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La spoliation des Juifs de France
pendant la 2e guerre mondiale

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La Mission Mattéoli

   En 1997, le Premier ministre, Alain JUPPÉ, avait confié à Jean MATTÉOLI ( 1 )  la présidence d'une mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France de 1940 à 1944, à laquelle ont participé Serge KLARSFELD et Annette WIEVIORKA, rejoints en 1998 par les historiens, Claire ANDRIEU et Antoine PROST .

   Il s'agissait de déterminer à partir de l'examen des différents fonds d'archives, les conditions dans lesquelles les spoliations organisées dans le cadre de la législation de Vichy ont eu lieu et ce qui a pu être restitué depuis la Libération.

    La Mission Mattéoli a travaillé en particulier sur :
         - l'« aryanisation » des entreprises appartenant à des Juifs ;
         - les banques où les Juifs ont déposé des numéraires et des valeurs mobilières ou dans lesquelles ils détenaient des coffres contenant parfois des objets d'art, dont la confiscation ne doit pas être confondue avec le pillage systématique perpétré par les Allemands 2 ) ;
         - le dossier des contrats d'assurances souscrits par les familles juives ;
         - les biens des Juifs internés dans les camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande qui ont été transférés vers la Caisse des dépôts et consignations ;
         - le dossier de la SACEM et des droits d'auteurs-compositeurs juifs.

   Les conclusions de la Mission Mattéoli

   Le 17 avril 2000, Jean MATTÉOLI a présenté à Lionel JOSPIN les conclusions des travaux de cette mission d'étude, contenues dans un rapport général, des rapports sectoriels et des recommandations3 ).

   Ces rapports mettent en lumière l'ampleur de la spoliation qui a frappé la population juive en France, estimée à environ 330 000 personnes en 1940, une spoliation « lancée par les Allemands en zone Nord dès le début de l'Occupation, assumée par Vichy et étendue par lui à l'ensemble du territoire national à partir de juillet 1941 » 4 ).   

   Ils révèlent la multiplicité et la complexité des mécanismes de la spoliation qui a touché tous les secteurs de l'économie à l'exception du secteur primaire, toutes les branches de la fonction publique, de l'industrie, du commerce et des services, secteur public et secteur privé confondus :
         - 80 000 comptes bancaires et environ 6 000 coffres bloqués ;
         - 50 000 procédures d'aryanisation engagées ;
         - plus de 100 000 objets d'art ainsi que plusieurs millions de livres pillés ;
         - 38 000 appartements vidés.

    Ils démontrent que la restitution effectuée après la 2ème guerre mondiale a été importante, mais incomplète, que l'administration des Domaines a procédé de façon un peu trop hâtive à la vente d'objets divers appartenant à des Juifs, et que les musées de France n'ont pas mené avec suffisamment de détermination la recherche en propriété concernant les œuvres et objets d'art qui leur ont été confiés.

   Au total, le montant de la spoliation comptabilisable, concernant les ventes ou liquidations d'entreprises et de biens immobiliers, ainsi que les ventes de valeurs mobilières et les prélèvements sur les comptes et livrets, peut être estimé à un peu plus de 5 milliards de francs de l'époque, correspondant à près de 9 milliards de nos francs actuels.

   Selon Annette WIEVIORKA, la spoliation des Juifs ne s'est pas limitée à un acte de dépossession ; « elle fait partie de toute une politique d'exclusion qui est une des étapes de la Solution finale ». Quant aux restitutions effectuées à la Libération, elles ont surtout bénéficié aux grandes entreprises, tandis que « les tailleurs, brocanteurs et petits commerçants ont été purement et simplement rayés des registres du commerce et des métiers » 5 ).

   Pour Antoine PROST, « il ne s'agissait pas seulement d'éliminer toute influence " juive " dans l'économie nationale et de réunir des milliards. Il s'agissait aussi, très concrètement, de priver de leurs moyens d'existence des milliers de petites gens et de leur rendre la vie matériellement impossible, de les faire littéralement disparaître du paysage. Par là, ce fut une persécution quotidienne et une préface au génocide » 6 ) .

