la fouille et les autels en bois sont sondés à coups de
bottes ! À leur départ, ils rendent les clés du
presbytère et indiquent que les funérailles du curé
devront avoir lieu dans la plus stricte intimité. La famille
de l'abbé à Fère-Champenoise est prévenue
par M. GUYOT, une fois que le maire
est certain de pouvoir disposer définitivement du corps du malheureux.
Le vendredi 23 juin,
l'évêché de Châlons informe le curé
doyen de Vertus que l'enterrement aura lieu
le samedi à 7 heures 30. Dans le même temps,
deux gendarmes informent Albert MOREAU
que trente personnes seulement seront admises
à la célébration religieuse. Le jour
des obsèques, une quinzaine de gardes mobiles stationnent devant
l'église de Clamanges et surveillent la messe concélébrée
par les curés doyen de Fère-Champenoise et de Vertus,
les curés de Soudron, Lenharrée, Vouzy, Bergères-les-Vertus.
Les abbés Pérardelle et Mathieu chantent la célébration
en présence de la famille du défunt et des représentants
des cinq paroisses dont il avait la charge. Une fois la cérémonie
achevée, le cercueil de l'abbé a été transféré
à Fère-Champenoise pour être porté en terre
dans le caveau familial. Le convoi est accompagné par les gardes
mobiles et à l'arrivée trois voitures de la gestapo stationnent
à une cinquantaine de mètres de l'entrée du cimetière.
A l'évidence, les policiers cherchaient à identifier des
résistants venus rendre hommage au jeune curé.
La
ténacité du père Georges Michaux
Le
père Georges MICHAUX est un
prêtre du diocèse de Reims. Jeune vicaire en résidence
à Châtillon-sur-Marne,
il partage pendant la Seconde Guerre mondiale la charge paroissiale
de ce secteur de la vallée de la Marne avec deux confrères. On a l'habitude de le voir se déplacer
à bicyclette de Mareuil-le-Port à Cuisle, de
Jonquery à Belval, de Baslieux à Montigny et même
à La Neuville-aux-Larris. Refusant l'occupation et déterminé
à agir, il rencontre Pierre SERVAGNAT
et entre dans la Résistance.
Le commandant des FFI de l'arrondissement d'Épernay
résume ainsi leur première rencontre alors qu'il cherchait
à structurer le mouvement dans la vallée de la Marne :
« J'eus
un jour la surprise de voir arriver chez moi un jeune prêtre,
l'abbé Michaux. Après une courte conversation, j'eus
immédiatement entière confiance en lui. Je pouvais y
aller comme on dit. J'avais, j'en étais certain, trouvé
la personne idéale, l'homme d'action qu'il fallait.
Effectivement, il organisa à merveille toutes
les petites paroisses qu'il avait sous sa dépendance.
Nous eûmes de fréquents contacts, agissant
en plein accord avec la même ardeur ».
L'abbé
MICHAUX fixe ses règles d'entrée :
« Je
suis resté prêtre avant tout mais j'ai toujours pris
mes responsabilités. Je n'ai pas participé à
des actions armées mais j'ai uvré à la
réception de parachutages.
Je suis venu en aide à des évadés
et des aviateurs en détresse qu'il a fallu placer dans des
lieux sûrs.
J'ai aussi fourni de faux certificats de baptême
à des familles juives persécutées.
Seul, je n'aurai rien pu faire de constructif,
mais en groupe avec l'enthousiasme et la rigueur patriotique tout
était possible ».
Son
attitude de combat contre l'antisémitisme, il l'inscrit dans
l'esprit du cardinal SUHARD, qui
en 1939 alors qu'il est encore archevêque
de Reims déclarait :
« Si
la vague d'antisémitisme déferle sur notre pays, souvenons-nous
des paroles du souverain pontife qui, recevant les pèlerins
de la radio belge a déclaré : " non, il n'est
pas possible aux chrétiens de participer à l'antisémitisme.
Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre,
de prendre les moyens de se protéger, contre tout ce qui menace
ses intérêts légitimes. Mais nous déclarons
que l'antisémitisme est inadmissible " ».
Membre
du Bureau des opérations aériennes ( BOA ), il travaille à la sélection
de terrains prompts à accueillir les conteneurs du Secret
opération executive et les opérateurs radio.
Lorsqu'il s'agit de choisir des lieux d'émission et d'hébergement,
l'abbé répond présent et déniche des endroits
tranquilles où les opérateurs pourront travailler, être
logés et nourris.
C'est ainsi qu'il propose le domicile de la
famille HUIBAN à Champlat, celui de la famille
GAUCHÉ à Épernay, ou le clocher de l'église
de Mareuil-le-Port. Le père MICHAUX est également très actif pour
réceptionner des parachutages.
Le 17 août 1943,
sur le terrain de " Beaumarchais " situé près du village de Villers-sous-Chatillon,
il monte une opération qui a laissé un souvenir inoubliable
à Pierre SERVAGNAT. Pour composer
son équipe, il se rend au prieuré
de Binson, chez les Salésiens. Il recrute quelques
jeunes très excités par l'idée d'aider utilement
la résistance. Voici la scène décrite par Servagnat
:
« De
loin, nous voyons de jeunes abbés, marchant deux par deux ou
isolément, se diriger vers un bosquet où tous disparaissent
d'un commun accord.
Ils reviennent trente secondes plus tard en pantalon
et bras de chemises ; la soutane a disparu dans les épais buissons.
Au retour avec le chargement, l'opération
inverse s'effectue et tous nos braves abbés regagnent leur
dortoir »
( 19 ).
Cet
épisode rigoureusement exact et confirmé avec un sourire
bienveillant par le père MICHAUX n'est pas sans conséquence. La même nuit, le supérieur
des Salésiens qui se doutait de quelque chose effectue une visite
impromptue dans le dortoir et relève le nom de tous ceux qui
sont absents. Le lendemain, il convoque l'abbé
MICHAUX et lui demande de s'abstenir de ses démarches
intempestives susceptibles de mettre en péril la communauté.
Pour ces jeunes résistants en soutane, la sanction ne tarde pas.
Ils sont dispersés dans plusieurs maisons salésiennes,
ce qui ne va pas les empêcher de reprendre du service là
où ils sont envoyés !
L'abbé assure la dissimulation de la
livraison du 17 août sous une meule de foin de la ferme de Chantereine près de Champlat.
Il s'occupe aussi d'aviateurs en détresse.
À l'automne 1943, il aide
deux Britanniques L. MARSH et N.
CLARKE dans leur fuite pour regagner la Grande-Bretagne.
Ils seront hébergés au couvent de Vieil-Andecy, véhiculés
dans la voiture de l'inspecteur de police Maurice
LESANNE.
En novembre 1943, il doit faire face
à un suspect qui a rejoint l'un de ses groupes et qui se révèle
être un agent français de la gestapo chargé d'identifier
les organisations clandestines et de découvrir d'éventuels
dépôts d'armes et d'explosifs. L'individu identifié
par l'inspecteur WINCKEL s'avère
être un repris de justice travaillant pour l'ennemi et ordre est
donné de l'éliminer. Fidèle à son engagement
l'abbé ne donne pas cet ordre. C'est Pierre
SERVAGNAT qui délivre les instructions nécessaires
pour mettre cet agent hors d'état de nuire.
L'abbé qui est conscient du danger envisage
son arrestation et présente à SERVAGNAT son successeur éventuel qui est Louis
FROELIGER.
Faussaire aussi à ses heures, l'abbé
MICHAUX fait beaucoup et semble mépriser le danger.
Un soir de novembre 1943, le presbytère
où il loge est envahi par 28 soldats allemands. Il
est appréhendé et transféré dans les locaux
de la gestapo, cours d'Ormesson à Châlons-sur-Marne.
