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La libération
de Bergen Belsen
par les troupes britanniques

Témoignage de
Léone DESPREZ née KLEIN

   Sténo-dactylo, militante communiste, née à Reims en 1898, elle a été arrêtée dans cette ville le 13 août 1943, et internée au Fort de Romainville. Déportée le 13 mai 1944 au camp de Ravensbrück ( matricule n° 38 835 ), elle a été transférée au camp de Neuengamme, kommandos de Brunswick ( matricule n° 4 823 ), puis de Hanovre.
Évacuée
le 6 avril 1945 vers Belgen-Bersen, camp libéré par les troupes britanniques
dans la nuit du 15 au 16 avril
, elle est rentrée à Reims, où elle est décédée en 1983.

Témoignage mis en ligne par Jean-Pierre HUSSON


À Fismes en 1937
À Morsain en 1947


 

 

 

 




   En Kommando de travail dans une usine de Hanovre, nous recevions, le 6 avril 1945, l'ordre de nous mettre en rangs pour un grand départ. Nous savions que les Alliés allaient de victoire en victoire et nous nous demandions avec anxiété ce qu'on allait faire de nous.

   Chacune avec un morceau de pain sous le bras, nous voilà parties sur les routes vers quel inconnu ? Nous étions encadrées par nos bestiales gardiennes et les soldats SS fusil au poing.

   Nous avons ainsi parcouru 70 kilomètres de route avec seulement comme nourriture notre petit morceau de pain et nous couchions à la belle étoile.

   Après trois jours de marche, épuisées, mourant de faim, nous sommes arrivées à ce camp de Belsen où tant de nos camarades y sont restées, alors que la libération était si proche.

   Dès notre arrivée le soir à la tombée de la nuit, nous avons été entassées dans des salles cimentées, sans lits, sans possibilité de s'étendre, assises à même le sol dans les jambes l'une de l'autre. Nous allions devoir vivre dans cette position pendant 8 nuits et 8 jours et avec très peu de nourriture. Ce n'est que le lendemain à midi qu'est venue la soupe, pour chacune la valeur d'un bol et pour toute la journée.

   Le lendemain de notre arrivée, à 4 heures du matin, tout le monde debout pour l'appel dehors. Dans tous les camps ces appels étaient affreux ; nous devions, en effet, rester debout sans bouger pendant bien longtemps et il y avait souvent des évanouissements. C'est alors qu'un spectacle horrible s'est présenté à nos regards : en face de nous, un grand hangar de toile déchirée par endroits laissait apparaître des monceaux de cadavres allant jusqu'au faîte. Ces scènes d'horreur étaient visibles dans toutes les parties du camp. Pendant le mois de février, il est mort à Belsen 24 000 déportés. Ce chiffre a été dépassé chaque mois, le typhus y sévissait et terrassait facilement nos pauvres corps affamés et épuisés.

   Nous comprenions bien que nous allions être délivrées sous peu. Les troupes anglaises approchaient du camp. Mais arriveraient-elles à temps pour les survivants ?

   C'est alors que les SS ont tenté de soustraire à nos alliés les monceaux de cadavres visibles dans toutes les parties du camp. Depuis l'aube jusqu'à la nuit, pendant 3 jours, nous avons vu ce spectacle dantesque : les déportés encore vivants tirant à la queue leu leu les corps décharnés des morts pour les mener dans les fosses communes. Il y en avait tant que le travail n'était pas terminé lorsque nous avons été délivrées dans la nuit du 15 au 16 avril. Les officiers anglais étaient eux-mêmes bouleversés d'une telle horreur. C'est alors qu'ils ont contraints les femmes SS dont la bestialité et la brutalité étaient égales à celle des hommes, de porter les cadavres de leurs victimes dans les fosses communes.

   Il était impossible de vivre longtemps dans le camp de Belsen. Non seulement nous ne pouvions pas nous reposer, mais il n'y avait aucune possibilité de la moindre hygiène : un filet d'eau seulement coulait pour ces milliers de femmes atteintes presque toutes de la dysenterie ; pas d'eau pour se laver ; pas d'eau pour nettoyer nos gamelles ; pas de linge pour nous changer ; les WC étaient inabordables. Les survivantes sont vraiment sorties de l'enfer.

   Nous avons alors déserté les baraquements pour nous installer en plein air à même le sol, essayant de nous soustraire à l'épidémie de typhus. Nous avons trouvé dans les magasins des couvertures et des peaux de mouton et nous avons ainsi vécu une dizaine de jours. Nous avons été ensuite installées dans des casernes, bien au propre, en attendant notre retour, mais malheureusement le typhus continuait sa dévastation et beaucoup de nos compagnes, terrassées chaque jour, n'ont pu revoir la France.

   C'est alors que nous avons connu combien la solidarité réchauffe le coeur. Je tiens, en effet, à signaler tout le secours que nous a apporté le Stalag XI B : des prisonniers de guerre français de ce stalag sont tout de suite venus à notre secours, apportant des vivres, des objets de toilette, des gâteries de toutes sortes. Combien c'était réconfortant et nous leur devons beaucoup.

   Mais nous ne pouvions plus manger, nos pauvres estomacs resserrés n'acceptaient que peu de nourriture, c'était difficile ainsi de reprendre le dessus, et c'est le cœur serré que nous voyions, chaque jour, transporter à l'hôpital encore beaucoup de nos sœurs de misère qui ne revenaient plus. Les dernières survivantes ne sont rentrées en France qu'à la mi-juin.

Léone DESPREZ, " Belsen camp d'extermination ",
in Souvenirs de déportés rémois,
de leur arrestation à leur séjour dans les camps de la mort,

Reims, Imprimerie Coulon, 1959
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