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Prêtres, religieux et chrétiens marnais
résistants et déportés

Conférence donnée au CRDP de Champagne-Ardenne
le 30 novembre 2005 par Hervé CHABAUD
Chargé de cours, université de Reims Champagne-Ardenne
Rédacteur en chef adjoint de L'Union de Reims

dans le cadre des Mercredis de la Déportation organisés par la
Délégation marnaise des Amis de la
Fondation pour la mémoire de la déportation

L'engagement des chrétiens dans la Résistance
et l'attitude de la hiérarchie catholique dans la Marne

L'exemple du père Gillet

Le frère Birin : un courage de tous les instants

L'abbé Georges Carré

L'assassinat de l'abbé Jean Brion

La ténacité du père Georges Michaux

Le chanoine Hess

Aide et assistance multiples

Le Plan " Prominenten "

La JOC dans le collimateur

Une foi assumée et encouragée

Conclusion

Document annexe : Lettre de Monseigneur l'évêque de Bayeux. Noël 1942






L'engagement des chrétiens dans la Résistance
et l'attitude de la hiérarchie catholique dans la Marne

     Pour les chrétiens, l'entrée dans la Résistance au nom de leur foi est une initiative hardie, dans la mesure où ils s'affranchissent du discours frileux du magistère pour se rapprocher du christianisme des premiers temps, celui des catacombes et des persécutions systématiques.
   Trop de clichés réducteurs ont été véhiculés pour assimiler l'attitude des catholiques à celle des autorités religieuses et ne retenir du Vatican que des généralités éloignées des textes publiés avant et pendant la Seconde Guerre mondiale par les papes Pie XI et Pie XII.
   Comment expliquer cette implication des croyants dans l'action clandestine ?
   Elle résulte d'un refus de l'occupation nazie et de l'emprise hitlérienne sur les consciences. Elle est la conséquence du rejet d'un pouvoir emmuré dans le mensonge, renonçant à ses missions fondamentales et aux valeurs humanistes. Elle est une réaction réfléchie à la négation de l'homme et une défense consentie des valeurs annoncées dans l'Évangile.
   Le combat qui est mené s'inscrit autour d'enjeux sociétaux fondamentaux. Il s'établit dans la proximité du quotidien, mais il est aussi relayé par un travail en profondeur des intellectuels. À ce titre, la formidable aventure du Témoignage chrétien, fondé à l'initiative d'un groupe de jésuites, illustre avec saveur une insurrection fruit d'une réflexion approfondie, indissociable du Christ en croix et du sens de cette image pour l'homme libre 1 ).
   Cela peut sembler paradoxal, parce qu'au sommet des instances de l'Église de France, rien ne semble bouger après la signature à Rethondes de l'armistice, le 22 juin 1940. L'assemblée des cardinaux, des archevêques et des évêques pratique un loyalisme convenu envers le pouvoir du maréchal Pétain. S'il n'existe pas une inféodation juridique, la proximité politique est avérée par des déclarations publiques portées à la connaissance des chrétiens de base, à l'exemple de celle éditée en juillet 1941 : « Nous vénérons le chef de l'État autour duquel les Français doivent s'unir. Chacun doit se placer à ses côtés dans l'œuvre de redressement qu'il a entreprise sur les trois terrains de la famille, du travail et de la patrie ».

   Les positions des évêques sont variables selon les diocèses. Dans le département de la Marne, partagé entre le diocèse de Reims et celui de Châlons-sur-Marne, on est loin d'une homogénéité des propos.
   L'archevêque de Reims, Mgr Louis MARMOTTIN 2 ), avertit les fidèles :

« C'est un devoir de conscience, d'obéir au chef de la nation, de le servir, de le soutenir et un catholique commet un péché s'il prend le parti de rebelles, de ceux qui se révoltent contre le chef de l'État ».

    Une recommandation appréciée par le préfet René BOUSQUET, qui ne manque pas de la mentionner dans le rapport qu'il adresse au gouvernement en janvier 1942 :

« Mgr Marmottin, dont l'action ecclésiastique a toujours été importante dans la région, en réponse aux vœux qui lui ont été exprimés par les associations et œuvres catholiques de Reims, a précisé l'attitude que doivent adopter les catholiques à l'heure présente au point de vue religieux, social et civique.
    Sur le terrain civique en particulier, l'archevêque de Reims invoque, les plus hautes raisons doctrinales, affirme le caractère impérieux qui met la conscience en cause de l'obéissance au chef de l'État et à ses représentants légaux, comme investis du pouvoir légitime de Dieu »
.

   L'important, pour le préfet, repose sur la capacité de l'Église à cautionner les actes politiques de Vichy en les justifiant par l'Évangile. Les tensions enregistrées en 1940 semblent oubliées. On ne se souvient plus de la mise en garde du 20 juillet du commandant SCHUBERT au maire de Reims Paul MARCHANDEAU qui, ayant accepté la réouverture de la basilique Saint-Remi, rappelle : « En aucun cas, les prêtres ne devront tenir des propos ou même faire des allusions contre le Reich, son führer, l'armée allemande ou contre le national socialisme ». On ne parle plus du bras de fer entre l'autorité ecclésiastique et l'administration d'occupation lorsqu'en octobre 1940, les Allemands placent les coffres de l'archevêché sous scellés, ce qui en rend les documents inaccessibles pendant deux mois.

   À Châlons-sur-Marne, Mgr Joseph-Marie TISSIER 3 ), celui que Benoît XV avait baptisé « l'évêque orateur », ne s'abandonne à aucun compliment envers le gouvernement et l'occupant, et met en valeur dans La Semaine religieuse certaines figures de la résistance spirituelle pendant la Première Guerre mondiale comme le cardinal MERCIER, archevêque de Malines en Belgique. Vichy témoigne à plusieurs reprises à l'égard du prélat châlonnais d'une bienveillance patente, mais n'obtient aucune réponse de l'intéressé. L'évêque entretient des relations courtoises avec le préfet René BOUSQUET, puis avec son successeur Louis PERETTI DELLA ROCCA 4 ).
   Lors de la nomination de son vicaire général, Mgr PETIT, à l'évêché de Verdun, le maréchal PÉTAIN déclare : « l'assurance que vos prières comme votre fidèle dévouement m'accompagnent dans ma lourde tâche est pour moi le réconfort le plus précieux, et c'est avec une satisfaction toute spéciale que je sens l'Église de France me garder sa confiance ».
    Mgr TISSIER se montre accommodant à l'égard des prêtres et des séminaristes qui sont pleinement engagés dans la Résistance, ou qui viennent en aide ponctuellement à des groupes de renseignements puis à des maquis.

   La situation est bien différente à Reims et elle s'en ressent après la Libération. Le nom de Mgr Louis MARMOTTIN figure dans le rapport remis le 3 février 1945 par André LATREILLE, historien catholique, directeur des cultes au ministère de l'Intérieur, au ministre des Affaires étrangères Georges BIDAULT, ancien président du Conseil national de la Résistance 5 ). Parmi les douze prélats que le gouvernement souhaite voir remplacer par le Pape et dont il informe le nonce Mgr Ange-Joseph RONCALLI 6 ), l'archevêque de Reims est nommé en deuxième position, juste derrière Mgr FELTIN, archevêque de Bordeaux, et précède Mgr GUERRY, archevêque coadjuteur de Cambrai.

    Le propos est sans ambiguité :

« Le gouvernement provisoire de la République française demande à Sa Sainteté d'examiner le cas des évêques dont il réclame formellement qu'ils soient éloignés de leur diocèse soit par la voie de la démission spontanée, soit par un retrait de juridiction » 7 ).

   Que reproche-t-on au primat de Gaule-Belgique ?
   D'abord son manque de distance avec le pouvoir :

« Il ne s'est pas contenté de faire un devoir de conscience à tous les catholiques d'obéir à Vichy, il a poussé son attitude jusqu'à des déclarations démesurées d'attachement à la personne du maréchal Pétain ».

    On lui reproche aussi le contenu de ses homélies après les bombardements meurtriers qui ont frappé Reims au printemps 1944. Le ton est fort différent de celui employé par Mgr TISSIER, qui préside également les obsèques des victimes des bombardement de Châlons-sur-Marne et de Vitry-le-François8 ).
    Le 5 mai 1944, ne s'insurge-t-il pas contre les oiseaux meurtriers « qui ont jeté la terreur et la désolation sur la ville sainte de la patrie française » ? N'exprime-t-il pas « sa réprobation devant les méthodes de guerre qui ne respectent rien, qui se rient des lois divines et humaines, qui font servir la science et le progrès à une destruction de la civilisation » ?
   André LATREILLE s'appuie, dans sa démonstration, sur un questionnaire rempli en décembre 1944 par le commissaire de la République GRÉGOIRE-GUISELIN qui, globalement, n'accable pas le clergé marnais : « Il a été profondément national, anti-allemand, loyaliste à l'égard du gouvernement du maréchal Pétain auquel il devait bien des avantages matériels et une place plus officiellement reconnue dans le pays. Il est resté parfaitement digne devant les autorités d'occupation ».
    En revanche, dans un rapport de février 1945, GRÉGOIRE-GUISELIN sollicite le déplacement de Mgr MARMOTTIN et met en garde contre son éventuelle inscription par le Pape sur la liste des prochains cardinaux qu'il créerait lors d'un consistoire 9 ). De fait, depuis Mgr SUHARD, aucun archevêque de Reims n'a plus reçu la pourpre cardinalice 10 ).
   Les propos postérieurs, plus convenables, de Mgr MARMOTTIN ne plaident pas en sa faveur. Cela est plutôt jugé comme un exercice de rattrapage. Son discours de la victoire prononcé le 13 mai 1945 passe trop rapidement sur l'action de la Résistance et ne cite jamais le général de GAULLE, même si le besoin de réconciliation nationale y est mentionné. En réalité, le prélat s'aligne sur la déclaration de l'Assemblée des cardinaux, archevêques et évêques de France de mars 1945 où il est précisé : « Il faut chasser définitivement l'esprit de délation, de vengeance et de suspicion parce qu'il faut être convaincu que l'ensemble des Français a voulu servir sa patrie et lui demeurer fidèle ».
   La lettre de Carême 1945 de l'archevêque, dans laquelle il atteste son loyalisme au gouvernement, est jugée par le commissaire de la République GRÉGOIRE-GUISELIN comme une volte-face : « Les mêmes arguments sont employés pour justifier l'obéissance au gouvernement provisoire de la République que ceux qui ont été avancés pour suivre Vichy ».


L'exemple du père Gillet

   Prisonnier de guerre évadé, l'abbé Pierre GILLET rejoint Châlons-sur-Marne où il s'inscrit d'entrée dans une logique de résistance. Il refuse que le pays soit sous la botte nazie, et il considère qu'il puise son action dans l'Évangile ouvert.
   Son engagement de la première heure est relayé dans le diocèse de Châlons par un concours actif, régulier ou ponctuel, du presbyterium en faveur de la Résistance. Souvent au fait de l'action de ses prêtres, Mgr TISSIER se montre bienveillant. Il les laisse agir, ne les sermonne pas.Tout juste les invite-t-il à la prudence et à ne pas exposer inutilement les fidèles.
   Membre de la commission provisoire d'administration de la cité juste après l'exode et cofondateur d'un petit journal d'information Trait d'union, l'abbé Pierre GILLET ne se contente pas de sa mission à la Maison des œuvres et auprès des jeunes.
   En novembre 1940, lorsqu'un jeune lui apporte un texte en vingt-quatre points et intitulé « Conseils à l'occupé », il n'hésite pas à en modifier quelques passages puis à le polycopier pour qu'il soit distribué en ville 11 ).    Pragmatique, l'abbé veut éviter que les jeunes ne soient embrigadés dans des groupes qu'il estime sans avenir. Aussi défend-t-il les patronages existants et bien structurés de la Rive Gauche et du Bois de l'Evêché :

« Nous souhaitions qu'ils ne se germanisent pas à la vue des uniformes de l'occupant, des défilés bien réglés et nous avons agi pour qu'ils soient initiés à un patriotisme sain, à l'amour de la patrie vaincue et résistent aux appels des ligues fascistes et des formations militaires pronazies ».

   Il faut tromper son monde et oser mettre au programme des chants le célèbre Maréchal, nous voilà pour bénéficier des subventions du Secours national.
   Les sociétés de gymnastique sont aussi un bon moyen pour freiner de mauvaises tentations. La Renaissance, La Jeanne d'Arc, le Club olympique châlonnais sont des viviers pour la Résistance. L'abbé stimule l'aide aux familles en difficulté. Les conférences Saint-Vincent de Paul font un beau travail :

« Elles ont pris sous la direction de l'abbé Piérard un essor appréciable en agissant par charité fraternelle auprès de ceux qui en avaient le plus besoin. Des milliers de boîtes de conserves ont été stérilisées dans les locaux de la rue Latouche pour les prisonniers et les déportés ».

