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L'absence
de spécificité régionale bien affirmée
dans une région cloisonnée et qui manque d'unité
En
l'absence de travaux de synthèse portant sur l'ensemble de
son territoire, et dans l'attente de l'aboutissement des recherches
menées dans le cadre du projet AERI de cédéroms
départementaux, il est difficile de
cerner précisément les contours de la Résistance
en Champagne-Ardenne et d'y dégager une spécificité
régionale.
À
l'époque de la Seconde Guerre mondiale, les quatre départements
des Ardennes, de la Marne, de l'Aube et de la Haute-Marne rassemblés
aujourd'hui dans la région Champagne-Ardenne, constituent un
territoire à dominante rurale, peuplé seulement
d'un peu plus d'un million d'habitants.
Ce territoire, qui s'étire sur 400 kilomètres
de la frontière belge au Nord, jusqu'aux confins de la Bourgogne
et de la Franche-Comté au Sud-Est, englobe des
espaces très contrastés :
- au centre, la Champagne crayeuse,
paysage de champs ouverts et d'habitat groupé ;
- à la périphérie, l'Argonne,
les plateaux ardennais et haut-marnais offrant une vaste couverture
forestière plus propice à l'implantation de maquis,
avec dans les vallées, une vieille tradition métallurgique
et ouvrière.
Région carrefour,
elle est située sur l'axe routier et ferroviaire reliant Paris
à l'Allemagne, enjeu géostratégique
renforcé par la présence de
trois camps militaires importants ( Suippes, Mourmelon,
Mailly ) investis par la Wehrmacht.
Elle est traversée
par les routes d'évasion
et elle est survolée par les bombardiers
alliés.
Outre le renseignement, l'activité des réseaux
est donc prioritairement tournée vers la
prise en charge des prisonniers évadés
d'Allemagne et des aviateurs alliés abattus par
la Flak, puis le sabotage des moyens de communication.
Le
manque d'unité résultant
de son étirement dans l'espace est amplifié par le cloisonnement
en zones issu de la défaite de 1940, les velléités
de la politique régionaliste de Vichy, et les contraintes du
découpage en régions de la Résistance.
Son territoire est cloisonné en
- zone
occupée proprement dite ( Marne, Aube ),
- zone
réservée ( moitié orientale de la
Haute-Marne )
- zone
interdite ( Ardennes au nord de la rivière Aisne
),
ce qui ne facilite pas les liaisons interrégionales
; la région de Châlons créée par Vichy,
englobe l'Aube, la Marne et la Haute-Marne à l'exclusion des
Ardennes ; en ce qui concerne la Résistance, la Marne et les
Ardennes sont rattachées à la région C, l'Aube
à la région P, la Haute-Marne à la région
D.
Le
traumatisme de l'exode et de la défaite
L'ampleur
de l'exode de mai-juin 1940,
le choc de la défaite,
la lenteur du retour en particulier
dans la zone interdite, au nord de la rivière Aisne, les contraintes
de l'occupation, un mélange contradictoire de ressentiment
anti-allemand et de pacifisme résigné
liés au souvenir douloureux de la Première Guerre mondiale
dont ces départements portent encore les stigmates, l'accommodement
avec l'occupant cautionné par l'habile préfet
régional et préfet de la Marne, René
BOUSQUET, avec l'appui des notables, l'ampleur de la
répression anticommuniste
et un attachement assez massif au vainqueur
de Verdun, le maréchal PÉTAIN,
expliquent l'attentisme de la plus
grande partie de la population et l'isolement des résistants
jusqu'en 1942-1943.
Les
débuts de la Résistance
En
1940-1941, l'engagement dans la Résistance correspond
à un réflexe patriotique de
personnes isolées, générant des actions
individuelles, spontanées, inorganisées.
Les centres d'impulsion
sont dispersés, les premiers mouvements sont rapidement
démantelés par la répression.
L'éventail
des organisations qui s'implantent et se développent en
1942 est très large, et leur influence varie d'un
département à l'autre.
L'Organisation civile et
militaire ( OCM ) est surtout présente dans les
Ardennes et dans la Haute-Marne à Chaumont et Langres,
Ceux de la Résistance ( CDLR ) dans la Marne, Ceux
de la Libération ( CDLL ) dans l'Aube.
Les groupes de Résistance
Fer, bien implantés dans les différents dépôts
SNCF, jouent un rôle très important dans le renseignement,
le transport et la diffusion de la presse clandestine, le sabotage.
L'adhésion
à un mouvement dépend davantage de sa proximité
géographique et des circonstances que d'appartenances sociologiques
ou politiques.
Cependant, les résistants syndicalistes,
socialistes et communistes se retrouvent essentiellement à
Libération-Nord ( Libé-Nord
), dont un des cofondateurs est Christian
PINEAU, originaire de Haute-Marne, et au Front
national de lutte pour l'indépendance de la France,
mouvements bien implantés dans les villes et les secteurs industriels.
La
Résistance champardennaise ignore les frontières départementales
intra et extra-régionales : l'Aubois, Georges
WAUTERS, chef régional CDLL, installe en
1942 dans la Marne ce mouvement que le commandant
DERRIEN parti de la Marne fait renaître dans les
Ardennes en 1944 ; le réseau
d'évasion Possum dirigé
par un officier belge, POTIER,
tisse ses ramifications de la Belgique à la Picardie et à
Paris en passant par les Ardennes et l'ouest marnais.
Les maquis de l'Argonne marnaise et ardennaise sont
en relation avec ceux de la Meuse, les maquis hauts-marnais avec ceux
des Vosges et de Haute-Saône.
Le Rémois, Raymond
GUYOT, chef régional de Libé-Nord, implante
ce mouvement dans le Sud-Aubois.
