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La déportation des Juifs
de Sainte Ménehould

Conférence de
Jocelyne HUSSON
Jeudi 27 avril 2000
Hôtel de Ville de Sainte Ménehould

 


 

 



   Les Juifs restés dans l'arrondissement de Sainte Ménehould pendant la Seconde Guerre mondiale étaient très peu nombreux.
   Les listes établies par les services de la sous-préfecture ne faisaient état que de quelques familles, qui ont été victimes des 3 grandes vagues d'arrestation :  le 20 juillet 1942, à la suite de la rafle du Vélodrome d'Hiver en région parisienne, le 9 octobre 1942 et le 27 janvier 1944.

   Les arrestations du 20 juillet 1942 concernaient les Juifs étrangers de 16 à 45 ans, en état de travailler.
   Dès que les autorités d'occupation lui ont donné l'ordre d'arrestation, le préfet de la Marne a chargé le Commandant de gendarmerie de Châlons-sur-Marne de l'opération.

Lettre adressée par le préfet de la Marne
au Commandant de gendarmerie à Châlons - sur - Marne,
le 17 juillet 1942.

 J'ai l'honneur de vous adresser ci-inclus, en double exemplaire, le relevé par arrondissement, de Juifs apatrides et étrangers, de 16 à 45 ans, qui doivent être, suivant les ordres des Autorités d'occupation, concentrés à Châlons, au Frontstalag.
   Cette opération devra être effectuée avec célérité et simultanément dans l'ensemble du département.
   Du moment de la notification de la décision des autorités allemandes aux intéressés, ils ne devront plus être perdus de vue.
   Il leur sera laissé le temps nécessaire pour préparer leur départ, mais les gendarmes devront les surveiller constamment jusqu'à leur arrivée au Frontstalag.
   La concentration devra être terminée pour le mardi 21 juillet, à midi au plus tard.
   Cette date devra être strictement respectée.
   Chaque Juif ne pourra disposer que d'un bagage (valise ou sac tyrolien) contenant les objets suivants :
           - 1 paire de gros souliers de travail ;
           - 2 paires de chaussettes ou de bas ;
           - 2 chemises - 2 caleçons ou 2 culottes ;
           - 1 costume de travail ;
           - 1 pull-over ;
           - 2 couvertures de laine ;
           - 2 garnitures de lit (enveloppe et drap) ;
           - 1 gamelle ;
           - 1 gobelet ;
           - 1 cuillère ainsi que les objets de toilette indispensables.

   Les dispositions seront prises d'accord avec les Maires pour que les scellés soient apposés sur les appartements laissés libres à la suite du départ de leurs occupants juifs, et la liste m'en sera adressée afin de me permettre de la transmettre aux autorités allemandes.
   Les enfants seront momentanément confiés aux œuvres locales de bienfaisance en accord avec les maires qui se chargeront d'assurer leur hébergement en attendant qu'ils soient remis aux œuvres d'assistance qui en auront la charge.
    Je n'ai pas besoin d'insister sur le tact et l'humanité dont devront faire preuve les militaires de la gendarmerie dans l'exécution de ces mesures.
   En ce qui concerne les villes, vous vous mettrez en relations avec les commissaires de police pour l'exécution de concert de ces instructions.

Le Préfet de la Marne
 Archives départementales de la Marne- M 11316 et 3099

   C'est ainsi qu'ont été arrêtés Charles et Ida FINKELSTEIN et leurs deux aînés, Albert (20 ans) et Rose (18 ans).
   Les FINKELSTEIN avaient émigré de Pologne où étaient nés Albert et Rose, étaient venus s'installer à Paris où étaient nés Jacques, en 1928, et Léon, en 1931, puis à Sainte Ménehould où étaient nés une seconde fille Marcelle en 1932 et le petit Henri en 1935.