Après
dix-sept jours d'interrogatoires inhumains et de tortures, il est transféré
le 8 décembre 1943 à
la prison de Châlons-sur-Marne.
Le 21 janvier 1944,
il est dirigé vers Compiègne et trois jours plus tard, il arrive à Buchenwald.
Placé en quarantaine avec ses camarades d'infortune,
il est envoyé à Steyr,
un commando dépendant de Mauthausen.
« J'étais
au cur d'un système effrayant de déshumanisation
de l'homme. C'était l'horreur absolue. Tout était préparé
avec soin pour conduire à notre déchéance ».
Même s'il ne peut pas exercer normalement son ministère,
il agit comme il le peut :« J'ai
donné l'absolution, j'ai été à l'écoute
de mes frères de détention, j'ai fait entendre une parole
d'espérance puisée à la fontaine de l'Evangile ».
L'une de ses joies sera de
dire la messe en cachette pendant l'avent précédant Noël 1944 avec un livre fourni
par un détenu de Gusen et de pouvoir consacrer douze hosties
qui lui sont apportées dissimulées dans du papier d'un
sac de ciment.
Lorsqu'il
est libéré le 5 mai 1945,
l'abbé MICHAUX est très
affaibli, mais cinq jours plus tard, il dit sa première messe
d'homme et de prêtre ayant recouvré la liberté.
Àson retour à Reims, il est accueilli
par le curé de Saint-Nicaise, mais l'archevêque
ne juge pas utile de le recevoir pour lui confier une nouvelle
mission.
Pour expliquer encore son engagement, Georges
MICHAUX aimait reprendre ce que disait le père de LUBAC dans Témoignage
Chrétien :
« Tout
ce qui atteint l'homme, tout ce qui blesse son honneur, sa dignité,
sa raison, son sentiment de justice, atteint et blesse le chrétien,
car le christianisme n'est pas une couche de vernis passée
à la surface de l'homme ; c'est le cur de son cur
et l'âme de son âme ; de sorte qu'il lui serait plus facile
de renoncer à être homme que de renoncer à être
chrétien ».
Il
disait encore : « Le cynisme, la
fourberie diabolique unis à la bassesse et à la grossièreté
ont constitué le propre du nazisme. Il fallait se dresser contre
cette ignominie ».
Le père MICHAUX est décédé en février
2002 et ses obsèques ont été présidés
en l'église de Mareuil-le-Port par Mgr
François GOURGUILLON, évêque auxiliaire
de Reims et Mgr Jules MASSIN, chancelier
de l'archevêché ( 20 ).
Le
Chanoine Lucien Hess
C'est
le 9 juillet 1944 peu après avoir quitté la
basilique Saint-Remi au terme d'une célébration de prières
destinée à implorer la protection de la ville au cours
de laquelle il chantait dans la schola de l'abbé
SCHROBILTGEN que le chanoine Lucien
HESS, prêtre du diocèse
de Reims est rejoint par un agent de la gestapo rue Simon. L'homme l'empoigne
et le conduit à la conciergerie de la maison de retraite où
il passe un coup de fil. Quelques minutes plus tard, une Traction
emmène le prêtre, en passant par la rue du Ruisselet, la
rue Chanzy et la rue de Vesle à la maison de la gestapo, rue
Jeanne d'Arc.
Il est immédiatement conduit dans une salle
d'interrogatoire et trois accusations sont alors prononcées contre lui. Un agent affirme qu'il est
le chef de la résistance à Reims,
qu'il sait où sont cachées quarante
tonnes d'armes et qu'il est le meurtrier
d'une sentinelle allemande abattue au petit lycée.
Le prêtre nie avec aplomb mais les policiers
ne veulent rien savoir et le frappent à
coups de poings, de nerfs de buf. Le chef est le plus
cruel. La pression psychologique est énorme.
Après un premier interrogatoire, ils le gardent
à vue dans un salon attenant à la salle à manger
où ils dînent joyeusement !
Au cours du deuxième interrogatoire, le
lundi 10, les questions changent mais pas leur détermination
:
« Ils m'expliquèrent que c'était
eux qui m'avaient envoyé la veille un homme me réclamant
des armes pour le maquis des Ardennes, me montrant à l'appui,
différents papiers marqués de cachets anglais. Vous
n'avez pas marché, mais beaucoup tombent dans le piège ».
On
le met alors dans l'obscurité complète pour manger une
assiette de soupe très salée.
Le troisième interrogatoire a lieu à
16 heures. On montre au chanoine différentes photographies et
on lui demande des informations sur des membres de la Résistance.
Ses réponses ne donnent jamais satisfaction et il
est rossé jusqu'à l'évanouissement.
Ramené dans sa cellule, il a droit à une tasse de thé
et un sandwich beurré.
Le mardi 11 dans
la matinée, il est cette fois interrogé sur ses relations
confraternelles avec l'abbé FONTAINE,
curé de Savigny-sur-Ardres, arrêté dans les Ardennes.
Pendant trois semaines, il reste dans les locaux de
la gestapo et durant dix jours, il est seul dans sa cellule.
Le 28 juillet dans
l'après-midi, le chanoine HESS est embarqué dans un car en partance pour la prison de Châlons-sur-Marne ( 21 ).
Là-bas, selon le prêtre la vie est plus acceptable, pas
seulement en raison des interventions de sur
Marie, mais parce qu'il rencontre des gens intelligents et solidaires tout
en ayant la chance de converser avec sa sur venue spécialement
de Reims ( 22 ).
Le 19 août est un nouveau départ en autocars. Il y a environ quatre-vingts
détenus. La destination est le camp de
Natzweiller où on lui confisque son autel portatif
et ses livres qualifiés de « choses
du diable ».
Il explique :
« J'ai reçu le n° 22808.
J'ai été affecté au bloc 14. Pour moi l'épreuve
la plus grande fut la privation de tout secours religieux, sauf les
conversations que je pouvais avoir avec des confrères ».
La
nourriture est insuffisante, le travail du transport de grosses pierres
pénible. Le séjour à Natzweiller est abrégé
en raison de la progression rapide des alliés.
Dans la nuit du 1er au 2 septembre,
les déportés sont rassemblés et emmenés
sous bonne garde en colonnes vers la gare de
Rothau. À mi-chemin, un contre-ordre est donné
et tous réintègrent leurs blocs. Les mêmes événements
se répètent dans la nuit du 3
au 4 septembre :
« Nous
sommes embarqués dans des wagons à bestiaux par groupe
de 45 à 50. Le train s'ébranle et nous emmène
à Strasbourg. C'est une nouvelle déception d'y parvenir.
Nous croyons la ville entre les mains françaises, or la gare
est paisible. Les nouvelles qui circulaient parmi nous étaient
donc fausses ».
Le
chanoine HESS se retrouve alors à Dachau et reçoit cette fois le matricule 100 001. Sa santé est
altérée et il fait un passage
de dix jours au revier.
« J'ai connu le docteur Bettinger
de Reims qui, me voyant affamé me donna plusieurs fois des
pommes de terre et du pain pris sur sa ration personnelle et me soutint
moralement de ses conversations amicales ».
Ce médecin exemplaire est mort du typhus après avoir soigné
de très nombreux malades.
Le 28 septembre au
terme de sa quarantaine, le chanoine est affecté au bloc 26 réservé
aux prêtres ( 23 ).
Il y décrit la grande promiscuité et la propagation des
maladies contagieuses :
« Chaque matin, les cadavres de
ceux qui étaient morts pendant la nuit étaient sortis
nus, des chambrées. Arrivait un large chariot plat, tiré
à la corde par des détenus en corvée. Les corps
y étaient lancés, s'y entassaient comme des meubles
dans une voiture de déménagement ».
