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Un vétéran du Corps expéditionnaire français en Italie
Marcel Weber

Témoignage mis en ligne par Jean-Pierre HUSSON

1944-2004

L'armée d'Afrique

La campagne de Tunisie

Le Corps expéditionnaire français en Italie

L'hiver 1943-1944

Cassino ( février - mai 1944 )

Le nettoyage et l'exploitation de la victoire

Bilan de la campagne en Italie du CEFI


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1944-2004

Marcel WEBER à Rome en juin 1944
dans son uniforme du 6ème Régiment de tirailleurs marocains ...


 

... et le 12 mai 2004, devant le monument du cimetière militaire français
de Venafro près de Cassino

   Engagé volontaire dans le 6ème Régiment de tirailleurs marocains, intégré à la 4ème Division marocaine de montagne, le Rémois Marcel WEBER a participé à la Campagne d'Italie avant d'être engagé dans la Libération de la France et la victoire finale contre les nazis en Allemagne et en Autriche.

La Campagne d'Italie

Insignes du Corps expéditionnaire français en Italie

 


Insigne
de la 4° Division marocaine de montagne

Insigne
du 6° Régiment de tirailleurs marocains


L'armée d'Afrique

   Après une attente de plus de deux ans, arriva « l'événement » qui allait faire rentrer l'Afrique française du Nord ( et avec elle l'AOF ) dans la guerre.
   Le 8 novembre 1942, les Américains et les Anglais débarquent au Maroc et en Algérie et font l'erreur de délaisser la Tunisie.

Tract en arabe et en français diffusé dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942


   
La réaction allemande est rapide : en moins de trois jours, la zone Sud de la France est occupée et une division aéroportée allemande débarque à Tunis, venant de Sicile.

   Le général NOGUÈS, commandant en chef en Afrique du Nord, a refusé l'aide allemande qui lui était proposée pour repousser le débarquement allié. Il a déclaré que nous nous en chargions nous-mêmes, ce que très malheureusement il fit jusqu'au 11 novembre 1942, entraînant des pertes inutiles de part et d'autre.

   Le rôle de l'armée française d'Afrique du Nord va devenir primordial à partir de cette date car :
   - ou bien elle contiendra la poussée allemande assez longtemps pour que nos alliés puissent organiser et renforcer leurs moyens débarqués, et ensuite servir de tremplin pour attaquer l'Europe par le sud ;
   - Ou bien elle n'y parviendra pas et les Allemands occuperont tout le « bastion nord-africain » ;

   Or, les éléments d'Afrique du Nord en cette fin d'année 1942 sont peu nombreux, mal armés, mal équipés : mais, bien que tout manque, leur moral est au plus haut et leurs capacités de manœuvre excellentes : ils ont heureusement reçu dès le début de l'année 1941 des directives précises du général WEYGAND : « Préparez-vous à reprendre le combat ».
   D'où un esprit de résistance unanime qui s'est manifesté dans deux directions :

   1/ Le camouflage des moyens et des effectifs

   À titre d'exemple, citons les moyens camouflés au Maroc en dépit du contrôle exercé sur place par des commissions d'armistices allemande et italienne :
      - 20 000 armes individuelles,
      - 4 000 armes automatiques,
      - 60 canons,
      - 200 mortiers,
      - 250 camions,
      - 10 chars… avec les munitions correspondantes.

   Dans l'ensemble, les effectifs « civils » ont été accrus chez les fonctionnaires, dans les diverses polices, dans les chantiers du « transsaharien », les chantiers de jeunesse, les méhallas chérifiennes, etc…

   Tout était prétexte à exercices et manœuvres : surveillance des frontières, tournées de police à l'intérieur, contrôle des grands rassemblements de population ( fêtes, grands marché, etc... ).
   L'exemple le plus fameux de ces actions clandestines réalisées sur une vaste échelle demeure celui des goums marocains, dont le chef, le général GUILLAUME, parvint à faire croire aux vainqueurs provisoires que ces forces représentaient seulement des forces de police nécessaires au maintien de l'ordre et sans valeur militaire.
   La vérité, c'est que GUILLAUME avait fait de chaque goum ( un goum = environ une compagnie ; un tabor = environ un bataillon léger ) un centre clandestin d'entraînement intensif.
   Au cœur de l'Atlas, on cachait des fusils-mitrailleurs sous la couche des femmes berbères.
   Pas une seule fois le secret des tabors ne sera violé.