L'indemnisation des victimes de la spoliation

   La Commission Mattéoli a constaté que 90 % des biens juifs spoliés en valeur ont été restitués ou indemnisés après la 2ème guerre mondiale et que la partie d'entre eux qui restait à indemniser correspondait à un montant d'environ 1,5 milliards de francs actuels.
   C'est pourquoi elle a recommandé la création d'une Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliation intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ( CIVS ).

CIVS - Ministère de la Défense
Direction des statuts, des pensions
et de la réinsertion sociale
Quartier Lorge
Rue Neuve de Bourg l'Abbé
BP 6140 -
14064 CAEN CEDEX
FRANCE
Tél. :(33).2.31.38.45.21

http://www.civs.gouv.fr/


   P
résidée par Pierre DRAI, ancien premier président de la Cour de cassation, cette commission est chargée d'examiner les demandes individuelles de restitution 7 ).
   En outre, à la demande de Serge KLARSFELD, président des Fils et filles de déportés juifs de France, la Mission d'étude a proposé qu'un dispositif d'indemnisation des enfants de déportés juifs de France soit mis en place sous la forme d'une indemnité viagère.
   Cette proposition a été retenue par le gouvernement de Lionel JOSPIN.

   Le 13 juillet 2000
, un décret a fixé le montant l'indemnisation des orphelins de la Shoah et de tous ceux qui étaient mineurs lors de la déportation d'un parent : soit un capital de 180 000 francs, soit une rente mensuelle de 3 000 francs.
    Ce décret jeta le trouble parmi de nombreuses associations qui en dénoncèrent le caractère injuste et discriminatoire, et réclamèrent son extension aux orphelins de parents non-juifs.

   Le 27 juillet 2004, un nouveau décret, faisant référence au décret de juillet 2000, a étendu cette indemnisation à tous les « orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie durant la deuxième guerre mondiale », décret qui s'appliquaitt aux orphelins des déportés résistants, des déportés politiques, des résistants fusillés ou morts sous la torture, des massacrés, mais dont étaient écartés les orphelins des résistants FFL ou FFI morts au combat ou de parents tués par fait de guerre 8 ).
   

La Fondation pour la mémoire des victimes de la Shoah

   Aucune des valeurs provenant de la spoliation de biens juifs ne devra rester dans les institutions où elles ont abouti. Dans le cas où les ayant droit auraient tous disparu, les fonds en déshérence seront versés à la Fondation pour la mémoire des victimes de la Shoah dont le professeur Ady STEG, vice-président de la Mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France a exposé les objectifs en ces termes :

« Elle aura une triple vocation, historique, éducative et de solidarité avec les victimes de la Shoah dans le besoin.
   Son objectif est de mettre en place une pédagogie sur Auschwitz.
   Cette pédagogie consiste à étudier pourquoi ce qui était inconcevable a été conçu »
9 )
.

La polémique sur la « Shoah business »
et l'instrumentalisation de la Shoah

   Au début de l'année 2001, a été traduit et publié en France sous le titre L'industrie de l'Holocauste, l'ouvrage d'un politologue américain, juif antisioniste, fils de déportés, Norman G. FINKELSTEIN, Holocaust Industry 10 ).
  Dans cet ouvrage, FINKELSTEIN dénonce de façon véhémente ce qu'il considère comme une exploitation idéologique et financière de la Shoah par les organisations juives américaines et internationales.

   Selon lui, cette industrie constitue une double extorsion qui détourne des fonds au détriment des survivants eux-mêmes de la « solution finale » qui n'en percevraient qu'une petite partie, et des gouvernements européens sommés de réparer ; elle contribue ainsi à nourrir l'antisémitisme et fait le jeu des négationnistes.
   La publication en France de cet ouvrage que Pierre VIDAL-NAQUET a refusé de préfacer et dont plusieurs historiens européens ont contesté la valeur scientifique et dénoncé le caractère outrancier et polémique, a relancé le débat à la fois sur les dangers d'une instrumentalisation de la Shoah, sur l'unicité de la « solution finale » et sur l'ambiguïté du discours antisioniste ultra-gauche qui dans ses dérives pseudo-révisionnistes, rejoint dangereusement le discours négationniste ( 11 ).

