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La Maison Demay devenue la Maison de la Gestapo
À Reims, le Square des victimes de la Gestapo est situé 18, rue Jeanne d’Arc à l’emplacement du siège de la Gestapo installé dans une belle et grande maison bourgeoise réquisitionnée par les Allemands sous l’Occupation.
18, rue Jeanne d'Arc
C'était une maison de la reconstruction, dont le permis de construire avait été déposé le 12 octobre 1923 par un entrepreneur rémois, René DEMAY.
Construite en 1925-1926 par les architectes Edmond HERBÉ et M. DEFFAUX, ce très bel hôtel particulier a été occupé par la famille DEMAY jusqu'à sa réquisition.
Les Allemands l'avaient choisie parce qu'elle réunissait pour eux plusieurs avantages : situation en centre-ville ; beaucoup d'espace ( 1 285 m2 ) ; vaste salle à manger, grand salon et nombreuses chambres richement meublés ; balcons, terrasses, pergola ; jardin d'été et jardin d'hiver ; cave et sous-sol aménageables en une dizaine de cellules ; grand garage permettant d'y entrer une dizaine de voitures.
C'est dans cet immeuble que de nombreux patriotes ont été interrogés et torturés avant d'être internés, fusillés ou déportés.
Plusieurs d'entre eux ont témoigné sur leur passage dans cette maison et leur interrogatoire par les membres de la Gestapo : Jeanne-Andrée PATÉ, Lucien HESS, Denise RICHARD-OGNOIS
Raoul CHOLET, capitaine FTPF arrêté à Reims, s'y est donné la mort en avalant une dose de cyanure le 8 décembre 1943.
Jacques DÉTRÉ, responsable FFI de l'arrondissement de Reims y a été torturé, avant d'être transféré à la prison de l'avenue Robespierre, où il est décédé dans la nuit du 29 au 30 décembre 1943.
Dominique Edgard POTIER, commandant de l'Armée de l'Air belge et chef du réseau d'évasion Possum, décédé le 11 janvier 1944 à l'Hôpital de Reims après avoir tenté de se donner la mort en se jetant du haut de la galerie intérieure de la prison, y a sans doute été torturé. Il avait été arrêté dans un hôtel de la ville le 29 décembre 1943.
Raoul Cholet
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Jacques Détré
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Dominique Edgard Potier
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À la Libération, l'immeuble a été réquisitionné par les Américains, puis par les FFI. Après la guerre, la famille DEMAY renonça à s'y réinstaller et préféra le louer.
Une plaque commémorative fut érigée à l'initiative de Libération-Nord sur la façade du mur d'entrée .
Hommage aux martyrs de la Résistance
Français ! N’oublie jamais que pendant quatre années
d’occupation ( 1940-1944 ) la Gestapo a torturé
dans cet immeuble des centaines de patriotes
Ils ont souffert, ils sont morts pour la défense
de ta Liberté
Libération-Nord
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Mais une sorte de malédiction pesait désormais sur cet immeuble que l'on continuait d'appeler la Maison de la Gestapo et qui était devenu un lieu sinistre attaché au souvenir de la période de l'occupation allemande, que beaucoup de Rémois voulaient effacer, oublier.
Dans les années 1970, les propriétaires ne trouvèrent plus à le louer, et il commença à se délabrer progressivement, puis fut squatté et vandalisé, au point qu'ils finirent par songer à le démolir.
Le projet avorté de Musée de la Résistance
En 1979, alors que Claude LAMBLINétait maire de Reims, la ville a refusé d'accorder le permis de démolition. Elle a envisagé d’acquérir cette maison et de la mettre à la disposition des associations patriotiques, afin de l'enlever à la convoitise d'un cabinet d'affaires qui souhaitait réaliser une opération immobilière en centre-ville.
Le 3 octobre 1979, au cours d'une réunion tenue à l'Hôtel de ville en présence des associations d'anciens-combattants, résistants et déportés, Pierre PINON, adjoint-délégué à la Culture, annonça que la Ville ne laisserait pas démolir l'immeuble, et quelle était disposée à l'acheter avec l'aide des associations pour y créer un Musée de la Résistance appelé à devenir par extension un Musée du souvenir des deux guerres mondiales.