   2/ L'entraînement physique et tactique de toutes les unités, mêmes importantes ( jusqu'à l'effectif d'un régiment )

   Il est remarquable que, du plus grand chef aux plus modestes exécutants, en passant par tous les cadres civils et militaires, l'unanimité a été exemplaire. Jamais les services de renseignements ennemis n'ont supposé qu'en fait une armée se constituait. C'est cet embryon d'armée qui allait donner à l'armée d'Afrique l'occasion de prouver sa raison d'être.

Marcel WEBER à l'entraînement à El Hank au Maroc en 1942


La campagne de Tunisie
de novembre 1942 à mai 1943

   Première idée des alliés : reprendre Bizerte et Tunis avant que l'ennemi ait pu renforcer ces deux positions capitales. Elle fut irréalisable à cause de l'insuffisance des moyens, aggravée par la lenteur des transports.

   La seconde idée retenue consistait à réduire l'espace nécessaire pour la jonction des deux armées germano-italiennes, celle de Tunisie et celle du maréchal ROMMEL retraitant de Libye.

   Du côté allemand, l'objectif majeur était de recueillir l'Afrika Corps et il lui fallait donc garder un large passage entre la côte et les montagnes tunisiennes. Il en résultat une succession d'actions des alliés et des forces de l'Axe qui se termina le 13 mai 1943 par le ré-embarquement du gros des troupes ennemies et de la reddition de celles restées en couverture.

   C'est la fin d'une campagne où furent engagés 70 000 combattants de l'armée française. Médiocrement équipés, ils se sont vaillamment comportés et ont acquis l'estime de leurs camarades américains et anglais.
   Les pertes : 16 000 tués et blessés témoignent de la violence des combats.


Le Corps expéditionnaire français
en Italie

   Dès le mois de juillet 1943, la mise sur pied d'une armée française est proposée aux alliés conjointement par les généraux DE GAULLE et GIRAUD : son principe en est accepté ( accord d'ANFA ), l'armement en matériel moderne de plusieurs divisions est décidé et sa participation à la campagne de libération de l'Europe, et de la France en particulier, est retenue.

   Cette force interviendra d'abord en Italie au sein de la Vème armée américaine commandée par le général CLARK, et le détachement qui y participera sera placé sous le commandement du général d'armée, Alphonse JUIN, qui avait déjà commandé les troupes françaises en Tunisie, avec les seules armes camouflées dont il est question plus haut.
   Dès lors, le général JUIN s'efforce d'organiser cette force d'intervention et d'intensifier son entraînement en vue de futures opérations. Il constitue son état-major et forme les divisions qui seront placées sous ses ordres et qui formeront le Corps expéditionnaire en Italie.

   Le Corps expéditionnaire français comprendra :

   - La 2ème division d'infanterie marocaine ( 2ème DIM ), sous les ordres du général DODY ; cette division interviendra en Italie fin novembre 1943.
   - La 3ème division d'infanterie algérienne ( 3ème DIA ), sous le commandement du général DE MONSABERT, arrivée en Italie fin décembre 1943.
   - La 4ème division marocaine de montagne (4ème DMM), sous les ordres du général SEVEZ, arrivée en Italie en février 1944.

Le général SEVEZ
( Musée de l'Armée )

   - La 1ère division française libre (1ère DFL ou 1ère DMI ), sous les ordres du général BROSSET, arrivée en Italie en avril 1944.
   - Les goums marocains, sous les ordres du général GUILLAUME, engagés par groupes de tabors au fur et à mesure de leur constitution.
   - Des éléments non endivisionnés, tels que tanks-destroyers, éléments d'artillerie lourde de corps d'armée.
   - À ces forces il faut ajouter les groupes d'ambulancières, les bataillons médicaux et les antennes chirurgicales mobiles.

   Soit un total de 130 000 hommes et femmes de toutes confessions et ethnies venus de l'Algérie, de France, et de notre empire colonial de l'époque.
   Ajoutons la présence d'un très important parc muletier ( les brèles ) qui sera un élément déterminant dans les combats de montagne.

