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De la sous-préfecture de Vitry-le-François
au Secrétariat général à la Police,
une carrière exceptionnelle



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   Les rapports qui se sont établis au début de l'occupation entre le régime du maréchal PÉTAIN et les Marnais, ont été profondément marqués par la forte personnalité du préfet René BOUSQUET.
   Originaire du sud-ouest, arrivé dans la Marne en 1938, il y fit une carrière fulgurante qui le conduisit du poste de sous-préfet de Vitry-le-François à celui de préfet de la région de Champagne, puis de secrétaire général à la Police dans le gouvernement Laval.
   Département du nord-est qui avait beaucoup souffert de la 1ère guerre mondiale et qui en portait encore les stigmates, la Marne était située en zone occupée, au contact de la zone interdite, loin de Vichy, sur l'axe reliant Paris la capitale à l'Allemagne puissance occupante, dans une région qui avait été la voie de toutes les invasions venues de l'est, au coeur d'un vignoble prestigieux et convoité par les Allemands.
   
René BOUSQUET y a exercé jusqu'en avril 1942, grâce aux pouvoirs importants conférés aux préfets par le nouveau régime, un véritable « proconsulat » 1 ), en se présentant habilement aux Marnais et aux Champenois à la fois comme leur médiateur vis à vis du régime de Vichy, et comme leur protecteur face à l'occupant, tout en se montrant dans le même temps un exécuteur zélé de la répression anticommuniste.

Les origines de René Bousquet
et ses débuts dans la « préfectorale » 
2 )

   René Bousquet appartient au corps préfectoral de la Troisième République, dont il est en quelque sorte l'archétype par ses origines géographiques, sociales, culturelles, par sa sensibilité radicale-socialiste cultivée sur le terreau languedocien puis marnais, par ses amitiés franc-maçonnes3 ), par sa formation universitaire et par son profil de carrière.
   Sur le plan sociologique, ce corps se caractérisait alors par une grande homogénéité.
   Beaucoup de préfets étaient originaires du Midi languedocien qui a donné quarante et un préfets à la France de la Troisième République.
   La plupart étaient issus de la petite et moyenne bourgeoisie à une époque où le corps préfectoral apparaissait « dans ses origines comme le moins bourgeois des grands corps » 4 ), et avaient reçu une formation universitaire dans une faculté de droit.
   La filière classique consistait à exercer d'abord les fonctions de chef de cabinet d'un préfet auprès duquel on avait été recommandé, si possible par une personnalité politique influente, puis à effectuer un passage dans les cabinets ministériels, étape recherchée parce que prometteuse en perspectives de carrière, avant de devenir sous-préfet, secrétaire général de préfecture et préfet.
   Faire carrière dans la préfectorale ne constituait en fait pour certains, qu'un tremplin permettant ultérieurement de se lancer dans une carrière politique et parlementaire dont le couronnement ne pouvait être qu'un poste ministériel.

   René BOUSQUET est né le 11 mai 1909 dans le Tarn-et-Garonne d'où sont issus neuf préfets de la Troisième République, à Montauban où son père Émile, militant radical-socialiste, exerçait la profession de notaire 5 ).
    Après des études secondaires au lycée de cette ville, il s'inscrivit à la Faculté de droit de Toulouse, d'où il est sorti licencié en droit et titulaire d'un certificat de sciences pénales 6 ).
   En août 1929, alors qu'il avait tout juste vingt ans et n'avait pas encore effectué son service militaire, BOUSQUET est devenu chef de cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne, à une époque où les préfets choisissaient librement leur chef de cabinet, et dans une région où le parrainage politique était de règle.
   Sa carrière a donc débuté sous le signe de la précocité, de la jeunesse, puisqu'il a exercé les fonctions de directeur de cabinet d'un préfet, alors qu'il n'avait pas encore atteint l'âge de la majorité, et sous le parrainage de Maurice SARRAUT ( 7 ), un des fondateurs du parti radical, directeur de La Dépêche de Toulouse et frère d'Albert SARRAUT 8 ) qui venait d'occuper le poste de ministre de l'Intérieur dans le Cabinet POINCARÉ de 1926 à 1928.