La misère est indescriptible, les morts s'ajoutent
aux morts.
Le 29 avril vers
17 heures 30, les Américains arrivent
enfin au camp :
« Nous étions consignés
dans les blocs depuis deux heures. Lorsqu'ils trouvèrent près
du four crématoire 1400 cadavres qui n'avaient pu être
incinérés et à la gare de Dachau, un train de
juifs dont tous les détenus étaient morts abandonnés
et bouclés dans des wagons, les Américains n'ont plus
gardés de prisonniers. Tous les gardiens SS ont été
abattus ».
Les descriptions du chanoine
HESS sont authentiques. Le prêtre a toujours tenu un
discours clair lorsqu'il a expliqué son calvaire et
celui de ses camarades de déportation :
« Je
ne veux pas cultiver la haine, mais de tels faits font souhaiter en
toute conscience humaine et même chrétienne des clauses
de paix soigneusement étudiées et suffisamment sévères
pour éviter la réédition de telles preuves d'hypocrisie,
d'inhumanité, de perversion de la civilisation. C'est pourquoi
les idéologies qui mènent à de telles conséquences
doivent être absolument répudiées ».
M'accompagnant
un jour dans la maison de la gestapo de la rue Jeanne d'Arc à
Reims avant sa démolition et son remplacement par un square de
la mémoire il confiait :
« Je n'ai jamais aimé la
guerre parce que c'est toujours une tragédie, un mal absolu
pour ceux qui la font et plus encore ceux qui la subissent. À
l'heure du courage et de la peur, le soldat est toujours seul. Seul
face à la mort. Seul face à Dieu dont il est séparé
d'une poussière de temps ».
Et de citer ce proverbe russe : « Celui
qui n'a pas fait la guerre ne sait pas ce qu'est la prière ».
Le même jour pour illustrer l'engagement total du chrétien,
il a cité en présence d'André
PATUREAUX et de Louis DENIS,
deux anciens déportés résistants, l'exemple de
l'abbé MILLOT, curé
d'Hirson dans l'Aisne, appréhendé par la gestapo pour
fait de résistance et qui a Dachau a été volontaire
pour entrer dans le block des typhiques et accompagner les malades jusqu'à
leur dernier souffle : « Vous
savez Lucien combien ils ont besoin d'un prêtre et d'un infirmier.
J'ai tout pesé avant de prendre ma décision : j'offre
ma vie pour ma paroisse et pour mes chers JOC ».
Trois semaines après, le chanoine HESS reçoit un billet qui provient du bock des typhiques et il reconnaît
l'écriture de son confrère : « J'ai
39° de fièvre. Venez demain matin derrière les barbelés,
je dois vous voir ». Le lendemain les deux abbés
sont au rendez-vous. Le père MILLOT a plus de 40 de fièvre. Il ôte son béret : « Tenez,
voici les saintes huiles, donnez-moi l'extrême onction ».
Le prêtre rémois lui rend la précieuse boîte.
Un mot commun : « Adieu ».
Aide
et assistance multiples
L'abbé
Charles LALLÉ
Une
autre forme de déportation résulte d'une volonté
affirmée de venir en aide à autrui.
En 1943, l'abbé
Charles LALLÉ est curé de Cernon-sur-Coole.
En accord avec Gilbert MILLARD, le
mari de l'institutrice ; il héberge un sergent-chef qui s'est
évadé en gare de Châlons-sur-Marne dans
la nuit du 3 au 4 février. L'homme est malheureusement
repris quelques jours plus tard au cours d'un contrôle en gare
de Chaumont en Haute-Marne. Il confie aux gendarmes français
qu'il a été accueilli au presbytère de Cernon-sur-Coole,
un petit village marnais.
La gestapo du cours d'Ormesson est immédiatement
informée et le 11 février,
le curé et sa gouvernante Mlle LELARGE sont arrêtés ainsi que Gilbert
MILLARD.
Ils sont jugés par le tribunal allemand pendant
le Semaine sainte, en présence du vicaire général
du diocèse de Châlons-sur-Marne, le père
PIERRARD qui est autorisé à suivre l'audience.
L'abbé LALLÉ est condamné
à quatre années d'emprisonnement, Gilbert
MILLARD à huit ans et la gouvernante à quatre
mois.
Les condamnés à plus de neuf mois de
prison doivent être transférés en camp de concentration.
L'abbé LALLÉ rejoint
d'abord Sarrebrück, puis Eich près de Darmstadt. Au terme d'une année d'enfermement,
une remise de peine pouvait être demandée. Mgr
TISSIER, l'évêque fait la démarche conscient
des arguments qui peuvent porter :
« Le
prisonnier évadé, s'est présenté au presbytère
de Cernon, en pleine nuit, alors qu'il pleuvait abondamment , avec
des vêtements trempés. L'abbé Lallé a obéi
à un sentiment instinctif d'humanité, en faisant entrer
chez lui, en plein hiver, un homme en pitoyable état.
Il faut ajouter que l'abbé Lallé a
été lui-même prisonnier de guerre, jusqu'en 1941.
En tant qu'ancien prisonnier, il a eu un mouvement de pitié
pour cet homme.
Devant le tribunal, un officier allemand a témoigné
qu'à Dormans, où il était précédemment
vicaire, l'abbé Lallé a mis toute son influence en jeu
pour préserver la jeunesse du terrorisme et du communisme ».
À
ce courrier s'ajoute une note transmise par la Délégation
du gouvernement français dans les territoires occupés
sollicité par le vicaire général du diocèse.
Une mesure de clémence y est également sollicitée.
En septembre 1944, l'abbé
est converti en travailleur libre
et sera de retour en mai 1945.
L'abbé
Robert PANNET
Plusieurs actes de résistance assumés par
des clercs marnais sont en phase avec les recommandations
faites à ceux qui voulaient s'évader des trains en partance
pour les camps de concentration et à l'assistance qu'ils pouvaient
trouver auprès des prêtres diocésains et des communautés
religieuses. Un conseil qui est aussi donné aux aviateurs qui
tomberaient en territoire occupé.
Plusieurs exemples sont indissociables de la plus
grande évasion réalisée depuis un convoi en partance
pour l'Allemagne et qui se produit entre Châlons-sur-Marne et
Vitry-le-François dans la nuit du 4 au
5 juin 1944.
Des témoignages précis
attestent du courage de jeunes curés de campagne.
C'est ainsi qu'après avoir sauté d'un
wagon près de Pringy, les
lieutenants Pierre LAFFORGUE et Yves
NOËL, l'adjudant-chef Marcel
MARCHAL frappent le 5 juin 1944 vers
6 heures à la porte du presbytère du village. Ils sont
accueillis par l'abbé Robert PANNET
:
« Sur le coup de 6 heures, quatre
hommes trempés comme des soupes ont frappé. Ma gouvernante
a ouvert et les a fait entrer avant d'allumer un bon feu pour les
réchauffer et sécher leurs vêtements.
Nous leur avons donné un peu à manger
parce qu'ils avaient très faim puis j'ai pris quelques mesures
de précaution. Leurs plaques qui portaient les numéros
de leur matricule du camp de Royallieu ont été enterrées
dans la cour, puis je leur ai donné des cartes et indiqué
un lieu sûr pour leur prochaine étape ».
L'abbé PANNET leur propose
d'éviter la route et de rejoindre le village de Lenharrée où réside son confrère l'abbé
André DUCHESNE. Non seulement le lieu est plus éloigné
de leur point d'évasion désormais ratissé par les
Allemands, mais l'abbé dispose de bonnes adresses utiles pour
les évadés. La distance à couvrir est d'une quarantaine
de kilomètres. Ils atteignent leur deuxième presbytère le 6 juin 1944 à l'aube : « Les trois hommes semblaient exténués aussi
ma gouvernante a fait le nécessaire pour leur redonner des forces.