Au cours d'une seconde réunion tenue le 23 novembre 1979, l'UFAC rémoise devant l'importance du volet financier qu'impliquait ce projet, proposa que la maison soit achetée par la ville, démolie, et que le site soit aménagé en espace vert où serait conservée la plaque commémorative apposée après la guerre par Libé-Nord et où serait érigé un monument rappelant qu'en ces lieux des patriotes avaient été torturés.
Jusqu'à l'avènement de Jean FALALA, élu maire en 1983, la municipalité s'est opposée à la démolition de l'immeuble, mais sans parvenir à faire aboutir son projet de musée.
L'ancien siège de la Gestapo avant sa démolition en 1986
18, rue Jeanne d'Arc
La maison côté-jardin
L'entrée
Le garage
L'accès aux caves par le jardin
Le grand salon
La baignoire
Panneau de signalisation conservé au Musée de la Reddition de Reims
Le Square des victimes de la Gestapo
Le 23 septembre 1983, le président du District de Reims, Jean-Louis SCHNEITER, a pris un arrêté exerçant le droit de préemption afin qu'aucune opération immobilière ne puisse être entreprise sur le site.
Le 14 mai 1984, le propriétaire accepta le prix proposé et l'immeuble fut acquis définitivement le 27 septembre 1984 par le District qui le mit à la disposition de la ville de Reims le 8 juillet 1985.
Il semble selon le témoignage de Jean JOLY, que la décision de démolir l'immeuble ait été prise le 29 juin 1985, au cours d'une réunion présidée par Jean FALALA et Jean-Louis SCHNEITER, réunion à laquelle il a assisté pour y représenter Ceux de la Résistance dont il était le président.
Fin août 1985, à l'issue des cérémonies commémorant le 41e anniversaire de la libération de Reims, Jean FALALA, maire de Reims, annonça que la ville renonçait en effet à restaurer cet immeuble pour en faire un musée, parce que les travaux engagés seraient trop coûteux et que Reims disposait déjà de deux mémoriaux, le Fort de la Pompelle pour 14-18 et la Salle de Reddition pour la 2e guerre mondiale, lieu de mémoire que la Ville venait de faire classer et d'aménager en musée à l'occasion du 40e anniversaire de la signature à Reims de la capitulation de l'Allemagne nazie. Plusieurs associations d'anciens résistants-déportés qui n'avaient pas été consultées manifestèrent à cette occasion leur opposition à ce projet de démolition.
Le 30 septembre 1985, Jean FALALA a fait entériner par le conseil municipal la démolition de l'immeuble de la rue Jeanne d'Arc, appelé à céder la place à un square portant le nom de l'ancien chef départemental des FFI, Pierre BOUCHEZ, décédé en 1982, où sera érigée une stèle du souvenir. Cette décision entraîna une vive altercation entre Jean FALALA et l'ancien maire, Claude LAMBLIN, conseiller municipal siégeant dans l'opposition, qui refusait la démolition et dénonçait une décision prise avec l'assentiment d'une partie seulement des associations combattantes.
Le 14 novembre 1985, les représentants des associations de résistants et de déportés UNADIF, FNDIRP, Libération-Nord, Front national de lutte pour l'indépendance de la France, Résistance-Fer et ANACR, réunis à la Maison du Combattant de Reims, considérant qu'ils avaient été exclus de la concertation, ont annoncé qu'ils s'opposaient à ce que le Square du souvenir porte le nom de Pierre BOUCHEZ. Considérant que l'ancien chef des FFI n'avait été arrêté, ni détenu au siège de la Gestapo et que « l'emplacement de la Maison de la Gestapo n'appartenaient qu'à ceux qui y avaient souffert et y avaient été massacrés », ils ont exprimé le souhait de le baptiser plutôt « Square des victimes de la Gestapo ».
En décembre 1985, Jean FALALA dans un courrier adressé au président de l'UFAC, précisait que le projet qu'il avait fait adopter prévoyait de conserver la façade située à l'alignement de la rue Jeanne d'Arc et la plaque commémorative qui y avait été apposée, ainsi qu'un accès indépendant aux anciennes caves et cellules, et il annonçait, en ce qui concernait le projet de monument, l'ouverture d'un concours aux artistes-sculpteurs et la constitution d'un jury présidé par lui.
