Enseigner la mémoire ? > Histoire et mémoire des réseaux > Une Marnaise agent du SOE, Julienne Aisner
Menu
Menu

Une Marnaise agent du SOE
Julienne AISNER, née SIMART,
épouse BESNARD après-guerre
originaire d'Anglure

Notice biographique établie par Jean-Pierre HUSSON
extraite du dévédérom
La Résistande dans la Marne
AERI-Fondation de la résistance/CRDP de l'Académie de Reims, 2013
actualisée en décembre 2013

______________


 



Julienne Aisner

   Julienne Marie-Louise SIMART est née le 30 décembre 1899 à Anglure dans une famille d’agriculteurs. Son père, Louis SIMART, a quitté la ferme familiale pour s’engager dans la gendarmerie. En poste à Châlons-sur-Marne, il a été détaché pendant la 1ère guerre mondiale à la prévôté auprès de l’Armée britannique, puis il a été affecté après la guerre en Syrie sous mandat français.

   Institutrice dans le Bas-Rhin au lendemain de la 1ère guerre mondiale, Julienne SIMART y a fait la connaissance de Joseph LAULER, un Alsacien émigré aux États-Unis, engagé volontaire dans le Corps des Marines du Corps expéditionnaire américain en France. Elle l’a rejoint en septembre 1923 à Indianapolis aux États-Unis où elle l’a épousé en 1925 et s’est inscrite à la Butler University. En 1927, elle a mis au monde un petit garçon, Louis LAULER.

    Après le décès accidentel de son mari, Julienne a quitté les États-Unis avec son fils pour rejoindre ses parents en Syrie, puis au Vietnam. Professeur d’anglais à l’Institut Saint-Pierre d’Hanoï, elle est rentrée en France à la fin de l’année 1931 pour raisons de santé. Elle a trouvé un emploi de script à Paris et a rencontré Robert AISNER qu’elle a épousé en 1935. Le couple s’est installé à Auteuil où était invité occasionnellement Henri DÉRICOURT, un ami de Robert. À la veille de la 2e guerre mondiale, les AISNER ont créé la compagnie de cinéma Hérault Films, dont les bureaux étaient implantés rue de Berri à l’angle des Champs-Élysées.

    En juin 1940, Julienne AISNER a décidé de renvoyer son fils Louis aux États-Unis. Elle l’a accompagné jusqu’à Bordeaux où il a embarqué sur le SS Washington, navire affrété par le gouvernement américain pour rapatrier ses ressortissants d’Europe. Louis a été confié à une tante paternelle à Indianapolis où il a fréquenté une High School avant d’intégrer en juillet 1944 l’école d’officier de l’US Navy.

   Robert AISNER, juif d’origine polonaise mobilisé en septembre 1939 et fait prisonnier lors de la campagne de mai-juin 1940, est parvenu à s’évader. Il a franchi la ligne de démarcation, a embarqué à Marseille pour l’Afrique du Nord, puis a rejoint le Portugal d’où il a embarqué pour les États-Unis. Il y a trouvé du travail dans les studios d’Hollywood, et a travaillé dans l’unité chargée de la propagande en langue française au profit de la France libre. Il a été conseiller technique sur le tournage du film antinazi Casablanca produit par la Warner Brothers en 1943, et a cosigné la même année le scénario du film Cross of Lorraine.

   En mai-juin 1941, Julienne AISNER a été internée à la prison du Cherche-Midi pour avoir giflé un officier allemand qui lui avait tenu des propos déplacés
   En novembre 1942, elle est venu s’installer à Paris rue de Berri, où elle a fait la connaissance d’un important avocat d’affaires, Jean BESNARD.

