Enseigner la mémoire ? > La capitulation allemande à Reims le 7 mai 1945 > Le témoignage de Price Day | ||||
Le témoignage
oculaire
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Reims,
France, le 7 mai. À 2 heures 45 ce chaud matin de printemps,
le colonel général Gustav Jodl signa son nom pour la
quatrième fois et posa doucement sa plume. La longue guerre
d'Europe prenait fin. Pour le meilleur ou le pire... entre les mains des vainqueurs Le général Jodl dit en allemand : « Par cette signature le peuple allemand et les forces armées allemandes sont pour le meilleur et pour le pire entre les mains des vainqueurs ». Le lieutenant général Walter Bedell Smith, chef d'état-major du général Eisenhower, le regarda impassiblement ainsi que quatre autres Américains, trois Russes, un Français, et trois officiers britanniques assis à la table. L'amiral allemand à la gauche de Jodl, et le commandant à sa droite, regardèrent droit devant eux. Parlant encore des civils et des soldats de son pays vaincu, Jodl dit : « Dans cette guerre, qui a duré plus de cinq ans, ils ont accompli et souffert plus peut-être qu'aucun autre peuple au monde. En ce moment je ne peux qu'exprimer l'espoir que les vainqueurs les traiteront avec générosité ». Il
s'assit, mais se releva aussitôt, l'amiral et le commandant
l'imitèrent. Il fut suivi des autres, le commandant portant la casquette de Jodl, avec les grades du haut commandement allemand. Dix-sept correspondants de guerre alliés se rangèrent pour les laisser passer. Avec
leur départ, l'image solennelle de la reddition se brisa. Ainsi
c'était bien fini : la victoire des Alliés sur
toutes les forces armées allemandes, sur terre, sur mer et
dans l'air. Plus de 45 heures devaient s'écouler après la paix signée cette nuit au quartier général d'Eisenhower à Reims dans l'École Professionnelle de briques rouges ressemblant à une caserne, avant que les armes ne se taisent. Mais
il y avait peu de combats. La signature du document de la reddition par Smith, Jodl, le commandant général d'artillerie, Ivan Sousloparov, de l'Armée Rouge, et le Français, le général François Sevez, arriva à la fin d'une longue nuit, au cours de laquelle il semblait certain que le grand événement devait attendre un nouveau jour. Pendant cinq heures et demie, les représentants allemands conférèrent seuls dans une maison de la rue Godinot, près de la grande cathédrale de Reims, où ils étaient logés. Les
Américains, les Britanniques, les Russes et le Français
n'entendirent pas un mot de cette réunion. À minuit, le silence tomba sur Reims, à l'exception de la section G-4 ( ravitaillement ) dans le principal bâtiment du poste de commandement du SHAEF, où attendaient les journalistes. La police militaire gardait chaque couloir et chaque porte, comme elle le faisait d'ailleurs toutes les nuits ; peut-être se tenaient-ils à leurs postes un peu plus droits que d'habitude. Lumière sur le feuillage Dehors, dans l'obscurité de la grande cour de gravier, entourée par des bâtiments bas et fonctionnels de brique, étaient garés des jeeps, des camions, des dizaines de voitures d'officiers de haut grade, constellés d'étoiles à l'avant et à l'arrière. Une
faible et chaude brise souffla à travers les fenêtres
ouvertes. À 1 heure 58 ce lundi matin, le général de brigade Frank A. Allen, directeur des relations publiques du SHAEF et jadis commandant du Groupe de Combat B de la 1ère Division blindée, convoqua tous les journalistes dans une petite pièce. « Je crois que ça y est » « Je crois que quelque chose va arriver très prochainement » dit-il ; quand le bruit des pas cessa, il reprit : « Messieurs, je crois que ça y est. Tous les officiers de l'état-major ont été rappelés ». Nous nous dirigeâmes en file indienne vers les larges couloirs vides aux carreaux gris et noirs, montâmes un escalier de ciment et entrâmes dans la salle n° 119. Devant cette pièce se trouvait une petite antichambre, encombrée cette nuit-là d'équipements de photographes ; de l'autre côté de la porte, la chambre en forme de « L » qui, pendant ces derniers mois, fut le centre névralgique des armées alliées sur le front ouest. Des cartes, des cartes, des cartes C'était une chambre tapissée de cartes, du plancher jusqu'au plafond ; de ce cauchemar de « redoute nationale », des régions de la Chine, de la Birmanie et des Philippines ; des opérations aériennes, des démineurs de la Mer du Nord, des réduits allemands sur la côte Atlantique ; du réseau de chemins de fer de l'armée et des aéroports dans le monde entier. Sur le grand mur, s'étendait une carte