   L'Institution Saint-Étienne s'affirme aussi comme un foyer actif de patriotisme militant. Les Allemands surveillent de près l'établissement après le geste de colère de jeunes surveillants à l'égard d'un officier qui avait observé qu'on crachait dans sa direction. L'abbé GILLET, qui a des relations régulières avec l'équipe de direction, peut compter sur l'engagement de plusieurs membres du pôle éducatif et du personnel des services généraux.
   Sans doute l'action la plus efficace a-t-elle été menée conjointement par l'abbé GILLET et sœur Marie, supérieure des Filles de la charité. Cette infirmière et assistante sociale de la maison de la rue de Noailles, responsable du patronage des jeunes filles sur la rive gauche, a été une auxiliaire active de la Résistance, prenant des risques inouïs pour venir en aide aux détenus et assister les familles éplorées. Le père Gillet a écrit d'elle :
 « Elle avait un talent unique pour dénicher les vraies misères, les plaies morales les plus secrètes » 12 ).
   Constamment dans l'illégalité des règles édictées par l'ennemi, elle n'a jamais fléchi et son courage a été unanimement salué. Même le conseil municipal a reconnu son rôle après le bombardement meurtrier du 27 avril 1944 : « Cette religieuse, devant laquelle nous devons nous incliner, a droit à toute notre reconnaissance, notre admiration et notre respect pour ses initiatives heureuses en face des épreuves que nous subissons » 13 ).

   La puissance du service civique mis en place par Ceux de la Libération dans la Marne est patente. Lucien PAUL, directeur des établissements Mielle à Châlons-sur-Marne en est le responsable et dispose autour de lui d'une toute petite équipe composée du notaire Maître SIMON et de l'abbé GILLET. Le travail confié au prêtre est d'accueillir des évadés, de leur fournir de faux papiers et de bonnes adresses pour qu'ils puissent poursuivre leur périple. Le lien s'effectuait via les cheminots résistants qui dirigeaient vers la Maison des œuvres des hommes en recherche d'assistance. L'abbé explique : « Grâce à ma mère qui, tout en gémissant sur les dangers encourus, les rhabillait et les nourrissait, ils se requinquaient et restaient le temps de leur procurer le nécessaire pour continuer. Une chambre leur était réservée au 2e étage, elle était rarement vide ».

    Lorsqu'il dispose d'informations importantes mettant en jeu l'avenir du groupe ou la liberté de membres de la Résistance, il n'hésite pas à tout tenter pour les avertir. Quant il est prévenu par son camarade, le lieutenant HENNEQUIN, gendre du docteur AUMONT, que l'abbé MICHAUX de Châtillon-sur-Marne va être interpellé, il l'informe. Après les arrestations de septembre 1943 et la déportation de plusieurs Châlonnais, l'abbé GILLET est conscient de la détresse de bien des familles, aussi met-il en place dans son bureau du 1er étage du 16, rue du Lycée, un rendez-vous pour les épouses de déportés avant de les aider à vivre l'épreuve de la séparation. Il commente : « Elles tremblaient en entendant les pas lourds des feldgendarmes passant rue du Collège vers leur caserne. Une douzaine d'entre elles venaient régulièrement et c'était très émouvant. On parlait des absents sans savoir au juste ce qu'étaient ces fameux camps de concentration dont on commençait à tant parler avec horreur ».

   Dans le même temps, une chaîne de solidarité se met en place pour que des colis puissent leur être adressés. Chaque soir de la semaine, entre 17 heures 30 et 19 heures, l'abbé reçoit au rez-de-chaussée donnant sur la rue du collège les Châlonnais ayant des problèmes, et essaie avec ses maigres moyens de les aider à surmonter leurs difficultés. Il résume : « Être résistant en 1943, c'était surtout un état d'âme ».

   C'est au cours d'une de ses permanences le mercredi 17 mai 1944 que le père GILLET est appréhendé par deus agents de la Gestapo, DRASKOWITCH et BISCHOF. Au même moment, le lieutenant HENNEQUIN se présente pour prendre des instructions. L'abbé conserve son sang-froid et déclare : « Vous voyez, la réunion des jardins ouvriers ne pourra pas avoir lieu ». L'officier pâlit, mais fait demi tour, descend calmement l'escalier. Que reproche-t-on à Pierre GILLET ? Principalement des délits anti-nazis. Les Allemands ont bien des difficultés à porter contre lui des accusations précises. Ils ne le libèrent pas pour autant. Il est enfermé dans la cellule 67 de la prison de Châlons-sur-Marne. Après le repli de la Gestapo locale, il est interrogé le 15 août par les agents d'Orléans. Il fait partie des sept derniers détenus libérés pour faits supposés de résistance. Avant son arrestation, l'abbé a fait aussi circuler des numéros et des textes des cahiers clandestins de Témoignage chrétien. Comme cet extrait :

« Rien de ce qui touche au sort de l'homme n'est étranger au chrétien ; l'Église est fidèle à sa mission, qu'elle tient du Fils de l'Homme, quand elle prend la défense des droits de l'homme, en ces sombres temps de mépris de l'homme, systématiquement organisé par des tyrans contemporains : les puissants ont toujours essayé d'acheter le silence de l'Église par les promesses, par les menaces, par l'exploitation de la peur.
    Ce silence serait un reniement.
    Péguy fait dire justement à Jeanne d'Arc : " celui qui laisse faire est comme celui qui fait faire. C'est tout un. Ça va ensemble. C'est pire que celui qui fait " ».

   Le chanoine Pierre GILLET est décédé le jeudi 14 mars 1985 à l'hôpital de Châlons-sur-Marne, cinq jours après avoir reçu la croix de chevalier de la Légion d'honneur des mains de Jacques BALLET, président national de Ceux de la Libération ( CDLL ) et compagnon de la Libération.
   Lorsqu'il évoquait les chrétiens dans la Résistance, il aimait citer l'un des fondateurs de CDLL, Maurice RIPOCHE, décapité à Cologne en juillet 1944, écrivant à son aumônier et témoignant avant de mourir de son espérance:

« Ce sont les hommes tels que vous, les hommes de bonne volonté qui relèveront l'Europe de ses ruines et feront renaître dans le cœur des hommes après cette période d'obscurité, l'espérance, la paix véritable et la joie ».


   Avant de conclure :

« Que la sainte volonté de Dieu s'accomplisse, je m'y soumets sans murmurer, car Lui seul sait les voies qui sont les meilleures pour le salut des âmes qui me sont chères.
    Je fais le sacrifice de ma vie pour la renaissance chrétienne de ma patrie, mais aussi pour que l'Europe retrouve enfin le Christ qui est la seule voie de vérité et de vie »
.


Le frère Birin :
un courage de tous les instants

« Alfred, par son exemple, par le rayonnement de sa bonté, par sa volonté d'aider partout où il le pouvait, sans égards au danger, sans considération des opinions philosophiques ou religieuses, a galvanisé bien des volontés, provoqué des réveils de l'homme civilisé, a arraché non seulement des centaines de Français aux mains d'assassins des SS mais les a sauvés bien plus encore d'eux-mêmes ».

   Ainsi s'exprime le préfet Émile BOLLAERT, compagnon de la Libération, dans l'hommage qu'il rend à Alfred UNTEREINER, frère BIRIN des Écoles chrétiennes 14 ). Ce religieux d'Épernay, résistant de la première heure, ennemi du STO qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le départ des jeunes Sparnaciens en Allemagne, est un faussaire d'une rare compétence qui bénéficie de complicités appréciables dans le vignoble.
    Le mercredi 15 décembre 1943, il est arrêté par l'agent de la Gestapo BISCHOF qui pénètre revolver au poing dans sa salle de classe à l'école Notre-Dame-Saint-Victor. L'Allemand énervé ordonne le renvoi des élèves. Gardant son sang-froid, frère BIRIN leur fait cette déclaration :

« Chers enfants, voici la police allemande qui vient m'arrêter. Retournez chez vous, mais retenez les dernières paroles de votre maître. Je suis arrêté pour avoir commis le crime d'être un bon Français. Je crains de ne plus vous revoir. En souvenir de moi, restez de bons chrétiens, restez de bons Français ».

   BISCHOF ordonne une perquisition de sa chambre, lui demande s'il possède des armes et s'insurge de sa réponse négative lorsqu'il sort d'un étui son livre de prières ! Frère BIRIN est transféré à la Feldgendarmerie où il retrouve le directeur du personnel de chez Moët et Chandon, Henri FIGNEROL accusé d'avoir aidé des réfractaires. Cette arrestation survient une huitaine de jours après celle du comte Robert-Jean de VOGÜÉ, patron de chez Moët et Chandon, et que le religieux considère comme le chef du groupe Libération vengeance.
   Dans la nuit, frère BIRIN est transféré à la prison de Châlons-sur-Marne et le jeudi 16 décembre à 6 heures, il est réveillé par un sous-officier allemand qui l'interroge : « Alors curaillon, avez-vous bien prié ? ». Comme il répond par l'affirmative, il est immédiatement privé de nourriture pour la journée.    Pendant plusieurs jours, Alfred UNTEREINER subit des interrogatoires musclés 15 ). Lors du dernier, le responsable de la Gestapo lui assure avec un large sourire qu'il sera fusillé. Appelé dans la nuit du 18 au 19 janvier 1944, il croit sa dernière heure arrivée et retrouve dans le couloir de la maison d'arrêt plusieurs détenus qu'il connaît bien : Hubert TOUVET, Gaston POITTEVIN, BRUN, Henri MARTIN, Jean FRÉLY, René TERVER, Pierre KULEMANN, Georges GUÉRIN, René GUILLEPAIN, LECOMPTE, Bernard RAMILLON, Pierre MAÏER, Marcel FOUJU, Jacques RICHON ainsi que l'abbé Georges MICHAUX. Ils sont conduits à Reims avant de gagner Compiègne, le 19 janvier 1944 au soir.

   Après quelques jours, frère BIRIN est affecté au bâtiment 12 réservé à l'aumônerie du camp :

« La plupart de mes amis d'Épernay partirent déjà de Compiègne le 22 janvier pour Buchenwald. Je fis partie du convoi du 27. Chaque partant avait touché une boule de pain et 200 grammes de saucisse pour le voyage mais le tout nous fut confisqué avec nos vêtements la nuit suivante ».

   Frère BIRIN monte dans le même wagon que les Sparnaciens Hubert TOUVET et René TERVER et le Châlonnais Alfred CHABAUD. Prévu pour 8 chevaux ou 40 hommes, les détenus sont entassés à 125. Le train s'ébranle à la mi-journée. À la nuit tombante, plusieurs jeunes gens qui ont caché des couteaux à scie affichent leur intention de s'évader. Le religieux qui connaît bien la ligne SNCF conduisant vers la Lorraine leur conseille d'attendre pour agir la montée vers Bar-le-Duc dans la Meuse. Il leur déclare : « Mes amis, ceux d'entre vous qui vont essayer de se sauver comme ceux qui vont rester sont tous en danger de mort ; si vous voulez, nous allons réciter ensemble un bon acte de contrition ».
   Dès la prière achevée, un panneau du wagon est retiré et les évasions commencent jusqu'à ce que les Allemands s'en aperçoivent. Le neuvième candidat à la liberté est criblé de balles. Le convoi est stoppé entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François. Les Allemands vident le wagon, constatent qu'il manque neuf hommes, choisissent neuf jeunes gens qu'ils fusillent entièrement nus sur le ballast. Tous les autres détenus sont également contraints de se déshabiller, transférés dans un wagon métallique dans lequel ils vont voyager quatre jours et quatre nuits. La porte du wagon est ouverte une fois à Trêves puis à l'arrivée à Buchenwald, dans la nuit du 31 janvier 1944. Le stationnement pendant une journée en gare d'Erfurt est des plus pénibles et plusieurs détenus ont des crises de folie. Lorsqu'il s'adresse à une sentinelle pour obtenir de l'eau, frère BIRIN reçoit pour toute réponse : « Comment, ces cochons ne sont pas encore crevés ».

   Au camp, frère BIRIN reçoit le n° 43 652 et est affecté, toujours avec MM. TERVER, TOUVET et CHABAUD, dans un grand baraquement prévu pour 500 déportés. La nourriture manque, les journées de travail ne sont pas inférieures à douze heures et déjà les rangs des Marnais s'éclaircissent.
   Le 13 mars 1944, le religieux est désigné pour un convoi de 1 200 Français vers une destination inconnue, après avoir passé une nuit entière sous une pluie glaciale sur la place d'appel. Le convoi arrive à Dora tard dans la soirée. Sous les coups et les aboiements de chiens féroces, les déportés sont conduits dans un tunnel et dispersés dans des blocks souterrains. Il décrit ainsi ce moment :

« J'eu l'impression de descendre tout vivant aux enfers. Tout le long du parcours traînaient des cadavres décharnés, nus ou presque ; des êtres squelettiques, d'un aspect repoussant, les yeux fiévreux enfoncés dans leurs orbites, peinant en maniant pioche ou pelle, tandis que leurs cerbères ne leur ménageaient pas les coups ».

