Les
Juifs restés dans l'arrondissement de Sainte Ménehould pendant la
Seconde Guerre mondiale étaient très peu
nombreux.
Les listes établies par les services de la sous-préfecture
ne faisaient état que de quelques familles, qui ont été victimes
des 3 grandes vagues d'arrestation :
le 20 juillet 1942,
à la suite de la rafle du Vélodrome d'Hiver en région parisienne,
le 9 octobre 1942 et le 27
janvier 1944.
Les arrestations du 20
juillet 1942 concernaient les Juifs étrangers de 16 à 45 ans, en
état de travailler.
Dès que les autorités d'occupation lui ont donné
l'ordre d'arrestation, le préfet de la Marne a chargé le Commandant
de gendarmerie de Châlons-sur-Marne de l'opération.
Lettre adressée par le préfet de la Marne
au Commandant de gendarmerie à Châlons - sur - Marne,
le 17 juillet 1942.
J'ai
l'honneur de vous adresser ci-inclus, en double exemplaire, le relevé
par arrondissement, de Juifs apatrides et étrangers, de 16 à 45
ans, qui doivent être, suivant les ordres des Autorités d'occupation,
concentrés à Châlons, au Frontstalag.
Cette opération devra être effectuée avec célérité
et simultanément dans l'ensemble du département.
Du moment de la notification de la décision des
autorités allemandes aux intéressés, ils ne devront plus être perdus
de vue.
Il leur sera laissé le temps nécessaire pour préparer
leur départ, mais les gendarmes devront les surveiller constamment
jusqu'à leur arrivée au Frontstalag.
La concentration devra être terminée pour le mardi
21 juillet, à midi au plus tard.
Cette date devra être strictement respectée.
Chaque Juif ne pourra disposer que d'un bagage
(valise ou sac tyrolien) contenant les objets suivants :
- 1
paire de gros souliers de travail ;
- 2
paires de chaussettes ou de bas ;
- 2
chemises - 2 caleçons ou 2 culottes ;
- 1
costume de travail ;
- 1
pull-over ;
- 2
couvertures de laine ;
- 2
garnitures de lit (enveloppe et drap) ;
- 1
gamelle ;
- 1
gobelet ;
- 1
cuillère ainsi que les objets de toilette indispensables.
Les
dispositions seront prises d'accord avec les Maires pour que les
scellés soient apposés sur les appartements laissés libres à la
suite du départ de leurs occupants juifs, et la liste m'en sera
adressée afin de me permettre de la transmettre aux autorités allemandes.
Les enfants seront momentanément confiés aux œuvres
locales de bienfaisance en accord avec les maires qui se chargeront
d'assurer leur hébergement en attendant qu'ils soient remis aux
œuvres d'assistance qui en auront la charge.
Je n'ai pas besoin d'insister sur le tact
et l'humanité dont devront faire preuve les militaires de la gendarmerie
dans l'exécution de ces mesures.
En ce qui concerne les villes, vous vous mettrez
en relations avec les commissaires de police pour l'exécution de
concert de ces instructions.
Le Préfet de la Marne
Archives
départementales de la Marne-
M 11316 et 3099
C'est ainsi qu'ont été arrêtés Charles et Ida FINKELSTEIN et leurs deux
aînés, Albert (20 ans) et Rose (18 ans).
Les FINKELSTEIN avaient émigré de Pologne où étaient nés Albert et Rose, étaient
venus s'installer à Paris où étaient nés Jacques, en 1928, et Léon, en 1931, puis
à Sainte Ménehould où étaient nés une seconde fille Marcelle en 1932 et le petit Henri en
1935.
Albert ( 2e
à gauche tenant par l'épaule Ida KSIAZENICER )
et Rose FINKELSTEIN ( à droite )
Jacques
FINKELSTEIN
|
Henri
FINKELSTEIN
|
Léon
FINKELSTEIN
|
Voici
le rapport de gendarmerie de la section de Sainte Ménehould
daté du 21 juillet 1942, concernant leur arrestation :
Sur
ordre des autorités allemandes d'occupation, transmis par
lettre de Monsieur le préfet régional de la région
de châlons-sur-Marne, en date du 17 juillet 1942, la gendarmerie
française a été chargée d'appréhender
à leur domicile les Juifs étrangers ou apatrides
des deux sexes de 16 à 45 ans pour les concentrer au Frontstalag de Châlons-sur-Marne.
Deux familles juives, les familles Finkelstein
et Ksiazenicer demeurant à Sainte Ménehould étaient
visées par ces mesures et figuraient sur les listes des
personnes à appréhender.