Je leur ai appris que les alliés venaient de débarquer
sur les plages de Normandie ». Leur joie était
immense et cette nouvelle leur a donné un vrai coup de fouet.
L'abbé DUCHESNE qui aide la
résistance depuis 1942, prend
les trois hommes en photos et leur prépare de faux papiers d'identité
ainsi que de faux certificats de travail. Il fait aussi le nécessaire
pour leur trouver de nouveaux vêtements, des billets de chemin
de fer. Une tâche pour le prêtre qui est facilitée
par ses fonctions de secrétaire de mairie !
Les trois évadés repartent de Lenharrée le 10 juin 1944. Ils ont décidé
de rejoindre Lyon via Paris. Quelques jours plus tard, l'abbé
reçoit par courrier une carte avec cette seule mention : « Les
colis sont bien parvenus ». C'était la
phrase convenue entre eux si leur voyage avait réussi.
Après le départ des trois évadés
valides, l'abbé Robert PANNET s'occupe du quatrième qui souffre d'une vilaine blessure à
une cheville et doit impérativement consulter un médecin.
Il demande à l'une de ses paroissienne et voisine d'emmener l'individu
à l'hôpital de Vitry-le-François : « Mme
Valentin qui était accompagnée de son jeune garçon
Gérard s'est acquittée de la mission en cachant notre
évadé sous un tas de paille à l'arrière
de sa camionnette Renault. Elle a été contrôlée
par la Feldgendarmerie mais le véhicule n'a pas été
fouillé ». L'homme est soigné et
caché par le personnel hospitalier. Grâce aux complicités
du directeur de l'établissement M. COMTE
et le concours de deux religieuses, mère
Geneviève et sur Marguerite de la congrégation de Saint Vincent de Paul, l'homme échappe
à tous les contrôles.
L'abbé
Jean WEBER
Un
autre groupe d'évadés formé par
Jean MARTIN, l'abbé Georges
LE MEUR et l'avocat Jean-Baptiste
BIAGGI s'échappe aussi du célèbre convoi.
En suivant la voie de chemin de fer, les trois fugitifs retrouvent quelques
centaines de mètres plus loin deux autres de leurs camarades
d'infortune, Raoul DUFOUR et Pfeiffer
d'OSMONT. Les cinq se présentent d'abord vers 3 heures
30, à la porte d'une ferme qu'ils estiment à quelques
kilomètres de leur saut. Un peu plus loin, ils rencontrent un
élu local qui refuse de les aider. Enfin, ils s'approchent de
la petite église de Fontaine-sur-Coole en début de matinée
où est célébrée la messe du lendemain des
professions de foi. Ils sont alors accueillis par l'abbé
Jean WEBER, le jeune curé de Coole
: « J'ai traversé Fontaine-sur-Coole
et je suis entré dans l'église. J'ai attendu que le curé
achève la messe et je me suis adressé à lui sans
lui dissimuler qui nous étions et ce que nous avions fait. Il
n'a pas hésité un instant pour nous porter assistance
» a reconnu Jean-Baptiste
BIAGGI.
Le prêtre leur conseille de se cacher quelques
heures dans le vieux moulin et leur promet de venir les chercher le
soir pour les conduire dans son presbytère. La promesse est tenue
et vers 22 heures, il les prend en charge.
L'abbé leur a préparé une soupe au lait et a remis
en état deux chambres pour qu'ils puissent se reposer. Comme Jean MARTIN souffre d'une blessure
à la tête, souvenir douloureux de sa chute du wagon, il
est pansé. Jean WEBER est
heureux d'annoncer le lendemain matin à ses pensionnaires, le
débarquement allié. Peu de temps après, il sont
reçus chez le maire du village Jean LÉONZI qui est un ancien sous-officier de cavalerie.
Il leur procure des cartes d'identité vierges et plusieurs cachets
indispensables. Les cinq évadés sont ensuite transférés
à Châlons-sur-Marne par le docteur
PLOUVIER, le médecin de Sompuis qui leur déclare
: « Aujourd'hui, les Allemands ont
autre chose à faire qu'à surveiller les routes. Le débarquement
les a mis en état d'alerte dans leurs cantonnements ».
Trois se rendent alors au domicile du père René-Joseph PIÉRARD, vicaire général
du diocèse et capitaine de réserve au 306e RI. Il s'agit
de l'abbé Georges LE MEUR,
de Raoul DUFOUR et de
Pfeiffer d'OSMONT. Deux autres son
reçus par le préfet régional Louis
PERETTI DELLA ROCCA, Jean-Baptiste
BIAGGI, corse comme lui et Jean Martin.
PERETTI n'est pas un inconnu pour
BIAGGI : sa femme est une amie d'enfance
de la mère de Jean-Baptiste et son gendre un camarade de faculté.
Le préfet leur fournit de faux documents authentiques. Chose
étonnante mais vrai, c'est le fils du
préfet, un milicien qui conduit les deux amis de son père
en gare de Châlons. Les cinq évadés secourus
par l'abbé WEBER regagnent
la capitale sans incident ( 24 ).
Le 22 septembre 1990,
à Coole en présence
du père WEBER qui en était
toujours le curé, une manifestation du souvenir a eu lieu à
l'occasion de la célébration du 50e
anniversaire du réseau Orion. L'Association
française des déportés et évadés
des trains de déportation y a participé avec
son président le général
d'ARCANGUES et un monument situé devant l'église a été inauguré
en présence d'Edwige AVICE,
ministre déléguée auprès du ministre de
la Défense, de Jean-Baptiste BIAGGI,
Alain GRIOTTERAY ainsi qu'une rue
des Évadés.
L'abbé
Pierre LAMARLE
Cette
aide d'abord ponctuelle se traduit aussi par un engagement total.
Dans le secteur C de l'arrondissement d'Épernay
où le capitaine Pierre SERVAGNAT dispose de trois groupes principaux autour de Montmirail, Esternay et
Sézanne avec à sa tête Pierre
CROMBEZ de MONTMORT, les groupes 16 et 17 qui ont pour chef
Raymond MOUTARDIER et un délégué
du Front national de lutte pour l'indépendance de la France à
Anglure, comptent parmi leurs chefs de centaine, l'abbé
Pierre LAMARLE.
Le prêtre, un authentique
patriote mais très prudent devant les propositions
qui pouvaient lui être faites a été contacté
au départ par le Sézannais Georges
NICOLLE. Sa méfiance se justifie par quelques incidents
dont les conséquences auraient pu être facheuses. Un des
prisonniers évadés qu'il a démobilisé a
été repris. En outre, plusieurs réfractaires qui
ont bénéficié de ses services sont trop bavards.
Il se sait surveillé mais il ne renonce pas même lorsqu'il
apprend que son nom figure sur une liste de la gestapo. S'il n'est pas
appréhendé c'est parce qu'un policier le classe par erreur
parmi les collaborateurs !
L'abbé LAMARLE constitue un groupe composé notamment du capitaine KOCH,
de REMY, SALIN
qui sont en lien avec PIENNE, GOBILLARD,
VUILLEMOT, MANCIAUX.
C'est ainsi que le noyau de la centaine de Sézanne est constitué. Raymond MOUTARDIER insiste aussi
sur l'implication du curé de Pleurs et de l'instituteur dans l'organisation armée de la Résistance
locale. L'abbé LAMARLE est
directement impliqué dans la constitution du comité FFI
de la libération pour Sézanne : « L'union
simple et lumineuse, bâtie sur la bonne volonté d'hommes
venus de tous les horizons politiques présageait un avenir très
fécond » ( 25 ).