   Après quelques semaines de régime commun, frère BIRIN obtient une place au bureau de la direction de la répartition de la main-d'œuvre à l'Arbeitsstatistik. Il va s'engager alors dans une autre forme de résistance. Il constate une inhumanité indescriptible et une culture de mort insupportable. La volonté d'exterminer les déportés est une obsession des geôliers. Son analyse de ce qu'il voit est d'une lucidité remarquable. Il comprend d'entrée que les Allemands font fabriquer leurs armes secrètes à Dora pour que les Alliés n'en soient pas informés. Ce qui signifie que les déportés n'ont aucune chance de survie. Il mesure l'organisation rationnelle de cette industrie de mort avec un travail à la chaîne épuisant, des groupes de vingt-cinq ouvriers affectés dans chaque équipe à des tâches répétitives et strictement définies. Il explique combien le forage des galeries est exténuant et affaibli les organismes. Ce passage obligé avant l'affectation à d'autres tâches aussi éreintantes procède d'une extermination programmée. S'ajoute à cela un harcèlement physique et moral psychologiquement destructeur. Cette situation n'est pas réservée au commando disciplinaire de Steinbruch ni à celui de Grossverter aux environs de Nordhausen. Frère BIRIN a expliqué :

« La cadence de travail ne pouvait ralentir et, plus que partout ailleurs, nos gardiens se montraient féroces. Je reçus d'un kapo une pelletée de ciment en pleine figure, et comme j'eus un réflexe un peu vif, la brûlure causée par le ciment m'a fait perdre l'œil gauche ».

   Le religieux décrit aussi les conséquences de l'embrigadement de la jeunesse, lorsqu'il est surveillé avec d'autres par des enfants de 8 ans appartenant aux Jeunesses hitlériennes, en uniforme et portant revolver à la ceinture. Lorsqu'ils observent un déporté affaibli, peinant au travail, ils relèvent son numéro sur un carnet afin que le kapo lui administre les 25 coups réglementaires pour le punir de son insuffisance. Il relate avec soin toute l'entreprise de déshumanisation associant la faim, un régime insensé de travail, les vexations et les punitions souvent mortelles. Là où il se trouve, frère BIRIN observe le détournement de tous les colis de nourriture adressés par les familles et la Croix-Rouge :

« J'ai reçu moi-même un colis pensant au départ 15 kilos mais dans lequel je ne trouvai que quelques comprimés de saccharine.    Sur les 219 colis envoyés par ma famille, mes confrères et mes amis d'Épernay, une vingtaine au plus m'ont été remis après avoir été allégés par le chef de block.
   Vers le mois d'octobre 1944, il est arrivé à Dora un envoi de mille colis de la Croix-Rouge française et autant de la Croix-Rouge belge. Ces deux mille colis furent entièrement pillés par les SS ».

   Il mentionne aussi le cynisme et le machiavélisme des bourreaux. Ainsi le dimanche de Pâques 1944, à l'issue d'un appel d'une durée de six heures, un officier annonce aux déportés qu'ils vont avoir « leurs œufs de Pâques ». C'est alors qu'une vingtaine de ses camarades surgissent les mains attachées dans le dos, un morceau de bois fixé par un fil de fer vers la nuque, leur servant de bâillons. Ils sont alors conduits à la potence dressée sur la place d'appel puis exécutés 16 ).

   Frère BIRIN, qui ne se ménage pas pour protéger les déportés et leur éviter les pires commandos, est appréhendé le 4 novembre 1944 et conduit à la prison de Niedersachs Werfen. Le lendemain, il est transféré à la prison civile de Nordhausen où il retrouve notamment un autre Sparnacien, Paul CHANDON-MOËT. C'est alors leur dénonciateur qui devient kapo de la prison. Accusé d'être le chef de l'organisation française de résistance au camp, le religieux est emmené au bunker de Dora. Il va y rester cinq mois dans des conditions indescriptibles :

« Le régime alimentaire comportait invariablement un litre de soupe et 100 grammes de pain distribués à 6 heures.
   Deux fois par jour nous avions une sortie pour satisfaire aux besoins naturels et faire un soupçon de toilette ».

   Au cours de ce temps de détention à régime très sévère, il y a eu 280 pendaisons.
   Le religieux est témoin le 9 mars 1945 d'une tentative d'évasion de Russes qui sont sauvagement abattus. Une impitoyable répression s'en suit : « treize détenus furent pris dans ma cellule ; j'étais du nombre. On nous mit dans la bouche un morceau de bois lié très fort sur la nuque avec un fil de fer. Nous étions placés par rang de cinq, j'étais au troisième ». Le frère BIRIN demande alors à s'exprimer. L'officier SS le fait sortir des rangs en vociférant : « ce cochon n'a pas encore causé, il parlera d'abord, et ensuite, on le pendra ». L'officier lui fait passer une nuit du 10 au 11 mars 1945 infernale. La progression américaine décide les Allemands à suspendre ces interrogatoires.

   Le 2 avril, les SS démontent la potence du camp et vers midi les portes des cellules s'ouvrent. On jette alors aux déportés une boîte de conserves et une boule de pain.
   Le 4 avril, c'est l'évacuation. Les rescapés sont dirigés vers la gare où stationnent entre 7 000 et 8 000 hommes :

« Nous étions près de 150 par wagon de marchandises découvert.
   Nous étions exposés à la pluie et au froid mais nous ne manquions pas d'air.
   Durant six jours et six nuits nous avancions puis reculions, tantôt en direction de Hanovre, tantôt en direction de Hambourg ; voyage angoissant et pénible ».

   À trois reprises pendant ce périple infernal, les SS leur font creuser des fosses communes le long des voies. Les déportés sont enfin débarqués à une dizaine de kilomètres du camp de Bergen-Belsen où règne le typhus parmi 51 000 détenus, hommes et femmes.

    « Les 1 700 Français venant de Dora et d'Ellrich survivants du convoi, eurent la chance d'être mis dans la partie du camp de Bergen non contaminé par le typhus ».

   Le 15 avril 1945, le cauchemar prend fin. frère BIRIN témoigne :

« Ce fut un indescriptible délire joyeux de milliers d'hommes qui revenaient tous de la frontière de la mort et qui maintenant se sentaient libres.
   J'étais à ce point malade, brisé, fatigué, que je pus à peine me traîner à la fenêtre de la pièce où mes camarades m'avaient déposé.
   Je vis passer nos libérateurs et j'éprouvai, moi aussi, cet ardent et vibrant bonheur que clamaient toutes les poitrines : libres, libres ! ».

   Frère BIRIN salue la gentillesse des Sparnaciens lorsqu'ils l'ont accueilli à son retour et en particulier la sensibilité de Pierre SERVAGNAT, commandant des FFI de l'arrondissement d'Épernay 17 )


L'abbé Georges Carré

   Contacté en mai 1943 pour participer à un groupe de résistants que Ceux de la Libération veulent mettre en place en Argonne, l'abbé Georges CARRÉ, vicaire à la paroisse Saint-Charles de Sainte-Ménehould répond présent.
   À l'automne, sous l'impulsion de Christian HECHT, l'un des adjoints du commandant René DERRIEN, chef militaire départemental de CDLL, le groupe lui est confié. Il compose une équipe de gens sûrs avec M. MINUEL, professeur au collège, le gendarme Paul DEAUDET, Robert DESTREZ, un négociant en bois des Islettes, M. Procureur, le maire de Valmy, M. CANONNE et bénéficie de la neutralité bienveillante du sous-préfet Francis WAIFFRET, de l'aide d'une secrétaire, Andrée BUACHE ainsi que de la complaisance du lieutenant de gendarmerie RIVALLAND.

   Outre l'assistance aux prisonniers évadés, l'aide aux réfractaires et cacher des personnes recherchées, le groupe de l'abbé CARRÉ constate que de nombreuses interceptions de bombardiers alliés s'effectuent au-dessus de l'Argonne. Déjà en mars 1943, l'équipage d'un Stirling est mort à Minaucourt qui possède une puissante station radar. Ce n'est pas la seule de l'arrondissement. D'autres postes de repérages sont établis à Contault et Possesse. RIVALLAND et DEAUDET effectuent le relevé de ces positions qui est transmis au commandant DERRIEN. Sur l'insistance de l'abbé CARRÉ, les deux hommes proposent aussi un terrain de parachutage aux Islettes ainsi qu'une planque sûre pour d'éventuelles livraisons aériennes. Bien renseigné, le groupe évite plusieurs arrestations et prévient en particulier les responsables du chantier forestier de Vienne-le-Château de l'imminente descente des Allemands à la recherche de réfractaires hébergés en nombre sur ce site.

   En novembre, la décision est prise de dynamiter les installations ennemies d'écoute et un petit groupe d'action s'établit à Givry-en-Argonne pour s'occuper du relais de Contault. Repérés par les Allemands, les résistants prévenus par l'hôtelière de Givry, Mme RÉGNIER, se replient. Christian HECHT recommande alors au prêtre la plus grande prudence. Les Argonnais, déçus d'être freinés dans leur action, se tournent alors vers le groupe CDLL de Reims des lieutenants PAILLARD et ROBERT. Dans le même temps, un groupe CDLR est constitué sur Sainte-Ménehould sous l'impulsion d'André NOIZET, un officier de réserve de l'armée de l'air. Autour du 15 novembre 1943, le lieutenant PAILLARD rencontre l'abbé CARRÉ pour organiser l'union au plan local des mouvements de résistance et ordonne une enquête visant plusieurs de ses acteurs.
   Le 30 novembre 1943, Georges CARRÉ remet à Christian HECHT plusieurs rapports, peu de temps avant que ne se produisent à Reims de nombreuses arrestations. PAILLARD, mais aussi Jean-Jacques GOGUEL, René MENU, Jean ESTÉVA tombent alors dans les griffes de la Gestapo.

   Le 6 janvier 1944 à 16 heures 15, alors qu'il anime une réunion de louveteaux dans la cour du presbytère ménéhildien, la Gestapo surgit et appréhende l'abbé CARRÉ sous le regard médusé des enfants :

« Je n'ai pas eu le temps de réagir et pendant la perquisition de mon bureau qui a duré 1 heure 30, ils ont trouvé dans un dossier un plan des installations de surveillance aérienne de Contault.    J'ai été transféré à la Gestapo du cours d'Ormesson à Châlons-sur-Marne, interrogé puis enfermé dans la cellule 72 de la maison d'arrêt.
   Le 8 janvier, j'ai été transféré à Reims sur les genoux d'Alfred Chabaud arrêté le 7 à la préfecture, en même temps que le docteur Robert.
   J'ai subi de difficiles interrogatoires à la maison de la Gestapo de la rue Jeanne-d'Arc à Reims.
  J'ai cru que c'était la fin ».

   Dans la cellule 52 de la prison rémoise, il se trouve en compagnie du commandant MERLINGE, intendant départemental de l'Aube, et de M. FONTAINE, un commerçant rémois qui seront tous les deux déportés en Allemagne le 18 janvier 1944.
   Les interrogatoires auxquels il est confronté sont d'une violence inouïe :

« Dans un premier temps les tortures ont été supportables. J'ai encaissé les gifles et les coups de poing au visage et sur la nuque. Devant mon refus de parler et de reconnaître les accusations portées contre moi, j'ai été soumis à une première séance de schlague suivie quelques minutes plus tard d'une seconde. Une confrontation avec le lieutenant Paillard s'est mal terminée ».

   Comme l'abbé CARRÉ refuse de le reconnaître, il subit une troisième séance de schlague et perd connaissance. Dans l'après-midi, il est encore frappé et perd à plusieurs reprises connaissance. Les deux compagnons de cellule de l'abbé attestent ses tortures. Les propos de l'intendant Merlinge rapportés par l'abbé Gillet sont explicites : « Il était à bout de force. Deux soldats le soutenaient et l'ont déposé sur son lit. Nous l'avons déshabillé et avons pu constater que son corps n'était qu'une plaie du sommet jusqu'aux mollets ».
   Pierre JOHNSON du réseau Kléber-Uranus a écrit : « Je certifie que l'abbé Georges Carré a été abominablement brutalisé par les agents de la Gestapo de Reims et que sont corps était martyrisé lorsqu'il a été raccompagné en cellule ».

