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Enseigner la mémoire ? > Histoire et mémoire des déportés > Témoins 51 > Yvonne Chatelain, déportée à Ravensbrück | |||
Yvonne Châtelain Jusqu'à son décès brutal, Yvonne n'a cessé de témoigner auprès de futurs enseignants en formation, et auprès de collégiens et de lycéens dans le cadre de la préparation au Concours national de la Résistance et de la Déportation. Elle était aussi très active au sein des Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation et elle s'est beaucoup impliquée dans l'opération « Résurrection », mille rosiers à Ravensbrück en 2015, lancée par l'Amicale de Ravensbrück. Yvonne Châtelain En septembre 2005, Yvonne CHÂTELAIN a organisé à Reims une rencontre nationale de l'Amicale des anciennes déportées de Ravensbrück présidée par Marie-Jo CHOMBART DE LAUWE. À
Reims le 26 septembre 2005 En 2006, Yvonne entourée de ses amis de l'AFMD-51 venus fêter ses 80 ans En 2010, la Ville de Reims lui avait rendu hommage ainsi qu'à sa camarade de déportation Andrée PATÉ, à l'occasion de la présentation de l'exposition « Femmes en résistance ». Le 18 mars 2014, elle était présente aux côtés des membres de l'AFMD-51 qui fêtaient les 100 ans d' Andrée PATÉ Le 18 mars 2014, Yvonne lit à Andrée les notes qu'elle a rédigées sur le convoi _____ En 1990, à l'occasion du 45e anniversaire de la libération des camps, elle avait rédigé avec sa camarade de déportation Odette MARCHELIDON un témoignage écrit présenté devant l'Amicale de Ravensbrück.
Témoignage
présenté à l'Amicale de Ravensbrück en 1990 Yvonne Châtelain, née Bridoux, matricule 35 324 ( à gauche ) Yvonne CHÂTELAIN, née le 3 mars 1926 à Soissons ( Aisne ) et Odette MARCHELIDON, née le 25 février 1922 à La Haye-Descartes ( Indre et Loire) ont été détenues au Fort de Romainville avant d'être déportées au camp de concentration de Ravensbrück par le transport composé de 417 femmes, parti de la Gare de de l'Est le 18 avril 1944 et arrivé à Ravensbrück le 22 avril. Message
jeté du train la conduisant à Ravensbrück ...
ramassé par un agent SNCF qui l'a fait parvenir à sa
maman Elles ont été transférées le 4 juin 1944 dans le Kommando
d'Holleischen qui dépendait du camp de concentration
de Flossenbürg dans la région
des Sudètes annexée par l'Allemagne nazie, où
les déportées étaient contraintes au travail
forcé dans une usine d'armement. L'arrivée
au camp de Ravensbrück En
pleine nuit, le train s'immobilise et les lourdes portes à
glissières du wagon s'ouvrent. Le camp d'Holleischen à la sortie du village d'Holysov Ce kommando est une ancienne ferme aménagée à usage de camp. Le
plan de l'ancienne ferme qui avait appartenu à la famille Picman Un des bâtiments de la ferme photographié en 1995 Dans
la vaste cour, après un nouveau pointage, on nous pousse dans
un escalier étroit. Après
ce court répit, les cris reprennent.