L'assistance
est parfois plus discrète mais le courage en chaire, peut avoir
de lourdes conséquences.
Lorsque le 18 février
1944, Pierre SERVAGNAT apprend que quinze patriotes vont être fusillés le lendemain
sur le terrain de " La Folie " entre Châlons-sur-Marne
et L'Épine, la colère est à son comble. L'abbé
Jean FAGUIER, un Argonnais natif de Minaucourt alors curé
de Recy et Saint-Martin-sur-le-Pré qui coopère à
la Résistance et est très au courant des activités
de trois de ses paroissiens, Robert BAUDRY,
Louis VANSEVEREN et Émile
ROCHET, est lui-même blessé par ce drame. Il
est conscient qu'il y a eu des dénonciations et que si chez ROCHET on a découvert des explosifs et trois soldats hollandais évadés,
ce n'est pas un pur hasard.
Lors de la messe paroissiale qu'il célèbre le dimanche suivant, il proclame pendant
l'homélie « que trois de ses
paroissiens sont morts pour la France » et il leur rend un hommage appuyé. Il manque alors d'être
interpellé à son presbytère qui est connu pour
être un relais sûr. S'y présentent des évadés
et parfois des aviateurs que l'abbé confie à d'autres
:
« Je
les recueillais, les ravitaillais et les dirigeais pendant la nuit
à travers les pâtures vers Matougues d'où ils
pouvaient filer sur Paris en suivant la ligne de chemin de fer. Quelquefois,
je les confiais à des paroissiens un peu particuliers ! » ( 26 ).
L'abbé
Marcel DELATTRE
Le
rôle des prêtres dans l'accompagnement
spirituel des combattants au moment de la Libération
est aussi significatif d'une présence dans le combat.
Le 18 août 1944,
le commandant militaire de Reims, Pierre BOUCHEZ,
nomme aumônier FFI l'abbé
Marcel DELATTRE, curé de Bézannes,
qui a déjà exercé des fonctions équivalentes
dans un secteur fortifié pendant les combats de 1940. Il est
aussi un médiateur puisque plusieurs réunions clandestines
groupant le commandant FFI de l'arrondissement Serge
PIGNY, Michel SICRE, président
du Comité départemental de la libération se tiennent
dans son presbytère ( 27 ).
Le plan " Prominenten "
Après
le débarquement du 6 juin 1944 et en application du
plan " Prominenten ",
des personnalités marnaises ont été
arrêtées. Parmi celles qui le sont à
Châlons-sur-Marne, on note l'abbé
Jean-Marie GRASER, aumônier au collège et vicaire
à Notre-Dame. Il est transféré
le 20 juin à Compiègne
puis conduit dans une annexe du camp de Neuengamme composée de trois baraques. S'il va souffrir avec ses camarades
de la faim et de la même promiscuité,
il n'est pas soumis au régime infernal de
travail quotidien des autres déportés.
Le fait que le nom de l'abbé
GRASER ait été porté sur cette liste
n'est pas une surprise. Depuis fin 1942,
il est surveillé en raison de sa prise
de position lors de l'affaire du collège. En effet
lorsque la gestapo appréhende quatorze élèves et
plusieurs professeurs, l'abbé proteste. Que s'est-il passé
? Un élève, Jacques de WAEGENER,
fils du directeur de la brasserie La Comète est piégé par un de ses camarades aux sympathies allemandes
avérées. Il lui fixe rendez-vous le lundi 7 décembre 1942 devant la gare pour lui remettre
une arme de poing qui aurait été dérobée
à un soldat de la Wehrmacht. Au moment où à
lieu l'échange surgissent deux agents de la gestapo encadrés
par WEISENSEE. Le lycéen est
arrêté sur le champ mais son camarade laissé libre.
Dans les jours suivants plusieurs enseignants, MM.
CHEMINAUD, CATEL, PARGNY, DRUMONT, VAUTRIN, mais aussi des
élèves comme Alain VERCIER,
fils du directeur de l'École nationale supérieure des
arts et métiers, Jack RALITE,
fils du garagiste de la rue Lochet, Philippe
BOUCHER, Robert GALLAS,
MAZAGRIL,
JUNGO sont à leur tour interpellés.
L'abbé GRASER soutenu par son curé, le chanoine HUBERT,
ancien combattant et prisonnier de guerre de 1914-1918, ose manifester sa désapprobation. Le
samedi 12 décembre 1942, il prépare son homélie
pour le lendemain à l'occasion de la messe du mois qui se tient
dans la chapelle du collège. Il y fait de claires allusions aux événements qui viennent
de se produire et y ajoute cette phrase terrible de sens : « S'il
fallait vivre dans un monde de délation, il vaudrait mieux mourir ».
Ce sermon suscite des murmures. Dès le dimanche soir, le surveillant
général frappe à la porte de l'abbé et exige
le texte de l'homélie que le proviseur
LETONTURIER tient à lire dans les plus brefs délais.
Le lendemain, le chef d'établissement indique à l'aumônier
qu'il a brûlé son texte. Le lundi soir, WEISENSEE
vient chercher le père GRASER
pour qu'il « l'accompagne à
la prison de Châlons-sur-Marne ». Les interrogatoires
commencent.
Le 23 décembre,
le maire Joseph BRUYYÈRE se
rend à la gestapo pour demander la libération des lycéens
afin qu'ils passent Noël en famille. WEISENSEE
promet un geste sauf pour de WAEGENER,
RALITE et VERCIER.
Les accusations portées contre le corps enseignant du lycée
sont graves.
Le 9 janvier 1943,
le maire fait une nouvelle tentative auprès de la gestapo en
particulier pour le père GRASER
et le jeune WAEGENER. WEISENSEE refuse
de recevoir le premier magistrat et indique simplement que l'enquête
n'est pas terminée.
Le 13 janvier,
les Allemands statuent sur le sort de l'abbé
GRASER. Il est libéré tout comme WAEGENER,
mais il est interdit d'aumônerie. Les réclamations des
parents et des élèves demeurent sans suite. En revanche,
il est autorisé à poursuivre son ministère à
Notre-Dame.
Lors des obsèques de l'abbé
GRASER, le père
Jean RAVAUX a expliqué son
sens de l'engagement :
« Jean-Marie, après avoir
été quelques années chez les Frères à
Momigny en Belgique est venu nous rejoindre au petit séminaire
en quatrième en 1927. Il y a dès lors un mot très
important qui va guider toute sa vie, c'est le verbe aimer, mot que
le Christ Jésus nous a laissé comme testament. C'est
pour servir Jésus et pour aider chacun et chacune, trouver
les convictions qui leur seraient un guide qu'il s'est tant dépensé.
C'est parce qu'il croyait en la dignité de l'homme qu'il refusait
la guerre, la dictature, la torture, l'avilissement de l'homme par
l'homme. D'où son combat contre le nazisme qui lui a valu deux
emprisonnements et la déportation. Dans ses notes, on trouve
cette réflexion admirable : je n'ai pas de haine contre eux,
et je prie pour eux. C'est peut-être cela, aimer jusqu'au bout ».
Bruno
BOURG-BROC, député-maire de Châlons-en-Champagne
a déclaré :
« Toute sa vie, cet homme de conviction,
de fidélité, de pensée, d'action, aura mené
un combat mû par la foi qui l'animait : la lutte contre la sottise,
il employait souvent un autre mot et l'intolérance, elles vont
souvent de pair, la lutte contre les exclusions de toute nature, la
lutte pour l'équité et le respect ; le respect des autres,
le respect de la dignité de l'homme, le respect de la parole
donnée » ( 28 ).
