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Les organisateurs de la commémoration
Le
2 juillet 1944, le train 7909, convoi de déportés
parti de Compiègne à destination de Dachau,
a été stoppé plus de deux heures
à Saint Brice Courcelles sous une chaleur de 34°.
Les habitants du village ont pu apporter une peu d'eau aux déportés
qui mouraient de soif.
En 2004, Saint Brice Courcelles et son maire,
Alain LESCOUET, ont décidé
de commémorer le passage de ce train dans la commune, en partenariat
avec la délégation marnaise de l'Association
des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation ( AFMD ), présidée par
Jean CONSTANT.
L'organisation de cette commémoration a été
confiée à Chantal RAVIER,
professeur d'histoire, conseillère
municipal de Saint Brice Courcelles et membre de l'AFMD.
L'objectif
de cette commémoration, qui comprenait diverses manifestations
( exposition, table-ronde, cérémonie commémorative
proprement dite ), était de préserver
et de transmettre la mémoire déportée,
en mettant l'accent sur le lien intergénérationnel, avec la participation :
- de 8
survivants du train 7909
- d'autres déportés
- des habitants de Saint Brice
Courcelles, en particulier la fille du chef de gare de l'époque,
qui a fait suivre par la poste des « petits papiers »
jetés par les déportés
- des fils et filles de déportés
- des lauréats du
concours de la résistance
- des collégiens
- des élèves de
l'école primaire de Saint Brice Courcelles
- des associations de Saint
Brice Courcelles ( harmonie, fanfare, chorale, sapeurs-pompiers, vidéo-club
).
Toute
la population de la commune a été invitée à
participer à ces différentes manifestations.
Historique de la
traversée du département de la Marne
par le Train 7909
à
partir des témoignages rassemblés par Christian
BERNADAC
dans Le train de la mort,
publié aux éditions France- Empire en 1970.
Le
1er juillet 1944,
le sous-chef de gare allemand MULLER
contacte le chef de gare français qui fait former le convoi.
Le train 7909, signalé comme comprenant de
nombreux « terroristes », sera étroitement
contrôlé par la police et la gendarmerie allemandes.
Le quai où sont embarqués les déportés
est celui qui était réservé auparavant aux trains
de voyageurs desservant Soissons et Villers-Cotterêts. Ce quai
ne peut réunir des convois supérieurs à 20 wagons
parce que les aiguillages sont proches des butoirs.
Le train 7909 est donc partagé
sur les voies 4 et 6, d'où la difficulté
pour les déportés de pouvoir se localiser dans le train.
Le convoi comprend 37 éléments
dont la voiture des officiers, le wagon d'escorte, la plate-forme,
le fourgon avec frein de queue.
Le convoi est constitué de wagons
à bestiaux en bois et d'un wagon
entièrement métallique, où l'on va
enregistrer le plus grande nombre de décès au cours
du transport vers Dachau.
Le
dimanche 2 juillet, à 5 heures du matin au
camp de Royallieu-Compiègne,
les déportés sont regroupés en carrés
de 100 pour être embarqués.
Pendant
ce temps à Reims, Paul-Emile RENARD décide
que la résistance doit tout faire pour
immobiliser le train dont le passage à Reims est
annoncé pour 11 heures 40.
La décision est prise de plastiquer
les voies derrière les verreries de Saint-Brice-Courcelles.
L'opération de sabotage sera réalisée par Roger
OLLINGER.
À
Soissons les infirmières de la Croix Rouge ont été
empêchées de distribuer de l'eau aux déportés
malgré la chaleur.
C'est dans les wagons entièrement
métalliques que la situation est la plus catastrophique.
Dans celui d'André GONZALÈS,
le seul survivant de ce wagon, les premiers actes de folie se produisent.
À
10 heures 50, le train s'arrête en gare de Fismes
sur le quai numéro 1.
Lucien TANGRE accompagné
de sa fille Raymonde,
informé qu'un train de déportés allait passer
à Fismes, est arrivé dans l'espoir de pouvoir parler
à son fils, Georges TANGRE,
18 ans, arrêté par la Gestapo de Reims le
4 avril 1944, et qui se trouve peut-être dans ce
train.
Les déportés crient : « À boire », «
Au secours ».
Le chef de gare Louis CHASSARD
et les TANGRE parviennent à
remplir quelques bouteilles d'eau et à les distribuer.
Le train redémarre, et Georges
TANGRE qui se trouvait effectivement dans le train appelle
sa soeur Raymonde qui peut l'entrevoir
un instant, tandis que le train séloigne en direction de Reims.
À
11 heures,
lors de la traversée de la gare de
Jonchery-sur-Vesle, Albert CHARPENTIER
parvient à lancer un morceau de papier placé dans son
mouchoir avec un caillou, et qui contient un message
destiné à informer sa famille.
À
11 heures 05, une explosion se
produit à Reims, mais les dégâts sont
sans gravité. La locomotive est simplement
immobilisée pour quelque temps au passage à
niveau de la route de Champigny-Saint Brice, à cause d'un rail
tordu.
Une vingtaine de gendarmes venus de Reims cernent
le lieu de l'explosion.
Le sabotage a échoué
; des agents de la Gestapo de Reims et le chef de gare allemand affirment
que le train sera en gare de Reims une heure plus tard.
Les résistants envisagent aussitôt
de provoquer un peu plus loin, à l'entrée de la gare
de triage de Bétheny, un autre sabotage
pour faire dérailler la locomotive.
À
Saint-Brice, les déportés réclament de l'eau.
Marcel CHENET et des habitants
de Saint-Brice qui travaillaient dans leurs jardins à proximité
de la gare, tentent de s'approcher, mais ils sont repoussés
par les sentinelles allemandes.
Le centre d'accueil de la Croix-Rouge installé
dans la gare de marchandises de Reims est alerté.
Des
agents de la Gestapo perquisitionnent à Champigny,
Tinqueux, Thillois et au faubourg de Vesle et font la chasse aux terroristes.