Le
20 juillet à 7 heures, le lieutenant commandant la section,
accompagné du personnel de la brigade de Sainte Ménehould,
a fait procéder au domicile des deux familles aux opérations
prescrites qui se sont déroulées simultanément
chez chacune d'elle.
La famille Finkelstein habitant à Sainte
Ménehould 38, rue Florian, se compose du père Charles
, né le 9 mai 1901 à Blousk ( Pologne ),
de la mère Ida, née le 3 mai à Varsovie (Pologne)
et de six enfants dont deux Albert et Rose ont plus de 16 ans.
le père et le fils aîné exrecent la profession
d'artisans cordonniers.
Le père, la mère et les deux enfants
aînés ont été emmenés - les
enfants plus jeunes âgés respectivement de 14, 11,
10 et 7 ans ont été confiés au maire qui
les a provisoirement déposés à l'hospice
de la ville. Les scellés ont été apposés
sur l'appartement laissé libre par ces personnes ainsi
que sur l'atelier de coordonnerie leur appartenant 2, rue Florian,
par le Greffier de Paix.
La famille Ksiazenicer habitant 6, avenue Kellermann
se compose du père Faivel,
né le 18 avril 1898, de la mère Simone, née
le 16 juin 1901, et d'une fille, Marie, Ida,
née le 7 février 1924.
Ces
gens sont d'ancienscommerçants dépossédés
de leur magasin.
Le père était absent à
l'arrivée des gendarmes, parti en voyage à Reims
pouyr plusieurs jours, selon les dires de sa femme, mais vraiseùmblablement
en fuite. la police et la gendarmerie de reims ont été
immédiatement alertées et une note de recherches
a été diffusée en vue de le découvrir.
la mère en éta de grossesse avancée
(état attesté par certificat médical) a été
laissée en liberté.
la fille, née en France, qui a présenté
une déclaration d'option pour la nationalité française
faite par ses parents le 11 décembre 1928 et enregistrée
au Ministère de la Justice le 19 juin 1929 en application
de la loi du 10 août 1927, a également été
laissée en liberté.
L'application de es mesures a causé un
vif émoi dans la population, même parmi les personnes
n'ayant pas de sympathie en général pour les israélites.
L'opinion publique déplore en général
que cette mesure ait été confiée à
la police française.
Archives
départementales de la Marne-
M 3099
Charles,
Ida, Albert et Rose FINKELSTEIN ont fait partie des 43
Juifs arrêtés dans la région de Champagne le 20 juillet, internés
au Frontstalg de Châlons, puis transférés à Drancy le 24
juillet.
Ce transfert a fait lui aussi l'objet d'un rapport de gendarmerie
daté du 28 juillet 1942 :
Le
24 juillet à 6 heures, les Juifs internés au Frontstalag de Châlons-sur-Marne ont été conduits à
la gare à l'aide d'un car fourni par le service des Ponts
et Chaussées.
Ils ont pris place dans une voiture de voyageurs
de 3ème classe, placée gare des voyageurs.
Les bagages et les vivres de réserve ont
été chargés dans un fourgon accroché
à la voiture précitée;
À 7 heures 30, ces deux voitures ont été
remorquées jusqu'à la gare de triage pour être
accrochées au train VB 1232 qui a quitté Châlons-sur-Marne
à 8 heures 04 et est arrivé à la gare de Bourget-Drancy
à 17 heures.
Le transport de la gare de Drancy a été
fait par un car de la ville de Paris et à 19 heures la remise
de 43 Juifs était effectuée.
Aucun incident ne s'est produit au cours de ce
transfert et les gendarmes d'escorte étaient de retour à
Châlons-sur-Marne le même jour à 21 heures 57.
Ci-joint une attestation de la remise de 43 Juifs.
Archives
départementales de la Marne-
M 3099
Les FINKELSTEIN ont été déportés à Auschwitz
par le convoi n° 11 du 27 juillet 1942.
Le
Commandant de la SIPO-SD à Châlons, VON
KORFF, était très mécontent du faible nombre de Juifs
arrêtés, 43, alors qu'il comptait en faire arrêter 95.
Il a indiqué dans son rapport à ses supérieurs
: « Cela
n'est pas à mettre au compte d'une carence de la police française,
mais… uniquement au fait que la juiverie du territoire avait eu
très amplement connaissance des rafles parisiennes ».
Il
ajouta qu'il faudrait à l'avenir opérer les arrestations partout
en même temps, en excluant la police française et en utilisant la Feldgendarmerie.