   En 1990, René BOUSQUET affirmait qu'il n'était pas apparenté aux frères SARRAUT, que son père connaissait Maurice en tant que responsable du parti radical-socialiste dans le sud-ouest, que lui-même avait fait sa connaissance après les inondations de 1930, et qu'il avait rencontré pour la première fois Albert aux obsèques de Maurice assassiné par des miliciens en décembre 1943, puis à nouveau après la guerre, en Indochine, lors d'une réception à Saigon.
   Il récusait donc ce parrainage, et expliquait sa nomination par le fait qu'il avait fait l'affaire du préfet du Tarn-et-Garonne, rencontré à la suite d'une conversation avec le président des anciens élèves du lycée de Montauban :
 « Je pensais y aller pour deux ou trois ans pour voir comment cela se passait dans les administrations » ( 9 ).

   Lors des inondations qui ont ravagé le sud-ouest en mars 1930, le jeune chef de cabinet du préfet du Tarn-et-Garonne a sauvé plusieurs personnes de la noyade10 ).
   Le courage dont il a fait preuve à cette occasion, a été signalé au président de la République Gaston DOUMERGUE ainsi qu'au président du Conseil et ministre de l'Intérieur André TARDIEU venus constater l'ampleur des dégâts.
   René BOUSQUET fut décoré et a nommé chef du secrétariat particulier de Marcel HÉRAUD, alors sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil et à l'Intérieur, avec mission d'organiser la reconstruction du Midi sinistré.
   Lorsqu'il deviendra préfet de la Marne, L'Éclaireur de l'Est rappellera avec complaisance aux Marnais cet épisode, en citant les propos tenus par le président du Conseil général de la Marne, Paul MARCHANDEAU, en 1938, lorsque BOUSQUET avait été nommé sous-préfet de Vitry-le-François :
 « Sa bravoure et son dévouement furent récompensés par le gouvernement alors que très jeune il s'était distingué au cours des inondations du Tarn en 1930 » ( 11 ).

   Et à nouveau, quelques jours plus tard, en apportant les précisions suivantes :

   « Fait rarissime, à vingt ans, il était fait chevalier de la Légion d'honneur en même temps qu'il recevait la M édaille d'or des Belles actions.
   
C'est qu'il avait en 1930, lors des inondations dans le Tarn-et-Garonne, effectué un nombre considérable de sauvetages dans des conditions périlleuses et avait eu la plus féconde et la plus heureuse initiative pour prendre les décisions devant atténuer les conséquences de ces inondations.
   Il fut d'ailleurs appelé à la Présidence du Conseil qui le chargea de la direction des services de la reconstruction des départements éprouvés par les inondations »
 ( 12 ).

Paris et les cabinets ministériels

   Dans ce Cabinet TARDIEU où il a fait ses premières armes, BOUSQUET fut vite remarqué par Pierre CATHALA qui était un ami des frères SARRAUT mais aussi le « conseiller ministériel » et l'« ami politique le plus écouté et le plus fidèle » 13 ) du ministre du Travail Pierre LAVAL.