   Vaincue et humiliée en 1940, notre armée se devait de retrouver sa fierté et son honneur, et de prouver à nos alliés qu'elle était digne de prendre rang dans son corps de bataille.
   C'est donc au général JUIN et son corps expéditionnaire qu'est confiée cette redoutable mission sur le front italien.

   À ce moment la situation des opérations dans ce secteur méditerranéen est la suivante :

   En Sicile, les Anglo-Américains ayant débarqué à la mi-juillet 1943, les Allemands et Italiens évacuèrent totalement le 16 août ce qui provoqua la demande d'armistice italienne début septembre et la chute du fascisme.

   La Sardaigne, a été occupée par les Anglo-Américains dès la mi-août 1943.

   La Corse était sous contrôle italien suivant une clause de l'armistice 1940. Dès l'annonce de la demande d'armistice italien, les Corses se soulevèrent, ce qui provoqua l'arrivée de renforts allemands pour mater la résistance, et la réplique immédiate du général GIRAUD par l'envoi de troupes françaises parties d'Alger, et trois semaines plus tard la Corse devint le premier département français libéré.

   L'Italie du Sud : la conquête de la Sicile terminée, les Anglo-Américains préparent immédiatement le débarquement en Italie du Sud. Il eut lieu le 8 septembre 1943 au sud de Naples à Salerne et en Calabre où ils se heurtèrent à une résistance acharnée nécessitant l'intervention massive de la marine et de l'aviation ; après trois semaines de combats très indécis, ils entrèrent finalement à Naples le 1er octobre et remontèrent l'Italie en direction de leur objectif principal : Rome ; les Américains à l'ouest, les Anglais à l'est.

   Après avoir franchi le fleuve Volturno et atteint la rive sud du Garigliano, les alliés sont brutalement stoppés par des lignes de défense allemandes successives qui utilisent au mieux le terrain.
 
 En effet, le massif des Abruzes, partie de la grande dorsale italienne des Apennins, barre la péninsule d'ouest en est dans sa partie la plus étroite.
   Elle ne laisse en bordure des mers Tyrrhénienne et Adriatique que des petits couloirs de plaine. Le verrou de ce dispositif se trouve à Cassino. Cette ville, dominée par le Mont Cassin, coiffé de sa célèbre abbaye, bien protégée par les monts Aurunci avoisinants, contrôle la vallée de la rivière Liri et, par là, l'axe routier Naples-Rome.

   Cassino sera l'enjeu des combats les plus meurtriers de la campagne d'Italie et donnera au Corps expéditionnaire français l'occasion de prouver la valeur militaire de ses hommes et de ses chefs.

   Pour compléter la situation en Italie, ajoutons que les Américains, bloqués dans leur progression vers Rome, ont effectué en janvier 1944 un débarquement à Anzio à 50 km au sud de Rome : ils réussirent à créer une tête de pont : mal exploitée, cette opération ne les aidera pas à progresser.


L'hiver 1943-1944

   Engagée la première dès novembre 1943, c'est à la 2ème DIM de relever le défi de 1940 dans un hiver démentiel et sur un terrain difficile.
   Rejointe par la 3ème DIA et quelques groupes de tabors marocains, ces unités livrent de durs et sanglants combats sur le front de Cassino et enlèvent des points fortifiés très importants de sa ligne de défense : le Pentano, la Mainarde, le Mona Casale, le Mona Acquafondata, le Belvédère et d'autres, autant de glorieux et douloureux sacrifices consentis par le CEF sur un terrain aride et inhospitalier, où chaque piton est un piège, mais les unités du CEF viennent de faire leur preuve et montrer à nos alliés la valeur de nos armes retrouvées.
   Aux alliés incrédules, comme aux Allemands médusés, elle a démontré que les troupes françaises sont redevenues capables de rivaliser avec les meilleures. Quelle satisfaction pour tous d'apprendre que CHURCHILL, le vieux lion britannique a télégraphié au général DE GAULLE : « Acceptez mes compliments pour la façon magnifique dont vos troupes combattent. Cela rappelle le vieux temps et présage les nouveaux ».