   Dans un entretien publié en mai 2001 dans la revue L'Histoire, Annette WIEVIORKA, historienne du génocide, qualifie L'industrie de l'Holocauste de « gros article-pamphlet, qui suscite polémique et intérêt ».
   Elle critique le terme de « réparations » hérité de la 1ère guerre mondiale qu'utilise FINKELSTEIN pour désigner les procédures d'indemnisation et de restitution des biens juifs spoliés par les nazis pendant la 2ème guerre mondiale au profit d'individus, d'organismes ou de l'Etat d'Israël, procédures complexes dont elle retrace l'histoire depuis 1945.
    Constatant que « les réparations mêlent la mort et l'argent [ et ] attirent les vautours », elle ne nie pas que l'indemnisation des biens juifs spoliés ait pu donner lieu à certains abus, et plaide pour une définition étroite et rigoureuse des survivants du génocide dont elle souhaite voir limiter le nombre à ceux qui ont effectivement survécu aux ghettos et aux camps, alors que la définition américaine l'étend à toute personne juive qui a vécu dans un pays occupé par les nazis.
   
En ce qui concerne l'instrumentalisation de la Shoah, Annette WIEVIORKA constate qu'elle est évidente, qu'elle a toujours existé.
   Mais elle affirme que l'instrumentalisation de la Shoah
au profit de l'État d'Israël, dénoncée par FINKELSTEIN, a surtout caractérisée les années 1980, que le rôle d'Israël dans la mémoire de la Shoah s'atténue, qu'on assiste depuis plusieurs années à une « américanisation de la Shoah » étudiée par l'historien américain Peter NOVICK qui dénonce la place démesurée prise par l'« Holocauste » dans la vie américaine12 ), et que
l'instrumentalisation de la Shoah aux États-Unis se fait davantage au profit des valeurs américaines qu'au profit de l'État d'Israël.
   Enfin, tout en reconnaissant que FINKELSTEIN n'est pas un négationniste, elle dénonce sa façon d'utiliser « une partie de la rhétorique des négateurs » lorsqu'il affirme que « l'industrie de la Shoah n'existe que pour le profit de l'Etat d'Israël, pour légitimer sa politique vis à vis des Palestiniens » 13 ).
 

Le rôle de la Caisse des dépôts et consignations
dans la spoliation des Juifs de France

   Depuis 1997, la Caisse des dépôts et consignations, pièce essentielle de l'appareil financier public français, a entrepris de se lancer dans une courageuse réflexion sur son passé vichyste, en faisant appel à un Comité historique présidé par René RÉMOND.
   Les travaux de recherches, menés par ce comité en liaison avec la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France dirigée par Jean MATTÉOLI, a débouché en novembre 2001 sur le colloque " La Caisse des dépôts et consignations, le seconde guerre mondiale et le XXème siècle ".
   Les conclusions de ce colloque mettent en lumière :
      - comment la Caisse des dépôts s'est mise dès l'été 1940 au service de l'État français de Vichy,
      - comment elle ne s'est pas contentée d'être un simple rouage, et s'est trouvée au cœur du dispositif des spoliations, devenant le réceptacle des sommes confisquées aux Juifs de France,
      - le rôle qu'elle a joué dans l'application de la loi du 22 juillet 1941 visant à « éliminer l'influence juive de l'économie nationale », en pratiquant ce qu'on appelait les « consignations juives » qui ont permis de dépouiller de leurs biens les Juifs, et de centraliser les fonds destinés au paiement de l'amende de 1 milliard imposée par le commandement militaire allemand aux Juifs de France en décembre 194114 ).


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