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Les juifs du camp forestier de Champaubert-aux-Bois
pendant la Seconde Guerre mondiale

Dossier mis en ligne par Jocelyne et Jean-Piere HUSSON

Le camp forestier n° 1854

   Le camp forestier n° 1854 de Champaubert-aux-Bois a employé comme bûcherons des juifs recrutés, avec autorisation des autorités occupantes, par le Commissariat à la lutte contre le chômage. Créé en octobre 1940 par le gouvernement de Vichy, cet organisme rattaché au Secrétariat d’état au Travail disposait de délégués régionaux, dont un pour la région de Champagne, dite aussi région de Châlons qui regroupait l’Aube, la Marne et la Haute-Marne.

   Les rapports des gendarmes de la brigade de gendarmerie de Saint-Rémy-en-Bouzemont, chargée de vérifier la présence des « ouvriers israélites » dans ce chantier forestier, montrent que le nombre de juifs employés n’a cessé de varier, au gré des arrivées, des fuites ou du non retour après une permission, des arrestations ou encore en raison du transfert vers d’autres chantiers.

    Sont recensés comme employés au chantier 49 juifs le 25 août 1942, 51 le 5 septembre, 34 le 4 décembre. Une note du délégué régional du Commissariat à la lutte contre le chômage au préfet de la Marne, datée du 4 décembre 1942, précisait que ces 34 juifs, âgés de 19 à 59 ans, arrivés au chantier entre janvier et septembre 1942, venaient pour la plupart de la région parisienne ( 23 de Paris, 1 de Pavillon-sous-Bois ), mais aussi de Lille ( 9 ) et de Nancy ( 1 ).
    Cette note faisait le décompte des nationalités : 17 Polonais, 12 Français ( 4 par leur naissance en France, 8 – en majorité d’origine polonaise – par naturalisation ), 4 Roumains, 1 Turc .

    Dans les mois qui ont suivi, le nombre de juifs employés au chantier n’a cessé de décroître : 26 juifs recensés le 8 janvier 1943, 23 le 21 janvier. Le 2 mars 1943, 12 juifs ont été transférés du chantier de Champaubert vers le Camp de Beauregard à Clefs dans le Maine-et-Loire.

   Les rapports de gendarmerie font état de nombreux « départs sans autorisation », qui ont été consignés avec une certaine lenteur. Ce n’est par exemple que le 27 octobre 1942 qu’a été signalée la fuite : 
   - le 10 octobre, des juifs polonais Maurice ROTSCHILD ( domicilié à Paris ), Abraham GRUDKI, Mendel KURCHBARD et Jacques RAPOPORT ( tous trois domiciliés à Lille ) et du juif roumain Eugène RUBINSTEIN ( domicilié à Paris ),
   - le 12 octobre, du juif polonais Wolf BORNSTEIN ( domicilié à Lille ),
   - le 13 octobre, des juifs polonais Jacob ROCHMANN, Laybus BLIBAUM et Berile STULZAFT ( tous trois domiciliés à Lille ),
   - le 16 octobre, du juif Louis WILDER ( domicilié à Lille ).

   Le 19 février 1943, le préfet de la Marne, Louis PERETTI DELLA ROCCA, sur instructions télégraphiques de la direction de la Police nationale, a donné ordre de faire arrêter 11 juifs étrangers employés au chantier forestier de Champaubert et de les transférer au camp d’internement de Drancy : 
    -  8 juifs polonais, Israël HIPSMAN, Majsci ( Mojsis ) PORTUGAL, Leib RAJCHMAN, Moszeck ROTBART, Simon SACHS, Yeck ( Icek ) SZAFIR et Moszeck TEPERMAN,
    -  ainsi que 3 juifs roumains, Sivel HERSCOVICI, Emmanuel NISEMBLAT et Léon SAPIRA. À l’arrivée des gendarmes le 20 février 1943, tous ont pris la fuite.
   Un seul, Chaïm BURZTYN le 12 juin 1909 à Varsovie, tailleur, domicilié 29, rue de Ménilmontant à Paris, a été repris sur le champ, puis transféré à Drancy. Déporté par le convoi n° 53 du 25 mars 1943 à destination de Sobibor, il est décédé le 30 mars à Lublin-Maïdanek selon le JO du 3 novembre 1987.
   D’autres juifs en fuite, qui étaient restés cachés dans les environs ( avec quelle aide ? ) ont été repris au bout de plusieurs mois : Simon SACHS le 13 avril, Mojsis PORTUGAL et Icek SZAFIR le 13 mai.