Restait à trancher la question de la dénomination du Square appelé à prendre la place de la Maison de la Gestapo.
Les représentants de Ceux de la Résistance dont Pierre BOUCHEZ avait été le président et qui avaient parrainé le projet de « Square du colonel Bouchez », continuaient de défendre cette dénomination.
En 1986, tandis que les travaux de démolition était engagés, les autres associations proposèrent par mesure d'apaisement de donner le nom de Pierre BOUCHEZ à une rue de la Ville, en débaptisant la rue de la Tirelire proche du Monument aux martyrs de la Résistance.
Le 17 juillet 1986, parmi les six projets présentés au jury du concours ouvert par la Ville de Reims et doté d'un prix de 200 000 francs, c'est celui du sculpteur Patrice ALEXANDRE qui fut retenu :
Monument à la mémoire des victimes de la Gestapo
Projet Patrice Alexandre
Les pierres de taille laissées sur le chantier après la démolition de l'ancien hotel de la gestapo deviennent dans mon projet la structure, le squelette de la proposition. Ces pierres seront redressées puis de nouveau taillées.
Cette structure se métamorphosera en une forme se rapprochant
du signe de la France libre, seront ensuite scellées des feuilles de bronze patinées qui rappelleront les victimes de la gestapo, personnages tendus, verticaux, suggérant l'histoire de la résistance et de la déportation. Ils seront le symbole de la relation de l'homme victime du fascisme et du lieu dans lequel ces atrocités ont été faites.
Dimension totale de la sculpture :
H : 360 cm L : 85 cm l : 43 cm
chaque pierre d'environ : H : 55 cm X 43 X 43 cm
feuilles de bronze : 55 X 43 X 2 cm
patine sur deux couleurs proches de la maquette.
Technique : pierres de l'ancien hotel taillées puis scellées les unes aux autres.
Bas-relief en bronze scellé sur chaque pierre qui épousera sa forme.
Les premières pierres seront de moitié enfoncées dans le sol.
Devis estimatif :
Maquette : 15 000 F
taille des pierres, scellement, travaux de maçonnerie : 30 000 F
bronze : 60 000 F
assurance voyage et location camion aller et retour des pierres : 30 000 F
frais divers de matériel : 15 000 F
honoraires personnels : 70.000 F
Autre proposition de créer une fontaine formant un écran d'eau
sur le même axe que la sculpture et qui formera un élément énergétique tendant à accuser la verticalité du monument situé à 11 mètres de la fontaine.
H : 360 cm 1 : 180 cm épaisseur : 20 cm.
En 1987, la Ville décida de dénommer définitivement le Square aménagé à l'emplacement de la Maison de la Gestapo, « Square des victimes de la Gestapo », et l'esplanade entourant le Monument aux martyrs de la Résistance « Espalanade du colonel Bouchez ».
Ce nouveau lieu de mémoire rémois fut inauguré le 30 août 1987 à l'occasion du 43e anniversaire de la libération de Reims.
L'entrée du square intégrant quelques vestiges de l'ancien siège de la Gestapo...
La stèle et la fontaine du souvenir
Une forme se rapprochant
du signe de la France libre...
une fontaine formant un écran d'eau
sur le même axe que la sculpture
et qui formera un élément énergétique tendant à accuser la verticalité du monument
... seront ensuite scellées des feuilles de bronze patinées qui rappelleront les victimes de la gestapo, personnages tendus, verticaux, suggérant l'histoire de la résistance et de la déportation.
Ils seront le symbole de la relation de l'homme victime du fascisme
et du lieu dans lequel ces atrocités ont été faites.
Patrice ALEXANDRE
Cachot... Gestapo... Cachot... Gestapo... c'est le tempo qui rythme sa vie... ce qu'il en reste.
Depuis combien de temps est-il là, enchaîné... ce corps qui git dans la pénombre... cette face... tant martelée et devenue sans âge... déjà hors de ce temps qui s'écoule au delà des murs... au delà de ce tempe de vie, dont il n'a qu'à peine conscience.