Document
récupéré par Yvonne au bureau du Kommando le
5 mai 1945 Cinq
heures : sonnerie, appel. Le commandant
veut nous voir toutes dans la cour. Ici, on l'appelle Edmond, surnom
donné par les premières arrivées. Edmond, raide
comme un automate, nous passe en revue et nous informe de la discipline du camp. Depuis
deux mois, un groupe de Françaises est à Holysov. Un
espoir naît : cette même nuit, les Alliés
auraient débarqué sur les plages de Normandie. Le travail forcé Premier
appel pour le départ à l'usine: 18 heures, les kommandos
sont formés. Le
village d'Holysov aujourd'hui avec l'usine toujours en activité
À droite, la route mène au village. Nous, nous tournerons à gauche, et nous voici en pleine campagne, très verte et fraîche en ce jour de juin. Les quelques semaines passées à Ravensbrück nous ont laissé une impression si pénible que cette campagne si pimpante et l'annonce du débarquement nous redonnent un immense courage, mais nous savons bien que nos épreuves ne sont pas terminées. Longue
montée dans la forêt de pin, réflexions entendues :«
l'air doit être bon ici, nous aurons toujours cette vue sur
le village à notre retour du travail, quel ciel nous allons
découvrir ». Nous
voilà pour douze heures enchaînées à ce
travail épuisant. Ce
rythme infernal ne s'arrêtera que quelques semaines avant notre
libération. La solidarité partagée C'est
dans cet atelier que nous avons notre premier contact
avec les Tchèques
requis pour travailler eux aussi pour « la grande Allemagne ». Rougena, une jolie petite brune,
est responsable du bon fonctionnement des presses. Petits sourires
timides de part et d'autre. Il faut se méfier, car dans l'atelier
il y a aussi de jeunes Allemandes qui nous semblent très méprisantes
et arrogantes. Dans l'atelier voisin, un jeune requis civil tchèque, Milo, transmet les nouvelles de la radio et donne régulièrement à un camarade un journal qui est traduit et commenté par deux amies parlant l'allemand. Partout dans les différents kommandos, il y a des gestes de solidarité qui nous soutiennent discrètement, plus par leur valeur morale que par l'aide matérielle qu'ils nous apportent. Au
printemps, une épidémie de scarlatine se
déclare. L'infirmerie est si petite que le commandant prend
la décision d'évacuer les malades sur l'hôpital
de Pilsen. Les malades sont hospitalisées
dans une salle spéciale, mais il y a des civils tout près
qui reçoivent la visite de leurs familles. Aussitôt, une chaîne de solidarité s'organise, et tout
ce que ces familles apportent, petits pains, margarine, sucre, se
retrouve par miracle dans la salle des Françaises. Le 14 juillet 1944 14 juillet 1944 : jour de fête
nationale. Nous
avons décidé que tous les ateliers arrêteraient
le travail à 9 heures. Les yeux fixés sur
la pendule, nous travaillons. À 9 heures, coeur battant, nous
nous levons et les machines stoppent. La
Marseillaise éclate,
nous ne chanterons pas longtemps : les coups pleuvent, nous reprenons
notre travail en silence, heureuses de l'exploit accompli. Le rude hiver 1944-1945 Au mois d'octobre, la percée d'une route dans la forêt étant indispensable, une colonne de terrassement est créée. Les sous-bois nous semblent splendides. Quelles odeurs et quelles couleurs ! L'air est vif, nous sommes loin de l'atelier et de ce travail humiliant pour nous. Quel pays magnifique ! Après la guerre,... plus tard, ... si,... Que d'espoirs incontrôlés ! L'hiver
arrive très tôt dans les Sudètes. Le
ciel bleu annonce le froid. Vers Noël, il fera - 32°. À
l'aide de chiffons et de papier, nous luttons contre un ennemi sans
pitié. L'hiver est long et éprouvant
pour toutes. Le
3 mars 1945, ses camarades issues comme elle du scoutisme, Avril amène un froid humide. La bataille se rapproche, nous sentons la liberté près de nous. Quel prix aurons-nous à payer ? Les paroles d'une gardienne nous reviennent en mémoire : « Si l'Allemagne est vaincue, les SS feront sauter les blocks avant la libération. Ils ont juré que vous ne serez jamais libérées ». Le
9 avril 1945, trois déportées françaises accusées
de sabotage Les bombardements alliés Le
village n'a plus de toits. La grande usine du village ne peut plus
fournir le nécessaire au travail des kommandos de la forêt.