   En décembre 1930, Paul MARCHANDEAU, député-maire radical de Reims et originaire comme BOUSQUET du sud-ouest, qui succédait à HÉRAUD dans le Cabinet STEEG, a maintenu BOUSQUET à ce poste.
   Ce fut le début d'une longue et solide amitié entre les deux hommes qui allaient bientôt se retrouver dans la Marne.
   En 1931 et 1932, BOUSQUET qui n'avait toujours pas fait son service militaire, a occupé les fonctions de chef adjoint du cabinet et du secrétariat, puis à nouveau chef adjoint du cabinet de Pierre CATHALA ( 14 ), successivement sous-secrétaire d'État puis ministre de l'Intérieur dans les premier, deuxième et troisième cabinets LAVAL, et sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil dans le troisième Cabinet TARDIEU.
   CATHALA, député de Pontoise depuis 1928, siégeant dans le groupe de la gauche sociale et radicale, était un ancien camarade de lycée et un ami personnel de LAVAL ( 15 ).
   De novembre 1932 à octobre 1933, BOUSQUET a effectué son service militaire comme attaché d'intendance, puis en novembre 1933, il a été nommé secrétaire général de troisième classe des Basses-Alpes, mais il a été immédiatement détaché dans les fonctions de secrétaire général adjoint puis, à partir de novembre 1934, de secrétaire général du Comité supérieur de l'aménagement et de l'organisation générale de la région parisienne.
   
En 1935, il fut à nouveau chef de cabinet de CATHALA, devenu sous-secrétaire d'État à la Présidence du Conseil et à l'Intérieur dans le Cabinet BOUISSON, puis ministre de l'Agriculture dans le quatrième Cabinet LAVAL ( 16 ).
   Lors de la campagne pour les élections sénatoriales de 1935, il a accompagné CATHALA, chargé de représenter officiellement LAVAL candidat dans le Puy-de-Dôme, dans les réunions électorales, les banquets et les concours agricoles 17 ).
   C'est aussi à cette époque, que le député radical PAGANON a introduit auprès de LAVAL, Georges HILAIRE et René BOUSQUET, qui ont joué le rôle de médiateurs entre lui et le parti radical 18 ) .
   En janvier 1936, BOUSQUET qui ne manquait pas d'ambitions et qui a toujours été très attentif à la bonne gestion de sa carrière au sein de la préfectorale, fut promu, malgré son très jeune âge, sous-préfet hors cadres de première classe.
   En avril 1936, alors qu'Albert SARRAUT avait succédé à LAVAL au gouvernement, il occupa la fonction de chargé de mission à la Direction de la police du territoire et des étrangers au ministère de l'Intérieur.
   Le 29 mai 1936, au lendemain de la victoire électorale du Front populaire et à la veille de la formation du gouvernement présidé par le socialiste Léon BLUM, il fut nommé sous-chef de bureau au ministère de l'Intérieur et maintenu à ce poste par le ministre de l'Intérieur Roger SALENGRO, qui lui aurait confié la responsabilité du fichier central de la Sûreté nationale en raison de ses convictions républicaines et anticagoulardes19 ).
   Sa promotion au rang de sous-préfet hors cadres de première classe ayant été annulée par un arrêt du conseil d'État daté du 30 avril 1937, il fut immédiatement renommé et confirmé dans ce grade par Marx DORMOY, successeur de SALENGRO au ministère de l'Intérieur, nomination qui fut à nouveau annulée par le Conseil d'État le 8 avril 1938 20 ).
   En 1987 et en 1990, René BOUSQUET s'est montré très laconique au sujet de la période du Front populaire, se contentant de confirmer que ses convictions républicaines et anticagoulardes étaient appréciées des dirigeants du Front populaire, qu'il était à l'époque sous-chef de bureau affecté au directeur général de la Sûreté, mais en ajoutant aussitôt : « Je n'ai jamais fait de police » ( 21 ).