Cassino
Février-Mai 1944


   Pendant ce temps, l'opération Anzio ayant échoué, CLARK persévère dans son idée de s'ouvrir la route de Rome en faisant sauter le verrou de Cassino, qui est devenu un nouveau Verdun.
   Ayant hérité d'un regroupement important de forces, néo-zélandaises, indiennes et anglaises, il décide de se jeter dans un assaut frontal contre Cassino.
   JUIN essaie de l'en dissuader et préconise plutôt son contournement par un mouvement débordant. Malheureusement, il n'est pas entendu : ce sera l'assaut frontal. Mais le général néo-zélandais qui est à la tête de cette force exige alors, avant toute attaque, le bombardement du mont Cassin et la destruction de l'abbaye.

   Après bien des tergiversations, c'est ce qui sera décidé.
   Du 15 au 17 février, 250 forteresses volantes lâchent sur ce site près de 600 tonnes de bombes. Cet intense bombardement sera suivi d'un feu nourri de toutes les pièces de l'artillerie lourde et d'un nouveau bombardement par des B 25 et 26. L'abbaye n'était plus qu'une ruine d'où les Allemands, solidement retranchés, refoulèrent toutes les attaques menées par les alliés : le mont Cassin barrait toujours la route de Rome.

   Le 15 mars, 450 bombardiers escortés par autant de chasseurs déversent à nouveau, en l'espace de 4 heures, 1 400 tonnes de bombes sur Cassino et ses alentours, et comme si ce déluge ne suffisait pas, l'artillerie prend le relais et crache 100 000 obus sur les ruines. Après quoi, la 4ème DI indienne part à l'attaque. Les paras allemands sont toujours là, déguenillés, couverts de poussière , ils sortent de leurs trous, de leurs caves, de leurs souterrains et surgissent comme des diables dans le dos des assaillants. Ils sont insaisissables, on ne peut les déloger. Personne ne les délogera jamais.

   La campagne d'hiver se terminant, Cassino apparaissait comme une grande victoire défensive allemande.

   Pour le CEF c'est un grand tournant. En effet, JUIN, dont le plan jugé jusqu'ici impossible, parce que trop audacieux, vient d'être adopté, a obtenu de disposer, sous sa responsabilité, d'un créneau opérationnel strictement français dans la grande et ultime bataille qui se prépare, celle dite du Garigliano.

   La bataille du printemps qui va se dérouler comporte trois zones distinctes :

      - à l'est : la vallée du Liri sous le feu des positions redoutables du mont Cassin, du mont Cairo et du mont Majo ;
      - à l'ouest : une mince plaine côtière susceptible d'être inondée en raison de la présence des marais pontins.
      - e
ntre ces deux secteurs une zone montagneuse impénétrable, celle des monts Aurunci.

   Les ordres d'ALEXANDER sont brefs :

   1/ La VIIIème armée britannique, chargée de l'effort principal, enfoncera les positions ennemies dans la vallée du Liri et exploitera suivant l'axe général de la route n° 6 afin de s'emparer de Rome.

   2/ La Vème armée US, chargée de l'effort secondaire, protégera le flanc sud de la VIIIème armée, s'emparera des routes qui traversent le massif montagneux entre les nationales 6 et 7 et aidera à la couverture de la VIIIème armée.

   JUIN n'est pas d'accord, c'est une folie de vouloir passer par la vallée du Liri, où l'ennemi attend en force.

   Alors, héritier de la doctrine napoléonienne, toujours en vigueur à l'école supérieure de guerre de Paris, qui veut qu'on doit toujours s'efforcer de surprendre l'ennemi, toutes forces réunies, sur le point où il vous attend le moins, le général JUIN pense qu'il faut appliquer l'effort principal non aux ailes, mais au centre. Enfoncé en son centre, l'ennemi abandonnera Cassino.
Tel fut le contenu du mémoire qu'il remit au général CLARK le 4 avril 1944. C'est un document d'histoire.

   Ce mémoire jette la panique dans les états-majors alliés. Tous les grands chefs opérationnels trouvent la manœuvre Juin trop hasardeuse et se disent effrayés de l'audace des Français. Ils estiment impossible de la mettre en œuvre.