   Intransportable, l'abbé est maintenu en détention et ne part pas à Compiègne dans le convoi du 19 janvier. Malade, début avril, il est transféré un temps à l'hôpital allemand de Clamart avant d'être rapatrié à Reims, le 8 mai. Il est enfermé à la prison Robespierre lorsque le 30 mai 1944 se produit un violent bombardement allié sur la ville. Le souffle de l'explosion des bombes arrache la porte de sa cellule. Partout on s'affaire et l'abbé tente sa chance :

« Comme l'on transportait des blessés vers l'extérieur, j'en ai profité pour suivre et je me suis retrouvé dans la rue avec le docteur Bussel de Fismes parce qu'on m'a pris pour un aumônier de l'établissement.
   Je ne savais pas trop où aller mais un homme à vélo m'a interpellé. Très vite, il m'a proposé de m'emmener chez lui.    C'était un boulanger de l'avenue Jean-Jaurès, Imbert, qui m'a fourni des vêtements civils. Il est entré en contact avec la Résistance et j'ai pu être aidé ».

   L'abbé CARRÉ est récupéré par André SCHNEITER et Jean JOLY de CDLR puis caché. L'abbé est brûlé, CDLL décapité en Argonne et c'est le groupe CDLR-Argonne qui va y préparer la Libération.


L'assassinat de l'abbé Jean Brion

   Le jeudi 22 juin 1944 à 8 heures 30, une douzaine de garçons et de filles âgés de 9 à 12 ans assistent à une leçon de catéchisme de l'abbé Jean BRION, 36 ans, qui a en charge les paroisses de Clamanges, Pierre-Morains, Villeseneux, Trécon et Écury-le-Repos dans le diocèse de Châlons-sur-Marne 18 ). Le prêtre est un résistant actif qui travaille en liaison avec le capitaine Pierre SERVAGNAT, commandant des FFI de l'arrondissement d'Épernay. Il est chef de trentaine, participe aux parachutages et cache des aviateurs alliés en partance pour la frontière espagnole.
    André COULMIER qui avait 11 ans au moment des faits s'est souvenu. :

« La petite porte de la nef sud s'est ouverte une première fois, on a aperçu une main. Comme nous regardions dans cette direction, l'abbé nous a rappelé à l'ordre. Il a repris la leçon pendant une minute puis la porte s'est ouverte une deuxième fois et un soldat est entré armé.
    L'abbé a compris. Il nous a demandé de rester dans l'église et est sorti par la petite porte opposée permettant de gagner le presbytère. Je ne l'ai pas revu vivant ».

   Auparavant, un officier était descendu d'une voiture allemande arrivant de Pierre-Morains et avait interpellé les fils VOILLEREAU qui travaillaient dans leur forge pour savoir si la maison devant laquelle il stationnait était bien le presbytère. Après avoir sonné et ne pas avoir obtenu de réponse, l'officier très mécontent s'adresse une seconde fois aux forgerons pour savoir où le curé se trouve. Il défonce alors d'un coup de botte la porte de la petite maison. Il ouvre les volets de la chambre du prêtre. Puis la gestapo tente l'arrestation à la porte de l'église.
   Les amis de l'abbé savent qu'il ne se laissera pas prendre vivant. L'abbé va vers le presbytère et se dirige vers un Allemand qui pratique immédiatement une fouille corporelle. Il lui ordonne de prendre quelques effets personnels. C'est le moment qu'il choisit pour prendre la fuite : « L'abbé a contourné l'église par le grand portail puis a dégringolé le talus en direction de la Somme. Suzanne Mignot l'a vu traverser le pré du presbytère. Il a franchi la passerelle qui enjambe la rigole à cet endroit et a couru le long de l'eau dans les hautes herbes en direction de Villeseneux » a rapporté le maire Charles PÉRARDELLE.
   L'officier qui le poursuit s'arrête, pose son revolver sur son bras pour mieux ajuster et tire à plusieurs reprises. L'abbé est blessé. « Nous sommes restés une dizaine de minutes dans l'église avant de partir par la porte donnant sur la rivière. Nous ne savons pas exactement ce qui s'est passé mais d'autres habitants du village en ont été témoins » a précisé André COULMIER.
    Tandis que les soldats tentent de rattraper le prêtre, la femme de l'instituteur Mme RIGAUX et sa fille qui ont été alertées par les coups de feu accourent dans la cour de l'école et sont mises en joue par un soldat. Un autre a rejoint le silo chez Henri GALLOIS pour prendre position. Lorsqu'il arrive face au rucher d'Odile PETIT, l'abbé se lance dans la rivière et la traverse en biais pour revenir vers l'église et gagne l'abri d'un aulne où il s'écroule. Le cadavre de l'abbé est jeté dans le pré de M. LALLEMENT, puis l'officier se rend à la mairie.
    Il s'adresse alors à Mme RIGAUX en ces termes : « Votre curé est tué, allez le chercher ! ». Furieuse d'apprendre la nouvelle, l'épouse de l'instituteur s'emporte : « Vous avez tué notre curé, mais quel mal avait-il fait ? ».    L'Allemand réplique : « Pourquoi s'est-il sauvé s'il n'avait rien à se reprocher ? ».
   Les agents de la gestapo souhaitent d'abord que le corps soit déposé dans la remise à incendie mais ils consentent finalement à ce qu'il soit déposé au presbytère, à même le sol.
   Lorsque vers 11 heures, Albert MOREAU, le maire, est de retour des champs, les Allemands lui déclarent : « Voyez ce que nous avons trouvé chez lui un revolver anglais et un chargeur ».
   Une fouille systématique est alors entreprise. Le grenier est visité et un vieux poste TSF intrigue les agents ennemis, la sacristie et l'église n'échappe pas à la fouille et les autels en bois sont sondés à coups de bottes ! À leur départ, ils rendent les clés du presbytère et indiquent que les funérailles du curé devront avoir lieu dans la plus stricte intimité. La famille de l'abbé à Fère-Champenoise est prévenue par M. GUYOT, une fois que le maire est certain de pouvoir disposer définitivement du corps du malheureux.
   Le vendredi 23 juin, l'évêché de Châlons informe le curé doyen de Vertus que l'enterrement aura lieu le samedi à 7 heures 30. Dans le même temps, deux gendarmes informent Albert MOREAU que trente personnes seulement seront admises à la célébration religieuse. Le jour des obsèques, une quinzaine de gardes mobiles stationnent devant l'église de Clamanges et surveillent la messe concélébrée par les curés doyen de Fère-Champenoise et de Vertus, les curés de Soudron, Lenharrée, Vouzy, Bergères-les-Vertus. Les abbés Pérardelle et Mathieu chantent la célébration en présence de la famille du défunt et des représentants des cinq paroisses dont il avait la charge. Une fois la cérémonie achevée, le cercueil de l'abbé a été transféré à Fère-Champenoise pour être porté en terre dans le caveau familial. Le convoi est accompagné par les gardes mobiles et à l'arrivée trois voitures de la gestapo stationnent à une cinquantaine de mètres de l'entrée du cimetière. A l'évidence, les policiers cherchaient à identifier des résistants venus rendre hommage au jeune curé.


La ténacité du père Georges Michaux

   Le père Georges MICHAUX est un prêtre du diocèse de Reims. Jeune vicaire en résidence à Châtillon-sur-Marne, il partage pendant la Seconde Guerre mondiale la charge paroissiale de ce secteur de la vallée de la Marne avec deux confrères. On a l'habitude de le voir se déplacer à bicyclette de Mareuil-le-Port à Cuisle, de Jonquery à Belval, de Baslieux à Montigny et même à La Neuville-aux-Larris. Refusant l'occupation et déterminé à agir, il rencontre Pierre SERVAGNAT et entre dans la Résistance.
   Le commandant des FFI de l'arrondissement d'Épernay résume ainsi leur première rencontre alors qu'il cherchait à structurer le mouvement dans la vallée de la Marne :

« J'eus un jour la surprise de voir arriver chez moi un jeune prêtre, l'abbé Michaux. Après une courte conversation, j'eus immédiatement entière confiance en lui. Je pouvais y aller comme on dit. J'avais, j'en étais certain, trouvé la personne idéale, l'homme d'action qu'il fallait.
   Effectivement, il organisa à merveille toutes les petites paroisses qu'il avait sous sa dépendance.
   Nous eûmes de fréquents contacts, agissant en plein accord avec la même ardeur ».

   L'abbé MICHAUX fixe ses règles d'entrée :

« Je suis resté prêtre avant tout mais j'ai toujours pris mes responsabilités. Je n'ai pas participé à des actions armées mais j'ai œuvré à la réception de parachutages.
   Je suis venu en aide à des évadés et des aviateurs en détresse qu'il a fallu placer dans des lieux sûrs.
    J'ai aussi fourni de faux certificats de baptême à des familles juives persécutées.
    Seul, je n'aurai rien pu faire de constructif, mais en groupe avec l'enthousiasme et la rigueur patriotique tout était possible ».

   Son attitude de combat contre l'antisémitisme, il l'inscrit dans l'esprit du cardinal SUHARD, qui en 1939 alors qu'il est encore archevêque de Reims déclarait :

« Si la vague d'antisémitisme déferle sur notre pays, souvenons-nous des paroles du souverain pontife qui, recevant les pèlerins de la radio belge a déclaré : " non, il n'est pas possible aux chrétiens de participer à l'antisémitisme. Nous reconnaissons à quiconque le droit de se défendre, de prendre les moyens de se protéger, contre tout ce qui menace ses intérêts légitimes. Mais nous déclarons que l'antisémitisme est inadmissible " ».

   Membre du Bureau des opérations aériennes ( BOA ), il travaille à la sélection de terrains prompts à accueillir les conteneurs du Secret opération executive et les opérateurs radio. Lorsqu'il s'agit de choisir des lieux d'émission et d'hébergement, l'abbé répond présent et déniche des endroits tranquilles où les opérateurs pourront travailler, être logés et nourris.
   C'est ainsi qu'il propose le domicile de la famille HUIBAN à Champlat, celui de la famille GAUCHÉ à Épernay, ou le clocher de l'église de Mareuil-le-Port. Le père MICHAUX est également très actif pour réceptionner des parachutages.
   Le 17 août 1943, sur le terrain de " Beaumarchais " situé près du village de Villers-sous-Chatillon, il monte une opération qui a laissé un souvenir inoubliable à Pierre SERVAGNAT. Pour composer son équipe, il se rend au prieuré de Binson, chez les Salésiens. Il recrute quelques jeunes très excités par l'idée d'aider utilement la résistance. Voici la scène décrite par Servagnat :

« De loin, nous voyons de jeunes abbés, marchant deux par deux ou isolément, se diriger vers un bosquet où tous disparaissent d'un commun accord.
    Ils reviennent trente secondes plus tard en pantalon et bras de chemises ; la soutane a disparu dans les épais buissons.
    Au retour avec le chargement, l'opération inverse s'effectue et tous nos braves abbés regagnent leur dortoir »
19 ).

   Cet épisode rigoureusement exact et confirmé avec un sourire bienveillant par le père MICHAUX n'est pas sans conséquence. La même nuit, le supérieur des Salésiens qui se doutait de quelque chose effectue une visite impromptue dans le dortoir et relève le nom de tous ceux qui sont absents. Le lendemain, il convoque l'abbé MICHAUX et lui demande de s'abstenir de ses démarches intempestives susceptibles de mettre en péril la communauté. Pour ces jeunes résistants en soutane, la sanction ne tarde pas. Ils sont dispersés dans plusieurs maisons salésiennes, ce qui ne va pas les empêcher de reprendre du service là où ils sont envoyés !

    L'abbé assure la dissimulation de la livraison du 17 août sous une meule de foin de la ferme de Chantereine près de Champlat.

    Il s'occupe aussi d'aviateurs en détresse. À l'automne 1943, il aide deux Britanniques L. MARSH et N. CLARKE dans leur fuite pour regagner la Grande-Bretagne. Ils seront hébergés au couvent de Vieil-Andecy, véhiculés dans la voiture de l'inspecteur de police Maurice LESANNE.

    En novembre 1943, il doit faire face à un suspect qui a rejoint l'un de ses groupes et qui se révèle être un agent français de la gestapo chargé d'identifier les organisations clandestines et de découvrir d'éventuels dépôts d'armes et d'explosifs. L'individu identifié par l'inspecteur WINCKEL s'avère être un repris de justice travaillant pour l'ennemi et ordre est donné de l'éliminer. Fidèle à son engagement l'abbé ne donne pas cet ordre. C'est Pierre SERVAGNAT qui délivre les instructions nécessaires pour mettre cet agent hors d'état de nuire.
    L'abbé qui est conscient du danger envisage son arrestation et présente à SERVAGNAT son successeur éventuel qui est Louis FROELIGER.
   Faussaire aussi à ses heures, l'abbé MICHAUX fait beaucoup et semble mépriser le danger. Un soir de novembre 1943, le presbytère où il loge est envahi par 28 soldats allemands. Il est appréhendé et transféré dans les locaux de la gestapo, cours d'Ormesson à Châlons-sur-Marne.