Un train de munitions immobilisé à cent mètres
du camp a sauté. Tout a volé en éclats, puis
est retombé sur le camp. La toiture est réduite à
un treillis de poutrelles. Les débris de ciment et briques
couvrent le sol. Il n'y a plus d'électricité, plus d'eau,
plus de ravitaillement. Toute activité
a cessé. Le camp de Holleischen après le bombardement d'avril 1945 Notre nouveau travail consiste au déblaiement
de l'usine. Le 4 mai au soir, les Russes et les Polonaises que nous avons côtoyées pendant toute cette année semblent très énervées : auraient-elles des précisions sur ce qui se passe... ? Le matin du 5 mai, impossible de sortir du camp. Le bombardement nous isole du village, nous n'irons pas travailler. Entre 11 heures et midi, les SS se préparent à fuir. La peur se répand dans les blocks : vont-ils mettre leur menace à exécution ? À quelques kilomètres dans les bois qui couvrent la montagne, la bataille gronde, ça crépite au milieu des branches cassées. Le feu roulant des armes parvient jusqu'à nous. La délivrance ne peut pas être pour nous, cadenassées dans nos blocks ! Tout à coup, à travers les fenêtres grillagées, nous voyons, à deux cents mètres, des hommes en armes. Est-ce possible ? Nous avons tant attendu ! Du bruit, des coups de feu qui se rapprochent... La libération du camp Ces
hommes en armes, vêtus de kaki, avec un brassard blanc et rouge,
sont des partisans tchèques et polonais.
Ils surgissent hors des fourrés, dévalant la route pour
se glisser le long du camp et se ruer contre la porte, « interminable
minute où vacille l'infini ». Surpris,
désarmés, stupides devant la révélation
de leur lâcheté, les Allemands
du poste de garde lèvent les bras. Par ce coup de main audacieux des partisans tchèques et polonais, nous voilà libres, alors que notre camp, miné, devait sauter dans la nuit. Nous venons de vivre notre heure de chance. Quatre camarades prennent la direction et essaient d'établir des contacts avec les autorités. Les
partisans, nos libérateurs, craignant un retour possible des
troupes SS, repartent dans la montagne en emmenant la garnison allemande
du SonderKommando. Le temps presse. D'autres camps, d'autres
prisons, d'autres bourgades tchèques restent à délivrer. L'attente du rapatriement Dans l'après-midi, une délégation de prisonniers français venus d'Holleischen, essaie d'organiser notre camp.Dans le ciel brusquement printanier, nous avons hissé les couleurs et chanté La Marseillaise. L'émotion est grande parmi toutes les prisonnières. La joie de pouvoir franchir librement le portail du camp Jackie Marnée ( à gauche ) et Renée Braun ( à droite ) Des
Tchèques nous apportent du beurre, des bidons de lait, du sucre
et du pain. Nous étions sans ravitaillement depuis quarante-huit
heures, brusquement avec cette abondance, notre faim vieille de plusieurs
mois, cède. Le 6 mai, nous décidons d'aller au village. De chaque côté de la route, des traces de bombardement. Sillonnant les rues, des camions de partisans tchèques, toujours bienveillants, qui nous saluent. Nous contournons la ville pour gagner le moulin. Derrière une grange attenante au moulin, une paysanne casse du bois, elle nous reconnaît, nous invite dans sa maison. Fatiguées, nous nous asseyons. Elle sort d'un placard du rôti de veau et des pois cassés. Un homme entre, nous questionne, et des répliques mimées s'échangent entre eux et nous. Ils détestaient les SS, les SA et les SD, sections spéciales de police allemande. Nous reprenons la route du camp. Le moulin rythme nos pas du bruit de ses palettes. À travers tout ce calme, une impitoyable tristesse métaphysique s'infiltre. Dans les jours qui suivent, nous apprenons que les Aufsehrin emmenées comme prisonnières sont dans la ferme d'un collaborateur, réquisitionnée à usage de prison. Dans cette bourgade, à quatre kilomètres d'Holleischen, les maisons sont crépies de chaux, les pins balancent leurs branches ornées de rubans aux couleurs tchèques. Des Tchèques et des Polonais évoluent à cheval. Des partisans tchèques vont et viennent entre la ferme-prison où sont les SS et le bâtiment servant de bureau, battant pavillons tchèque et polonais. Derrière une grille, les bourreaux dégradés n'osent pas