   En janvier 1943, Julienne a été recrutée par Henri DÉRICOURT, agent SOE travaillant pour le réseau Physician-Prosper. Au cours de l’hiver 1942-1943, il avait effectué des repérages de terrains d’atterrissage susceptibles d’être homologués par la RAF, et fait parvenir à Londres le résultat de ses recherches par l’intermédiaire des opérateurs-radio du réseau, Gilbert NORMAN et Jack AGAZARIAN. Il venait de créer un petit réseau parallèle indépendant, le réseau Farrier-Gilbert, spécialisé dans les opérations aériennes de la section française du SOE. Julienne AISNER a été chargée de louer des appartements pour héberger les agents SOE infiltrés en France, de les accueillir à Paris et de leur fournir des faux-papiers ( cartes d’identité, cartes d’alimentation et permis de travail ) qu’elle se procurait avec l’aide de sa cousine Madame BIGNON, pseudo « Madeleine », dont le mari était employé à la mairie de Saint-Ouen

  Dans la nuit du 17 au 18 mars 1943, Julienne AISNER a participé avec DÉRICOURT dans le secteur de Poitiers à un double pick-up par avions Lysander qui ont déposé plusieurs agents dont Francine AGAZARIAN épouse de Jack AGAZARIAN.

   Dans la nuit du 14 au 15 avril 1943, DÉRICOURT a expédié Julienne AISNER en Angleterre par Lysander pour qu’elle y reçoive une formation et un entraînement dans un stage commando. Devenue un agent SOE avec le pseudo de « Claire », elle a été ramenée en France par Lysander à Azay-sur-Cher au cours de la nuit du 13 au 14 mai 1943. À Paris, elle a accueilli plusieurs agents SOE dont Vera LEIGH et Noor INAYAT KHAN, et leur a trouvé des appartements. Elle afourni un faux certificat médical à Jack AGAZARIAN, au cas où il serait pris dans une rafle de jeunes pour alimenter le STO, certificat qui attestait qu’il devait prochainement subir une opération chirurgicale.

   Après l’arrestation en juin 1943 de Francis SUTTIL, le chef du réseau Physician-Prosper et de plusieurs agents de ce réseau, Nicholas BODINGTON, l’adjoint du colonel BUCKMASTER à la tête de la section française du SOE, vient enquêter à Paris sur les circonstances de la chute de ce réseau. Il est hébergé au domicile de Jean BESNARD 148, avenue de Malakoff et dans sa maison de campagne à Brunoy à une vingtaine de kilomètres au Sud-Est de Paris. Selon Jean BESNARD, BODINGTON lui aurait laissé entendre que Gilbert DÉRICOURT était un agent double agissant sous ses ordres, mais qu’il ne fallait pas en informer Julienne.

Francis Suttil,
chef du réseau SOE Physician-Prosper


Nicholas Bodington,
adjoint du colonel Buckmaster
à la tête de la section française du SOE

   En août 1943, Julienne AISNER à la demande de BODINGTON a acheté à Paris au nom de Jean BESNARD un bar qui servait de boîte à lettres et accueillait les agents en situation d’urgence avant leur exfiltration vers l’Angleterre par le réseau Farrier.
   En octobre 1943, elle a accueilli l’opérateur-radio André WATT affecté au réseau Farrier, et l'a aidé à trouver plusieurs endroits pour émettre. Julienne AISNER et Jean BESNARD ont transporté le matériel-radio démonté en plusieurs parties vers les lieux d’émission successifs, en prenant de grands risques. Ils ont caché au domicile de Jean BESNARD le courrier, des révolvers, un petit poste-émetteur et du matériel pour fabriquer des faux-papiers.

André Watt, agent du SOE,
opérateur radio affecté au réseau Farrier

    Julienne AISNER a rencontré à plusieurs reprises le capitaine Maurice DUPONT, pseudo « Yvan », chef du réseau Diplomat parachuté en octobre 1943 dans la région de Troyes, et elle transmettait ses messages à Londres.

   En mars 1944, à la suite d’une alerte, Julienne AISNER et Jean BESNARD ont quitté Paris avec André WATT. Ensemble ils se sont rendus à Troyes où ils ont été pris en charge par Maurice DUPONT, puis dans la région d’Amboise où ils ont été exfiltrés par Lysander au cours de la nuit du 5 au 6 avril 1944.