Entre
11 heures 30 et 14 heures,
le train manuvre trois fois sur un kilomètre.
Des
habitants de Saint-Brice parviennent à
la faveur de ses manoeuvres, à distribuer
aux déportés à travers les lucarnes des wagons,
de l'eau, du pain, des légumes frais,
tomates et carottes cueillis dans les jardins proches de la gare.
Le garde-barrière, aidé de ses enfants, réussit lui aussi à faire passer
quelques bouteilles d'eau.
Le maraîcher LEDRU
branche sa lance d'arrosage et
la dirige vers la lucarne d'un wagon.
Raymond VIRET
et sa famille pompent sans relâche et
distribuent de l'eau aux déportés des wagons
arrêtés derrière leur maison, au fond de leur
jardin. Ils sont pieds nus et les rails brûlent leurs pieds
tellement il fait chaud.
Ce
jour-là, les températures les plus élevées
relevées par les services de la météorologie
allemande dans 18 villes françaises concernent Reims
et Châlons-sur-Marne : 34°.
À
13 heures 35, le train arrive en
gare de Reims entre deux rangs de soldats qui lui tournent
le dos et s'arrête sur la voie centrale numéro 9.
Les cheminots qui tentent de porter secours aux déportés
et de leur distribuer de l'eau sont molestés par les sentinelles
allemandes.
À
15 heures 10, après un changement de locomotive
et d'équipage, le train quitte la gare
de Reims en direction de Bétheny.
À 15 heures 20,
le train aborde au ralenti l'aiguillage du dépôt de Bétheny,
un secteur qui a été soumis à des bombardements
intenses en mai 1944, provoquant des affaissements. La locomotive
et le tender s'enfoncent et basculent. Le
train est à nouveau immobilisé. Aux Allemands
qui crient « Sabotage », l'aiguilleur rétorque
que ce sont les bombardements qui ont affaissé le terrain.
À 15 heures 55,
les wagons du train 7909 sont ramenés par un tracteur en gare de
Reims et immobilisés quai 3.
L'équipe de la Croix Rouge alerte son président,
le docteur BOUVIER, maire de Reims, qui vient parlementer avec les Allemands
et obtient l'ouverture des wagons. Des déportés
évanouis tombent sur la voie. Les médecins et les infirmières
de la Croix Rouge se portent à leur secours.
Les
cadavres s'accumulent
dans plusieurs wagons. Les Allemands refusent de les livrer aux autorités
françaises. Tous les déportés
doivent arriver à leur destination, le camp de Dachau, morts
ou vivants.
À 20 heures,
le train quitte à nouveau la gare de Reims en direction
de Châlons-sur-Marne.
À
20 heures 35, le train s'arrête
à Saint-Hilaire-au-Temple en bordure du camp de
Mormelon. On signale 25 morts dans un même
wagon.
À 21 heures 20, le train s'arrête à
Châlons-sur-Marne quelques minutes au cours desquelles s'opère un changement de machine.
Sur Marie, supérieure
des Filles de la Charité et trois de ses religieuses, sont
autorisées à s'approcher et à donner à
un infirmier du convoi, un peu de quinine réclamée par
téléphone depuis Reims et destinée au wagon des
invalides.
La déportation dans les camps nazis
Réalisée en 2003 par la Fondation pour la mémoire de la déportation,
cette exposition constituée
de 30 modules a été présentée en juin et juillet 2004 à la Bibliothèque,
puis à la Salle des fêtes de Saint Brice Courcelles à l'occasion du 60e
anniversaire du passage du « Train de la mort »
dans cette commune.
Renseignements
concernant le prêt de cette exposition
auprès de la Fondation pour la mémoire de la déportation
Tél.
01 47 05 81 50
Fax 01 47 05 89 50
contactfmd@fmd.asso.fr
Les trains et la déportation
Table
ronde animée par
Hervé CHABAUD
avec la participation d'un survivant du Train 7909
Jacques BRONCHARD
à
la Salle des Fêtes de Saint-Brice-Courcelles
le mercredi 30 juin 2004
Chantal
RAVIER présente les intervenants
De
droite à gauche,
Jacques BRONCHARD, déporté à Dachau par
le train 7909
Hervé CHABAUD, journaliste, petit-fils
de déporté,
Jean CONSTANT, président de la
délégation marnaise
des Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation
326
convois sont partis pour les camps entre
le 1er janvier 1944 et le 25 août 1944,
c'est-à-dire une moyenne de 10 convois par semaine.
Parmi les
2 166 déportés
embarqués dans le train 7909, qui
est le dernier train parti de Compiègne à destination
du camp de Dachau, 536 sont morts pendant
le voyage.
Jacques
BRONCHARD
qui se trouvait dans ce train témoigne.
Témoigner
fait partie de la vie de Jacques BRONCHARD,
mais ce n'est pas chose facile.
Il témoigne régulièrement devant
des élèves de collège ou lycée en particulier
dans le cadre de la préparation au Concours de la résistance
et de la déportation.
Mais parler du train 7909,
il ne l'avait jamais fait jusqu'alors devant les jeunes.
Au
début de la Seconde Guerre mondiale, Jacques
BRONCHARD résidait à Nevers dans la Nièvre.
Militant des Jeunesses communistes
âgé seulement de 17 ans,
il a été arrêté une première fois le 14 décembre 1940, dans son lycée pendant
un cours de Français. Il avait distribué des tracts
et affiches du Parti communiste.
Relâché après deux jours d'interrogatoire,
il s'est « tenu tranquille »
quelques mois, avant de reprendre des activités
de résistance dans les FTP qui se structuraient
peu à peu .
Arrêté à
nouveau en septembre 1943, – il n'a jamais su comment « on lui
était tombé dessus » –, il
subit plusieurs interrogatoires musclés et il est interné
à la prison de Riom.
Fin juin 1944, la prison de Riom est évacuée
par les Allemands.
Les détenus
attachés deux par deux, bras et jambes avec des chaînes
à vélo, sont emmenés
à Compiègne.