De la sous-préfecture de Vitry-le-François
à la préfecture régionale de Châlons


   Le 20 avril 1938, un décret signé par le président de la République Albert LEBRUN nommait BOUSQUET sous-préfet de Vitry-le-François, sur proposition du ministre de l'Intérieur Albert SARRAUT 22 ).
   Le 13 décembre 1938, un autre décret d'Albert LEBRUN rectifiait, toujours sur proposition d'Albert SARRAUT, la situation administrative de René BOUSQUET juridiquement très embrouillée en raison des arrêts du Conseil d'État.
    À défaut de première classe, il était promu sous-préfet de deuxième classe à titre personnel, avec effet rétroactif, à compter du 17 novembre 1936, et au titre de la territoriale à compter du 20 avril 1938.
   Ainsi, la nomination de BOUSQUET à la tête de la sous-préfecture de Vitry-le-François pouvait débloquer sa situation administrative en termes de promotion et de carrière au sein de la préfectorale.
   Elle ne l'éloignait pas trop des cabinets ministériels parisiens.
   Elle lui permettait de prendre pied dans une des régions les plus solidement acquises au radicalisme au nord de la Loire, où il pouvait à terme envisager de faire une carrière politique, dans une ville dont le maire, Lucien PRUD'HOMME, était un socialiste modéré, dans une circonscription tenue par un député radical-socialiste Alfred MARGAINE, enfin dans un département où le préfet JOZON était sur le point de faire valoir ses droits à la retraite et où existaient sans doute pour le protégé de Maurice SARRAUT, frère du ministre de l'Intérieur, de réelles perspectives de promotion sur place.
   Mais il y aurait eu, selon René BOUSQUET lui-même, une autre raison à sa nomination à la tête de la sous-préfecture de Vitry-le-François :

   « Après Munich, le gouvernement a voulu construire une route qui évite Vitry-le-François pour améliorer la liaison routière en direction de Strasbourg et de la frontière de l'est. Un arrêté d'Albert Sarraut ministre de l'Intérieur avait ordonné la destruction de la Porte du Pont ce qui avait suscité la révolte de la population de Vitry » 23 ).

   BOUSQUET fut chargé de régler ce problème. Il fit démonter le monument pierre par pierre et en fit déposer tous les éléments soigneusement répertoriés et numérotés dans un hangar où elles restèrent pendant plus de quarante ans 24 ).
    Ayant mené à bien cette entreprise délicate, BOUSQUET espérait sans doute accéder plus facilement à cette première classe que le Conseil d'État lui contestait depuis 1936.
   Le 6 juin 1939, un décret d'Albert LEBRUN, sur proposition d'Albert SARRAUT toujours ministre de l'Intérieur, nommait BOUSQUET secrétaire général de la Marne ( 25 ).
   BOUSQUET accédait enfin à la première classe et s'installait dans le chef-lieu du département, aux côtés d'un préfet effacé et en fin de carrière.
   Au lendemain de la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, le député radical-socialiste Alfred MARGAINE, ancien sous-secrétaire d'État à la Guerre en 1914 et aux Travaux publics en 1932, élu du Front populaire dans la circonscription de Châlons, écrivait au ministre de l'Intérieur pour lui demander avec insistance d'intervenir auprès de son collègue de la Guerre afin de maintenir à son poste dans la Marne, par affectation spéciale, BOUSQUET qui appartenait à la première réserve du service armé comme attaché d'intendance :

   « M. Bousquet a mis sur pied une organisation complète de ravitaillement et d'alimentation pour la population civile, rendant impossible une hausse des prix par spéculation sur la pénurie des marchandises.
   Il l'a fait malgré des résistances qui ne manqueraient pas de réussir s'il n'était pas maintenu à son poste »
 26 ).

   La réponse du ministre de l'Intérieur, fut un refus poli rédigé en des termes qui laissaient entendre que c'était le secrétaire général de la Marne lui-même qui avait demandé au député MARGAINE d'intervenir en sa faveur :

   « Vous avez bien voulu appeler mon attention sur M. René Bousquet Secrétaire général de la préfecture de la Marne, désirant être maintenu à son poste pendant une durée de 3 mois.
   J'ai l'honneur de vous faire connaître que l'intéressé, appartenant au service armé, 1ère réserve, ne peut obtenir, aux termes des dispositions du Règlement d'Administration Publique du 15/05/1939, relatives à la mise en affectation spéciale, en cas de mobilisation, qu'un appel différé d'un mois, non renouvelable, mesure dont il bénéficie actuellement.
   Je me trouve, dans ces conditions, privé de seconder le bienveillant intérêt que vous portez à M. Bousquet, et je vous en exprime mes regrets »
 27 ).