    Dès leur arrivée en Angleterre, Julienne AISNER et Jean BESNARD qui n'étaientt pas encore mariés, ont pris le nom de Monsieur et Madame PLOYÉ, du nom de la grand-mère maternelle de Julienne. Ils ont été « mis en quarantaine » par la direction de la section française du SOE qui s’interrogeait sur les motivations de leur exfiltration et les considèrait comme suspects. On leur interdisit de prendre contact avec les autorités françaises. Julienne a été rendue à la vie civile, tout en continuant à recevoir sa solde d’agent. Jean BESNARD dans une lettre au colonel BUCKMASTER datée du 26 juin 1944 se présentait en résistant français indépendant qui avait rendu de grands services aux agents du SOE, et dénonçait la façon dont était traitée sa compagne Julienne qui s’était conduite en agent courageuse et efficace. La pression du SOE se relâcha. Jean trouva du travail à la BBC, Julienne à la section Cinéma du ministère de l’Information, mais ils ne furent autorisés à rentrer en France qu’en octobre 1944.

   En septembre 1945, après la dissolution de son mariage avec Robert AISNER, Julienne a pu épouser Jean BESNARD.

    Administrativement homologuée au lendemain de la guerre dans le corps des Women’s Transport Service (FANY) avec le grade de « captain », Julienne a été recommandée en 1945 pour la « King’s Medal for courage in the cause of Freedom ».
   En novembre 1946, l’ancien chef du réseau Farrier-Gilbert, Henri DÉRICOURT, a été arrêté par les autorités françaises et accusé d’avoir trahi. Julienne BESNARD qui avait été son agent à Paris n’échappa pas à la suspicion.

Henri Déricourt,
chef du réseau SOE Farrier-Gilbert

   La santé de Julienne s'est rapidement dégradée. Elle a subi une radiothérapie à l’Institut Curie à Paris où elle est décédée le 15 février 1947 d’un cancer généralisé. Selon son fils Louis LAULER, ce cancer aurait pu être provoqué par des injections expérimentales pratiquées par les Allemands lors de son incarcération à la prison du Cherche-Midi en 1941.

   Après le décès de Julienne BESNARD, Henri DÉRICOURT a été finalement acquitté à l’issue d’un procès qui s'est déroulé en juin 1948 et au cours duquel Nicholas BODINGTON est venu témoigner en sa faveur et déclarer qu’il avait agi sous ses ordres.

   Julienne BESNARD est inhumée à Anglure dans la sépulture familiale. Seules traces de son engagement dans la résistance, la copie en bronze de deux médailles encadrant son nom gravé dans le marbre : la Croix de guerre 1939-1945 et la médaille de la Résistance.

La sépulture de Julienne dans le ciemtière d'Anglure

01

La Croix de Guerre

La Médaille de la Résistance

   Dans l’Aube, à Charmont-sous-Barbuise, le nom de Julienne BESNARD est inscrit sur la stèle commémorative « Le maquis des Commandos " M " à ses morts - 1944 ». Les Commandos M désignent le groupe de résistance armée, constitué en mai-juin 1944 dans la région de Troyes par le capitaine Maurice DUPONT, chef du réseau SOE Diplomat-Abélard, qui avait pris la suite du réseau Tinker, sous-réseau de Physician-Prosper.