Le 2 juillet 1944, à
5 heures du matin, c'est le rassemblement et l'appel :
des « paquets de cent prisonniers
» sont formés et poussés dans les wagons à bestiaux.
Le
long chemin vers Dachau commence.
Le
train 7909 n'est pas prioritaire. Les voies
sont parfois coupées et il faut attendre qu'elles
soient réparées
Le voyage de Compiègne à Dachau
a duré quatre jours, du 2 au 5 juillet 1944.
Jacques BRONCHARD
ne se souvient que d'un bout de pain
distribué au départ et d'une
soupe lors d'un arrêt le
3 ou le 4 juillet.
Mais ce qui est devenu très vite insupportable,
c'est le manque d'eau.
Il fait très chaud, l'air
manque.
Les déportés crient, gémissent,
délirent.
La mort par asphyxie
et déshydratation fait son œuvre.
« Je n'ai rien
vu. Je n'ai rien su.
Le train a roulé combien de temps ?
Je ne sais pas.
Je sais simplement qu'un homme,
pris de folie, s'est jeté sur moi pour m'étrangler.
Mes camarades l'ont maîtrisé
et un
quart d'heure après il était mort.
Puis ce fut mon camarade Marcel
Balesdent qui
s'est écroulé.
Je
ne me souviens pas avoir entendu l'explosion de Saint Brice.
Dans mon wagon, nous étions
calmes, emboîtés. On
se levait à tour de rôle pour voir ce qui se passait
et respirer un peu à la lucarne hérissée de barbelés.
Dans d'autres wagons, ils
sont devenus fous furieux.
On demandait à boire.
Les Allemands empêchaient
les habitants de Saint Brice d'approcher.
Dans mon wagon, personne
n'a eu à boire.
On a pourtant tenu le coup.
Je ne me souviens pas de
l'arrêt en gare de Reims.
On avançait, on reculait. Nous restions calmes.
Le train s'est immobilisé longtemps.
Je ne savais pas quelle heure il était.
Il y a eu des hurlements
dans les wagons et ça s'est bouculé..
Mon camarade Dédé
m'a dit : « Jacques, je vais
essayer d'aller respirer à la lucarne ».
Je ne l'ai pas revu. Le lendemain, il
était parmi les 15 cadavres au
fond du wagon.
Beaucoup de camarades sont morts dans le secteur
de Saint Brice Courcelles- Reims-Bétheny.
Pas
d'eau. Tinette renversée. L'odeur était épouvantable.
On s'est déshabillé.
J'étais
convaincu que c'était la nuit, qu'il faisait noir.
J'ai commencé à délirer,
Un camarade m'a mis la tête
sur ses genoux en me disant : «
Ne bouge pas »...
...et puis je me suis endormi ou bien évanoui ».
Autre
témoignage, celui d'Andrée MENDEZ,
née CODANT, fille du chef
de gare de Saint Brice Courcelles en juillet
1944.
Elle a vu passer de sinistres trains de déportés.
Après le passage de ces trains, elle ramassait
de petits papiers jetés sur la voie
par les occupants des wagons à bestiaux.
Ces petits papiers qui disaient souvent «
Ne vous inquiétez pas, je pars pour l'Allemagne »,
étaient des signes d'espoir
: espoir qu'une main charitable les ferait parvenir à la famille
des déportés, toute information étant meilleure
que l'incertitude.
En janvier 1944,
Andrée a trouvé un petit paquet
composé de plusieurs petits mots lestés avec une pierre.
Elle a envoyé tous ces messages à
l'adresse indiquée et a précisé au dos de l'enveloppe
: Melle AC de SBC ( Marne ).
L'auteur de ces petits papiers était Pierre GODICHOT,
et il était déjà arrivé à Dachau quand sa maman a reçu la précieuse enveloppe.
Pierre a survécu
à la déportation.
Lorsqu'en 1984,
sa maman est décédée, il
a retrouvé, bien rangés, les précieux papiers
et l'enveloppe.
C'est par l'émission
de TV animée par Pierre BELLEMARE, Au nom de l'amour,
qui proposait aux téléspectateurs de belles histoires
de retrouvailles, que la trace
d'Andrée a
été retrouvée,
à la suite d'un requête adressée par les organisateurs
de l'émisssion à la mairie de Saint Brice.
Andrée
et son mari ont rencontré Pierre
et son épouse lors de l'émission diffusée le
12 mai 1985. Cette rencontre a été vécue
avec beaucoup d'émotion par les deux couples qui depuis entretiennent
de solides et régulières relations d'amitié partagée.
La cérémonie à la mémoire
des déportés du « Train de la mort »
La
chorale de Saint Brice Courcelles interprète l'émouvant
Chant des marais
Personnalités
et portes-drapeaux rasssemblés devant la plaque commémorative
Alain
BOYER, sous-préfet de Reims,
et Alain LESCOUET, maire de Saint Brice
Courcelles,
déposent une gerbe devant la plaque commémorative
à la mémoire des déportés du Train 7909
Deux
survivants du Train 7909, Jacques BRONCHARD
et Jean SAMUEL
se recueillent devant la plaque commémorative, après
y avoir déposé
une gerbe au nom de l'Amicale des déportés de Dachau
SOUVIENS-TOI
le 2 Juillet 1944, le dernier
" Train de la Mort " passait ici |
Le discours du maire de Saint Brice Courcelles
Alain Lescouet
Alain
LESCOUET prend la parole
en présence du sous-préfet de Reims, Alain
BOYER
et du maire de Reims, Jean-Louis SCHNEITER
Monsieur
le Préfet, Madame la Députée Européenne,
Monsieur le Président de la Communauté d'Agglomération,
Messieurs les Maires, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdames,
Mesdemoiselles, Messieurs,
Merci
pour votre présence, merci pour votre participation dans cet
hommage à tous ceux qui ont connu la déportation. Aujourd'hui
à nos côtés pour les représenter, nous
avons 8 témoins, 8 survivants du train 7909.
Écoutons les, ils viennent nous faire passer
un message, un message sobre et digne. Un message que nous aussi,
nous aurons à cur de transmettre.