   BOUSQUET fut cependant maintenu à son poste dans la Marne.

   Au moment de l'évacuation puis lors du retour de l'exode, le préfet JOZON, pour le moins dépassé par les événements, a laissé son secrétaire général BOUSQUET prendre toutes les initiatives qu'il estimait nécessaires.
   C'est peu après le passage de BOUSQUET à Vichy, le 10 juillet 1940, qu'une note manuscrite, rédigée par INGRAND ( 28 ) ou qui lui était destinée, le classait parmi les hauts fonctionnaires « capables de présenter une volonté nouvelle » et donc susceptibles d'être promus au rang de préfet 29 ).
   Le 17 septembre 1940, le maréchal PÉTAIN, chef de l'État français, signait le décret qui, sur proposition du ministre de l'Intérieur PEYROUTON, nommait René BOUSQUET préfet de troisième classe à la tête du département de la Marne, en remplacement du préfet JOZON admis à faire valoir ses droits à la retraite 30 ).
   Cette promotion sur place fut annoncée aux Marnais par L'Éclaireur de l'Est en termes chaleureux :

   « Nous avons appris avec plaisir la nomination comme préfet de la Marne de M. Bousquet qui remplissait avec une compétence éclairée,
un dévouement sans borne et un sens très net des besoins de notre population marnaise, les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Marne.
   Déjà nous avions apprécié le tact et la distinction du jeune sous-préfet de Vitry-le-François »    
( 31
 ).

   À 31 ans, BOUSQUET devenait à la faveur du mouvement préfectoral le plus important que la France ait connu depuis 1870, le plus jeune préfet de France à une époque où l'âge moyen d'entrée dans la fonction dépassait 45 ans 32 ).
   
Parmi les 170 préfets promus sous et par Vichy, il faisait partie des 100 qui, appartenant au cadre des secrétaires généraux et des sous-préfets de la Troisième République, ont accepté de se mettre au service de la Révolution nationale 33 ).
   Le 2 novembre 1940, une circulaire adressée aux préfets par PEYROUTON pour préciser ce que le régime de Vichy attendait de ces hauts fonctionnaires, éclaire bien dans quel contexte est intervenue la nomination de BOUSQUET :

   « Maintenant, par la difficulté des communications - surtout pour ceux qui sont en zone occupée - vous devez être des hommes d'initiative.
   Vous étiez des agents d'exécution, vous serez désormais des hommes d'action.
   Vous étiez des fonctionnaires, vous serez des chefs.
   Je veux que vous ayez l'obsession de la remise en ordre, de la remise en place de chacun.
   Que tous vos actes soient des exemples.
   Votre autorité est à ce prix.
   Soyez compréhensifs et dignes.
   Votre carrière ne dépend plus de l'importance de vos protecteurs, mais de votre initiative, de votre travail et de votre amour de la patrie blessée »
 34 ).

   Le 28 août 1941, René BOUSQUET recevait les pouvoirs de préfet régional avec juridiction sur les départements de la Marne, de la Haute-Marne et de l'Aube constituant la région de Châlons-sur-Marne.
   En publiant l'information, L'Éclaireur de l'Est ne cachait pas sa satisfaction « de voir notre jeune et intelligent préfet appelé à exercer son intarissable activité sur trois départements » 35 ).

   Ces promotions rapprochées, dans le même département, par des gouvernements successifs, d'abord sous la Troisième République, puis sous le régime de Vichy, d'un poste de sous-préfet à celui de préfet régional, révélaient une étonnante continuité que n'expliquaient pas à elles seules les qualités personnelles et la compétence de René BOUSQUET.

   Les liens que ce dernier avait tissés avant-guerre avec des personnalités politiques que l'on retrouvait à Vichy dès l'été 1940 à des postes de responsabilité importants, mais aussi la capacité qu'avait eu BOUSQUET à s'imposer rapidement aux notables marnais comme l'homme providentiel, y ont sans doute aussi été pour beaucoup.