Ce sont pourtant encore des gendarmes français
qui sont chargés des arrestations du 9 octobre
1942 visant des Juifs étrangers, cette fois sans considération
d'âge.
A Sainte Ménehould sont arrêtés ce jour là Syma
KSIAZENICER et les 4 enfants FINKELSTEIN, Jacques, Léon, Marcelle et Henri, qui, après l'arrestation
de leurs parents, étaient restés à la garde de l'Hôpital de la ville
et d'un ménéhildien, Etienne THIERY.
Le
rapport de gendarmerie daté du 9 octobre 1942 ( Archives
départementales de la Marne - M 3099 et M
3100 ) qui fait état de ces arrestations est très laconique : les
deux gendarmes de la brigade de Sainte Ménehould qui ont
arrêté Syma KSIAZENICER ont
bien noté qu'elle a deux enfants âgés de 18
ans et 2 mois de nationalité française, mais il n'y
a aucune mention particulière d'intervention ou pour souligner
le fait.
Ce même rapport rend compte de l'arrestation
le même jour des enfants FINKELSTEIN à l'Hôpital de sainte Ménehould.
Il conclue en signalant que « ces
opérations se sont déroulés sans incident ».
Ces
arrestations d'autant plus dramatiques que les personnes visées
pouvaient échapper à la déportation :
- Syma
KSIAZENICER était la maman d'un bébé de 2 mois.
En juillet 1942, les mamans d'enfants de moins
de 2 ans n'avaient pas été arrêtées.
- les enfants FINKELSTEIN étaient des enfants de nationalité française.
Jacques et Léon avaient été déclarés français
en 1931 ; mais par malheur, la même démarche n'avait pas été faite
par la suite pour Marcelle et Henri, les parents FINKELSTEIN ayant peut-être pensé que leur naissance à Sainte Ménehould et la
parfaite intégration de la famille dans la cité suffisait pour qu'ils
soient considérés comme Français.
Les nombreuses listes établies par la sous préfecture de Sainte
Ménehould montrent bien un certain embarrras à ce sujet puisque Marcelle et Henri sont parfois dits « Polonais »", parfois
« Français ».
En tout cas, l'ordre d'arrestation qui émanait
des services de police allemande a considéré que
les 4 enfants étaient Polonais et pouvaient donc être déportés.
52 juifs sont arrêtés
ce9 octobre 1942 dans la région de Champagne et dirigés sur le Frontstalag de Châlons.
Ida BONIACK se
souvient y être allée voir sa mère, bravant tous les dangers.
C'est du Frontstalag que, le 10 octobre, Jacques FINKELSTEIN a écrit à Monsieur THIERY pour lui annoncert
qu'ils étaient arrivés à Châlons, où on les avit installés dans « une
vaste grange entourée de barbelés ».
Le
16 octobre, les 52 Juifs sont dirigés sur Drancy, puis déportés
par le convoi n°40 du 4 novembre 1942.
Jacques a envoyé quelques lettres de Drancy.
Je vous lis la toute dernière datée du 2 novembre
1942 :
Chers
amis,
Je voudrai tout d'abord vous remercier de
tout coeur au nom de mes petits et en mon nom pour le colis
que vous avez eu la bonté de nous envoyer.
Vous ne pouvez vous imaginer la joie que nous
a fait cette surprise.
Malheureusement ce sera le dernier, car nous
partons demain pour une destination inconnue.
Cette lettre est donc la dernière.
Je l'écris avec un enthousiasme fou,
car je suis tellement sûr d'être courageux que je
suis content, nous devons retrouver nos parents.
Bons baisers. rappeleez-nous au souvenir de
Jacques.
Jacques
Les dernières arrestations dans l'arrondissement
de Sainte Ménehould ont eu lieu
le 27 janvier 1944.
Ce jour là, 92 Juifs
ont été arrêtés dans la Marne par la police et la Feldgendarmerie allemandes.
Le préfet de la Marne écrit dans son rapport de février
: « Les
dernières familles juives de la Marne ont été arrêtées ».
La rafle du 27 janvier 1944 a été fatale à Fanny
KALECHMANN, jeune juive de 23 ans, sans doute réfugiée
de la région parisienne et employée à Malmy comme ouvrière agricole.
Elle le fut aussi pour Emile et Lucie LEVY, bouchers de Verdun,
réfugiés à Sainte Ménehould puis à Verrières et pour leurs deux
filles qui travaillaient toutes deux à Sainte Ménehould,
Andrée (25 ans) chez une couturière, et Marcelle (23 ans) qui était sténodactylo chez Maître BASTID.
Andrée
LEVY
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Marcelle
LEVY
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