Il y a donc 60 ans, ils étaient dans les
wagons de ce train de la mort qui, au cours de son trajet infernal,
s'est arrêté quelques instants ici le 2 juillet 1944
de 11 heures 30 à 14 heures.
Sur cette voie de chemin de fer, ici même
ou un peu plus loin vers Saint- Charles, ils ont souffert et ils ont
vu mourir sous leurs yeux un grand nombre de leurs amis, de leurs
proches.
Le débarquement venait d'avoir lieu depuis
seulement quelques semaines.
Les différents services de police et de sécurité
du Reich estiment alors que la masse impressionnante des détenus
des prisons de France ne devait en aucun cas grossir les effectifs
des Forces Alliées d'invasion ou des Forces de la Résistance.
Il faut, au contraire, qu'ils puissent travailler
dans les camps de concentration en participant à l'effort de
guerre allemand. Rassemblée dans le centre de triage de Compiègne,
la masse de ces prisonniers alimente les derniers grands convois de
la déportation. À plus de 2000, ils partiront entassés
dans les wagons à bestiaux du train 7909. Plus de cent hommes
par wagon. Le train brûle sous le soleil et chaque wagon clos
est déjà un four. À coup de crosse, les captifs
sont enfournés dans les wagons, on y tasse cette matière
vivante, la porte glisse et claque en se refermant. On la verrouille
solidement... Pour tout le voyage, qui durera 5 jours et 4 nuits,
il n'y aura pour chacun qu'une boule de pain et un morceau de saucisson
salé.
À 9 heures 15 le train se met en marche.
Le mouvement n'apporte même pas l'air bienfaisant. Ils sont
trop dans chaque wagon. En outre, la plupart des lucarnes d'aération
ont été obstruées.Tout de suite la vie devient
intenable. L'air est de plus en plus lourd, pratiquement irrespirable.
Rester debout est très pénible et le train va lentement,
très lentement. De fréquents arrêts viennent accroître
le supplice.
Un peu avant midi, quatre kilomètres avant
Reims, le train stoppe à Saint Brice Courcelles. Les hommes
sont épuisés, baignés de sueur, étouffés,
certains sont tombés morts, au fond du wagon. La température
extérieure est de 34 degrés, il n'y a pas un brin d'air.
Cet arrêt va se prolonger presque trois longues heures. Les
hommes sont à demi-hébétés, presque inconscients,
ne sachant plus ce qui leur arrive. L'un d'entre eux dira : « nous
n'étions plus des hommes ». L'asphyxie produit le
délire et le délire provoque la folie furieuse. C'est
inimaginable, les morts s'empilent. Mercredi dernier, Jacques
Bronchart nous a fait part de cette lancinante question qui le hante
encore aujourd'hui « mais pourquoi suis-je encore vivant
? ». Dans son wagon, il n'a pas eut conscience de cet arrêt
prolongé à Saint Brice Courcelles.
Monsieur
et Madame BRONCHARD
Mais pendant ce temps, à l'extérieur, malgré
la surveillance des gardiens hostiles, des personnes du village essayent
d'apporter leur aide :
- Le maraîcher Ledru
branche sa lance d'arrosage, débloque le robinet et vise une
lucarne.
- Madame Pinel ramasse un
carton qui porte une vingtaine de noms et adresses ce qui permettra
au Maire de l'époque, Monsieur Dorigny, de prévenir
les familles
- L'oncle de Madame Lapierre
prend l'ardoise des commissions et y inscrit à la craie « entre
Saint-Brice et Reims », puis l'ardoise bien haut au-dessus
de sa tête, il suit la voie pour répondre ainsi silencieusement
à tous ceux qui, dans le train, cherchent à savoir où
ils sont.
- Le garde-barrière
du passage à niveau arrive avec l'aide de ses enfants à
faire passer quelques bouteilles d'eau à l'intérieur
du wagon qui est arrêté à cet endroit.
- Madame Morizet essaye de
parler avec les prisonniers par la lucarne, un garde hurle et lui
lance une pierre pour la chasser. Georgette Cher et Geneviève
Barthélémy arrivent à approcher et passent par
une lucarne une cruche d'eau. À l'intérieur, on leur
demande: "où en sont les Américains?"
- Raymond Viret, maraîcher,
avait 20 ans. Il travaille ce jour-là avec sa mère Marthe
Viret, sa sur et son beau-frère Denise et Robert Tisseur.
Le train s'est arrêté juste derrière leur maison.
Du jardin, à travers la clôture, ils voient tous ces
wagons immobiles d'où s'échappait un murmure. Des sentinelles
circulaient à côté. Robert Viret s'est approché,
intrigué. Par les ouvertures des wagons, il aperçoit
des visages inquiets qui réclament à boire. Comme il
possédait une pompe à eau proche de la ligne de chemin
de fer, il saisit un récipient et se dirige hésitant
vers le train. Les sentinelles lui prennent l'eau pour boire, et après
l'autorisent à en donner aussi aux hommes dans les wagons.
Toute la famille participe. Denise récupère quelques
récipients, arrosoir, seau, gamelle, puis se met à pomper
sans arrêt. Marthe passe l'eau par-dessus la clôture à
Robert et Raymond qui font l'aller-retour jusqu'aux wagons sous la
surveillance des sentinelles méfiantes. Les rails leur brûlent
les pieds tellement il faisait chaud. En montant debout sur les tampons
des wagons, par les lucarnes, ils aperçoivent ces hommes à
moitié nus entassés les uns sur les autres qui se précipitent
pour avoir un peu de cette eau qu'ils boivent avidement, dans un coin,
quelques-uns restent allongés, immobiles, morts ou mourants.
Pendant deux heures, ils ont distribué de l'eau. Ils ont pompé
tellement longtemps et abondamment que l'eau est devenue laiteuse
et que les impuretés émergent du puits.