La JOC dans le collimateur
Le
rôle joué par les Jeunesses ouvrières
chrétiennes ( JOC ) est jugé préjudiciable par le commandant de la gestapo
de Champagne. Est-ce la seule raison qui justifie l'emprisonnement
de l'abbé GUÉRIN,
aumônier de la JOC à Châlons-sur-Marne, le 3 août 1943 ? Toujours est-il que le seul argument
avancé pour justifier cette interpellation est : « continuation
de l'activité d'action catholique ».
Le cardinal Emmanuel SUHARD,
archevêque de Paris intervient alors pour demander à la
JOC de poursuivre sa mission.
La réaction dans le diocèse tient en
cette déclaration :
« Il
ne peut y avoir, pour personne l'ombre d'une pensée de recul.
Ces épreuves nouvelles vont tremper davantage
nos volontés et permettront par la divine grâce du Christ,
d'intensifier, plus que jamais, la pénétration de notre
mouvement.
C'est uniquement sur le terrain de l'apostolat que
nous avons travaillé, pour la volonté de l'Eglise, pour
le Christ et pour le salut de nos frères, c'est sur ce terrain
que nous continuerons notre tâche sans faillir ».
À côté des mouvements, il y a
aussi des chrétiens qui s'affirment en
phase avec leur foi pour expliquer leur engagement dans la Résistance.
Une foi assumée et encouragée
René
Menu
Le
Rémois René MENU en
est un bel exemple. Déporté à Neuengamme
puis au commando de Fallersleben,
il a aussi agi pour que les bourreaux nazis
rendent des comptes devant la justice. Son témoignage
contre Anton Peter CALLESEN dit « Peau
de vache » au procureur du roi du Danemark illustre
cet engagement qu'il avait pris devant ses camarades de souffrance.
Fallersleben est
au printemps 1944 constitué
de quatre blocs de huit chambres où sont disposées douze
rangées de deux paillasses superposées. Le camp est neuf
mais le régime qui est infligé aux déportés
est contraire à toutes les règles élémentaires
du droit. Le règlement est rigide. Les déportés
se lèvent le matin à 5 heures et sont soumis à
un appel collectif à 5 heures 30. Le travail débute à
5 heures 45 et ne s'interrompt qu'à midi. Après le repas,
un nouvel appel a lieu puis le travail reprend de 13 heures jusqu'à
18 heures 30. Les détenus doivent être couchés à
21 heures. L'hiver comme les jours sont plus courts, la durée
de la journée de travail est réduite puisque le lever
est fixé à 6 heures, l'appel à 6 heures 30, mais
la pause de midi ne dure que trois quarts d'heures et la journée
prend fin entre 17 heures et 17 h 30.
« Peau de vache » impose des règles de comportement qui ne souffrent aucune dérogation.
Dès qu'il est au travail, tout déporté ne doit
pas s'arrêter un instant ni s'aider de quelque objet susceptible
de ralentir sa cadence de production. René
MENU insiste sur le manque de vêtements pour se protéger
du froid pendant l'hiver 1944-1945 où la neige est abondante et les températures souvent
voisines de -15°.
CALLESEN demande
souvent aux déportés de travailler torse nu pour mieux
leur donner des coups de triques. Il interdit notamment qu'ils se protègent
du froid avec des emballages de sacs de ciment.
« Un jour il s'est acharné
sur un détenu suisse qui avait osé enfiler deux vestes.
Ses kapos procédaient à des prélèvements
sur la maigre nourriture qui nous était réservée.
Nous nous organisions pour dérober la nourriture
de son chien, un molosse dressé pour nous mordre jusqu'au sang ».
René
MENU décrit aussi l'infirmerie qui ne dispose que
de vingt-quatre lits. Lorsque la surpopulation de malades atteint en décembre 1944 un niveau alarmant, beaucoup sont
transférés au camp central et liquidés.
" Peau de vache " multiplie les inspections médicales et son verdict est toujours
sévère. Il n'autorise l'infirmerie qu'aux moribonds dont
le corps est couvert d'dèmes. Les brimades ne cessent pas
d'augmenter.
En juin 1944, lorsque
CALLESEN dirige les travaux d'adduction
d'eau du camp et fait creuser une tranchée de cinq kilomètres,
il exige que les captifs ne laissent jamais dépasser leur tête
du sommet de la tranchée. Sans quoi, les malheureux sont frappés
à coups de crosses jusqu'à ce que mort s'en suive.
" Peau de vache " n'hésite pas à faire passer une nuit debout et dans le
froid les déportés, surtout une fois lorsqu'il s'aperçoit
que trois de ses kapos se sont enfuis.
Lors
de l'évacuation du kommando en avril
1945, les déportés sont transférés
au camp de Wobbelin près de
Ludwigslust. La nourriture est encore réduite, les appels de
deux heures sont multipliés. Les survivants sont tellement épuisés
qu'ils ne parviennent plus à enterrer leurs camarades décédés.
Le 2 mai 1945,
les SS quittent leur uniforme. CALLESEN s'éclipse mais ce Danois impitoyable est appréhendé
après la libération par le procureur du roi de Loenderborg. René MENU répond alors
à un long questionnaire du magistrat. " Peau
de vache " est inculpé d'activité antinationale
au service de la Waffen SS.
Les descriptions précises adressées par René MENU au
procureur et les autres témoins qui ont confortés ses
dires ont permis la traduction de ce sous-officier SS devant les juges
de son pays.
« Je n'ai pas agi par vengeance,
mais par conviction qu'il fallait que ces crimes odieux soient punis
par la justice d'un État démocratique, et que l'accusé
soit à même de se défendre même si cela
pouvait apparaître paradoxal au regard de ce qui pesait sur
sa conscience et du sang qu'il avait sur les mains.
Je me suis refusé à exagérer
le trait et n'ait pas voulu succomber à l'arrogance du vainqueur.
J'ai simplement dit et décrit ce que j'avais
vécu pour qu'on se fasse une idée précise de
la cruauté du système concentrationnaire nazi et de
cette culture de mort.
Tout au long de ma déportation, comme pendant
ce temps où j'ai expliqué au procureur du roi l'enfer,
la prière a toujours été d'un précieux
conseil » (
29 ).
À Falersleben où se trouve aussi le syndicaliste rémois
Charles GUGGIARI, responsable
du mouvement Libération-Nord dans la Marne, même les laïcs n'abandonnent
pas les chrétiens engagés comme eux dans la Résistance.
Il décrit l'aide apporté à un jeune prêtre
jurassien, arrêté parce qu'il avait fourni notamment une
soutane à un aviateur américain :
« Les onze mois que nous avons
vécu ensemble nous permirent de connaître la grandeur
et la haute moralité de ce prêtre, toujours prêt
à secourir ses semblables.
Sachant le réconfort que la religion apportait
aux croyants et voulant faire plaisir à Germain, je lui avais
promis de risquer le tout pour le tout pour lui donner satisfaction.
C'est ainsi que grâce à un prisonnier
de guerre de Touraine, André Bédouin, j'ai apporté
une centaine d'hosties consacrées au camp.
Jamais je n'oublierai l'émotion de ce prêtre
lorsque je lui ai remis le précieux paquet ».
Charles GUGGIARI qui n'est pas croyant, ne se cache pas de dire au prêtre ce qu'il
pense de la religion chrétienne : « J'estimais
que l'amour du Christ était bien peu de chose comparé
à la souffrance que nous endurions », mais il
lui porte assistance ( 30 ).