lever les yeux vers nous et piteusement, baissent leurs crânes rasés. Deux Tchèques font sortir les Aufsehrin, les mettent en rang et nous demandent de reconnaître celles qui étaient particulièrement sadiques. Certaines ne peuvent se retenir d'intervenir près de celles qui avaient bastonné nos petites camarades, accusées de sabotage, avant de les faire envoyer à Flossenbürg pour être pendues. Le commandant nous reçoit et nous promet de nous convoquer pour le procès qui aura lieu dans quelques jours. Nous serons témoins. Sur le chemin du retour, nous nous traînons, ayant trop présumé de nos forces. Dans les blés, une bombe perdue avait creusé un entonnoir la semaine précédente. Notre sortie du lendemain nous conduit à la Metalwerke, usine de fonderie d'obus. Près des hauts fourneaux, là où se tenait l'ancienne cantine des ouvriers allemands, les prisonniers français ont installé un réfectoire. Dehors, à l'entrée des cuisines de la fonderie, des Meister [ contremaîtres ] et des directeurs d'usines coltinent des sacs de farine et des caisses de conserves camouflés chez eux. Les Tchèques les obligent à tout apporter à la cantine. Quand ils sont bousculés, quand un coup de poing s'abat sur les épaules de l'ingénieur du bâtiment 131, homme chafouin au regard jaune, quand le Meister geint et que ses yeux affolés cherchent nos regards, ils ne rencontrent aucune pitié, ils suent de peur. Où sont les polytechniciens sortis de l'École de Berlin ou de Breslau ? Nous regardons, sans rien dire, puis nous repartons vers le camp. Il y a encore des Allemands dans la forêt. Nous sommes seules au camp, sans gardes. Sur nous pèse toujours la menace des SS. Heureusement, la Military Police américaine prend en charge la sécurité. Un médecin-major américain est venu examiner les détenues malades. L'infirmerie est bondée, le dévouement de nos camarades médecins ou infirmières est presque inopérant, faute de médicaments. L'aide américaine est la bienvenue. Déjà une semaine de liberté. Nous connaissons bien maintenant les petits chemins entourant le camp. Pour tromper notre attente du retour, nous allons très souvent au village. Au Gasthaus [ auberge ] d'Holleischen où, désuvrées, nous ne savons que faire, nous rencontrons des partisans tchèques qui nous invitent à déjeuner. Ils venaient de passer une nuit de patrouille dans les bois, nous sommes fières d'être en leur compagnie. L'adieu aux camarades tchèques Nos jeunes camarades organisent un petit spectacle en l'honneur de nos libérateurs. Les danses folkloriques se succèdent. Toutes les provinces françaises sont représentées. La chorale, qui nous a été d'un si grand secours moral, est mise à profit. Le clou de cette fête est l'entrée d'une Marianne, symbole de la République, brandissant un drapeau et portée sur les épaules de quatre prisonniers français. Marianne, symbole de la République, portée par quatre prisonniers français La fraternité, l'émotion nous englobent tous dans une même ferveur. Une vibrante Marseillaise éclate. Au premier rang se tiennent nos amis tchèques et polonais ainsi que quelques représentants des autorités américaines. Cette journée fertile en émotion se terminera par un dîner offert au village à toutes les jeunes chaperonnées par une amie polonaise.
Un
après-midi, en rentrant au camp, nous trouvons une mission
française. Nous avons quelques renseignements sur
la France : les événements, le gouvernement actuel,
le châtiment des traîtres, les préparatifs de notre
retour... Qui
au monde pourrait expliquer l'angoisse qui
s'abat sur nous à cet instant, trop
de nos amies sont restées en chemin. Nous reviendrons ! Ne pas oublier En
2005,
à l'occasion du 60e anniversaire
de la libération du Kommando d'Holleischen, une stèle a été
inaugurée en présence d'une délégation
d'anciennes déportées françaises. Cette stèle
remplace désormais la plaque commémorative
initialement scellée sur le mur de la ferme qui avait été
transformée en camp par les nazis, le propriétaire
de la ferme redevenue privée ayant entrepris des travaux
qui avaient entraîné sa dépose. De
gauche à droite :
Stèle
érigée sur la cheminée de l'usine dans le village
d'Holysov
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