Peu à peu des gens du village se sont approchés
du convoi. Ils s'étaient munis de vivres qu'ils hésitaient
à apporter aux déportés. Au moment où
l'un d'entre eux voulut approcher, une sentinelle braqua son fusil
et lui ordonna de rester où il était. Quelques minutes
après le convoi repartait.
Il était 14 heures, le train s'éloignait
vers Dachau emportant son lot de morts et de vivants, laissant à
tout jamais dans notre mémoire l'atrocité de ces instants.
La mémoire, voilà donc ce qui nous
rassemble aujourd'hui sur cette voie ferrée. Nous avons une
volonté commune, la volonté d'exercer un devoir de mémoire.
Oui, nous souhaitons par cette commémoration nous recueillir
avec gravité, solennité et fraternité sur un
moment cruel de notre histoire. La raison en est simple et elle s'exprime
avec force dans cette citation de Cicéron :
« L'Histoire est la seule mémoire des peuples, et
les peuples sans mémoire sont voués à toutes
les servitudes ».
60 ans après être passés, ici
même à Saint Brice Courcelles, entassés dans ce
train de la mort, vous êtes venus témoigner avec simplicité
de ce que vous avez enduré. Au cours de ces derniers jours
plusieurs actions ont été conduites auprès des
enfants de l'école élémentaire de Saint Brice
Courcelles et du collège Trois Fontaines avec l'aide des associations
de déportés, de la bibliothèque municipale, des
clubs philatélique et vidéo et de Monsieur Hervé
Chabaud.
Celui-ci nous posait justement cette question :« À
quoi sert-il de commémorer si on n'en comprend pas le sens
et si le geste n'est pas accompli en conscience pour mieux vivre demain
? ».
En effet, pour savoir où nous allons, il
est nécessaire de bien savoir d'où nous venons. Alors
que la construction européenne a intégré notre
vie quotidienne, qu'elle s'intensifie et agrandit son territoire,
prenons garde à ne pas oublier pour mieux réussir l'avenir
!
En effet, nous devons oser affronter l'avenir sans
rien oublier de notre passé pour interdire que l'horreur d'hier
se dessine comme un avenir probable. Nous devons refuser les amalgames
faciles qui brouillent la vérité. À nous tous
d'être les gardiens et les passeurs du sens de l'Histoire.
Aujourd'hui, pour garantir la paix pour l'Europe,
pour le Monde, la France et l'Allemagne sont unies. Et l'Europe vient
de mettre fin à la période, qui la divisait depuis la
2ème guerre mondiale, en accueillant dans l'Union 10 nouveaux
pays d'Europe Centrale. Les esprits ont, à l'évidence,
évolué tout en prenant conscience que le pardon n'a
que plus de valeur si la mémoire reste vivante et ne sombre
pas dans l'oubli.
Comme nous l'avons fait à l'occasion de cette
cérémonie, grâce à l'action conjointe de
Madame Chantal Ravier et de Monsieur Jean Constant, travaillons pour
que la Mémoire soit respectueuse de l'histoire et des souffrances
des Européens du XXème siècle. Il est impératif
que cette époque terrible, marquée par deux conflits
mondiaux, les plus meurtriers de l'histoire, soit bien connue de tous,
qu'elle ne soit pas réduite à quelques pages ou quelques
lignes dans les livres. Il est indispensable que ces terribles événements
soient maintenus dans leur réalité, afin de combattre
les dangers du négationnisme et de restituer aux nouvelles
générations les enseignements d'une histoire qui est
encore la nôtre et celle de nos parents. Unis dans cette bataille
de la mémoire, nous nous devons d'uvrer, à l'édification
d'un monde moins brutal, plus généreux pour que ce nouveau
siècle soit celui de la fraternité entre les hommes
et les peuples.
Comme nous l'a écrit Monsieur René
Vaissié, matricule 77484 à Dachau, survivant du train
7909 : « Soixante ans après, au moment où
l'Europe cherche à se réunir, je voudrais oublier le
drame que nous avons vécu. Je ne voudrais me souvenir que de
l'attitude courageuse et généreuse des habitants de
Saint Brice et de mes camarades de Résistance morts dans ce
convoi. Car, face à l'horreur, il y a eu ces magnifiques témoignages
de vos concitoyens ! Il faut que nos enfants sachent qu'un jour de
juillet 44, à Saint Brice, l'Amour a été plus
fort que la haine et la peur. Voilà une belle victoire remportée
sur la bestialité de certains hommes ! ».
Le combat pour la solidarité, la tolérance,
la dignité de chaque être humain est toujours d'une brûlante
actualité. Alors aujourd'hui, rassemblés par une même
volonté, avec vigilance, encore merci d'avoir bien voulu vous
mobiliser pour la liberté de tous et pour la sauvegarde des
idéaux humanistes.
L'hommage aux survivants du « Train de la mort »
présents à la cérémonie commémorative
du 3 juillet 2004
Avant
de leur remettre la médaille de la
Commune de Saint Brice Courcelles, le maire, Alain
LESCOUET, a présenté chacun
des huit survivants du « Train de la mort »
qui participaient à la cérémonie du souvenir.
Jacques
BRONCHARD de Reims
Jacques
BRONCHARD vivait à Nevers ( Nièvre ). Il a
été arrêté une première fois le
14 décembre 1940, en cours de Français, il n'avait alors
que 17 ans.
Arrêté à nouveau en septembre
1943, les interrogatoires sont plus musclés et la prison de
Riom est au bout.
Fin juin 1944, la prison de Riom est « vidée
» par les Allemands , les prisonniers attachés deux par
deux, bras et jambes avec des « chaînes à
vélo » sont emmenés à Compiègne.
Le 2 juillet à 5 heures du matin, c'est le
rassemblement et l'appel puis la montée dans les wagons à
bestiaux.
Le long chemin vers Dachau commence puis c'est l'affectation
dans les camps du Neckar dépendants du Struthof, matricule
21851.
Au retour, Monsieur BRONCHARD est malade, mais il
réussit à passer son 2ème bac et à devenir
instituteur.
La maladie le rattrape, il sera en longue maladie
pendant 7 longues années.