   Après dix-sept jours d'interrogatoires inhumains et de tortures, il est transféré le 8 décembre 1943 à la prison de Châlons-sur-Marne.
   Le 21 janvier 1944, il est dirigé vers Compiègne et trois jours plus tard, il arrive à Buchenwald.
   Placé en quarantaine avec ses camarades d'infortune, il est envoyé à Steyr, un commando dépendant de Mauthausen.
   « J'étais au cœur d'un système effrayant de déshumanisation de l'homme. C'était l'horreur absolue. Tout était préparé avec soin pour conduire à notre déchéance ». Même s'il ne peut pas exercer normalement son ministère, il agit comme il le peut :« J'ai donné l'absolution, j'ai été à l'écoute de mes frères de détention, j'ai fait entendre une parole d'espérance puisée à la fontaine de l'Evangile ».
    L'une de ses joies sera de dire la messe en cachette pendant l'avent précédant Noël 1944 avec un livre fourni par un détenu de Gusen et de pouvoir consacrer douze hosties qui lui sont apportées dissimulées dans du papier d'un sac de ciment.

   Lorsqu'il est libéré le 5 mai 1945, l'abbé MICHAUX est très affaibli, mais cinq jours plus tard, il dit sa première messe d'homme et de prêtre ayant recouvré la liberté.
    Àson retour à Reims, il est accueilli par le curé de Saint-Nicaise, mais l'archevêque ne juge pas utile de le recevoir pour lui confier une nouvelle mission.
   Pour expliquer encore son engagement, Georges MICHAUX aimait reprendre ce que disait le père de LUBAC dans Témoignage Chrétien :

« Tout ce qui atteint l'homme, tout ce qui blesse son honneur, sa dignité, sa raison, son sentiment de justice, atteint et blesse le chrétien, car le christianisme n'est pas une couche de vernis passée à la surface de l'homme ; c'est le cœur de son cœur et l'âme de son âme ; de sorte qu'il lui serait plus facile de renoncer à être homme que de renoncer à être chrétien ».

   Il disait encore : « Le cynisme, la fourberie diabolique unis à la bassesse et à la grossièreté ont constitué le propre du nazisme. Il fallait se dresser contre cette ignominie ».
   Le père MICHAUX est décédé en février 2002 et ses obsèques ont été présidés en l'église de Mareuil-le-Port par Mgr François GOURGUILLON, évêque auxiliaire de Reims et Mgr Jules MASSIN, chancelier de l'archevêché20 ).


Le Chanoine Lucien Hess

   C'est le 9 juillet 1944 peu après avoir quitté la basilique Saint-Remi au terme d'une célébration de prières destinée à implorer la protection de la ville au cours de laquelle il chantait dans la schola de l'abbé SCHROBILTGEN que le chanoine Lucien HESS, prêtre du diocèse de Reims est rejoint par un agent de la gestapo rue Simon. L'homme l'empoigne et le conduit à la conciergerie de la maison de retraite où il passe un coup de fil. Quelques minutes plus tard, une Traction emmène le prêtre, en passant par la rue du Ruisselet, la rue Chanzy et la rue de Vesle à la maison de la gestapo, rue Jeanne d'Arc.
   Il est immédiatement conduit dans une salle d'interrogatoire et trois accusations sont alors prononcées contre lui. Un agent affirme qu'il est le chef de la résistance à Reims, qu'il sait où sont cachées quarante tonnes d'armes et qu'il est le meurtrier d'une sentinelle allemande abattue au petit lycée.
   Le prêtre nie avec aplomb mais les policiers ne veulent rien savoir et le frappent à coups de poings, de nerfs de bœuf. Le chef est le plus cruel. La pression psychologique est énorme.
   Après un premier interrogatoire, ils le gardent à vue dans un salon attenant à la salle à manger où ils dînent joyeusement !
   Au cours du deuxième interrogatoire, le lundi 10, les questions changent mais pas leur détermination :

« Ils m'expliquèrent que c'était eux qui m'avaient envoyé la veille un homme me réclamant des armes pour le maquis des Ardennes, me montrant à l'appui, différents papiers marqués de cachets anglais. Vous n'avez pas marché, mais beaucoup tombent dans le piège ».

   On le met alors dans l'obscurité complète pour manger une assiette de soupe très salée.
   Le troisième interrogatoire a lieu à 16 heures. On montre au chanoine différentes photographies et on lui demande des informations sur des membres de la Résistance. Ses réponses ne donnent jamais satisfaction et il est rossé jusqu'à l'évanouissement. Ramené dans sa cellule, il a droit à une tasse de thé et un sandwich beurré.
   Le mardi 11 dans la matinée, il est cette fois interrogé sur ses relations confraternelles avec l'abbé FONTAINE, curé de Savigny-sur-Ardres, arrêté dans les Ardennes.
   Pendant trois semaines, il reste dans les locaux de la gestapo et durant dix jours, il est seul dans sa cellule.
   Le 28 juillet dans l'après-midi, le chanoine HESS est embarqué dans un car en partance pour la prison de Châlons-sur-Marne 21 ). Là-bas, selon le prêtre la vie est plus acceptable, pas seulement en raison des interventions de sœur Marie, mais parce qu'il rencontre des gens intelligents et solidaires tout en ayant la chance de converser avec sa sœur venue spécialement de Reims 22 ).
   Le 19 août est un nouveau départ en autocars. Il y a environ quatre-vingts détenus. La destination est le camp de Natzweiller où on lui confisque son autel portatif et ses livres qualifiés de « choses du diable ».
   Il explique :

« J'ai reçu le n° 22808. J'ai été affecté au bloc 14. Pour moi l'épreuve la plus grande fut la privation de tout secours religieux, sauf les conversations que je pouvais avoir avec des confrères ».

   La nourriture est insuffisante, le travail du transport de grosses pierres pénible. Le séjour à Natzweiller est abrégé en raison de la progression rapide des alliés.
   Dans la nuit du 1er au 2 septembre, les déportés sont rassemblés et emmenés sous bonne garde en colonnes vers la gare de Rothau. À mi-chemin, un contre-ordre est donné et tous réintègrent leurs blocs. Les mêmes événements se répètent dans la nuit du 3 au 4 septembre :

« Nous sommes embarqués dans des wagons à bestiaux par groupe de 45 à 50. Le train s'ébranle et nous emmène à Strasbourg. C'est une nouvelle déception d'y parvenir. Nous croyons la ville entre les mains françaises, or la gare est paisible. Les nouvelles qui circulaient parmi nous étaient donc fausses ».

   Le chanoine HESS se retrouve alors à Dachau et reçoit cette fois le matricule 100 001. Sa santé est altérée et il fait un passage de dix jours au revier.

« J'ai connu le docteur Bettinger de Reims qui, me voyant affamé me donna plusieurs fois des pommes de terre et du pain pris sur sa ration personnelle et me soutint moralement de ses conversations amicales ».

    Ce médecin exemplaire est mort du typhus après avoir soigné de très nombreux malades.
   Le 28 septembre au terme de sa quarantaine, le chanoine est affecté au bloc 26 réservé aux prêtres 23 ). Il y décrit la grande promiscuité et la propagation des maladies contagieuses :

« Chaque matin, les cadavres de ceux qui étaient morts pendant la nuit étaient sortis nus, des chambrées. Arrivait un large chariot plat, tiré à la corde par des détenus en corvée. Les corps y étaient lancés, s'y entassaient comme des meubles dans une voiture de déménagement ».


    La misère est indescriptible, les morts s'ajoutent aux morts.
    Le 29 avril vers 17 heures 30, les Américains arrivent enfin au camp :

« Nous étions consignés dans les blocs depuis deux heures. Lorsqu'ils trouvèrent près du four crématoire 1400 cadavres qui n'avaient pu être incinérés et à la gare de Dachau, un train de juifs dont tous les détenus étaient morts abandonnés et bouclés dans des wagons, les Américains n'ont plus gardés de prisonniers. Tous les gardiens SS ont été abattus ».

   Les descriptions du chanoine HESS sont authentiques. Le prêtre a toujours tenu un discours clair lorsqu'il a expliqué son calvaire et celui de ses camarades de déportation :

« Je ne veux pas cultiver la haine, mais de tels faits font souhaiter en toute conscience humaine et même chrétienne des clauses de paix soigneusement étudiées et suffisamment sévères pour éviter la réédition de telles preuves d'hypocrisie, d'inhumanité, de perversion de la civilisation. C'est pourquoi les idéologies qui mènent à de telles conséquences doivent être absolument répudiées ».

   M'accompagnant un jour dans la maison de la gestapo de la rue Jeanne d'Arc à Reims avant sa démolition et son remplacement par un square de la mémoire il confiait :

« Je n'ai jamais aimé la guerre parce que c'est toujours une tragédie, un mal absolu pour ceux qui la font et plus encore ceux qui la subissent. À l'heure du courage et de la peur, le soldat est toujours seul. Seul face à la mort. Seul face à Dieu dont il est séparé d'une poussière de temps ».

   Et de citer ce proverbe russe : « Celui qui n'a pas fait la guerre ne sait pas ce qu'est la prière ».

    Le même jour pour illustrer l'engagement total du chrétien, il a cité en présence d'André PATUREAUX et de Louis DENIS, deux anciens déportés résistants, l'exemple de l'abbé MILLOT, curé d'Hirson dans l'Aisne, appréhendé par la gestapo pour fait de résistance et qui a Dachau a été volontaire pour entrer dans le block des typhiques et accompagner les malades jusqu'à leur dernier souffle : « Vous savez Lucien combien ils ont besoin d'un prêtre et d'un infirmier. J'ai tout pesé avant de prendre ma décision : j'offre ma vie pour ma paroisse et pour mes chers JOC ». Trois semaines après, le chanoine HESS reçoit un billet qui provient du bock des typhiques et il reconnaît l'écriture de son confrère : « J'ai 39° de fièvre. Venez demain matin derrière les barbelés, je dois vous voir ». Le lendemain les deux abbés sont au rendez-vous. Le père MILLOT a plus de 40 de fièvre. Il ôte son béret : « Tenez, voici les saintes huiles, donnez-moi l'extrême onction ». Le prêtre rémois lui rend la précieuse boîte. Un mot commun : « Adieu ».


Aide et assistance multiples

L'abbé Charles LALLÉ

   Une autre forme de déportation résulte d'une volonté affirmée de venir en aide à autrui.
   En 1943, l'abbé Charles LALLÉ est curé de Cernon-sur-Coole. En accord avec Gilbert MILLARD, le mari de l'institutrice ; il héberge un sergent-chef qui s'est évadé en gare de Châlons-sur-Marne dans la nuit du 3 au 4 février. L'homme est malheureusement repris quelques jours plus tard au cours d'un contrôle en gare de Chaumont en Haute-Marne. Il confie aux gendarmes français qu'il a été accueilli au presbytère de Cernon-sur-Coole, un petit village marnais.
   La gestapo du cours d'Ormesson est immédiatement informée et le 11 février, le curé et sa gouvernante Mlle LELARGE sont arrêtés ainsi que Gilbert MILLARD.
   Ils sont jugés par le tribunal allemand pendant le Semaine sainte, en présence du vicaire général du diocèse de Châlons-sur-Marne, le père PIERRARD qui est autorisé à suivre l'audience. L'abbé LALLÉ est condamné à quatre années d'emprisonnement, Gilbert MILLARD à huit ans et la gouvernante à quatre mois.
   Les condamnés à plus de neuf mois de prison doivent être transférés en camp de concentration. L'abbé LALLÉ rejoint d'abord Sarrebrück, puis Eich près de Darmstadt. Au terme d'une année d'enfermement, une remise de peine pouvait être demandée. Mgr TISSIER, l'évêque fait la démarche conscient des arguments qui peuvent porter :

« Le prisonnier évadé, s'est présenté au presbytère de Cernon, en pleine nuit, alors qu'il pleuvait abondamment , avec des vêtements trempés. L'abbé Lallé a obéi à un sentiment instinctif d'humanité, en faisant entrer chez lui, en plein hiver, un homme en pitoyable état.
   Il faut ajouter que l'abbé Lallé a été lui-même prisonnier de guerre, jusqu'en 1941. En tant qu'ancien prisonnier, il a eu un mouvement de pitié pour cet homme.
   Devant le tribunal, un officier allemand a témoigné qu'à Dormans, où il était précédemment vicaire, l'abbé Lallé a mis toute son influence en jeu pour préserver la jeunesse du terrorisme et du communisme ».

   À ce courrier s'ajoute une note transmise par la Délégation du gouvernement français dans les territoires occupés sollicité par le vicaire général du diocèse. Une mesure de clémence y est également sollicitée.
   En septembre 1944
, l'abbé est converti en travailleur libre et sera de retour en mai 1945.