   Le caractère exceptionnel de cette irrésistible ascension au sein de la préfectorale dans le département de la Marne, se trouvait renforcé par les promotions sur place de deux de ses collaborateurs les plus immédiats, Jean LEGUAY et Richard POUZET, qui se sont succédés dans les fonctions de sous-préfet de Vitry-le-François, puis de secrétaire général de la préfecture de la Marne, postes occupés avant eux par BOUSQUET lui-même.

   Après la nomination de René BOUSQUET le 6 juin 1939 comme secrétaire général de la préfecture de la Marne, son successeur nommé pour ordre, ROGUES, ayant été mis à la disposition du préfet des Bouches-du-Rhône, ce fut Jean LEGUAY qui lui succéda en juillet 1939 à la sous-préfecture de Vitry-le-François.

   Le 30 octobre 1940, Jean LEGUAY remplaçait BOUSQUET devenu préfet, comme secrétaire général de la préfecture de la Marne, tandis que Richard POUZET était nommé sous-préfet de Vitry-le-François.

    Lorsqu'en décembre 1941, Jean LEGUAY promu sous-préfet de première classe fut appelé à la délégation permanente du gouvernement de Vichy à Paris pour les territoires occupés dirigée par Jean-Pierre INGRAND, son successeur M. ROCHAT ayant été placé dans la position de service détaché, Richard POUZET devint secrétaire général de la préfecture de la Marne et un des collaborateurs les plus proches et les plus fidèles de BOUSQUET jusqu'à son départ pour Vichy en avril 1942 ( 36 ).

   Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a dans la carrière de ces trois hauts fonctionnaires des convergences et des solidarités qui ne relèvent pas de pures coïncidences .
   Tout semble indiquer que BOUSQUET disposait depuis son passage dans les cabinets ministériels d'avant-guerre, de solides appuis et protections au ministère de l'Intérieur 37 ), et qu'il pouvait faire promouvoir tout en les conservant auprès de lui, des fonctionnaires dont il appréciait la compétence et dont il avait fait de fidèles collaborateurs.
   Ceux-ci ont connu ensuite des destins très différents.
   Jean LEGUAY est devenu le délégué de BOUSQUET dans les territoires occupés lorsque ce dernier a été nommé secrétaire général à la Police, et son émissaire auprès des autorités allemandes.
   Quant à Richard POUZET, après le départ de BOUSQUET pour Vichy, il a été mis en disponibilité, arrêté par les Allemands pour ses activités de résistant et déporté à Buchenwald ; promu préfet après la guerre, il était vice-président de l'assemblée du corps préfectoral.

   En 1990, René BOUSQUET ne voyait rien d'exceptionnel à ces promotions et les expliquait par le fait qu'il faisait l'affaire, qu'il faisait bien son travail là où il était, qu'il était efficace, avec une compétence qui lui avait toujours été reconnue : « J'avais la réputation d'être quelqu'un qui était efficace. Toute ma vie, on a passé son temps à me mettre la barre de plus en plus haut [...] » 38 ).

   Cette continuité dans la Marne, BOUSQUET l'expliquait par le hasard, par les circonstances de la guerre et aussi par le fait que les parlementaires et les élus locaux du département, appréciaient son action et avaient voulu en quelque sorte le garder le plus longtemps possible.
   Ceci a été confirmé par les nombreux témoignages de notables marnais entendus après la guerre dans le cadre de l'instruction du procès Bousquet devant la haute Cour de Justice 39 ).
   En 1949, il a expliqué à la Haute Cour de Justice qu'en 1940 il s'était posé la question de savoir s'il devait continuer, et que finalement son tempérament l'avait poussé à assumer des risques là où les dirigeants de la Troisième République l'avaient placé et maintenu.
   Devant les jurés, il s'est efforcé de donner de lui l'image d'un haut fonctionnaire qui n'aurait pas vécu comme une rupture par rapport à la Troisième République ni comme une adhésion à la Révolution nationale sa nomination par Vichy à la tête du département de la Marne 40 ).