Les responsables du Front national et de son organisation
armée, les Francs-tireurs et partisans
( FTP ) viennent souvent d'autres régions.
L'unification
des mouvements
En
1943, les organisations armées des différents
mouvements de résistance se réunissent au sein des Forces
françaises de l'Intérieur ( FFI ), tandis
que les Francs-tireurs et partisans français
(FTPF) conservent leur autonomie.
Les maquis FFI et FTP,
alimentés par les réfractaires
du Service du travail obligatoire ( STO ), grossissent.
Les réseaux
mis en place par le Bureau des opérations
aériennes ( BOA ) de la France libre et les réseaux
britanniques du Secret operation executive
( SOE ) s'implantent, les premiers parachutages
apportent des armes, les actions de sabotage se développent.
La Résistance se
structure et s'unifie, mais elle est décimée
par des arrestations en chaîne,
souvent déclenchées par des dénonciations ou
des informations arrachées sous la torture par les agents de
la Gestapo, et amplifiées en raison de l'interpénétration
des mouvements ( CDLR et CDLL dans la Marne ) et des adhésions
à plusieurs mouvements.
Le
développement des maquis et la mise en oeuvre du plan Paul
À
partir de juin 1944, le déclenchement du plan
Paul entraîne la formation de groupes FFI affectés
à des terrains choisis pour recevoir des armes et d'éventuels
commandos de parachutistes alliés.
Ces groupes doivent se tenir prêt à
aider aux opérations de parachutages, en prenant position sur
ces terrains, à les défendre en cas d'attaque allemande,
éventuellement à épauler les commandos de parachutistes
dans des opérations de guerre.
L'aide
apportée dans l'application du Plan Paul aux Jedburghs,
c'est-à-dire aux équipes mixtes d'officiers et sous-officiers
anglo-saxons et français, parachutées pour appuyer l'action
des FFI ( Andrew, Arnold, Bernard, Bunny, Cecil et Stanley
), aux équipes des réseaux SOE
( Juggler, Pedlar, Diplomat, Silversmith ), puis aux troupes
alliées dans la libération du territoire, entraînent
une intensification de l'action et un gonflement des effectifs.
On compte alors une trentaine
de maquis dans les Ardennes.
Des assauts très meurtriers sont lancés
par les troupes allemandes contre le maquis
des Manises dans les Ardennes, ceux de Voisines
dans la Haute-Marne et de Mussy-Grancey dans
l'Aube. La coordination entre maquis FFI, maquis FTP et équipes
d'officiers alliés parachutés fonctionne bien dans l'Aube,
mais assez mal dans la Marne.
Le monument des Manises à Revin dans
les Ardennes
En
juin 1944, dans le cadre de la mission " Citronnelle ",
Jacques PARIS DE BOLLARDIÈRE alias " Prisme ",
est parachuté près de Mourmelon dans la Marne,
avec son radio et un officier américain.
Il est chargé de rejoindre et de prendre
le commandement du maquis des Manises constitué d'environ
300 hommes rassemblés sur les hauteurs de Revin dans
les Ardennes.
Dans la nuit du 12 au 13 juin, les troupes
allemandes encerclent ce maquis et capturent 106 jeunes qui
sont exécutés sur place. |
En
août 1944, selon les rapports des chefs départementaux
FFI, peut-être un peu surévalués, environ
20 000 Champardennais sont engagés dans les rangs de la Résistance,
un chiffre à comparer avec les 5 582
cartes de Combattant volontaire de la Résistance
( CVR ) délivrées après la guerre à ceux
qui ont voulu faire reconnaître leur engagement dans la Résistance.
Dans
la Marne, le chef des FFI, Pierre
BOUCHEZ, de CDLR, est
un officier de réserve, responsable des organisations patronales
de la région de Reims maintenu par Vichy. Le président
du Comité départemental de libération ( CDL ),
Michel SICRE, est un militant
communiste, secrétaire avant-guerre du syndicat des Transports
parisiens, qui a organisé le Front
national en France-Comté avant d'être envoyé
dans la Marne en 1943.
Carte
d'identité de volontaire des Forces françaises de l'intérieur
établie après la libération de la Marne par le
commandant Bouchez,
chef départemental des FFI
Dans les Ardennes,
le chef des FFI, le commandant FOURNIER
de l'OCM, est un garçon
coiffeur résistant de la première heure, et le président
du CDL, le docteur JULLICH, est
l'ancien président radical-socialiste
du conseil général.
Dans l'Aube,
le chef des FFI, le commandant ALAGIRAUDE,
directeur du Centre de libération des prisonniers de guerre
de Troyes, vient de l'Armée secrète,
et Gabriel THIERRY, président
du CDL, de Libé-Nord.
Dans la Haute-Marne,
le chef des FFI, le colonel de GROUCHY,
de l'Organisation militaire de l'armée
( ORA ), est un officier à la retraite, tandis que le président
du CDL, Robert VAUTHIER, représente
le Parti socialiste.
L'appartenance
des chefs départementaux FFI et des présidents des CDL
illustre les rapports de force entre les différentes
composantes socio-politiques de la Résistance, et
en particulier les enjeux de la rivalité
entre vichysto-résistants, gaullistes, socialistes et communistes
pour le partage des responsabilités à la Libération.
Contributeurs
:
- Philippe
LECLER pour les Ardennes
- Jean-Pierre
HUSSON pour la Marne
- Christian
LAMBART et Sébastien TOUFFU
pour l'Aube
- Lionel
FONTAINE, André GROSSETÊTE,
Delphine HENRY et Marie-Claude
SIMONNET pour la Haute-Marne
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