   JUIN insiste : à ceux qui viennent le voir pour obtenir des explications, avec patience et persévérance il va s'attacher à les convaincre de la justesse de sa conception.
   Il a une idée précise de la personnalité de KESSELRING, le commandant en chef allemand. Il sait que c'est un optimiste intégral, et qu'après sa brillante victoire défensive d'hiver à Cassino, il se croit inexpugnable. Il va sûrement fonder sa stratégie sur un axiome : « la montagne est infranchissable » et sur un postulat : « les alliés attaqueront dans les vallées ». Son dispositif établi sur ces données, pense JUIN, sera dans la montagne dangereusement linéaire, sans profondeur ; au contraire, les vallées seront surabondamment garnie de défenses, toutes vouées à devenir stériles dès qu'elles seront prises à revers.

   Si tel est le cas, le général JUIN sait que le CEFI, qui dispose maintenant de quatre divisions, a les moyens d'enfoncer la ligne Gustav dans la montagne.
Toutefois, le haut commandement allié demeure incrédule.
   « C'est une gageure », s'exclament les visiteurs.
   « Inimaginable », dit le général ALEXANDER, qui reste persuadé que la décision ne peut être emportée que par la concentration massive de ses nombreuses formations blindées et portées dans la vallée du Liri, et qui maintiendra intégralement son plan d'opérations initial.

   Sa mission étant fixée, le général CLARK, qui dispose de deux corps d'armée, celui du général KEYES et le CEF, aura un nouvel entretien avec JUIN avant de rédiger son ordre d'opérations.

   Les Américains non plus ne croient pas que les Français réussiront leur manœuvre dans la montagne. Ils estiment qu'elle dépend trop d'un timing ( d'un emploi du temps ) délicat et précis jugé impossible à respecter en raison des difficultés du terrain, et surtout ils mettent en doute la capacité des unités françaises à franchir l'étendue très tourmentée des monts Aurunci, une chaîne montagneuse chaotique, aux sommets escarpés, impressionnants à aborder de face. Ces monts sont impénétrables, dénués de toute route, arides, désertiques, et constituent des défenses naturelles formidables sans aucun passage pour l'artillerie ni pour les chars.

   Cependant, si le général CLARK, avec ses allures de cow-boy désinvolte égaré dans une guerre moderne, et avant tout un lutteur, c'est aussi un beau joueur ; l'audace du plan Juin ne peut que convenir à son tempérament de sportif.
   
Entrer le premier dans Rome représente justement le genre d'action de prestige à laquelle il aspire ( cf. ses mémoires ). Il voit tout de suite que, si le coup de poker des Français réussissait, l'occasion lui serait offerte de jouer un tour aux Anglais et de fouler le premier le sol de la cité éternelle. Aussi, pour rédiger son ordre d'opérations, il s'inspirera du mémoire du 4 avril et confiera au CEF le soin de conduire l'effort principal de la Vème armée dans la montagne. Ainsi, JUIN, en dépit des réticences d'ALEXANDER, a obtenu ce qu'il voulait.

   La veille de l'offensive, le général JUIN, commandant en chef du Corps expéditionniare français lance à ses troupes l'ordre du jour suivant :

   Combattants français de l'armée d'Italie, une grande bataille dont le sort peut hâter la victoire définitive et la libération de notre patrie s'engage aujourd'hui.
   La lutte sera générale, implacable et poursuivie avec la dernière énergie.
   Appelés à l'honneur d'y porter nos couleurs, nous vaincrons, comme nous avons déjà vaincu, en pensant à la France martyre qui nous attend et nous regarde.
   En avant !  

   L'attaque démarre sur tout le front le 11 mai à 23 heures, appuyée par 2 000 canons ouvrant le feu à la même seconde, les Anglais et les Polonais à droite, les Américains à gauche, les Français au centre.

   C'est une lutte à couteaux tirés qui s'engage.
   La défense allemande ne s'est pas laissée surprendre, elle réplique vertement. Nous butons sur d'épais réseaux de barbelés qui couvrent des champs de mines très denses. Des tirs d'armes automatiques giclent des casemates et des blockhaus, les lance-flammes postés à mi-pente crachent le feu. Les mortiers sous abris écrasent les assaillants sous une pluie d'obus.

   Sur tout le front la mêlée est terrible ; les pertes sont considérables.
   Partout, c'est l'échec, aucun des objectifs n'est atteint.
   Sur le front français, seul le mont Faito a été pris par le 1er bataillon du 8ème tirailleurs marocains et le 1er bataillon du 6ème tirailleurs marocains, toute l'artillerie allemande s'acharne sur eux et ils seront l'objet de violentes attaques de la part de l'ennemi décidé à reprendre ce sommet.

