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- La
mémoire
officielle ?
Expression d'un pouvoir politique qui s'exprime au fil des commémorations,
elle est souvent influencée par le présent, et suspecte de vouloir
être récupératrice.
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La mémoire
transmise par les acteurs et les témoins ?
Mémoires individuelles, mémoires particulières,
mémoires familiales, mémoires de groupe, mémoires locales,
mémoires culturelles, sont toutes des mémoires respectables,
mais partielles, fragmentaires, déformées, parce que souvent le résultat
de reconstructions identitaires légitimes, mais forcément réductrices.
En
1921, l'historien Marc BLOCH qui
avait combattu pendant la Première Guerre mondiale sur le plateau du
Chemin
des Dames, s'interrogeait dans la Revue
de synthèse historique sur les limites du témoignage
et la nécessité d'une
« critique méthodique du témoignage »
en ces termes :
« Il
n'y a pas de bon témoin ; il n'y a guère de déposition exacte en toutes
ses parties ; mais sur quels points un témoin sincère et qui pense
dire vrai mérite-t-il d'être cru , question infiniment délicate, à
laquelle on ne peut donner d'avance une réponse immuable, valant en
tout cas ; il faut examiner soigneusement chaque espèce et se décider
chaque fois d'après les besoins de la cause » ( 1 ).
- La
mémoire collective ?
Mémoire qui se veut consensuelle, bâtie à la fois à
partir des mémoires de groupe et de la mémoire officielle, elle est
aussi une mémoire mouvante, déformée, « sélective,
"inégale" et inéquitable par définition »
( 2 ),
un acquis qui se transmet et se transforme de génération en génération,
- La
mémoire
nationale ?
Elle est l'expression patriotique et héroïque d'une mémoire
officielle qui entend souligner sa singularité, et d'une mémoire
collective dominante qui est parvenue à s'élever au
niveau d'un mythe.
L'héroïsation
de la mémoire
à travers l'exemple du Soldat inconnu
de la 1ère guerre mondiale
L'inhumation
solennelle du Soldat inconnu sous l'Arc-de-Triomphe de l'Etoile à
Paris,
le 11 novembre 1920, illustre bien
cette mémoire nationale érigée en mythe.
Dès
le 26 novembre 1916, dans un discours prononcé au
cimetière de l'Est à Rennes, François
SIMON, président du Souvenir
Français de cette ville, avait émis l'idée de placer un soldat
inconnu au Panthéon :
Pourquoi
la France n'ouvrirait-elle pas les portes du Panthéon à
l'un de nos combattants ignorés, mort bravement pour la Patrie,
avec, pour inscription sur la pierre, deux mots : UN SOLDAT -
deux dates : 1914-1917 ?
Cette inhumation d'un simple soldat sous ce dôme,
où reposent tant de gloires et de génies, serait comme
un symbole ; et plus, ce serait un hommage rendu à l'armée
française tout entière.
En
1919,
le principe en fut adopté par la Chambre des députés.
Mais les associations d'anciens combattants, considérant
que le soldat inconnu devait être inhumé dans un lieu spécifique, se
sont mobilisés pour que ce soit sous
l'Arc de Triomphe.
Le
8 novembre 1920, les députés ont voté à l'unanimité la loi
suivante :
Article
1.
Les honneurs du Panthéon seront rendus aux restes d'un des soldats
non identifiés au champ d'honneur au cours de la guerre 1914-1918.
La translation des restes de ce soldat sera faite solennellement
le 11 novembre 1920.
Article 2.
Le même jour, les restes du soldat inconnu seront inhumés sous l'Arc
de Triomphe.
Il restait à choisir
la dépouille du soldat inconnu.
Huit corps de soldats ayant servi sous l'uniforme
français mais qui n'avaient pu être identifiés ont été
exhumés dans les huit régions où s'étaient déroulés les combats les
plus meurtriers : en Flandres, en Artois, dans la Somme,
en Ile-de-France, au Chemin des Dames, en Champagne, à Verdun et en
Lorraine.
Le
9 novembre 1920, les huit
cercueils de chêne ont été transférés à la citadelle de Verdun,
dans une casemate où ils ont été plusieurs fois changés de place pour
préserver l'anonymat de la provenance de chacun d'entre eux.
Le
10 novembre, les cercueils ont été placés sur deux colonnes
de quatre dans une chapelle ardente dont la garde d'honneur fut confiée
à une compagnie du 132ème régiment d'infanterie.
André
MAGINOT, ministre des Pensions, s'est avancé vers un des
jeunes soldats qui assurait la garde d'honneur, Auguste
THIN, engagé volontaire de la classe 1919, fils d'un combattant
disparu pendant la guerre, pupille de la Nation.
Il lui tendit un bouquet d'oeillets blancs et rouges,
et lui exposa le principe de la désignation : le cercueil sur lequel
ce jeune soldat allait déposer ce bouquet serait transféré à Paris et
inhumé sous l'Arc de Triomphe.
Il
me vint une pensée simple.
J'appartiens au 6ème corps.
En additionnant les chiffres de mon régiment, le
132, c'est également le chiffre 6 que je retiens.
Ma décision est prise : ce sera le 6ème cercueil
que je rencontrerai.
Témoignage
d'Auguste THIN ( 3 )
Partant par la droite,
Auguste
THIN a fait un tour, puis il a longé les quatre cercueils
de droite, a tourné à gauche, est passé devant le 5ème et s'est arrêté
devant le 6ème cercueil sur lequel il a déposé son bouquet et s'est
figé au garde-à-vous ( 4 ).
Désormais le
souvenir de la 1ère guerre mondiale associant patriotisme,
héroïsation
des combats militaires,
exaltation de la victoire et deuil
collectif sera associé à la tombe du soldat
inconnu sous l'Arc de Triomphe.
Plus tard , le
souvenir de la 2e guerre mondiale viendra se greffer de façon
incontournable sur celui de la guerre de 14-18 qui continuera
d'exercer une sorte de prééminence
dans la mémoire collective des Français.
Jean-François JAGIELSKI,
Le Soldat inconnu, invention et postérité d'un symbole,
Imago-SGA/DMPA, 2005
Comment historiens et enseignants
doivent-ils confronter ces mémoires plurielles
qui se renforcent ou s'opposent et s'annulent ?
En Espagne, par exemple,
la guerre civile est restée longtemps un événement mythifié qui a rendu
très difficile le travail des historiens, alimentant une double mémoire,
la mémoire des vainqueurs, mémoire officielle entretenue et commémorée
par le régime franquiste, et la mémoire refoulée et douloureuse des
vaincus, celle des Républicains, dont beaucoup avaient dû s'exiler.
Est-ce
que les acteurs et les témoins font l'histoire ?
Que peut-on tirer des témoignages
oraux ?
Quel est le rapport, quelle est la distance entre le vécu
et son récit ?
Pourquoi les combattants de 14-18 et les rescapés
des camps de 1939-1945 ont-ils eu tant de mal à communiquer leur vécu
?
Plus particulièrement, quel est aujourd'hui le rôle des
témoins rescapés du génocide ?
Comment transmettre, communiquer l'incommunicable
?
Quel
rapport y a-t-il entre mémoire et lieu ?
Est-ce que les lieux
de mémoire font l'histoire ?
La mémoire exige-t-elle des sites, des monuments, des musées
?
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