Albert ( 2e à gauche tenant par l'épaule Ida KSIAZENICER )
et Rose FINKELSTEIN ( à droite )

Jacques FINKELSTEIN

Henri FINKELSTEIN

Léon FINKELSTEIN

Voici le rapport de gendarmerie de la section de Sainte Ménehould
daté du 21 juillet 1942, concernant leur arrestation :

 Sur ordre des autorités allemandes d'occupation, transmis par lettre de Monsieur le préfet régional de la région de châlons-sur-Marne, en date du 17 juillet 1942, la gendarmerie française a été chargée d'appréhender à leur domicile les Juifs étrangers ou apatrides des deux sexes de 16 à 45 ans pour les concentrer au Frontstalag de Châlons-sur-Marne.
   Deux familles juives, les familles Finkelstein et Ksiazenicer demeurant à Sainte Ménehould étaient visées par ces mesures et figuraient sur les listes des personnes à appréhender.

  Le 20 juillet à 7 heures, le lieutenant commandant la section, accompagné du personnel de la brigade de Sainte Ménehould, a fait procéder au domicile des deux familles aux opérations prescrites qui se sont déroulées simultanément chez chacune d'elle.
   La famille Finkelstein habitant à Sainte Ménehould 38, rue Florian, se compose du père Charles , né le 9 mai 1901 à Blousk ( Pologne ), de la mère Ida, née le 3 mai à Varsovie (Pologne) et de six enfants dont deux Albert et Rose ont plus de 16 ans. le père et le fils aîné exrecent la profession d'artisans cordonniers.
   Le père, la mère et les deux enfants aînés ont été emmenés - les enfants plus jeunes âgés respectivement de 14, 11, 10 et 7 ans ont été confiés au maire qui les a provisoirement déposés à l'hospice de la ville. Les scellés ont été apposés sur l'appartement laissé libre par ces personnes ainsi que sur l'atelier de coordonnerie leur appartenant 2, rue Florian, par le Greffier de Paix.
   La famille Ksiazenicer habitant 6, avenue Kellermann se compose du père Faivel,
né le 18 avril 1898, de la mère Simone, née le 16 juin 1901, et d'une fille, Marie, Ida,
née le 7 février 1924.
   Ces gens sont d'ancienscommerçants dépossédés de leur magasin.
   Le père était absent à l'arrivée des gendarmes, parti en voyage à Reims pouyr plusieurs jours, selon les dires de sa femme, mais vraiseùmblablement en fuite. la police et la gendarmerie de reims ont été immédiatement alertées et une note de recherches a été diffusée en vue de le découvrir.
   la mère en éta de grossesse avancée (état attesté par certificat médical) a été laissée en liberté.
   la fille, née en France, qui a présenté une déclaration d'option pour la nationalité française faite par ses parents le 11 décembre 1928 et enregistrée au Ministère de la Justice le 19 juin 1929 en application de la loi du 10 août 1927, a également été laissée en liberté.    
   L'application de es mesures a causé un vif émoi dans la population, même parmi les personnes n'ayant pas de sympathie en général pour les israélites.
   L'opinion publique déplore en général que cette mesure ait été confiée à la police française.

   Archives départementales de la Marne- M 3099

   Charles, Ida, Albert et Rose FINKELSTEIN ont fait partie des 43 Juifs arrêtés dans la région de Champagne le 20 juillet, internés au Frontstalg de Châlons, puis transférés à Drancy le 24 juillet.

Ce transfert a fait lui aussi l'objet d'un rapport de gendarmerie daté du 28 juillet 1942 :

 Le 24 juillet à 6 heures, les Juifs internés au Frontstalag de Châlons-sur-Marne ont été conduits à la gare à l'aide d'un car fourni par le service des Ponts et Chaussées.
   Ils ont pris place dans une voiture de voyageurs de 3ème classe, placée gare des voyageurs.
   Les bagages et les vivres de réserve ont été chargés dans un fourgon accroché à la voiture précitée;
   À 7 heures 30, ces deux voitures ont été remorquées jusqu'à la gare de triage pour être accrochées au train VB 1232 qui a quitté Châlons-sur-Marne à 8 heures 04 et est arrivé à la gare de Bourget-Drancy à 17 heures.
   Le transport de la gare de Drancy a été fait par un car de la ville de Paris et à 19 heures la remise de 43 Juifs était effectuée.
   Aucun incident ne s'est produit au cours de ce transfert et les gendarmes d'escorte étaient de retour à Châlons-sur-Marne le même jour à 21 heures 57.
   Ci-joint une attestation de la remise de 43 Juifs.