des champs de bataille où étaient représentées au crayon les unités combattantes des armées alliées victorieuses. Cette nuit-là, même si le chef de l'état major allemand avait voulu examiner ces cartes, ou lire les statistiques des pertes sur le mur proche - il n'y jeta même pas un coup d'il - cela n'avait, enfin, plus aucune importance. Une table usée et entaillée La table de conférence, six mètres de long sur deux mètres et demi de large était située face à la carte des combats. Peinte en noir avec ses bords entaillés et usés, elle était entourée sur trois de ses côtés de plusieurs chaises en pin ; le quatrième, face aux cartes était occupée par trois chaises seulement, rassemblées soigneusement au centre. Devant chaque chaise, sauf une, il y avait un épais bloc de papier blanc à lignes avec un crayon neuf à gomme de couleur jaune posé avec soin. Des noms écrits sur une étroite bande de papier étaient placés devant la plupart des chaises. Il
y avait six petits cendriers de porcelaine blanche et deux grands
en cuivre vert. Comme un plateau de cinéma À cet instant la pièce ressemblait plus à un plateau de cinéma qu'à un centre de commandement militaire ou une salle de conférence historique. Il y avait des batteries de caméras dans tous les angles qui filmaient la plus importante table du monde, alors que les photographes faisaient leurs dernières mises au point en s'agitant frénétiquement. La pièce brilla dans une lumière crue À
2 heures 29 du matin, le maréchal de l'air, Sir J.M. Robb,
chef de l'état major, entra dans la pièce. Butcher
apporta deux stylos de plastique marron avec les bouts dorés,
lesquels, jamais utilisés, avaient été en possession
d'Eisenhower depuis la fin de la campagne d'Afrique. Robb était suivi par le général A. Spaatz au visage buriné, dont les forces aériennes stratégiques avaient précipité la date de la victoire. À 2 heures 34, le général Smith entra rapidement dans la pièce. Comme
les invités d'une fête, chacun chercha sa place à
l'aide des étiquettes. En
regardant vers la carte, les trois dernières chaises à
gauche étaient vides. Le meilleur des meilleurs À gauche de Smith, derrière la table, se trouvait le général K.W.D Strong, G-2, ou chef du service de renseignements du SHAEF, grand, vif, le type même de ceux qui firent des Secret Services britanniques les meilleurs du monde. À
côté de Strong, émergeait le jovial major-général
Ivan Sousloparov. Sur le côté droit de la table, la chaise la plus proche de celle de Robb était réservée au major-général H.R. Bull, assistant du chef de l'état-major du G-3 du SHAEF, qui à cet instant précis était en train de mettre en place deux chemises de carton de couleur crème. Les dossiers contenaient trois documents : l'instrument de la reddition qui devait être signé en quatre exemplaires par Smith, Jodl, Sousloparov et Sevez ; les accords navals qui attendaient la signature de Burrough et leur présentation aux Allemands ; un document similaire concernant les forces terrestres qui attendait celle de Smith. Trois chaises vides Du
côté droit de la table de conférence, un troisième
Russe, l'immense colonel Ivan Zenkovitch, aux cheveux noirs et indisciplinés,
se tenait debout devant la deuxième des trois chaises. Ce n'était cependant pas cette place, ni même les trois autres à l'autre bout de la table, qui attiraient l'attention, mais les trois chaises vides du milieu, face aux cartes des champs de bataille. L'amiral
Burrough se pencha pour essayer son crayon sur le bloc de papier placé
devant lui - ce fut la seule marque sur ces blocs de papier. Un salut à peine perceptible À
2 heures 39, le nouveau chef de l'état-major allemand et l'amiral
Hans Georg von Friedeburg, nouveau commandant en chef de la marine
allemande entrèrent dans la salle 119 suivis par l'aide de
Jodl. S'il y avait eu un salut, il fut a peine perceptible. Jodl était assis au centre avec Friedeburg à sa gauche et son aide à sa droite. Friedeburg, en uniforme bleu, tenait sa casquette sur ses genoux ; Jodl plaça la sienne avec ses gants à sa droite ; l'aide la sienne à terre près de lui. Deux minutes avec Eisenhower L'uniforme
vert-de-gris de Jodl était neuf et bien taillé, les
culottes de cheval montrant une large bande de tissu rouge sur la
couture extérieure. À
2 heures 40, les signatures commencèrent dans une agitation