Maurice Dupont,
chef du réseau SOE Diplomat-Abélard

Stèle commémorative de Charmont-sous-Barbise

   Cette inscription correspond sans doute à un hommage rendu à Julienne, agent SOE originaire d’Anglure, commune marnaise située aux confins du département de l’Aube. Elle avait fait équipe avec André WATT, l’opérateur-radio du réseau Farrier qui, après la suspension de ce réseau, avait été renvoyé en France et affecté comme opérateur-radio du réseau Diplomat dans l’Aube. On peut penser qu’elle lui avait fourni des informations sur cette région de Champagne qu’elle connaissait. Elle avait organisé l’infiltration et/ou l’exfiltration par air de nombreux agents SOE, en particulier l’infiltration en octobre 1943 de Maurice DUPONT, et peut-être l’exfiltration en septembre 1943 de Benjamin COWBURN chef du réseau Tinker, puis en novembre 1943 celle de son successeur, Pierre MULSANT. Selon Paul PIERRE, un cousin de la famille SIMART, Maurice DUPONT était présent aux obsèques de Julienne BESNARD à Anglure le 18 février 1947.

    En Angleterre, le nom de Julienne AISNER est inscrit sur le mémorial à la mémoire des agents féminins du SOE inauguré le 3 décembre 2013 par le Prince CHARLES à Tempsford, d’où décollaient la plupart des avions qui larguaient ou déposaient les agents du SOE dans l’Europe occupée.

By full moon we flew

To honour
the women
who went out from
RAF Tempsford
and other airfields and ports
to aid resistance movements
in occupied Europe
1941-1945

Le mémorial de Tempsford inauguré le 3 décembre 2013

Sources

" Records of Special Operations Executive-Personnel Files-Julienne Besnard ", HS 9/140/7, The National Archives, Kew.
" Julienne Aisner ", in Escott Beryl, The Heroines of SOE-Britain’s Secret Women in France, Kindle Edition, 2010.
Michael R. D. FOOT, Des Anglais dans la Résistance. Le service secret britannique d’action SOE en France 1940-1944, Tallandier, 2008.
David M. HARRISON, " SOE Trench Section-Members list ", sur le site britannique « SOE 1940-1945 French Section ».
http://soe_french.tripod.com/

- " Julienne Besnard née Simart-Special Forces-Roll of Honour-Archive SOE-Julienne Aisner ", site britannique.
http://www.specialforcesroh.com/awards-4003.html
" Un Français libre parmi 51873, Robert Aisner ", sur le site « Les Français libres de juin 1940 à juillet 1943 ».
http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=50700

Julienne SIMART-BESNARD, " À mon fils Louis Lauler, avec toute ma tendresse ", témoignage écrit de Julienne Besnard destiné à son fils Louis Lauler, rédigé en janvier 1946.
Témoignage de Paul PIERRE, petit-cousin de Julienne Aisner-Besnard, recueilli en décembre 2011 par Marie-Sylvie GARNESSON.

Portait de Julienne Aisner/Besnard et informations communiquées par Louis LAULER, fils de Julienne AISNER, et par David M. HARRISSON à Marie-Sylvie GARNESSON dont la famille était amie de la famille SIMART d’Anglure, qui les a transmises à Jocelyne et Jean-Pierre HUSSON en 2011-2012.
Photographies de la sépulture de Julienne Besnard à Anglure communiquées par Marie-Sylvie GARNESSON.

" Prince Charles unveils memorial to wartime women agents ", BBC News, 3 December 2013.
http://www.bbc.co.uk/news/uk-england-beds-bucks-herts-25201367
" Memorial to female WW2 secret agents ", The Telegraph, Thursday 12 December 2013.
http://www.telegraph.co.uk/history/world-war-two/10492898/Memorial-to-female-WW2-secret-agents.html

Sébastien TOUFFU, " Maurice Dupont " et " Les commandos M ", in La Résistance dans l'Aube, AERI-Fondation de la Résistance/CRDP de l'Académie de Reims, dévédérom, 2010. Notice biographie et portrait de Maurice Dupont. Photo de la stèle de Charmont-sous-Barbuise.

Jocelyne et Jean-Pierre HUSSON, " Julienne Aisner ", La Résistance dans la Marne, AERI-Fondation de la Résistance/CRDP de l’Académie de Reims, dévédérom, 2013. Notice biographique actualisée en décembre 2013.

Menu

© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000-2013
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.