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Les Opérations des Forces
Françaises de l'Intérieur dans la Marne sont caractérisées par leur
extrême diversité.
Aussi sera-t-il indispensable pour ne pas alourdir
ce journal de marche de les examiner de haut dans leur ensemble en laissant
dans l'ombre bien des actions isolées où se retrouveraient les qualités
traditionnelles du Soldat Français.
Notre organisation clandestine coiffait le département ;
à la tête un Chef Militaire, ensuite des Chefs d'arrondissements, puis
des Chefs de secteur dans chaque canton et enfin des Chefs de centaines,
trentaines, dizaines et sixaines.
Il n'y avait que très peu de maquis généralement composés
que de quelques réfractaires occupés à des travaux de bûcheronnage.
Un réseau très serré de liaison permettait la diffusion
rapide des ordres de la Région,
et la collecte des renseignements.
La Gestapo qui jusqu'en 1943 ne s'était manifestée
que sporadiquement, commence en décembre une action qui ne se ralentit
plus.
Dans le même mois, trois chefs départementaux se succédèrent,
l'un fut emmené en avion en Angleterre au moment où il allait être pris,
ses deux successeurs furent arrêtés, l'un tué dans la prison deux jours
après, le Chef du BOA échappa de justesse, les Officiers et Sous-Officiers
d'une Compagnie de Génie qui transmettaient à Londres et réceptionnaient
les armes, arrêtés également ainsi que bon nombre de militants.
Des tonnes d'armes furent saisies ; enfin l'organisation
décapitée et dispersée eut bien du mal à se reformer et resta en sommeil
jusqu'au printemps.
Un gros effort de regroupement fut fait à partir de
ce moment ; tous les effectifs étaient en place au moment du débarquement.
La mission qui nous était dévolue sous le nom de plan
Vert consistait en des destructions de voies ferrées pour ralentir la
marche des convois de renfort.
Ces sabotages coordonnés ainsi que ceux qui nous furent
demandés par la suite,
ont été dans l'ensemble exécutés correctement et courageusement, malgré
quelques mécomptes dus aux circonstances du moment et pour une part
à la qualité de conservation défectueuse de certains explosifs.
D'autre part, le Département de la Marne se prête
mal aux actions de guérilla,
plat dans son ensemble, dépourvu de couverts, il n'est boisé que dans
la région de Sainte-Menehould et au sud d'Epernay.
Quoiqu'il en soit, pendant le mois de Juin, Juillet
et Août, l'action offensive et le mordant des FFI se développent de
plus en plus, attaques de convois, surtout dans la région d'Epernay,
coupures de lignes télégraphiques et téléphoniques souterraines et aériennes,
destruction de pylônes à haute tension, coupures de voies ferrées, attentats
contre les usines travaillant pour l'ennemi, interruption du trafic
fluvial, pose de crève-pneus sur les routes, attentats contre l'Hôtel
de la Milice à Reims, activité intense du service de renseignements,
châtiment des traîtres etc..., pour atteindre leur maximum dans les
jours précédant l'arrivée des Alliés.
Toutes ces missions furent exécutées avec un armement
notoirement insuffisant,
en raison des prises faites en décembre 1943 et du petit nombre de parachutages
reçus, ceux-ci étant réservé en priorité aux départements de l'Ouest.
Reims par exemple ne disposait que de 96 mitraillettes
et il fallut suppléer à cette situation par des prises faites sur l'ennemi.
Epernay dans cet ordre d'idée fit un effort considérable
en portant ses effectifs armés de 250 à 1 200 hommes.
Les équipements étaient inexistants, il n'y avait
ni chaussures, ni couvertures.
Dans les trois derniers mois, un nouveau plan vit
le jour ; il s'agissait du Plan Paul qui consistait à aménager
et à garder des terrains de parachutages destinés à réceptionner des
hommes et des armes, ainsi que des organes de commandement avec missions
spéciales.
Si ce plan ne fut pas réalisé entièrement il permit
néanmoins d'équiper et d'entraîner cinq centaines, dont l'appui fut
précieux au moment de la Libération.
L'avance alliée s'effectua très rapidement puisqu'en
moins d'une semaine le département était entièrement libéré, il est
permis de dire que nos troupes y contribuèrent ; l'efficacité de
leur action fut reconnue par le Commandement de la 3ème Armée Américaine
qui voulut bien nous en exprimer sa satisfaction en précisant que grâce
à nous, il avait été en avance sur son horaire.
Notre rôle bien que simple, était néanmoins assez
difficile, il s'agissait d'entretenir autour de l'ennemi une menace
constante qui le tienne dans un état d'insécurité déprimante, harceler
ses colonnes, attaquer les isolés, en un mot, lui rendre la vie impossible.
Et au moment où les Alliés arrivaient, protéger nos
cités de la destruction, nos concitoyens du massacre, garder les passages
de communications en ramassant les traînards.
Nous avons la conviction d'avoir réussi dans tous
ces domaines et je n'en citerai comme exemple que la prise d'Epernay
et celle de Reims où le courage des patriotes protégea de la destruction
des ponts importants.
L'ennemi subit des pertes sévères, s'élevant à 233
tués, 270 blessés et 1 200 prisonniers.
Nous lui prîmes un matériel considérable non encore
recensé mais comprenant entre autres plusieurs centaines de véhicules,
camions, voitures, motocyclettes, dix chars,
une cinquantaine de canons et un millier de fusils.
Par contre, pour un effectif de 4 500 hommes, nous
eûmes à déplorer 107 tués,
78 fusillés ou assassinés, et 58 blessés.
A l'heure actuelle, nous procédons à l'organisation
de l'armée nouvelle ; la plupart de nos jeunes FFI ont tenu à s'engager
pour continuer à servir dans les bataillons en formation où leur bonne
tenue, leur esprit patriotique et leur bonne volonté laissent espérer
que sous l'uniforme qu'ils sont fiers de porter, ils continueront comme
sous les haillons des maquisards, à contribuer à la grandeur de la France.
Ils n'auront qu'à s'inspirer des exemples de ceux
des nôtres qui ont combattu le plus vaillamment, en se sacrifiant parfois
comme en témoignent les citations ci-jointes.
P. C., le 25 septembre 1944.
Pierre. BOUCHEZ
Archives
départementales de la Marne : 3 Z 690
in
Jean-Pierre HUSSON,
La Marne et les Marnais à l'épreuve
de la Seconde Guerre mondiale, Presses
universitaires de Reims, 2ème édition, 1998, tome
2, pp. 78-80.
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