   Simon SACHSle 28 août 1893 en Pologne, domicilié 6, rue du Grand Prieuré à Paris et Icek SZAFIR, né le 7 avril 1910 à Janow (Pologne) ont été déportés à Auschwitz par le convoi n° 55 du 23 juin 1943. La mort en déportation de Simon SACHS n’a pas encore été enregistrée au JO. Celle d’Icek SZAFIR en mars 1944 à Buchenwald a fait l’objet d’une inscription au JO du 27 septembre 2003.
   Quant à Mojsis PORTUGAL, né le 10 septembre 1899 à Varsovie, tailleur, domicilié 26, rue du Pressoir à Paris, il a été déporté à Auschwitz par le convoi n° 57 du 18 juillet 1943. Sans doute envoyé à Varsovie pour déblayer les ruines du ghetto, il y est décédé en mars 1944 selon le JO du 27 janvier 1998.
   Il ne semble pas que les autres juifs en fuite aient été repris et déportés.

   Selon le témoignage de Madame VILLETORTE, qui habitait Champaubert-aux-Bois pendant la guerre, recueilli en 1999 par Bernard GOUJAUD, alors maire de Giffaumont-Champaubert, « Monsieur Ercovici [ sans doute Sivel Herscovici ] a été arrêté par les Allemands, et son fils Roger mis en sécurité chez un habitant de Champaubert. Aucun autre juif à sa connaissance n’a été arrêté au village bien qu’un certain nombre d’entre eux aient été hébergés dans les familles jusqu’en août 1944 ».

Les rapports de gendarmerie concernant l’arrestation de juifs
du camp forestier de Champaubert-aux-Bois (février-mai 1943)

Rapport de la gendarmerie de Châlons-sur-Marne
du 20 février 1943

           « Déclaration de C. P., chef de chantier " Je tiens à préciser que ces 11 Juifs sont des travailleurs libres et ne font l’objet d’aucune surveillance, autre que l’exécution des mesures spécialement prescrites pour les israélites. Je vais vous accompagner sur les divers chantiers pour vous permettre de procéder à leur arrestation " ».

          « Déclaration de Bursztyn CHAÏM [ seul juif arrêté le 20 février 1943 ], 34 ans, tailleur, actuellement bûcheron à Champaubert-aux-Bois, deux enfants, sachant un peu lire et écrire le français, se disant jamais condamné, de race juive et de nationalité indéterminée : " Dans le courant du mois de mai 1942, alors que j’étais inscrit au bureau de chômage de mon arrondissement à Paris, j’ai été envoyé au chantier forestier de Champaubert-aux-Bois ( Marne ). Je suis arrivé à ce chantier le 18 mai 1942, où j’ai été employé en qualité de bûcheron. Je gagne actuellement 80 francs par jour. Je ne suis astreint à aucune surveillance spéciale ; seules les prescriptions relatives aux Israélites m’étaient appliquées. Je ne devais pas quitter mon baraquement après 20 heures, ni sortir du périmètre de mon chantier.
   Il y environ un mois, tous les Juifs employés au chantier ont été interrogés au bureau à l’effet de vérifier leur identité et de connaître leur profession. Le 20 février 1943, j’ai quitté mon travail à la coupe à 15 heures, car j’avais deux heures à récupérer ( heures supplémentaires ). Je marchais sur le chemin en direction de Champaubert, lorsqu’en arrivant à l’entrée de cette commune, j’ai remarqué une camionnette dans laquelle se trouvaient des gendarmes qui étaient assis sur le siège avant.
   Bien que je n’étais pas prévenu, j’ai supposé qu’on venait chercher des Juifs. Immédiatement, je me suis enfui dans les champs, et, après une course de plusieurs centaines de mètres, j’ai été rejoint par l’adjudant de gendarmerie. Je vous affirme qu’aucun ouvrier du chantier ne m’avait avisé de votre arrivée. Quant à mes dix autres compatriotes qui se sont enfuis, je ne peux vous dire par qui ils ont été prévenus, ni la direction qu’ils ont prise. Je vous le répète, ni mes camarades, ni moi, nous ne savions qu’une camionnette devait venir nous chercher ce jour " »
.