En 1957, il est instituteur à Reims et il
prendra sa retraite en 1976.
Monsieur
BRONCHARD, outre vos différentes fonctions dans les associations,
surtout celle des déportés, internés, résistants
patriotes dont vous êtes le président, vous témoignez
dans les collèges et lycées sur la déportation,
la vie dans les camps, mais votre douloureux trajet dans le « Train
de la mort » reste plus personnel.
Jean
SAMUEL de Paris
Jean
SAMUEL est arrêté sous le nom d'André RATIER.
Cependant c 'est sous le pseudonyme de SÉVIGNÉ, réseau
PLUTUS, mouvement COMBAT , Agent P2 qu'il fabrique des Faux-Papiers.
Certains de ses camarades le surnommaient «
la Marquise » et cela lui a peut-être sauvé
la vie car les Allemands ont cherché une femme.
Arrêté par la Gestapo à Paris
le 18 mai 1944, torturé, il se retrouve à Compiègne
et dans le Train du 2 juillet, date anniversaire qui passe avant l'anniversaire
de la libération du camp pour certains.
Après DACHAU, matricule 77655, ce sont les
kommandos de NECKARGERAH et NECKARELTZ.
« Au camp et au Kommando, chacun a fait ce
qu'il sentait devoir faire pour survivre » dit-il.
Au retour, il est homologué avec le grade de sous-Lieutenant
au titre de la Résistance Intérieure Française.
Officier de la Légion d'Honneur, Croix de Guerre,
Médaille de la Résistance.
Actuellement, Monsieur SAMUEL, vous êtes secrétaire
général du Comité International de Dachau et
trésorier de l'Amicale française du Camp de concentration
de Dachau.
Yves
MEYER de Paris
Yves
MEYER est né en 1923.
En 1940, il refuse l'armistice et veut continuer
la lutte, mais il n'a que 17 ans et pas de formation militaire.
En 1942, il entre dans le réseau JUDITH.
Il est porteur de poste. Le réseau est décimé
en 6 mois. Lui est arrêté à la frontière
espagnole. Il s'évade, reprend des activités dans un
maquis de la vallée de la Maurienne. Il a en charge un groupe
de Républicains espagnols.
Il est arrêté dans le train et amené
à la Gestapo de Grenoble.
Il parvient à nouveau à s'évader.
Chef régional d'un maquis de Normandie Nord,
il est arrêté sur dénonciatio .
Puis c'est Compiègne, le « Train
de la Mort », Neckargeracht.
Au retour, il ne pèse plus que 32 Kilos.
Monsieur
MEYER, après une période de réadaptation, vous
travaillez dans l'imprimerie , puis montez votre propre entreprise
, florissante . Vous avez épousé une déportée
avec qui vous avez eu une fille, ici présente.
André
GAILLARD de Saint Herblain ( Loire Atlantique)
André
GAILLARD, né en 1922, est arrêté à 21 ans
en tant que réfractaire au STO . Il était aussi surveillant
dans un collège qui cachait 3 enfants juifs. Le directeur,
le personnel administratif qui avait fourni les faux papiers , les
enfants juifs et lui sont internés, déportés
et M Gaillard est le seul survivant.
Dans son wagon du train de la mort, le nombre de
morts a été limité par le fait qu'il y avait
4 ouvertures avec des barbelés et un minimum de discipline
à l'intérieur.
Un projet d'évasion avait été
envisagé, mais a été abandonné à
cause de l'épuisement généralisé.
Le séjour à Dachau dure 3 semaines,
puis ce sont les camps du Neckar.
Au retour d'Allemagne, Monsieur GAILLARD , après
une certaine période de convalescence, vous vous dirigez vers
la médecine et exercez d'abord dans le privé à
Nantes, puis comme médecin des Hôpitaux et professeur
à la faculté.
Vous êtes marié, père de 6 enfants
et retraité depuis octobre 1992.
Roger
POULET de Dijon
Roger
POULET faisait de la résistance dans une usine qui travaillait
pour le chemin de fer où il était requis pour le travail
: il sabotait les pièces de réparation des wagons.
Il a été arrêté sur dénonciation
par quelqu'un qui avait été lui-même arrêté,
torturé et qui sera fusillé.
Six de ses camarades d'arrestation seront fusillés ;
lui rejoindra le « Train de la Mort » et Dachau.
Au retour, il pesait 40 kilos et mit 2 à
3 mois pour se remettre d'aplomb.
Il a alors repris sa place dans le bâtiment
avec son père, puis il a été commerçant
: il tenait un bar-tabac avec son épouse, mais il a dû
changer à nouveau de métier pour raison de santé
.
Monsieur POULET,
vous avez terminé votre vie active en tenant un commerce de
chauffage avec votre beau-frère.
Vous avez 2 filles et 2 petits-enfants.
Albert MANDELSAFT de Metz
Albert
MANDELSAFT est né en 1920.
Durant la Seconde Guerre mondiale, il se nommait
Albert MUNIER
En octobre 1943, il rejoint le maquis du Lot à
Saint Ciré, commandé par le colonel Georges des FTP-FFI.
Le 6 juin 1944, le maquis est déplacé
pour essayer de stopper la division Das Reich qui devait relier la
Normandie.
Le 8 juin, suite à une dénonciation,
36 de ses camarades sont massacrés, 80 sont fait prisonniers,
emmenés à Tulle et certains sont pendus le 9 juin, d'autres
mitraillés par les SS qui ont profité d'une coupure
de courant pour tirer.
Puis c'est Compiègne, le « Train
de la mort » et Dachau, avec le matricule 77208, toujours
sous le nom de Munier.
Monsieur
MANDELSAFT, vous avez survécu, mais toute votre famille ( père,
mère, frère et sur ) a été exterminée
à Auschwitz.
Bruno BALP de Paris
Bruno
BALP est arrêté à 18 ans avec son père,
dont la Gestapo ignorera toujours les véritables fonctions.
À minuit des coups de butoir secouent la porte d'entrée,
le tout accompagné de vociférations et de coups : « Vous
êtes les ennemis de l'Allemagne, vous serez châtiés ».