silencieuse. Après l'avoir laissé, ils restèrent un instant dans l'étroit couloir, bavardant entre eux, avant de quitter la scène de l'acte final de la plus grande défaite de l'Allemagne. La signature du document, qui symbolisa la défaite, était la conséquence directe de la reddition des troupes allemandes dans le nord au maréchal Montgomery. Après cette capitulation du 3 mai, les Allemands firent savoir qu'ils désiraient négocier la reddition de toutes les forces armées allemandes. Eisenhower accepta, il choisit Reims, déjà riche d'histoire, comme lieu des négociations et la date du 5 mai. Ce fut un voyage difficile Escorté par le lieutenant-colonel, le vicomte Bury et le commandant F. J. Lawrence du quartier général de Montgomery, von Friedeburg et le colonel Fritz Polek, spécialiste du service de l'intendance du haut commandement de la Wehrmacht, se mirent en route. Ce
fut un voyage difficile. À
la cantine de la RAF, le groupe prit un repas typique de toutes les
cantines de la RAF du monde - spam et bière. À 13 heures 30, mademoiselle Bobbie Alexander d'Inverness, Écosse, soldat de 2ème classe de l'ATS, apparut dans une voiture pour conduire un Friedeburg fatigué et un Polek désabusé et leur escorte à Reims. Friedeburg,
qui remarqua qu'il n'avait guère eu le temps de fermer l'oeil
ces dix derniers mois, s'endormit immédiatement. Ce qu'il dit Il exprima cependant son chagrin au spectacle de tous les véhicules de la Wehrmacht détruits qui se trouvaient au bord de la route. La voiture atteignit le poste de commandement avancé du SHAEF à Reims à 17 heures 04 et fut accueillie à l'entrée du modeste immeuble par le général de brigade britannique J. Foord, assistant au G-2 du SHAEF qui portait sa vieille veste de combat avec une seule décoration - une « étoile d'Afrique » fanée - et par le lieutenant- colonel K.A.S. Morrice, assistant secrétaire de l'état-major. Les
officiers alliés et allemands échangèrent un
salut, celui des Allemands n'était pas un salut nazi. Non autorisé À ce premier entretien, Friedeburg devait montrer ses lettres de créance et pouvoirs de représentant du grand amiral Doenitz, ce qu'il fit. Ces derniers ne l'autorisaient pas à négocier la reddition. Le chef de l'état-major présenta par écrit les conditions du général Eisenhower à Friedeburg : toutes les forces allemandes devaient rester sur les positions ; un « engagement » à empêcher la dispersion des avions et des bateaux, y compris les sous-marins ; la garantie d'exécution de tous les ordres venant des commandements alliés. Lorsque les Allemands exprimèrent leurs craintes habituelles de voir leurs hommes tués par l'Armée Rouge si la Wehrmacht ne pouvait pas se rendre aux seuls Alliés occidentaux, Smith répondit que le SHAEF n'était pas disposé à discuter d'autre chose que de la reddition allemande simultanée et sans conditions à tous les Alliés. Ennemis jusqu'à la reddition En réponse à la phrase sur les souffrances du peuple allemand, le général Smith répliqua que jusqu'à sa complète reddition le peuple allemand était considéré comme l'ennemi, mais qu'après la reddition on le traiterait conformément aux règles humanitaires. Afin
d'y réfléchir, Friedeburg remporta ces conditions à
son bureau dans l'immeuble où le colonel Polek, une pile de
sandwichs et du whisky l'attendaient. À
présent, Londres, Washington et Moscou avaient été
informées de la progression des événements. Finalement Friedeburg prit une décision ; il était prêt, dit-il, à envoyer un message à Doenitz. Message à Doenitz Le message en code du SHAEF, envoyé au quartier général de la deuxième armée britannique, pour être remis par courrier à Doenitz contenait ceci : 1. Les grandes lignes des deux propositions du général Smith - que Friedeburg ait l'autorité pour négocier la reddition complète des troupes allemandes sur tous les fronts, ou bien que Doenitz envoie au SHAEF son chef d'état-major en même temps que les commandants en chef de l'armée, de la marine, et de l'aviation avec les pleins pouvoirs pour se rendre. 2. La déclaration des conditions alliées destinée à limiter le mouvement des troupes, des avions, des bateaux, et demandant l'exécution de tous les ordres venant des Alliés. 3. L'opinion personnelle de Friedeburg que le nouveau gouvernement allemand devait tout de suite accepter les conditions d'Eisenhower ou se rendre responsable de la continuation des hostilités. 4. Une demande pour une décision rapide sur les options offertes par le chef d'état-major du SHAEF. L'affaire,
écrivit Friedeburg, était de la plus haute importance. Au 3 rue Godinot Après l'envoi de ce document, les émissaires allemands furent conduits dans une maison composée de sept pièces, située au 3 rue Godinot, habituellement utilisée comme pension pour les officiers en visite au SHAEF. Ils étaient accompagnés par les deux officiers britanniques qui les avaient amenés de Lüneburg - qui restèrent tout le temps avec eux - et d'un sous-lieutenant américain, George Reinhardt de New York, attaché aux Allemands en tant qu'interprète officiel. La