   Le 13 mai, au point du jour, le CEF avec le même élan que la veille, la même foi ardente dans la victoire va, pour la seconde fois, s'élancer à l'assaut. Et cette fois, ça passe.
   La défense allemande vacille puis s'écroule par pans entiers.
   Tour à tour, les tirailleurs enlèvent le Cerasola, le Girofano, le Feuci, tous les sommets qui protègent l'observatoire du Majo, où à 17 heures un immense drapeau tricolore apprend aux alliés médusés, comme aux Allemands frappés de stupeur, que l'impossible exploit était accompli, le front était rompu.

   Le soir même, le général JUIN adressait l'ordre du jour suivant à ses troupes victorieuses :

« Après deux jours de combat, malgré une résistance farouche sur des positions qu'il croyait inexpugnables, l'ennemi se replie, désorganisé, battu.
   Je demande à tous de redoubler d'effort et de vigueur.
   Le magnifique succès d'hier est le gage de la victoire de demain ».

   Les Anglais sont toujours bloqués sur leur base de départ, mais KESSELRING, menacé de débordement par l'avance française, juge la situation si inquiétante qu'il donne l'ordre d'évacuer Cassino.
   Les paras allemands, la rage au cœur, abandonnent les ruines de l'abbaye où les Polonais font aussitôt leur entrée.
   La dernière bataille de Cassino prend fin.

   Les tirailleurs et les goumiers du corps de montagne aux ordres du général SEVEZ se répandent, par les sommets et les vallées, dans les terrains les plus impossibles, sans pistes, ni sentiers et devancent partout les renforts allemands.


Le nettoyage et l'exploitation de la victoire de Cassino
du 14 mai au 31 mai 1944

   Les mots sont impuissants à rendre la réalité de ces jours de marche et de combat sur un terrain surprenant par la dimension et la multiplicité des obstacles, des monts et des ravins.

   Les survivants de ce rallye des pitons gardent essentiellement le souvenir de journées au rythme quasi immuable : approche de nuit par cinq ou six heures de marche, prise de contact vers 9 heures, action retardatrice d'unités ennemies allant de la section de parachutistes de la division Hermann Goering, au Kampfgruppe blindé, Panzergrenadiere et chars lourds.
   Il faut monter une attaque pour 15 heures ou 16 heures ; vers le soir, les Allemands décrochent, mais la nuit tombe et on doit recommencer le scénario le lendemain.

   La plaine côtière est enfin en vue et, le 4 juin, sous un ciel merveilleusement pur, les éléments de tête du CEF atteignent le Tibre à l'est de Rome.
   Au matin du 5 juin, la Vème armée US fait son entrée dans la capitale italienne. Pour bien marquer le rôle prépondérant joué par le CEF, le général CLARK, beau joueur, tient à ce que le général JUIN l'accompagne. Côte à côte, dans la même voiture, l'Américain et le Français montent au Capitole sous les acclamations de la foule, puis paraissent au balcon du palais Farnese.

   Malheureusement, la prise de Rome n'a pas eu sur l'opinion en France, l'impact qu'elle méritait. En effet, le lendemain, 6 juin, éclate comme un coup de tonnerre la nouvelle du débarquement en Normandie qui va accaparer l'attention internationale.

   Le contact avec l'ennemi sera repris avant d'arriver en Toscane où de très durs combats seront nécessaires pour continuer la progression vers le nord, investir Sienne le 4 juillet et terminer la campagne en vue de Florence.

   C'est au 6ème régiment de tirailleurs marocains ( celui auquel appartenaient Martina et Weber ) que reviendra l'honneur de donner le dernier assaut en terre italienne. Franchissant l'Elsa à l'aube du 22 juillet, il enlève Castelfiorentino à proximité de Florence.


Le bilan de la campagne
du Corps expéditionnaire français en Italie

   Avec le lieutenant-colonel PIAU, et pour conclure, il faut établir le bilan et tirer les enseignements de la campagne d'Italie.

   Avant toute chose, on peut regretter, fait rare dans l'histoire, qu'une armée victorieuse ait été stoppée en plein élan alors qu'elle tenait à sa merci deux armées battues et désorganisées.
   Il apparaissait possible d'achever leur destruction et d'atteindre le cœur de l'Europe avant l'automne par les Alpes et la Vénétie.