Archives départementales de la Marne- M 3099

   Les FINKELSTEIN ont été déportés à Auschwitz par le convoi n° 11 du 27 juillet 1942.

   Le Commandant de la SIPO-SD à Châlons, VON KORFF, était très mécontent du faible nombre de Juifs arrêtés, 43, alors qu'il comptait en faire arrêter 95.
   Il a indiqué dans son rapport à ses supérieurs :
 « Cela n'est pas à mettre au compte d'une carence de la police française, mais… uniquement au fait que la juiverie du territoire avait eu très amplement connaissance des rafles parisiennes ».

   Il ajouta qu'il faudrait à l'avenir opérer les arrestations partout en même temps, en excluant la police française et en utilisant la Feldgendarmerie.
   
    Ce sont pourtant encore des gendarmes français qui sont chargés des arrestations du 9 octobre 1942 visant des Juifs étrangers, cette fois sans considération d'âge.
   A Sainte Ménehould sont arrêtés ce jour là Syma KSIAZENICER et les 4 enfants FINKELSTEIN, Jacques, Léon, Marcelle et Henri, qui, après l'arrestation de leurs parents, étaient restés à la garde de l'Hôpital de la ville et d'un ménéhildien, Etienne THIERY.

   Le rapport de gendarmerie daté du 9 octobre 1942 ( Archives départementales de la Marne - M 3099 et M 3100 ) qui fait état de ces arrestations est très laconique : les deux gendarmes de la brigade de Sainte Ménehould qui ont arrêté Syma KSIAZENICER ont bien noté qu'elle a deux enfants âgés de 18 ans et 2 mois de nationalité française, mais il n'y a aucune mention particulière d'intervention ou pour souligner le fait.
   Ce même rapport rend compte de l'arrestation le même jour des enfants FINKELSTEIN à l'Hôpital de sainte Ménehould.
   Il conclue en signalant que « ces opérations se sont déroulés sans incident ».

   Ces arrestations d'autant plus dramatiques que les personnes visées pouvaient échapper à la déportation :
       - Syma KSIAZENICER était la maman d'un bébé de 2 mois.
    En juillet 1942, les mamans d'enfants de moins de 2 ans n'avaient pas été arrêtées.

       - les enfants FINKELSTEIN étaient des enfants de nationalité française.
    Jacques et Léon avaient été déclarés français en 1931 ; mais par malheur, la même démarche n'avait pas été faite par la suite pour Marcelle et Henri, les parents FINKELSTEIN ayant peut-être pensé que leur naissance à Sainte Ménehould et la parfaite intégration de la famille dans la cité suffisait pour qu'ils soient considérés comme Français.
    Les nombreuses listes établies par la sous préfecture de Sainte Ménehould montrent bien un certain embarrras à ce sujet puisque Marcelle et Henri sont parfois dits « Polonais »", parfois
« Français ».
   En tout cas, l'ordre d'arrestation qui émanait des services de police allemande a considéré que
les 4 enfants étaient Polonais et pouvaient donc être déportés.
   
    52 juifs sont arrêtés ce9 octobre 1942 dans la région de Champagne et dirigés sur le Frontstalag de Châlons.

   Ida BONIACK se souvient y être allée voir sa mère, bravant tous les dangers.

   C'est du Frontstalag que, le 10 octobre, Jacques FINKELSTEIN a écrit à Monsieur THIERY pour lui annoncert qu'ils étaient arrivés à Châlons, où on les avit installés dans « une vaste grange entourée de barbelés ».
  