   Ce qui se dégage toutefois de sa personnalité, bien qu'il s'en soit défendu, c'est pour le moins une forte ambition, un appétit de pouvoir et la volonté de faire une belle carrière, en saisissant toutes les opportunités.

Vichy et le Secrétariat général à la Police


   D'ailleurs, malgré les liens très forts qu'il avait noués avec la Marne et avec les Marnais, et quelles qu'aient pu être alors ses hésitations 41 ), il accepta de rejoindre LAVAL à Vichy en avril 1942 au poste de secrétaire général à la Police, un poste de responsabilité hautement sensible considéré à l'époque comme l'équivalent d'un poste ministériel 42 ) et qui représentait incontestablement pour ce jeune préfet de 32 ans, une promotion exceptionnelle.

   En 1945, dans une note rédigée à la prison de Fresnes à l'intention de Pierre LAVAL dont le procès avait commencé, BOUSQUET écrivait à l'ancien chef du gouvernement de Vichy de ne pas manquer de rappeler devant la Haute Cour de Justice dans quelles conditions ce dernier l'avait appelé auprès de lui en 1942.
   Selon BOUSQUET qui semblait considérer que cette évocation pourrait servir la défense de LAVAL, mais aussi et peut-être surtout sa propre défense, la confiance que ce dernier lui avait alors accordée en le nommant à la tête du secrétariat général à la Police ne s'expliquait pas uniquement par les sentiments personnels qui liaient les deux hommes depuis son passage avant-guerre dans les cabinets ministériels.
   Elle pouvait se justifier aussi, écrivait BOUSQUET, « pour des raisons politiques » et « pour des raisons administratives » :

   « Vous connaissiez mes sentiments républicains [...]
   Je passais pour un Préfet ayant réussi sur le plan administratif.
   Cette constatation ne remonte pas à 1942.
   Avant votre retour - et dans un temps où vous n'étiez pas persona grata - mon nom revenait généralement quand on avait à pourvoir un poste difficile.
   Je demandais mon maintien dans la Marne où j'aurais souhaité terminer la tâche que j'avais entreprise.
   C'est la réponse que j'avais faite à Darlan quand il m'a offert en 1942 ( janvier ) le Ministère du Ravitaillement » 
( 43 ).

   En 1987, BOUSQUET expliquait sa nomination par LAVAL au poste de secrétaire général à la Police, en déclarant qu'il avait été impressionné par l'activisme et les menaces de DORIOT 44 ) - lequel, de passage à Reims le 9 avril, avait annoncé à ses militants qu'il allait être nommé ministre de l'Intérieur et liquider tous les ténors du Front populaire - et qu'il s'était laissé finalement convaincre par LAVAL à la suite d'un entretien téléphonique et d'une rencontre avec lui à Paris, parce que ce dernier lui aurait expliqué qu'il avait besoin de lui pour contrer la Révolution nationale ( sic ) :

   « Laval était resté de sensibilité de gauche, socialisante.
   [...] J'ai vu souffrir Laval. C'était un homme du peuple qui parlait aux Français comme il aurait dû parler aux Allemands, et qui parlait aux Allemands comme il aurait dû parler aux Français.
   Je suis allé à Vichy pour empêcher les Allemands d'arriver vite à la solution Darnand.
   J'ai eu tort, et pourtant, à Vichy, je savais ce que j'empêchais. [...]
   Ceux qui m'entouraient dans la Marne ont fini par être inquiétés.
   Si j'étais resté, j'aurais été avec eux, j'aurais fini dans la Résistance
 » 45).

   C'est donc bien en avril 1942 que bascula le destin de René BOUSQUET lorsqu'il accepta de quitter la préfecture de la Marne pour rejoindre LAVAL et CATHALA à Vichy, sans doute autant par fidélité à des liens noués avec eux avant-guerre, que par ambition personnelle, soif de pouvoir, et avec une foi sans mesure dans ses capacités.

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