   Ainsi fut perdue une bonne occasion de hâter la libération de notre pays et d'arriver dans les Balkans avant les Russes. Il n'en demeure pas moins que la campagne d'Italie demeure l'un des coups les plus sévères portés à l'Allemagne hitlérienne.

   Sur le plan français, elle a revêtu une importance capitale.
   Elle a d'abord marqué la véritable renaissance de l'armée française.
   Certes, de brillants faits d'armes avaient été accomplis auparavant par des Français à Bir-Hakeim, au Fezzan, en Tunisie. Mais c'était la première fois, depuis le désastre de 1940, qu'une armée française homogène, dotée d'un armement moderne, se mesurait à l'armée allemande dans une bataille d'envergure. Et mieux encore cette armée ressuscitée trouve le moyen de jouer un rôle décisif.

   Mais la victoire a été chèrement payée : le CEF, à lui seul, a eu 32 000 tués ou blessés sur les 80 000 combattants réellement engagés.

   Enfin, conséquence importante d'une campagne exemplaire, l'armée d'Italie fournira au général DE GAULLE, qui se bat avec la ténacité que l'on sait pour ramener son pays au rang de grande puissance, l'atout dont il a besoin pour conduire sa politique extérieure.

   Pour nous, anciens combattants du Corps expéditionnaire français en Italie., nous conservons de cette aventure à la fois lointaine et si proche un souvenir inoubliable. Ce drapeau que nous avons eu la fierté de faire flotter sur Rome, nous sommes allés - avec de nouveaux compagnons valeureux - le planter sur les Vosges et l'Alsace, sur les bords du Rhin, au cœur de l'Allemagne et de l'Autriche.
   Mais si magnifiques soient-elles, toutes ces victoires ne sont jamais parvenues à éclipser les peines et les gloires de la campagne d'Italie.

   Pour nous l'aventure italienne fut quelque chose de terrible et de merveilleux qui, dans nos têtes et nos cœurs vieillissants, prend aujourd'hui des allures de légende. Et le chef, qui nous a conduits à la victoire, voyait sacrément juste lorsqu'il écrivait en conclusion de son dernier ordre du jour en quittant son commandement : « Où que vous alliez, vous resterez marqués du signe victorieux du CEF ».

   Marqués ! Oui, nous le sommes et comment pourrait-on ne pas l'être ?
   L'état d'esprit du CEF était extraordinaire.
   Les soldats du général JUIN, officiers, sous-officiers et hommes de troupes, toutes origines confondues étaient portés par un même idéal, un grand souffle avait passé sur eux.
   Ils avaient un même désir passionné de délivrer le sol de la patrie, et en même temps de racheter la France de sa chute, de relever son prestige aux yeux de l'étranger comme ils avaient relevé son drapeau sur les champs de bataille.
    C'était cet état d'âme qui avait permis à des milliers de Français de se faire tuer sans trembler, sans rien regretter.
   Au CEF, « faire le sacrifice de sa vie » était une expression vide de sens.
   Nous avions au cœur une souffrance si profonde de 1940, à la bouche un goût si amer de la défaite, que se battre contre un ennemi qui avait infligé à notre pays une telle humiliation était une joie radieuse.
    Qu'importait le risque, tomber les armes à la main n'était pas se sacrifier, mais se libérer, mourir était non pas disparaître mais ressusciter.

   Regroupé en Campanie au sud de Rome, le CEF va recevoir des renforts pour combler les vides avant d'être confié au général DE LATTRE DE TASSIGNY.
   C'est un autre chapitre de l'histoire qui commence avec le débarquement en Provence.

   Avec la 9ème division d'infanterie coloniale, qui a conquis l'île d'Elbe et les 1ère et 5ème divisions blindées, formées en Algérie, deux corps d'armée ont été créés pour donner naissance à l'armée B, confiée au général DE LATTRE DE TASSIGNY, qui deviendra par la suite avec l'adjonction des FFI la 1ère armée française.

" Marcel Weber de l'Italie à l'Autriche ", entretien,
La France mutualiste - L'Alliée de votre avenir, n° 5, décembre 2004

 
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