Torturé ainsi que son père et un de
ses frères, ils se retrouvent tous les 3 dans le « Train
de la mort » , dans un wagon blindé de 110 déportés
où il y aura 43 morts.
Puis c'est Dachau, les camps du Neckar, où
ils entendent pendant des mois l'artillerie et des bombes, et espèrent
l'arrivée des Alliés.
Outre l'espoir, c'est l'expérience du papa
( c'est sa 2ème guerre), la foi en Dieu, l'amour familial
qui les aideront à survivre.
Ils seront libérés par la VIIème
armée de Patton et rapatriés en avion sur Paris.
Monsieur
BALP, au retour, vous suivez les cours de théâtre des
maîtres Charles Dullin et René Simon et devenez comédien,
et vous l'êtes toujours : vous préparez une pièce
qui se jouera le 12 janvier prochain à Paris.
Pierre ROPIQUET de Niort
Né
en 1924 dans le département des Deux-Sèvres, une circulaire
de Vichy lui impose en janvier 1944 de se faire recenser pour le STO
en Allemagne.
Il refuse et part à la campagne chez un cousin
qui participe à un réseau de résistance.
Arrêté le 22 mars 1944, interrogé
de façon brutale , il reste plusieurs mois en prison où
il apprend le débarquement du 6 juin 1944.
Mais l'espoir de liberté s'envole, c'est
le départ pour Compiègne puis le Train 7909 et Dachau,
nom qui n'évoquait rien pour lui lorsqu'il franchit le portail
d'entrée et son sinistre « Arbeit macht frei ».
Puis c'est le transfert dans les camps du Neckar
, la maladie, la survie malgré le passage par le camp de la
mort lente, celui de Vaihingen appelé « camp de
repos ».
En avril 1945, c'est le retour, à nouveau
la maladie et la vraie guérison.
Une vie active et dans les années 1980, quand
sonne l'heure de la retraite, sonne aussi le moment du témoignage.
Monsieur ROPIQUET, vous faites vôtre la phrase
de Camus :
« Qui répondrait en ce monde à la terrible
obstination du crime, si ce n'est l'obstination du témoignage ».
L'hommage à Jeanne-Andrée Paté
déportée à Ravensbrück
Aurélia, Corentin, Thomas,
élèves de CM2 de l'École Prévert de Saint
Brice Courcelles,
rendent hommage à Madame
PATÉ, déportée à Ravensbrück,
qui est venue témoigner dans leur classe
à la demande de leur maîtresse, Madame
PASCAL
Ce
jeudi 18 juin a été pour nous une journée très
spéciale.
Les maîtresses nous avaient annoncé
que nous allions rencontrer une personne extraordinaire.
Cette personne venait pour nous parler d'une expérience
terrible, mais nous n'avions pas vraiment conscience de ce que nous
allions voir et entendre.
Dès le matin, nous avons regardé un
documentaire sur l'histoire de la 2ème guerre mondiale et en
particulier sur des évènements horribles concernant
des civils et non pas des soldats.
Nous pensions que la guerre ne concernait que des
soldats et nous avons découvert un mot totalement inconnu:
« un génocide ».
Grâce
à des témoignages de survivants, soldats étrangers
ou prisonniers libérés, mais surtout grâce aux
images parfois trop difficiles à regarder pour certains d'entre
nous, nous avons pu comprendre que des êtres humains avaient
pu traiter d'autres êtres humains comme des objets en les étiquetant
ou des animaux en les marquant.
C'est la haine et la cruauté des soldats
SS et de leur chef Hitler, qui nous ont bouleversés.
Nous avons compris que des milliers de personnes
pour des raisons complétement absurdes, de race, de religion,
d'opinion politique, avaient été déportées
ou exterminées ( mots que nous ne connaissions pas non plus).
Après
avoir vu ce documentaire, nous avons essayé d'exprimer nos
sentiments.
C'était surtout des phrases qui disaient
l'horreur, l'incompréhension face à de tels actes.
Nous avons ensuite fait une liste de questions destinées
à Madame Paté qui devait venir l'après-midi.
Nous avions hâte de savoir ce qui avait pu
la conduire dans un camp de concentration et de connaître ses
sentiments aujourd'hui.
Nous
avons été étonnés de découvrir
une « super mamie » âgée, paraît-il
de 90 ans, mais qui nous a paru plus jeune et tellement dynamique
que nous avions du mal à croire qu'elle soit une rescapée
d'une telle expérience.
Dès ses premières paroles, aucun bruit
ne s'est fait entendre.
Nous étions muets mais attentifs, car ce
que nous entendions correspondait à ce que nous avions vu,
mais cette fois il fallait y croire.
Et cette personne à l'aspect ordinaire nous
racontait des actes horribles : les conditions de son arrestation
après dénonciation, la torture qui ne l'a jamais fait
avouer, son trajet dans des wagons à bestiaux jusqu'au camp
de Ravensbrück, les humiliations dans les camps, les conditions
épouvantables de vie, de travail, d'hygiène, de soin,
d'alimentation, les bébés que l'on tuait dès
leur naissance...,
mais aussi les actes de courage : célébrer
le 14 juillet sous le nez des Alllemands,
et les actes de générosité
et de solidarité envers les plus failbles : quelques bébés
ont pu survivre à cet enfer.
Nous
avons été particulièrement impressionnés
en découvrant la robe qui était le seul vêtement
qu'elle a porté dans ce camp, et certains d'entre nous ont
voulu la toucher un peu comme les croyants touchent les reliques d'un
Saint.
Ce moment a été très émouvant.
Madame Paté nous a parlé sans haine,
avec de l'émotion dans la voix bien sûr car les souvenirs
étaient toujours douloureux, mais surtout avec beaucoup de
courage et de volonté, comme quand elle était dans le
camp.