L'abbé Robert PANNET

   Plusieurs actes de résistance assumés par des clercs marnais sont en phase avec les recommandations faites à ceux qui voulaient s'évader des trains en partance pour les camps de concentration et à l'assistance qu'ils pouvaient trouver auprès des prêtres diocésains et des communautés religieuses. Un conseil qui est aussi donné aux aviateurs qui tomberaient en territoire occupé.
   Plusieurs exemples sont indissociables de la plus grande évasion réalisée depuis un convoi en partance pour l'Allemagne et qui se produit entre Châlons-sur-Marne et Vitry-le-François dans la nuit du 4 au 5 juin 1944.
   Des témoignages précis attestent du courage de jeunes curés de campagne.
   C'est ainsi qu'après avoir sauté d'un wagon près de Pringy, les lieutenants Pierre LAFFORGUE et Yves NOËL, l'adjudant-chef Marcel MARCHAL frappent le 5 juin 1944 vers 6 heures à la porte du presbytère du village. Ils sont accueillis par l'abbé Robert PANNET :

«  Sur le coup de 6 heures, quatre hommes trempés comme des soupes ont frappé. Ma gouvernante a ouvert et les a fait entrer avant d'allumer un bon feu pour les réchauffer et sécher leurs vêtements.
   Nous leur avons donné un peu à manger parce qu'ils avaient très faim puis j'ai pris quelques mesures de précaution. Leurs plaques qui portaient les numéros de leur matricule du camp de Royallieu ont été enterrées dans la cour, puis je leur ai donné des cartes et indiqué un lieu sûr pour leur prochaine étape ».

    L'abbé PANNET leur propose d'éviter la route et de rejoindre le village de Lenharrée où réside son confrère l'abbé André DUCHESNE. Non seulement le lieu est plus éloigné de leur point d'évasion désormais ratissé par les Allemands, mais l'abbé dispose de bonnes adresses utiles pour les évadés. La distance à couvrir est d'une quarantaine de kilomètres. Ils atteignent leur deuxième presbytère le 6 juin 1944 à l'aube : « Les trois hommes semblaient exténués aussi ma gouvernante a fait le nécessaire pour leur redonner des forces. Je leur ai appris que les alliés venaient de débarquer sur les plages de Normandie ». Leur joie était immense et cette nouvelle leur a donné un vrai coup de fouet. L'abbé DUCHESNE qui aide la résistance depuis 1942, prend les trois hommes en photos et leur prépare de faux papiers d'identité ainsi que de faux certificats de travail. Il fait aussi le nécessaire pour leur trouver de nouveaux vêtements, des billets de chemin de fer. Une tâche pour le prêtre qui est facilitée par ses fonctions de secrétaire de mairie !
   Les trois évadés repartent de Lenharrée le 10 juin 1944. Ils ont décidé de rejoindre Lyon via Paris. Quelques jours plus tard, l'abbé reçoit par courrier une carte avec cette seule mention : « Les colis sont bien parvenus ». C'était la phrase convenue entre eux si leur voyage avait réussi.
   Après le départ des trois évadés valides, l'abbé Robert PANNET s'occupe du quatrième qui souffre d'une vilaine blessure à une cheville et doit impérativement consulter un médecin. Il demande à l'une de ses paroissienne et voisine d'emmener l'individu à l'hôpital de Vitry-le-François : « Mme Valentin qui était accompagnée de son jeune garçon Gérard s'est acquittée de la mission en cachant notre évadé sous un tas de paille à l'arrière de sa camionnette Renault. Elle a été contrôlée par la Feldgendarmerie mais le véhicule n'a pas été fouillé ». L'homme est soigné et caché par le personnel hospitalier. Grâce aux complicités du directeur de l'établissement M. COMTE et le concours de deux religieuses, mère Geneviève et sœur Marguerite de la congrégation de Saint Vincent de Paul, l'homme échappe à tous les contrôles.

L'abbé Jean WEBER

   Un autre groupe d'évadés formé par Jean MARTIN, l'abbé Georges LE MEUR et l'avocat Jean-Baptiste BIAGGI s'échappe aussi du célèbre convoi. En suivant la voie de chemin de fer, les trois fugitifs retrouvent quelques centaines de mètres plus loin deux autres de leurs camarades d'infortune, Raoul DUFOUR et Pfeiffer d'OSMONT. Les cinq se présentent d'abord vers 3 heures 30, à la porte d'une ferme qu'ils estiment à quelques kilomètres de leur saut. Un peu plus loin, ils rencontrent un élu local qui refuse de les aider. Enfin, ils s'approchent de la petite église de Fontaine-sur-Coole en début de matinée où est célébrée la messe du lendemain des professions de foi. Ils sont alors accueillis par l'abbé Jean WEBER, le jeune curé de Coole : « J'ai traversé Fontaine-sur-Coole et je suis entré dans l'église. J'ai attendu que le curé achève la messe et je me suis adressé à lui sans lui dissimuler qui nous étions et ce que nous avions fait. Il n'a pas hésité un instant pour nous porter assistance  » a reconnu Jean-Baptiste BIAGGI.
   Le prêtre leur conseille de se cacher quelques heures dans le vieux moulin et leur promet de venir les chercher le soir pour les conduire dans son presbytère. La promesse est tenue et vers 22 heures, il les prend en charge. L'abbé leur a préparé une soupe au lait et a remis en état deux chambres pour qu'ils puissent se reposer. Comme Jean MARTIN souffre d'une blessure à la tête, souvenir douloureux de sa chute du wagon, il est pansé. Jean WEBER est heureux d'annoncer le lendemain matin à ses pensionnaires, le débarquement allié. Peu de temps après, il sont reçus chez le maire du village Jean LÉONZI qui est un ancien sous-officier de cavalerie. Il leur procure des cartes d'identité vierges et plusieurs cachets indispensables. Les cinq évadés sont ensuite transférés à Châlons-sur-Marne par le docteur PLOUVIER, le médecin de Sompuis qui leur déclare : « Aujourd'hui, les Allemands ont autre chose à faire qu'à surveiller les routes. Le débarquement les a mis en état d'alerte dans leurs cantonnements ». Trois se rendent alors au domicile du père René-Joseph PIÉRARD, vicaire général du diocèse et capitaine de réserve au 306e RI. Il s'agit de l'abbé Georges LE MEUR, de Raoul DUFOUR et de Pfeiffer d'OSMONT. Deux autres son reçus par le préfet régional Louis PERETTI DELLA ROCCA, Jean-Baptiste BIAGGI, corse comme lui et Jean Martin. PERETTI n'est pas un inconnu pour BIAGGI : sa femme est une amie d'enfance de la mère de Jean-Baptiste et son gendre un camarade de faculté. Le préfet leur fournit de faux documents authentiques. Chose étonnante mais vrai, c'est le fils du préfet, un milicien qui conduit les deux amis de son père en gare de Châlons. Les cinq évadés secourus par l'abbé WEBER regagnent la capitale sans incident24 ).
   Le 22 septembre 1990, à Coole en présence du père WEBER qui en était toujours le curé, une manifestation du souvenir a eu lieu à l'occasion de la célébration du 50e anniversaire du réseau Orion. L'Association française des déportés et évadés des trains de déportation y a participé avec son président le général d'ARCANGUES et un
monument situé devant l'église a été inauguré en présence d'Edwige AVICE, ministre déléguée auprès du ministre de la Défense, de Jean-Baptiste BIAGGI, Alain GRIOTTERAY ainsi qu'une rue des Évadés.

L'abbé Pierre LAMARLE

   Cette aide d'abord ponctuelle se traduit aussi par un engagement total.
   Dans le secteur C de l'arrondissement d'Épernay où le capitaine Pierre SERVAGNAT dispose de trois groupes principaux autour de Montmirail, Esternay et Sézanne avec à sa tête Pierre CROMBEZ de MONTMORT, les groupes 16 et 17 qui ont pour chef Raymond MOUTARDIER et un délégué du Front national de lutte pour l'indépendance de la France à Anglure, comptent parmi leurs chefs de centaine, l'abbé Pierre LAMARLE.
   Le prêtre, un authentique patriote mais très prudent devant les propositions qui pouvaient lui être faites a été contacté au départ par le Sézannais Georges NICOLLE. Sa méfiance se justifie par quelques incidents dont les conséquences auraient pu être facheuses. Un des prisonniers évadés qu'il a démobilisé a été repris. En outre, plusieurs réfractaires qui ont bénéficié de ses services sont trop bavards. Il se sait surveillé mais il ne renonce pas même lorsqu'il apprend que son nom figure sur une liste de la gestapo. S'il n'est pas appréhendé c'est parce qu'un policier le classe par erreur parmi les collaborateurs !
   L'abbé LAMARLE constitue un groupe composé notamment du capitaine KOCH, de REMY, SALIN qui sont en lien avec PIENNE, GOBILLARD, VUILLEMOT, MANCIAUX. C'est ainsi que le noyau de la centaine de Sézanne est constitué. Raymond MOUTARDIER insiste aussi sur l'implication du curé de Pleurs et de l'instituteur dans l'organisation armée de la Résistance locale. L'abbé LAMARLE est directement impliqué dans la constitution du comité FFI de la libération pour Sézanne : « L'union simple et lumineuse, bâtie sur la bonne volonté d'hommes venus de tous les horizons politiques présageait un avenir très fécond » 25 ).

   L'assistance est parfois plus discrète mais le courage en chaire, peut avoir de lourdes conséquences.
   Lorsque le 18 février 1944, Pierre SERVAGNAT apprend que quinze patriotes vont être fusillés le lendemain sur le terrain de " La Folie " entre Châlons-sur-Marne et L'Épine, la colère est à son comble. L'abbé Jean FAGUIER, un Argonnais natif de Minaucourt alors curé de Recy et Saint-Martin-sur-le-Pré qui coopère à la Résistance et est très au courant des activités de trois de ses paroissiens, Robert BAUDRY, Louis VANSEVEREN et Émile ROCHET, est lui-même blessé par ce drame. Il est conscient qu'il y a eu des dénonciations et que si chez ROCHET on a découvert des explosifs et trois soldats hollandais évadés, ce n'est pas un pur hasard.
   Lors de la messe paroissiale qu'il célèbre le dimanche suivant, il proclame pendant l'homélie « que trois de ses paroissiens sont morts pour la France » et il leur rend un hommage appuyé. Il manque alors d'être interpellé à son presbytère qui est connu pour être un relais sûr. S'y présentent des évadés et parfois des aviateurs que l'abbé confie à d'autres :

« Je les recueillais, les ravitaillais et les dirigeais pendant la nuit à travers les pâtures vers Matougues d'où ils pouvaient filer sur Paris en suivant la ligne de chemin de fer. Quelquefois, je les confiais à des paroissiens un peu particuliers ! » 26 ).

L'abbé Marcel DELATTRE

   Le rôle des prêtres dans l'accompagnement spirituel des combattants au moment de la Libération est aussi significatif d'une présence dans le combat.
   Le 18 août 1944, le commandant militaire de Reims, Pierre BOUCHEZ, nomme aumônier FFI l'abbé Marcel DELATTRE, curé de Bézannes, qui a déjà exercé des fonctions équivalentes dans un secteur fortifié pendant les combats de 1940. Il est aussi un médiateur puisque plusieurs réunions clandestines groupant le commandant FFI de l'arrondissement Serge PIGNY, Michel SICRE, président du Comité départemental de la libération se tiennent dans son presbytère 27 ).