Fernand Alleau
Le
Châlonnais Fernand ALLEAU n'a
jamais dissimulé que son engagement a
été en phase avec sa foi. Ce sportif qui entre
à la section des pupilles de la société de gymnastique L'Espérance et devient en
1937 le moniteur de l'ensemble des sections du patronage,
ainsi que membre de la commission de gymnastique de la Fédération
sportive de France est élu président de la section marnaise.
L'armistice de juin 1940
contrarie les sentiments patriotiques de cet aviateur du bataillon de
l'air 112. Le 1er mars 1942, il entre
dans la résistance active comme membre du réseau CDP 3
du Bureau des opérations aériennes
( BOA ). Dès lors, il travaille en étroite
liaison avec le groupe Tritant qui
reçoit des parachutages et multiplie à
l'été 1943 les sabotages à Châlons-sur-Marne
et dans l'arrondissement.
Il est appréhendé une première fois avec son épouse par la gestapo
le 9 septembre 1943 et interné
à la prison de Châlons jusqu'au
30 novembre. Les agents ennemis ne parviennent pas à
le confondre. On lui reproche alors d'avoir été complice
de GALLAS un entrepreneur de vidanges
et d'avoir avec HORGUELIN, MICHAUD
et Raymond PRIEUR transporté
des armes. Avant de le remettre en liberté, BISCHOF,
l'une des brutes de la gestapo lui précise toutefois : « M.
Alleau, on se reverra ».
Fernand ALLEAU reprend avec la même détermination le combat, mais le
3 mars 1944, il est de nouveau arrêté alors qu'il est hospitalisé à la clinique Ménager
où il vient de subir une lourde intervention chirurgicale. Il
est immédiatement transféré
à la section allemande de l'hôpital de Reims.
Le groupe châlonnais de CDLL a envisagé d'enlever
Fernand ALLEAU à la clinique.
L'abbé GILLET relate cet épisode :
« Le docteur mis au courant et
conscient du danger qu'il courait, accepta courageusement notre décision.
Mais en venant aux derniers renseignements, la veille au soir de l'équipée
prévue, on dut constater que la gestapo avait placé
devant la porte deux sentinelles particulièrement musclées.
Nous n'étions pas taillés pour les affronter » ( 31 ).
Dirigé sur Compiègne, Fernand
ALLEAU est déporté
à Dachau et envoyé
au kommando d'Allach. Il est libéré
par les alliés et rapatrié le
18 mai 1945.
Pierre
BAYIOT
Pierre
BAYIOT, cet autre Châlonnais natif d'Attigny dans les
Ardennes est un membre très actif du Cercle
catholique de la rue Pasteur. Il s'occupe aussi des activités
sportives et intervient dans deux disciplines : la gymnastique et le
basket. Il concourt aussi à la dynamique de la section théâtre.
Il tient avec son épouse Madeleine,
le café de l'Hémicycle 91, rue de la Marne.
À la déclaration de guerre, Pierre
BAYIOT est sous-lieutenant de réserve à la
13e compagnie du 106e RI et participe à la campagne de Belgique. Le 1er juin 1940, il est blessé
à Dunkerque à la tête de sa section. Il rejoint
la Grande-Bretagne pour y être soigné, puis décide
de rentrer au pays pour poursuivre le combat de l'intérieur.
Il passe pour cela par l'Espagne et est démobilisé le
13 octobre 1940 à Marseille. Patriote dans l'âme,
il s'engage dans les Force françaises
combattantes et participe au réseau action de Ceux
de la Libération-Vengeance comme chargé de
mission de 2e classe ( grade d'assimilation lieutenant ). Il prépare
la réception de parachutages sur plusieurs terrains homologués
autour de Châlons-sur-Marne.
Dans le groupe du Bureau des
opérations aériennes ( BOA ) de la
Marne, il est assigné au terrain de parachutage de Marson baptisé " La Bruyère ",
dont le message BBC est : « Le diable
est sorti de sa boîte » et à celui
de Thibie, qui doit être activé
après la diffusion de cette phrase : « Le
froment fait le pain blanc ».
Gilbert BAYIOT
est malheureusement dénoncé à
la gestapo qui perquisitionne son établissement et
son domicile le 8 septembre 1943 à l'heure du dîner. Il est immédiatement emmené
cours d'Ormesson puis enfermé à la prison
de Châlons jusqu'à son transfert à Compiègne.
Le 24 janvier 1944,
il fait partie d'un convoi de 1 996 déportés pour
Buchenwald. Il y reçoit le matricule 42 427 et subit comme ses
camarades d'infortune toutes les brimades possibles.
Fin avril 1944,
il est transféré dans le commando le plus dur du camp
de Dora celui d'Ellrich.
Employé à creuser un tunnel sous la montagne pour entreposer
les nouvelles armes nazies, il vit jour et nuit sous terre, dans la
boue et la poussière, avec le bruit incessant des perceuses pneumatiques.
Les mauvais traitements, le manque de nourriture et le travail forcé
ont raison de sa constitution robuste. Amaigri et atteint de dysenterie,
il succombe au revier d'Ellrich
le 7 janvier 1945 dans sa 36e année
laissant une veuve et cinq enfants.
Jacques
SONGY
Jacques
SONGY, ancien scout, ancien du groupe
Melpomène, déporté résistant
qui a passé neuf mois à Dachau et les a relatés dans un fascicule Fortes
impressions de Dachau illustré
par son camarade du collège André
BINOIS, a également publié son
Journal de bord, c'est-à-dire ce qu'il a pu noter
lorsqu'il était au camp.
Il montre à plusieurs reprises combien
sa foi a pu lui être précieuse ou
celle de ses voisins de galère. À l'exemple
de cette remarque faite par un chrétien authentique Edmond
MICHELET, dont le rôle a été déterminant
pour l'aider à affronter le typhus et à s'en sortir. Regardant
le jeune homme titubant sur ses jambes qu'il n'ose plus regarder pour
rejoindre sa paillasse, il lui glisse avec une pointe d'humour : « Écoutez
mon petit Songy, je voudrais vous dire quelque chose : Quand vous allez
aux cabinets, vous devriez mettre votre pantalon, c'est plus digne ! ».
Mais dans les quelques phrases qu'il a notées, Jacques
SONGY évoque à plusieurs reprises la
présence d'un prêtre.
Le dimanche 24 octobre 1944,
il évoque la présence de l'abbé
HAULET qui est parvenu à pénétrer dans
le block :
« Il est étonné de
notre dénuement. Je dois le revoir aujourd'hui. Allons du cran.
Je parle souvent avec les Hollandais. Après avoir épuisé
les spécialités culinaires, notre champ de conversation
s'étend au domaine de la littérature. J'espère
».
Le
11 novembre 1944, après avoir discuté avec
le général DELESTRAINT dont il est impressionné par le courage et l'idéal, il
écrit :
« Je note cette phrase de Tout
l'Evangile dans toute la Vie " contre la
tendance de l'élève modèle qui remporte tous
les prix de sagesse, une sentence de Foch " : " La
victoire n'appartient qu'à un commandement avide d'aventuresaudacieuses
et de responsabilités "...
Je prie quand le courage me manque, et même
s'il ne me manque pas ».
Le 25 décembre, il se souvient de la nuit de la Nativité vécue
en famille : « Le soir arrivait.
La brume descendait. On rentrait de la ville. On revenait de la messe
dite à 5 heures du soir, et le repas commençait tard,
joyeux, traditionnel et il se prolongeait dans la nuit ».
Revenant brusquement à son vécu de l'événement
à Dachau il mentionne :
« Les Polonais ont chanté
autour de l'arbre. J'ai chanté presque par force deux ou trois
cantiques. Je pense à Noël de là-bas. Mon père,
mes frères et toi chère maman qui nous protège.
Verrai-je la fin de ce cauchemar. Noël en Allemagne.