Il a eu le dernier courage.... celui de subir et se taire... il a dépassé le cap... alors, c'est facile, ce dernier combat gagné.
Que lui importe désormais son sort... les coups ne se sentent plus... les cris ne s'entendent plus... la mort sera délivrance... et si parfois il se redresse... et si sur cette face, qui n'est déjà plus la sienne, apparaît sourire, ou rictus... dans son apparente inconscience... je sais qu'il y a l'espérance et la certitude.
Jacques BRONCHARD
déporté à Dachau
Président de l'UFAC rémoise
Thème de réflexion proposé en février 1986
en vue de l'érection d'un monument sculpté
à la mémoire des Victimes de la Gestapo
Les plaques commémoratives
Sur les murs du Square des victimes de la Gestapo sont scellées des plaques commémoratives.
Il s’agit de plaques apposées en 1947 à l’initiative de la Ville de Reims sur les façades des maisons des victimes de la répression nazie, et qui y ont été transférées au fur et à mesure que des changements de propriétaires, des travaux de ravalement, d’extension ou de démolition risquaient de les faire disparaître.
Gustave LAURENT en avait fait la proposition devant le conseil municipal dès le 21 août 1945. Un appel d’offres avait été lancé un an plus tard en août 1946, remporté par Léon BAUDIN, artisan marbrier graveur, avenue Jean-Jaurès.
Lors de sa séance du 25 février 1947, le conseil municipal en avait décidé l’exécution.
Au total, 144 plaques ont été alors apposées qui sont fleuries chaque année à la fin du mois d’août à l’occasion de la commémoration de la libération de la ville.
Les plaques fleuries à l'occasion de la commémoration de la libération de Reims
Parmi ces plaques, se trouve la plaque inaugurée le 7 juillet 1946 à l'occasion de la Journée de l'école laïque, en l’« honneur de tous les maîtres de l’école laïque victimes de la barbarie nazie, tombés pour la défense de la liberté »,
Cette plaque a été transférée du hall de la Salle de Reddition, site classé et transformé en musée en 1985.
Honneur
à tous les maîtres de l'École laîque
victimes de la barbarie nazie
Honneur à nos héros marnais
Cette plaque a été apposée le 7 juillet
1946
journée de l'École laïque
par les bons soins de l'Éducation nationale |
Un lieu de commémoration
Le Square des victimes de la Gestapo est aussi un lieu de commémoration où viennent se recueillir chaque année le 30 août, jour anniversaire de la libération de Reims et les 7- 8 mai, jours anniversaires de la capitulation de l'Allemagne nazie, les autorités civiles et militaires, les associations d'anciens résistants-déportés et leurs familles.
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30 août 2008 : 64e anniversaire de la libération de Reims
présidé par Adeline Hazan, maire de Reims
et Jean-Jacques Caron, sous-préfet de Reims
en présence de
Fred Greyer, fils du chef du réseau Possum
Denise Richard-Ognois, internée résistante
Yvette Lundy, agent du réseau Possum, déportée à Ravensbrück
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Lorsque le transfert du marché a été réalisé place du Boulingrin en raison de la fermeture des Halles, entraînant le déplacement de la Foire de Pâques sur les Hautes Promenades, envahies et confisquées par les forains, la veillée du souvenir des déportés organisée traditionnellement le dernier week-end d'avril autour du Monument aux martyrs de la Résistance, a dû être déplacée au Square de la rue Jeanne d'Arc.
Sources
- " Maison de la Gestapo - Square des victimes de la Gestapo ", dossier issu des Archives de l'UNADIF-Reims, remis à Jean-Pierre HUSSON en avril 2008 par son président, Raymond GOURLIN
- " Identification d'une maison - Projet de film ", dossier présenté par Sophie BRUNET au concours d'entrée à l'IDHEC en 1982.
- Reconstruction et Art déco, patrimoine rémois des années 1920, exposition organisée par la Ville de Reims à l'ancien Collège des Jésuites du 9 mars au 4 juin 2006.
- Archives du journal L'Union.
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