Le plan " Prominenten "

   Après le débarquement du 6 juin 1944 et en application du plan " Prominenten ", des personnalités marnaises ont été arrêtées. Parmi celles qui le sont à Châlons-sur-Marne, on note l'abbé Jean-Marie GRASER, aumônier au collège et vicaire à Notre-Dame. Il est transféré le 20 juin à Compiègne puis conduit dans une annexe du camp de Neuengamme composée de trois baraques. S'il va souffrir avec ses camarades de la faim et de la même promiscuité, il n'est pas soumis au régime infernal de travail quotidien des autres déportés.
   Le fait que le nom de l'abbé GRASER ait été porté sur cette liste n'est pas une surprise. Depuis fin 1942, il est surveillé en raison de sa prise de position lors de l'affaire du collège. En effet lorsque la gestapo appréhende quatorze élèves et plusieurs professeurs, l'abbé proteste. Que s'est-il passé ? Un élève, Jacques de WAEGENER, fils du directeur de la brasserie La Comète est piégé par un de ses camarades aux sympathies allemandes avérées. Il lui fixe rendez-vous le lundi 7 décembre 1942 devant la gare pour lui remettre une arme de poing qui aurait été dérobée à un soldat de la Wehrmacht. Au moment où à lieu l'échange surgissent deux agents de la gestapo encadrés par WEISENSEE. Le lycéen est arrêté sur le champ mais son camarade laissé libre. Dans les jours suivants plusieurs enseignants, MM. CHEMINAUD, CATEL, PARGNY, DRUMONT, VAUTRIN, mais aussi des élèves comme Alain VERCIER, fils du directeur de l'École nationale supérieure des arts et métiers, Jack RALITE, fils du garagiste de la rue Lochet, Philippe BOUCHER, Robert GALLAS, MAZAGRIL, JUNGO sont à leur tour interpellés.
   L'abbé GRASER soutenu par son curé, le chanoine HUBERT, ancien combattant et prisonnier de guerre de 1914-1918, ose manifester sa désapprobation. Le samedi 12 décembre 1942, il prépare son homélie pour le lendemain à l'occasion de la messe du mois qui se tient dans la chapelle du collège. Il y fait de claires allusions aux événements qui viennent de se produire et y ajoute cette phrase terrible de sens : « S'il fallait vivre dans un monde de délation, il vaudrait mieux mourir ». Ce sermon suscite des murmures. Dès le dimanche soir, le surveillant général frappe à la porte de l'abbé et exige le texte de l'homélie que le proviseur LETONTURIER tient à lire dans les plus brefs délais. Le lendemain, le chef d'établissement indique à l'aumônier qu'il a brûlé son texte. Le lundi soir, WEISENSEE vient chercher le père GRASER pour qu'il « l'accompagne à la prison de Châlons-sur-Marne ». Les interrogatoires commencent.
   Le 23 décembre, le maire Joseph BRUYYÈRE se rend à la gestapo pour demander la libération des lycéens afin qu'ils passent Noël en famille. WEISENSEE promet un geste sauf pour de WAEGENER, RALITE et VERCIER. Les accusations portées contre le corps enseignant du lycée sont graves.
   Le 9 janvier 1943, le maire fait une nouvelle tentative auprès de la gestapo en particulier pour le père GRASER et le jeune WAEGENER. WEISENSEE refuse de recevoir le premier magistrat et indique simplement que l'enquête n'est pas terminée.
   Le 13 janvier, les Allemands statuent sur le sort de l'abbé GRASER. Il est libéré tout comme WAEGENER, mais il est interdit d'aumônerie. Les réclamations des parents et des élèves demeurent sans suite. En revanche, il est autorisé à poursuivre son ministère à Notre-Dame.

   Lors des obsèques de l'abbé GRASER, le père Jean RAVAUX a expliqué son sens de l'engagement :

« Jean-Marie, après avoir été quelques années chez les Frères à Momigny en Belgique est venu nous rejoindre au petit séminaire en quatrième en 1927. Il y a dès lors un mot très important qui va guider toute sa vie, c'est le verbe aimer, mot que le Christ Jésus nous a laissé comme testament. C'est pour servir Jésus et pour aider chacun et chacune, trouver les convictions qui leur seraient un guide qu'il s'est tant dépensé. C'est parce qu'il croyait en la dignité de l'homme qu'il refusait la guerre, la dictature, la torture, l'avilissement de l'homme par l'homme. D'où son combat contre le nazisme qui lui a valu deux emprisonnements et la déportation. Dans ses notes, on trouve cette réflexion admirable : je n'ai pas de haine contre eux, et je prie pour eux. C'est peut-être cela, aimer jusqu'au bout ».

   Bruno BOURG-BROC, député-maire de Châlons-en-Champagne a déclaré :

« Toute sa vie, cet homme de conviction, de fidélité, de pensée, d'action, aura mené un combat mû par la foi qui l'animait : la lutte contre la sottise, il employait souvent un autre mot et l'intolérance, elles vont souvent de pair, la lutte contre les exclusions de toute nature, la lutte pour l'équité et le respect ; le respect des autres, le respect de la dignité de l'homme, le respect de la parole donnée » 28 ).


La JOC dans le collimateur

   Le rôle joué par les Jeunesses ouvrières chrétiennes ( JOC ) est jugé préjudiciable par le commandant de la gestapo de Champagne. Est-ce la seule raison qui justifie l'emprisonnement de l'abbé GUÉRIN, aumônier de la JOC à Châlons-sur-Marne, le 3 août 1943 ? Toujours est-il que le seul argument avancé pour justifier cette interpellation est : « continuation de l'activité d'action catholique ».
   Le cardinal Emmanuel SUHARD, archevêque de Paris intervient alors pour demander à la JOC de poursuivre sa mission.
   La réaction dans le diocèse tient en cette déclaration :

« Il ne peut y avoir, pour personne l'ombre d'une pensée de recul.
   Ces épreuves nouvelles vont tremper davantage nos volontés et permettront par la divine grâce du Christ, d'intensifier, plus que jamais, la pénétration de notre mouvement.
   C'est uniquement sur le terrain de l'apostolat que nous avons travaillé, pour la volonté de l'Eglise, pour le Christ et pour le salut de nos frères, c'est sur ce terrain que nous continuerons notre tâche sans faillir ».


   À côté des mouvements, il y a aussi des chrétiens qui s'affirment en phase avec leur foi pour expliquer leur engagement dans la Résistance.


Une foi assumée et encouragée

René Menu

   Le Rémois René MENU en est un bel exemple. Déporté à Neuengamme puis au commando de Fallersleben, il a aussi agi pour que les bourreaux nazis rendent des comptes devant la justice. Son témoignage contre Anton Peter CALLESEN dit « Peau de vache » au procureur du roi du Danemark illustre cet engagement qu'il avait pris devant ses camarades de souffrance.
   Fallersleben est au printemps 1944 constitué de quatre blocs de huit chambres où sont disposées douze rangées de deux paillasses superposées. Le camp est neuf mais le régime qui est infligé aux déportés est contraire à toutes les règles élémentaires du droit. Le règlement est rigide. Les déportés se lèvent le matin à 5 heures et sont soumis à un appel collectif à 5 heures 30. Le travail débute à 5 heures 45 et ne s'interrompt qu'à midi. Après le repas, un nouvel appel a lieu puis le travail reprend de 13 heures jusqu'à 18 heures 30. Les détenus doivent être couchés à 21 heures. L'hiver comme les jours sont plus courts, la durée de la journée de travail est réduite puisque le lever est fixé à 6 heures, l'appel à 6 heures 30, mais la pause de midi ne dure que trois quarts d'heures et la journée prend fin entre 17 heures et 17 h 30.
    « Peau de vache » impose des règles de comportement qui ne souffrent aucune dérogation. Dès qu'il est au travail, tout déporté ne doit pas s'arrêter un instant ni s'aider de quelque objet susceptible de ralentir sa cadence de production. René MENU insiste sur le manque de vêtements pour se protéger du froid pendant l'hiver 1944-1945 où la neige est abondante et les températures souvent voisines de -15°.
   CALLESEN demande souvent aux déportés de travailler torse nu pour mieux leur donner des coups de triques. Il interdit notamment qu'ils se protègent du froid avec des emballages de sacs de ciment. 

« Un jour il s'est acharné sur un détenu suisse qui avait osé enfiler deux vestes.
   Ses kapos procédaient à des prélèvements sur la maigre nourriture qui nous était réservée.
   Nous nous organisions pour dérober la nourriture de son chien, un molosse dressé pour nous mordre jusqu'au sang ».

   René MENU décrit aussi l'infirmerie qui ne dispose que de vingt-quatre lits. Lorsque la surpopulation de malades atteint en décembre 1944 un niveau alarmant, beaucoup sont transférés au camp central et liquidés.
    " Peau de vache " multiplie les inspections médicales et son verdict est toujours sévère. Il n'autorise l'infirmerie qu'aux moribonds dont le corps est couvert d'œdèmes. Les brimades ne cessent pas d'augmenter.
   En juin 1944, lorsque CALLESEN dirige les travaux d'adduction d'eau du camp et fait creuser une tranchée de cinq kilomètres, il exige que les captifs ne laissent jamais dépasser leur tête du sommet de la tranchée. Sans quoi, les malheureux sont frappés à coups de crosses jusqu'à ce que mort s'en suive.
  " Peau de vache " n'hésite pas à faire passer une nuit debout et dans le froid les déportés, surtout une fois lorsqu'il s'aperçoit que trois de ses kapos se sont enfuis.

   Lors de l'évacuation du kommando en avril 1945, les déportés sont transférés au camp de Wobbelin près de Ludwigslust. La nourriture est encore réduite, les appels de deux heures sont multipliés. Les survivants sont tellement épuisés qu'ils ne parviennent plus à enterrer leurs camarades décédés.
   Le 2 mai 1945, les SS quittent leur uniforme. CALLESEN s'éclipse mais ce Danois impitoyable est appréhendé après la libération par le procureur du roi de Loenderborg. René MENU répond alors à un long questionnaire du magistrat. " Peau de vache " est inculpé d'activité antinationale au service de la Waffen SS.
   Les descriptions précises adressées par René MENU au procureur et les autres témoins qui ont confortés ses dires ont permis la traduction de ce sous-officier SS devant les juges de son pays.

« Je n'ai pas agi par vengeance, mais par conviction qu'il fallait que ces crimes odieux soient punis par la justice d'un État démocratique, et que l'accusé soit à même de se défendre même si cela pouvait apparaître paradoxal au regard de ce qui pesait sur sa conscience et du sang qu'il avait sur les mains.
   Je me suis refusé à exagérer le trait et n'ait pas voulu succomber à l'arrogance du vainqueur.
   J'ai simplement dit et décrit ce que j'avais vécu pour qu'on se fasse une idée précise de la cruauté du système concentrationnaire nazi et de cette culture de mort.
    Tout au long de ma déportation, comme pendant ce temps où j'ai expliqué au procureur du roi l'enfer, la prière a toujours été d'un précieux conseil »
(  29  ).

  À Falersleben où se trouve aussi le syndicaliste rémois Charles GUGGIARI, responsable du mouvement Libération-Nord dans la Marne, même les laïcs n'abandonnent pas les chrétiens engagés comme eux dans la Résistance. Il décrit l'aide apporté à un jeune prêtre jurassien, arrêté parce qu'il avait fourni notamment une soutane à un aviateur américain :

« Les onze mois que nous avons vécu ensemble nous permirent de connaître la grandeur et la haute moralité de ce prêtre, toujours prêt à secourir ses semblables.
   Sachant le réconfort que la religion apportait aux croyants et voulant faire plaisir à Germain, je lui avais promis de risquer le tout pour le tout pour lui donner satisfaction.
   C'est ainsi que grâce à un prisonnier de guerre de Touraine, André Bédouin, j'ai apporté une centaine d'hosties consacrées au camp.
   Jamais je n'oublierai l'émotion de ce prêtre lorsque je lui ai remis le précieux paquet ».

   Charles GUGGIARI qui n'est pas croyant, ne se cache pas de dire au prêtre ce qu'il pense de la religion chrétienne : « J'estimais que l'amour du Christ était bien peu de chose comparé à la souffrance que nous endurions », mais il lui porte assistance 30 ).

Fernand Alleau

   Le Châlonnais Fernand ALLEAU n'a jamais dissimulé que son engagement a été en phase avec sa foi. Ce sportif qui entre à la section des pupilles de la société de gymnastique L'Espérance et devient en 1937 le moniteur de l'ensemble des sections du patronage, ainsi que membre de la commission de gymnastique de la Fédération sportive de France est élu président de la section marnaise.
   L'armistice de juin 1940 contrarie les sentiments patriotiques de cet aviateur du bataillon de l'air 112. Le 1er mars 1942, il entre dans la résistance active comme membre du réseau CDP 3 du Bureau des opérations aériennes ( BOA ). Dès lors, il travaille en étroite liaison avec le groupe Tritant qui reçoit des parachutages et multiplie à l'été 1943 les sabotages à Châlons-sur-Marne et dans l'arrondissement.
    Il est appréhendé une première fois avec son épouse par la gestapo le 9 septembre 1943 et interné à la prison de Châlons jusqu'au 30 novembre. Les agents ennemis ne parviennent pas à le confondre. On lui reproche alors d'avoir été complice de GALLAS un entrepreneur de vidanges et d'avoir avec HORGUELIN, MICHAUD et Raymond PRIEUR transporté des armes. Avant de le remettre en liberté, BISCHOF, l'une des brutes de la gestapo lui précise toutefois : « M. Alleau, on se reverra ».
   Fernand ALLEAU reprend avec la même détermination le combat, mais le 3 mars 1944, il est de nouveau arrêté alors qu'il est hospitalisé à la clinique Ménager où il vient de subir une lourde intervention chirurgicale. Il est immédiatement transféré à la section allemande de l'hôpital de Reims. Le groupe châlonnais de CDLL a envisagé d'enlever Fernand ALLEAU à la clinique.

   L'abbé GILLET relate cet épisode :

« Le docteur mis au courant et conscient du danger qu'il courait, accepta courageusement notre décision. Mais en venant aux derniers renseignements, la veille au soir de l'équipée prévue, on dut constater que la gestapo avait placé devant la porte deux sentinelles particulièrement musclées. Nous n'étions pas taillés pour les affronter »31 ).