          et les gendarmes d’ajouter : 
   « Il est à supposer qu’ils ont été prévenus de notre présence par l’un de leurs coreligionnaires s’étant enfui de Champaubert. À notre point de vue, il n’y a lieu de retenir aucune complicité ni indiscrétion dans cette fuite. Ces individus étant renseignés sur l’internement des Juifs étrangers, d’après certains renseignements verbaux recueillis, étaient très méfiants depuis quelque temps. Ils se sont enfuis dans la forêt, et, étant donné la superficie de celle-ci, aucune battue n’est possible à faire. Cette forêt étant située sur le territoire de la Haute-Marne, le signalement des fugitifs a été communiqué aux brigades de Saint-Dizier et de Montier-en-Der par la gendarmerie de Saint-Rémy-en-Bouzemont ».

                  Rapport de la brigade de gendarmerie de Saint-Rémy-en-Bouzemont
du 13 mai 1943

   « En visite de commune à Giffaumont ( Marne ) et effectuant de nouvelles recherches en vue de découvrir des Juifs évadés, le 20 février 1943, du chantier forestier de Champaubert-aux-Bois ( Marne ), avons découvert l’un d’eux dans une maison isolée et inhabitée de Giffaumont ( Marne ).
   Cet Israélite, Portugal Majsci né le 10 novembre 1899 à Varsovie ( Pologne ), fils de Jack et de Singer Lona, domicilié à Paris (20e), rue du Pressoir, n° 26, de nationalité indéterminée, fait l’objet d’un arrêté d’internement de Monsieur le Préfet régional de Châlons-sur-Marne, en date du 19 février 1943. Interpellé, il nous déclare :
    " Je me suis enfui du chantier forestier de Champaubert-aux-Bois (Marne) le 20 février 1943, pour me réfugier dans la forêt. J’ai vécu de pommes de terre et légumes divers. Je venais de temps à autre à Giffaumont (Marne) dans la maison isolée et inhabitée où vous m’avez trouvé, pour m’y reposer. La journée, je passais mon temps dans les bois, mais très souvent dans le département de la Haute-Marne où j’avais découvert un abri. J’ignore ce que sont devenus mes coreligionnaires. Je suis toujours resté en compagnie de Szafir 
[ Juif polonais domicilié à Pari, employé sur le chantier, Yeck Szafir s'était enfui avec Majsci Portugal le 20 février 1943, et a été repris en même temps que lui ]. J’ai vécu de mes propres moyens, en achetant à manger aux cultivateurs, et ce principalement en Haute-Marne.    Je suis resté dans la région, car ma femme est disparue. Je ne suis pas détenteur de ma carte d’alimentation, ni de tickets y afférant, car ceux-ci étaient déposés au bureau du chantier. J’étais détenteur de ma valise contenant mes effets lorsque je me suis enfui, car, ayant l’intuition qu’un jour je serais interné dans un camp quelconque, je l’avais cachée dans le bois à proximité de mon lieu de travail. Le mandat d’internement dont vous me donnez lecture s’applique bien à moi ".
   Lecture faite de sa déclaration, y persiste et signe »
.

Sources

   - Archives départementales de la Marne,
       M 3100
, note du délégué régional du Commissariat à la lutte contre le chômage adressée le 4 décembre 1942 au préfet de la Marne.
       M 3099, rapports de gendarmerie au préfet de la Marne.
       M 3099, rapports de gendarmerie au préfet de la Marne
   - Jocelyne HUSSON, La déportation des juifs de la Marne, Presses universitaires de Reims, 2001.

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