Elle n'a jamais regretté un instant son engagement
politique malgré les conséquences que cela a eu dans
sa vie
Elle
considère que tant qu'elle le pourra, elle continuera à
témoigner de son expérience surtout auprès des
jeunes comme nous, car elle souhaite que cela ne se reproduise jamais
plus.
Elle compte sur nous et sur les générations
futures pour transmettre à leur tour ce message d'espoir et
de paix.
Aujourd'hui, nous avons pris conscience de ce qu'elle
nous a demandé et nous sommes là pour dire un grand
merci à Madame Paté et nous espérons être
des fidèles messagers.
Jeanne-Andrée
PATÉ, lors de la Conférence-débat
sur Le retour des déportés
organisée le 29 avril 2000 par l'AFMD/Marne, à l'occasion
du 55e anniversaire
de la libération des camps de concentration
La
libération d'un Kommando de Ravensbrück
L'allocution du sous-préfet de Reims
Alain Boyer
Ici
sur ces voies de chemin de fer, à Saint Brice Courcelles, envahies
par tant de participants, nous pouvons faire revivre aujourd'hui le
souvenir de ces déportés entassés dans des wagons
sous une chaleur accablante, mais aussi évoquer tous les gestes
d'humanité que manifestèrent de façon spontanée,
malgré les risques, les habitants de Saint Brice et de Reims.
Je
veux d'abord rendre hommage à l'initiative de M. Alain Lescouet,
maire de Saint Brice Courcelles, à l'engagement de l'association
des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la déportation
et à l'action de Madame Ravier, professeur d'histoire, conseillère
municipale, pour avoir organisé cette manifestation, mais aussi
pour tout le travail pédagogique qui a été méthodiquement
construit.
Trop
souvent on entend dire pourquoi remuer tout ce passé, pourquoi
ne pas oublier ces crimes du nazisme et ces horreurs des guerres qui
ont marqué notre pays et tout particulièrement la Champagne.
Non l'oubli n'est pas possible, il serait une seconde
mort pour les victimes.
Non l'oubli n'est pas possible, il serait une infidélité
à nous-mêmes, à notre histoire, à nos valeurs.
Non l'oubli n'est pas possible, car il nous priverait
des enseignements de ce passé. Il nous ferait complice des
négationnistes. En oubliant ces pages sombres de notre histoire,
on pourrait être condamné à les revivre.
Le
Souvenir du train de la mort qui s'est arrêté ici, le
2 juillet 1944, permet de souligner la monstruosité et l'absurdité
du régime nazi qui, après le débarquement allié
en Normandie, continuait à donner la priorité à
sa politique d'extermination sur sa propre défense.
À
travers l'hommage rendu aux survivants du train 7909, nous avons pu
suivre leurs itinéraires personnels, mesurer tout ce qu'ils
ont enduré, évoquer aussi leurs camarades décédés
dans le convoi ou en déportation et souligner tout ce qu'il
fallait de chance mais aussi de volonté et de sens de l'organisation
pour simplement survivre.
Je
ne peux que souligner la qualité du travail pédagogique
qui a été mené avec les élèves
des écoles, nombreux encore ici en ce jour de vacances. Ils
ont pu rencontrer des déportés, ils ont pu comprendre
ce qui s'était passé ici, ils ont pu ouvrir leurs esprits
et leurs curs à l'ensemble de la déportation et
à toutes ses caractéristiques de totale négation
des droits de l'homme, d'avilissement de la personne humaine, d'extermination
systématique.
Je
voudrais insister surtout sur la valeur de ces actes humbles des habitants
de Saint Brice, apporter de l'eau par exemple à ces malheureux
assoiffés, enfermés dans les wagons.
Ces
actes sont d'abord ceux de la conscience humaine. Ils montrent que
la grande majorité des Français n'acceptaient pas l'occupation
allemande et que presque tous refusaient la déportation. Que
d'efforts héroïques pour empêcher les arrestations,
cacher les Juifs persécutés, fournir de fausses pièces
d'identité, distribuer de faux tickets d'approvisionnement.
La résistance fit tout pour ralentir les convois, en particulier
à l'intérieur de la SNCF ( la Résistance
Fer ) et elle connut de nombreux succès, malgré
la force bien supérieure de l'ennemi jusqu'à l'arrivée
de nos alliés.
Il
est important de faire savoir à nos enfants l'action courageuse
et parfois héroïque des Français contre le nazisme.
Certes, il y eut des collaborateurs, mais combien plus nombreux furent
ceux qui aidèrent des voisins dans la détresse ou des
malheureux en route vers les camps de la mort.
De
telles commémorations nous aident à nous rappeler les
souffrances du passé et à nous mobiliser pour le combat
pour les droits de l'homme qui est un combat toujours actuel.
Dans
quelques jours, le 8 juillet, le Président de la République
se rendra au Chambon-sur-Lignon, ce village et ce plateau du Massif
Central aux confins de la Haute-Loire et de l'Ardèche où
la population s'est mobilisée pour accueillir et sauver des
Juifs, peut-être 5000, où pour reprendre le titre d'un
ouvrage « ici on a aimé les Juifs ».
Ces actes, tout naturels en d'autres temps, étaient devenus
héroïques sous l'occupation nazie avec les risques de
représailles, de torture et de déportation qu'ils représentaient.
À
un moment où le racisme semble renaître, où l'on
voit dans notre pays des synagogues et des mosquées incendiées,
où des cimetières sont profanés, il faut être
vigilant car, comme disait Brecht, « la bête immonde »
du fascisme est toujours prête à renaître. Mais,
il faut mettre en lumière ces actes de courage, des actes simples
d'humanité comme de donner de l'eau aux déportés
assoiffés, car ils sont un exemple et ils sont la vraie image
de la France qui doit rester fidèle à ses valeurs de
liberté, d'égalité et de fraternité.
Alain
BOYER
Pour en savoir plus
sur les convois de déportation
de l'été 1944
Quand
les derniers convois sont-ils partis de France ?
L'odyssée
du train fantôme - 3 juillet 1944
11
août 1944, le dernier convoi de Lyon
sur
le site Mémoire-Net animé
par Evelyne PY
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