   Dirigé sur Compiègne, Fernand ALLEAU est déporté à Dachau et envoyé au kommando d'Allach. Il est libéré par les alliés et rapatrié le 18 mai 1945.

Pierre BAYIOT

   Pierre BAYIOT, cet autre Châlonnais natif d'Attigny dans les Ardennes est un membre très actif du Cercle catholique de la rue Pasteur. Il s'occupe aussi des activités sportives et intervient dans deux disciplines : la gymnastique et le basket. Il concourt aussi à la dynamique de la section théâtre. Il tient avec son épouse Madeleine, le café de l'Hémicycle 91, rue de la Marne.
    À la déclaration de guerre, Pierre BAYIOT est sous-lieutenant de réserve à la 13e compagnie du 106e RI et participe à la campagne de Belgique. Le 1er juin 1940, il est blessé à Dunkerque à la tête de sa section. Il rejoint la Grande-Bretagne pour y être soigné, puis décide de rentrer au pays pour poursuivre le combat de l'intérieur. Il passe pour cela par l'Espagne et est démobilisé le 13 octobre 1940 à Marseille. Patriote dans l'âme, il s'engage dans les Force françaises combattantes et participe au réseau action de Ceux de la Libération-Vengeance comme chargé de mission de 2e classe ( grade d'assimilation lieutenant ). Il prépare la réception de parachutages sur plusieurs terrains homologués autour de Châlons-sur-Marne.
   Dans le groupe du Bureau des opérations aériennes ( BOA ) de la Marne, il est assigné au terrain de parachutage de Marson baptisé " La Bruyère ", dont le message BBC est : « Le diable est sorti de sa boîte » et à celui de Thibie, qui doit être activé après la diffusion de cette phrase : « Le froment fait le pain blanc ».
    Gilbert BAYIOT est malheureusement dénoncé à la gestapo qui perquisitionne son établissement et son domicile le 8 septembre 1943 à l'heure du dîner. Il est immédiatement emmené cours d'Ormesson puis enfermé à la prison de Châlons jusqu'à son transfert à Compiègne.
   Le 24 janvier 1944, il fait partie d'un convoi de 1 996 déportés pour Buchenwald. Il y reçoit le matricule 42 427 et subit comme ses camarades d'infortune toutes les brimades possibles.
   Fin avril 1944, il est transféré dans le commando le plus dur du camp de Dora celui d'Ellrich. Employé à creuser un tunnel sous la montagne pour entreposer les nouvelles armes nazies, il vit jour et nuit sous terre, dans la boue et la poussière, avec le bruit incessant des perceuses pneumatiques. Les mauvais traitements, le manque de nourriture et le travail forcé ont raison de sa constitution robuste. Amaigri et atteint de dysenterie, il succombe au revier d'Ellrich le 7 janvier 1945 dans sa 36e année laissant une veuve et cinq enfants.

Jacques SONGY

   Jacques SONGY, ancien scout, ancien du groupe Melpomène, déporté résistant qui a passé neuf mois à Dachau et les a relatés dans un fascicule Fortes impressions de Dachau illustré par son camarade du collège André BINOIS, a également publié son Journal de bord, c'est-à-dire ce qu'il a pu noter lorsqu'il était au camp.
   Il montre à plusieurs reprises combien sa foi a pu lui être précieuse ou celle de ses voisins de galère. À l'exemple de cette remarque faite par un chrétien authentique Edmond MICHELET, dont le rôle a été déterminant pour l'aider à affronter le typhus et à s'en sortir. Regardant le jeune homme titubant sur ses jambes qu'il n'ose plus regarder pour rejoindre sa paillasse, il lui glisse avec une pointe d'humour : « Écoutez mon petit Songy, je voudrais vous dire quelque chose : Quand vous allez aux cabinets, vous devriez mettre votre pantalon, c'est plus digne ! ». Mais dans les quelques phrases qu'il a notées, Jacques SONGY évoque à plusieurs reprises la présence d'un prêtre.
   Le dimanche 24 octobre 1944, il évoque la présence de l'abbé HAULET qui est parvenu à pénétrer dans le block :

« Il est étonné de notre dénuement. Je dois le revoir aujourd'hui. Allons du cran. Je parle souvent avec les Hollandais. Après avoir épuisé les spécialités culinaires, notre champ de conversation s'étend au domaine de la littérature. J'espère… ».


    Le 11 novembre 1944, après avoir discuté avec le général DELESTRAINT dont il est impressionné par le courage et l'idéal, il écrit :

« Je note cette phrase de Tout l'Evangile dans toute la Vie   " contre la tendance de l'élève modèle qui remporte tous les prix de sagesse, une sentence de Foch " : " La victoire n'appartient qu'à un commandement avide d'aventuresaudacieuses et de responsabilités "...
    Je prie quand le courage me manque, et même s'il ne me manque pas ».


   Le 25 décembre, il se souvient de la nuit de la Nativité vécue en famille : « Le soir arrivait. La brume descendait. On rentrait de la ville. On revenait de la messe dite à 5 heures du soir, et le repas commençait tard, joyeux, traditionnel et il se prolongeait dans la nuit ».
   Revenant brusquement à son vécu de l'événement à Dachau il mentionne :

« Les Polonais ont chanté autour de l'arbre. J'ai chanté presque par force deux ou trois cantiques. Je pense à Noël de là-bas. Mon père, mes frères et toi chère maman qui nous protège. Verrai-je la fin de ce cauchemar. Noël en Allemagne.
   Enfant Jésus donne nous du courage. Allons du courage… Pour beaucoup c'est encore un Noël dur… Mais pensons à la France Libre qui respire et renaît de cette nuit superbe ».

   La foi donne aussi ce courage pour défier et se moquer de la mort.
   Le 1er avril 1945, alors que dans une chambre transformée en infirmerie, il meurt trois à quatre déportés par jour, ceux qui survivent décident de faire une farce morbide à leurs géôliers. Un Français fait le mort et il est transporté vers la morgue. Brusquement, il se redresse et exprime sa volonté de retourner dans son block. Les infirmiers lâchent le brancard de stupeur et les SS sont si ébahis qu'ils ne demandent aucune explication.
   Pour Jacques SONGY et ses amis, c'est une petite victoire de la providence en attendant ces Américains qui vont bientôt surgir et leur ouvrir les portes de la Liberté :

« Dimanche 29 avril 1945, à 17 h 30, les soldats de la 7e armée américaine pénètrent dans le camp.
   Depuis deux jours, fusillades et canonnades autour de Dachau, laissaient prévoir leur entrée.
   Je suis sur la place presque aussitôt. Enthousiasme indescriptible dans la foule en délire. Les portraits de Hitler et de tous les tortionnaires nazis volent en éclats.
   Je parcours quelques temps la place serrant des mains à droite, à gauche.
   Je rentre au revier tout bouleversé, les yeux brillants de larmes. On s'embrasse. On acclame le premier soldat américain qui pénètre dans la chambre avec un enthousiasme inouï »
.

   Le moment est intense. Tant de déportés l'ont espéré mais ont été fauchés par la mort avant.
   Jacques SONGY témoigne par l'authenticité de son témoignage consigné dès son retour, l'intensité de ce moment que seuls ceux qui l'ont vécu apprécient à sa pleine mesure.


Conclusion

   L'Église catholique a-t-elle indiqué aux fidèles où étaient leurs devoirs ?
   Dans Journal de la conscience française, le père Gaston FESSARD insiste sur le drame vécu par une partie des catholiques, qu'ils soient clercs ou laïcs, qui ont été obligés de choisir entre le dictamen de leur conscience qui leur enjoignait de désobéir, et les directives d'une hiérarchie qu'une longue tradition les avait habitué à suivre sans discussions.
   « Si pour tout citoyen, s'engager dans la Résistance c'était rompre l'ordre social, pour les catholiques la rupture était double : avec la société civile et avec la communauté ecclésiale » rappelle René RÉMOND.
   Le père FESSARD enfonce le clou et reproche aux évêques d'avoir, en reconnaissant une légitimité au gouvernement de Vichy, fait le jeu de la collaboration qu'ils n'ont pourtant jamais approuvée :
« Des hommes d'Église eussent dû, par leur doctrine et leur expérience, découvrir mieux que les autres les sophismes de l'ennemi ».
Il considère que la plupart des évêques au lieu d'éclairer les consciences les ont laissées dans l'ignorance.
    « Les catholiques de France ont dû chercher ailleurs et se reporter aux déclarations des épiscopats étrangers. On ne manquera pas de relever que ce reproche d'avoir manqué au devoir d'éclairer les consciences de leurs fidèles et de la nation toute entière, c'est précisément ce dont les évêques français aujourd'hui en fonction, ont récemment demandé pardon dans leur déclaration de Drancy » indique encore René RÉMOND.

    De fait les protestations contre les déportations ont été tardives et ont manqué de puissance même si dans le même temps, bien des fidèles ont fait le choix de la Résistance qu'ils jugeaient en conscience en phase avec leur foi et la parole de Dieu.
   Le père FESSARD estime que les évêques ont péché par absence de sens politique :

« Ils s'en sont tenus à l'enseignement reçu de la théologie traditionnelle sur le pouvoir établi, sans s'interroger sur le degré de liberté laissé par l'occupant au gouvernement de Vichy.
   Ils lui sont demeurés obstinément fidèles jusqu'au bout sans tenir compte de l'évolution de la situation et de celle de l'opinion avec laquelle, ils se sont trouvés en porte-à-faux ».

   Dans sa progression de la compréhension des comportements, le père FESSARD relève que l'adhésion au gouvernement du maréchal s'est rétrécie au fur et à mesure que sa liberté se réduisait comme une peau de chagrin, et il semble discerner une porte laissée ouverte pour rejoindre la Résistance, ce qui n'est jamais révélé dans les textes de l'épiscopat.
   En revanche, il a raison lorsqu'il note qu'une partie des fidèles a vu clair beaucoup plus tôt que ses pasteurs 32 ).
   Il est patent qu'une inattention aux propos tenus avant la Seconde Guerre mondiale n'a pas suscité assez tôt l'éveil des chrétiens. HITLER avant même la déclaration de guerre déclarait :

« Je vous jure que si je voulais, je pourrais détruire l'Eglise en quelques années. Elle est creuse, pourrie, fausse, de bout en bout. L'Eglise a été quelque chose de vraiment grand. Nous sommes ses héritiers. Nous sommes l'Eglise. Son heure à elle est terminée » 33 ).

   On a vainement attendu des réactions claires aux accusations en cascade portées en 1941 et dont l'authenticité est attestée par les procès verbaux et les pièces à conviction répertoriées du procès de Nuremberg. ;

   Henrich Himmler : « Nous n'aurons pas de repos avant d'avoir détruit le christianisme ».
   Martin BORMANN : « Le national socialisme et le christianisme sont incompatibles ».
   Reinhard HEYDRICH : « Nous ne pouvons plus tolérer les esprits obscurs, les bouffons, les sorciers du ciel » 34 ).

   Laissons ce mot de conclusion à notre confrère Christian BERNADAC disparu en janvier 2004 et qui dans Les Sorciers du ciel écrit :

« La déportation a profondément marqué les prêtres qui l'ont vécue et à travers eux toute l'Eglise.
  Là-bas, dans l'angoisse d'un chantier, d'une place d'appel, d'un Block, beaucoup de curés, de vicaires, de séminaristes, de chrétiens authentiques ont découvert des ouvriers, des communistes, un monde qu'ils soupçonnaient, mais qu'ils ignoraient.
  Là-bas, beaucoup sont sortis d'eux-mêmes.
  Là-bas peut-être, l'Église du Concile est née.
  Là-bas des hommes ont aimé à en mourir d'autres hommes ».


Document annexe
Lettre de Monseigneur l'évêque de Bayeux
Noël 1942

   « À la suite des événements actuels, nous avons l'immense tristesse de vous informer que les fêtes de Noël n'auront pas lieu cette année pour les raisons suivantes :
       1. La Vierge et l'enfant Jésus sont évacués
       2. Joseph est dans un camp de concentration
       3. Le bœuf et la vache sont vendus au marché noir
       4. Les moutons ont été saisis et expédiés en Allemagne
       5. Les Rois Mages sont passés à la dissidence
       6. L'étable a été réquisitionnée
       7. Les Bergers qui sont tous réfractaires au service obligatoire en Allemagne se sont camouflés dans la montagne
       8. Les Anges ont été descendus par la DCA et les étoiles sont restées accrochées aux manches du chef de l'État.

       Prions mes frères pour que de Gaulle et Giraud remportent la Victoire et nous débarrassent du mal.
       Ainsi soit-il !
 »

Document publié dans la revue Bayeux et le Bessin
en vente au
Mémorial de Caen
et communiqué par Yvette LUNDY,
ancienne déportée résistante.




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