première chose que demandèrent Friedeburg et Polek fut
du savon. « Il doit être riche » Le
repas était apparemment plutôt silencieux. En réalité, tous les meubles de la maison étaient d'un goût excellent, sinon opulents. L'extérieur du bâtiment, qui donnait directement sur la rue à l'ombre de la grande cathédrale de Reims, était en stuc d'un gris flétri, avec des volets usés par les intempéries. Le
reste de cette soirée de samedi dans cette maison française
fut plus chaleureux. Comme il l'avait déjà fait à plusieurs reprises au cours de ce samedi, le Premier ministre Churchill téléphona encore pour avoir de nouvelles et on l'informa des derniers événements. Alors
que les représentants allemands sirotaient leurs martinis,
le général Eisenhower et le général Smith
discutaient de la situation. Le SHAEF était, à cet instant, favorable à une cessation rapide des combats, suivie si nécessaire par des cérémonies de reddition plus formelles. À 0 heures 15 du matin du 6 mai - jour qui aurait pu être celui de la victoire - Friedeburg et Polek, après avoir écouté la radio un bref moment, allèrent se coucher. Des gardiens ordinaires Ils
étaient gardés pendant leur sommeil par six policiers
militaires américains par roulement de trois. Comme
ils l'avaient demandé, les négociateurs allemands furent
réveillés à sept heures ce dimanche matin. Des illustrés Pour
les deux Allemands il n'y avait rien d'autre à faire que d'attendre. Pendant que le personnel du SHAEF, depuis le maréchal en chef de l'aviation et le général d'armée jusqu'au caporal et au marine de deuxième classe, vaquaient à leurs occupations dans une atmosphère d'attente qui emplissait les salles grandes comme des granges du quartier général, les Allemands, responsables de toute cette excitation lisaient ou écoutaient la radio. Poulet et vin À
13 heures, ils déjeunèrent d'un cocktail de fruits,
de poulet frit, de vin, de purée, de maïs américain,
de pêches et de café. Entre-temps,
dans le nord, les événements qui étaient destinés
à mettre fin à leur attente se précipitèrent. Vers
le milieu de l'après-midi, Jodl et son aide, le commandant
G.S. Wilhelm Oxenius, se rendirent au quartier général
de Montgomery. Le travail de Friedeburg était presque terminé, sa mission préliminaire, qui l'avait affecté à tel point qu'il avait demandé avec désespoir du wasser après sa première conversation avec le général Smith, était accomplie. Nouvelle attente de Foord À
17 heures 08 de l'après-midi du dimanche, les roues de l'avion
de Jodl touchèrent le gazon brillant de l'aéroport de
Reims. Que
Jodl ne fit pas le salut nazi apparut comme un acte affecté. Cette fois-ci, il apportait avec lui les pouvoirs d'un chef autre que Hitler - une brève déclaration signée par Doenitz à Flensburg attestant que Jodl était habilité à souscrire aux termes de la reddition. Le file des prisonniers Pendant
qu'on le conduisait au poste de commandement du SHAEF, le chef de
l'état-major allemand croisa des groupes de prisonniers allemands
qui marchaient sous une garde légère dans les rues de
Reims vers leur caserne, après une journée de travail. Les
voitures d'état-major sont toujours saluées à
Reims. À
17 heures 20, la voiture de Jodl tourna sous la voûte basse
qui menait à la cour du quartier général. Ces derniers arrivèrent à 17 heures 45, après une longue journée de repos. On
eut à peine le temps d'entendre Friedeburg s'exclamer « Ah
! Ah ! » avant que la porte ne se ferme sur les trois hommes. « Des bruits sourds » À 18 heures 15, le général Strong convoqua Jodl et Friedeburg et les conduisit dans le bureau du général Smith, où ils se trouvaient encore une heure plus tard, lorsque Harry Butcher, après avoir écouté à la porte, descendit l'escalier pour rendre compte aux journalistes : « On n'entend que des bruits sourds ». Suivirent,
de 19 heures 30 à 20 heures 10, 40 minutes d'une intense activité. Smith
et Strong retournèrent au bureau du premier. « Tout n'est pas facile » Alors
Strong entra dans la pièce où attendaient les Allemands ;
il y resta un moment puis ressortit. « Il
est a nouveau question d'un délai. Il reste un espoir Il
était évident que les Allemands cherchaient à
gagner du temps, mais on en ignorait la raison. Et puis ... Cette
éventualité s'évanouit progressivement vers minuit.
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