Enfant Jésus donne nous du courage. Allons du
courage
Pour beaucoup c'est encore un Noël dur
Mais
pensons à la France Libre qui respire et renaît de cette
nuit superbe ».
La foi donne aussi ce courage
pour défier et se moquer de la mort.
Le 1er
avril 1945, alors que dans une chambre transformée
en infirmerie, il meurt trois à quatre déportés
par jour, ceux qui survivent décident de faire une
farce morbide à leurs géôliers. Un Français
fait le mort et il est transporté vers la morgue. Brusquement,
il se redresse et exprime sa volonté de retourner dans son block.
Les infirmiers lâchent le brancard de stupeur et les SS sont si
ébahis qu'ils ne demandent aucune explication.
Pour Jacques SONGY et ses amis, c'est une petite victoire de la providence en attendant
ces Américains qui vont bientôt surgir et leur ouvrir les
portes de la Liberté :
« Dimanche
29 avril 1945, à 17 h 30, les soldats de la 7e armée
américaine pénètrent dans le camp.
Depuis deux jours, fusillades et canonnades autour
de Dachau, laissaient prévoir leur entrée.
Je suis sur la place presque aussitôt. Enthousiasme
indescriptible dans la foule en délire. Les portraits de Hitler
et de tous les tortionnaires nazis volent en éclats.
Je parcours quelques temps la place serrant des
mains à droite, à gauche.
Je rentre au revier tout bouleversé, les
yeux brillants de larmes. On s'embrasse. On acclame le premier soldat
américain qui pénètre dans la chambre avec un
enthousiasme inouï ».
Le moment est intense. Tant de déportés
l'ont espéré mais ont été fauchés
par la mort avant.
Jacques SONGY témoigne
par l'authenticité de son témoignage consigné dès
son retour, l'intensité de ce moment que seuls ceux qui l'ont vécu apprécient à sa pleine
mesure.
Conclusion
L'Église
catholique a-t-elle indiqué aux fidèles où étaient
leurs devoirs ?
Dans Journal de la conscience
française, le père Gaston
FESSARD insiste sur le drame vécu
par une partie des catholiques, qu'ils soient clercs ou laïcs,
qui ont été obligés de choisir entre
le dictamen de leur conscience qui leur enjoignait de désobéir,
et les directives d'une hiérarchie qu'une longue tradition
les avait habitué à suivre sans discussions.
« Si
pour tout citoyen, s'engager dans la Résistance c'était
rompre l'ordre social, pour les catholiques la rupture était
double : avec la société civile et avec la communauté
ecclésiale » rappelle René RÉMOND.
Le père FESSARD
enfonce le clou et reproche aux évêques
d'avoir, en reconnaissant une légitimité au gouvernement
de Vichy, fait le jeu de la collaboration qu'ils n'ont pourtant
jamais approuvée : « Des
hommes d'Église eussent dû, par leur doctrine et leur expérience,
découvrir mieux que les autres les sophismes de l'ennemi ».
Il
considère que la plupart des évêques au lieu d'éclairer
les consciences les ont laissées dans l'ignorance.
« Les catholiques
de France ont dû chercher ailleurs et se reporter aux déclarations
des épiscopats étrangers. On ne manquera pas de relever
que ce reproche d'avoir manqué au devoir d'éclairer les
consciences de leurs fidèles et de la nation toute entière,
c'est précisément ce dont les évêques français
aujourd'hui en fonction, ont récemment demandé pardon
dans leur déclaration de Drancy » indique
encore René RÉMOND.
De fait les protestations
contre les déportations ont été tardives et ont
manqué de puissance même si
dans le même temps, bien des fidèles ont fait le choix
de la Résistance qu'ils jugeaient en conscience en phase avec
leur foi et la parole de Dieu.
Le père FESSARD estime que les évêques ont péché
par absence de sens politique :
« Ils s'en sont tenus à
l'enseignement reçu de la théologie traditionnelle sur
le pouvoir établi, sans s'interroger sur le degré de
liberté laissé par l'occupant au gouvernement de Vichy.
Ils lui sont demeurés obstinément
fidèles jusqu'au bout sans tenir compte de l'évolution
de la situation et de celle de l'opinion avec laquelle, ils se sont
trouvés en porte-à-faux ».
Dans sa progression de la compréhension des
comportements, le père FESSARD relève que l'adhésion au gouvernement
du maréchal s'est rétrécie au fur et à mesure
que sa liberté se réduisait comme une peau de chagrin,
et il semble discerner une porte
laissée ouverte pour rejoindre
la Résistance, ce qui n'est
jamais révélé dans les textes de l'épiscopat.
En revanche, il a raison lorsqu'il note qu'une
partie des fidèles a vu clair beaucoup plus tôt que ses
pasteurs ( 32 ).
Il est patent qu'une inattention
aux propos tenus avant la Seconde Guerre mondiale
n'a pas suscité assez tôt l'éveil des chrétiens.
HITLER avant même la déclaration
de guerre déclarait :
« Je vous jure que si je voulais,
je pourrais détruire l'Eglise en quelques années. Elle
est creuse, pourrie, fausse, de bout en bout. L'Eglise a été
quelque chose de vraiment grand. Nous sommes ses héritiers.
Nous sommes l'Eglise. Son heure à elle est terminée »
( 33 ).
On a vainement attendu des
réactions claires aux accusations en cascade portées en
1941 et dont l'authenticité est attestée par
les procès verbaux et les pièces à conviction répertoriées
du procès de Nuremberg. ;
Henrich Himmler : « Nous
n'aurons pas de repos avant d'avoir détruit le christianisme ».
Martin BORMANN
: « Le national socialisme et le
christianisme sont incompatibles ».
Reinhard HEYDRICH
: « Nous ne pouvons plus tolérer
les esprits obscurs, les bouffons, les sorciers du ciel »
( 34 ).
Laissons
ce mot de conclusion à notre
confrère Christian BERNADAC
disparu en janvier 2004 et qui dans
Les Sorciers du ciel écrit :
« La
déportation a profondément marqué les prêtres
qui l'ont vécue et à travers eux toute l'Eglise.
Là-bas, dans l'angoisse d'un chantier, d'une place
d'appel, d'un Block, beaucoup de curés, de vicaires, de séminaristes,
de chrétiens authentiques ont découvert des ouvriers,
des communistes, un monde qu'ils soupçonnaient, mais qu'ils
ignoraient.
Là-bas, beaucoup sont sortis d'eux-mêmes.
Là-bas peut-être, l'Église du Concile
est née.
Là-bas des hommes ont aimé à en mourir
d'autres hommes ».
Document
annexe
Lettre de Monseigneur l'évêque de Bayeux
Noël 1942
« À
la suite des événements actuels, nous avons l'immense
tristesse de vous informer que les fêtes de Noël n'auront
pas lieu cette année pour les raisons suivantes :
1. La Vierge et l'enfant Jésus
sont évacués
2. Joseph est dans un camp de concentration
3. Le buf et la vache sont
vendus au marché noir
4. Les moutons ont été
saisis et expédiés en Allemagne
5. Les Rois Mages sont passés
à la dissidence
6. L'étable a été
réquisitionnée
7. Les Bergers qui sont tous réfractaires
au service obligatoire en Allemagne se sont camouflés dans la
montagne
8. Les Anges ont été
descendus par la DCA et les étoiles sont restées accrochées
aux manches du chef de l'État.
Prions mes frères pour que
de Gaulle et Giraud remportent la Victoire et nous débarrassent
du mal.
Ainsi soit-il ! »
Document
publié dans la revue Bayeux et le
Bessin
en vente au Mémorial
de Caen
et communiqué par Yvette LUNDY,
ancienne déportée résistante.
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