   
Le 16 octobre, les 52 Juifs sont dirigés sur Drancy, puis déportés par le convoi n°40 du 4 novembre 1942.

   Jacques a envoyé quelques lettres de Drancy.
   Je vous lis la toute dernière datée du 2 novembre 1942 :

       Chers amis,
   Je voudrai tout d'abord vous remercier de tout coeur au nom de mes petits et en mon nom pour le colis que vous avez eu la bonté de nous envoyer.
   Vous ne pouvez vous imaginer la joie que nous a fait cette surprise.
   Malheureusement ce sera le dernier, car nous partons demain pour une destination inconnue.
   Cette lettre est donc la dernière.
   Je l'écris avec un enthousiasme fou, car je suis tellement sûr d'être courageux que je suis content, nous devons retrouver nos parents.
   Bons baisers. rappeleez-nous au souvenir de Jacques.

 Jacques

    Les dernières arrestations dans l'arrondissement de Sainte Ménehould ont eu lieu
le 27 janvier 1944.

    Ce jour là, 92 Juifs ont été arrêtés dans la Marne par la police et la Feldgendarmerie allemandes.
  
   Le préfet de la Marne écrit dans son rapport de février :
 « Les dernières familles juives de la Marne ont été arrêtées ».

   La rafle du 27 janvier 1944 a été fatale à Fanny KALECHMANN, jeune juive de 23 ans, sans doute réfugiée de la région parisienne et employée à Malmy comme ouvrière agricole.
   Elle le fut aussi pour Emile et Lucie LEVY, bouchers de Verdun, réfugiés à Sainte Ménehould puis à Verrières et pour leurs deux filles qui travaillaient toutes deux à Sainte Ménehould,
Andrée
(25 ans) chez une couturière, et Marcelle (23 ans) qui était sténodactylo chez Maître BASTID.

Andrée LEVY

Marcelle LEVY

   Les raflés du 27 janvier 1944 ont été transférés à Drancy dès le 29 janvier et déportés à Auschwitz par les convois n°67 et 68 des 3 et 10 février 1944.
   
    J'ai sans doute été une peu longue, mais vous sentez que la mémoire de ces Juifs déportés me tient à cœur.
    Je voudrais simplement terminer en vous lisant les dernières lignes du témoignage d'Ida BONIACK qui est reproduit dans mon livre à la page 162 :

      Beaucoup de ceux qui nous ont cachés, hébergés, aidés, procuré des papiers sont morts. Je souhaite qu'ils aient transmis aux autres les valeurs qui les animaient.
   Ceux dont les parents ont été collaborateurs, dénonciateurs, pourvoyeurs de fours crématoires, n'ont pas à endosser une culpabilité qui ne leur appartient pas.
   Mais qu'ils soient vigilants.
   Le discours qui avait séduit leurs parents se fait à nouveau entendre.
   Qu'ils n'y cèdent pas.
   Qu'ils militent au contraire pour que de telles atrocités ne se renouvellent jamais, quelle que soit l'ethnie, la religion, la classe sociale visée par la discrimination.
   Qu'ils aient un regard pour les plaques commémoratives.
   
À Sainte-Menehould, deux plaques sont dédiées aux soldats morts pour la France, la troisième plaque aux 9 Juifs morts pour rien.

    La troisième plaque qu'évoque Ida BONIACK, est celle qui porte les noms de la famille FINKELSTEIN et de Syma KSIAZENICER, sa maman, plaque qui a été inaugurée le 29 avril 1990 et que vous avez vue aujourd'hui, fleurie, dans le hall de l'Hôtel de ville.


   Poser de telles plaques est un acte de mémoire important qui perpétue le souvenir des déportés, mais c'est aussi un acte d'avenir qui nous incite, comme le dit très justement Ida, à être vigilants face à toutes les formes de discrimination et d'exclusion.?

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© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000
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