Deux
voies contradictoires :
décentralisation et concentration
En
matière de politique régionale, le régime
de Vichy s'est engagé, dès
l'été 1940, dans deux
voies parallèles et à bien des égards
contradictoires.
Une première
voie patronnée par PÉTAIN
conduisit à élaborer un projet
provincial d'inspiration maurrassienne ayant peut-être
l'ambition de réduire
l'emprise de l'État et de réaliser une véritable
décentralisation
de nos institutions, mais qui ne fut jamais mis
en oeuvre et resta donc une ébauche de l'idéal antiétatique
et régionaliste de certains membres de l'entourage du maréchal.
Une deuxième
voie, imposée par les dures réalités
de la défaite et de l'occupation, obligea les gouvernements
successifs à entreprendre de façon progressive et empirique,
une réorganisation
territoriale allant au contraire dans le sens d'un renforcement
bureaucratique des pouvoirs de l'État, concentrés
entre les mains de préfets
régionaux, et qui fut assortie d'une réforme
autoritaire des assemblées locales.
La première
voie entendait rompre résolument avec la tradition jacobine,
républicaine, et tentait de renouer avec un passé plus
lointain.
La seconde au contraire semblait s'inscrire dans
une longue évolution qui avait abouti à l'ébauche
sous la Troisième République de
régions économiques, évolution caractérisée
par le réalisme, la recherche de l'efficacité et le
souci d'adapter les structures de la France aux grandes mutations
du XXème siècle.
Dans le
département de la Marne et dans la région qui n'était
pas encore la Champagne-Ardenne, ce fut donc René
BOUSQUET qui eut la responsabilité de mettre
en oeuvre la politique régionale de Vichy, au moment
où précisément ces deux voies parallèles
étaient tracées dans
la plus grande ambiguïté.
En
juillet 1940, PÉTAIN
avait annoncé au sujet de la réorganisation territoriale
de la France : « Des
gouverneurs seront placés à la tête des grandes
provinces françaises, et ainsi l'administration sera concentrée
et décentralisée » ( 1 ).
La réforme
envisagée par Vichy s'appuyait ainsi sur deux
termes contradictoires, concentration et décentralisation,
dont on voyait mal comment ils pourraient être conciliés
dans la pratique.
Néanmoins, dans l'immédiat, l'annonce
d'une possible restauration des anciennes provinces d'avant 1789,
donnait incontestablement à cette réforme une tonalité traditionaliste et maurrassienne ( 2 ).
En
septembre 1940, le ministre de la Justice ALIBERT ( 3 ) avait
présenté un projet prévoyant la
suppression des conseils généraux et la
création de 26
régions, mais ce n'est qu'au
printemps 1941, qu'une commission du Conseil
national ( 4 ) fut chargée de faire des propositions au sujet de ce projet
de « réorganisation
administrative ».
Cette commission dite « des
provinces » ( 5 ),
purement consultative, réunie du
6 au 20 mai 1941, élabora non sans difficulté
et après bien des marchandages et des compromis, un découpage
de la France en 20 provinces constituées à
partir du regroupement des départements dont les limites avaient
été parfois modifiées.
C'est
ainsi que dans ce projet de découpage, les départements
de la Marne,
de l'Aube et de la Haute-Marne,
se trouvaient réunis dans
la province
de Champagne-Lorraine dont la capitale aurait dû
être Nancy ( 6 ),
et qui comprenait aussi les Ardennes,
la Meuse,
la Meurthe-et-Moselle et les Vosges situés en zone interdite, et la Moselle qui avait été annexée au Reich dès
l'été 1940 et rattachée au Gau du Palatinat.
Mais les
délibérations de la commission restaient secrètes
et, en attendant la mise en oeuvre de cette hypothétique restauration
provinciale ,
il fallut improviser sur le terrain une réorganisation
administrative, qui en raison de la situation issue de
la défaite de
mai-juin 1940,
prit la direction
opposée aux promesses régionalistes de décentralisation exprimées par l'idéologie officielle.
L'une
des premières préoccupations du régime de Vichy
était d'assurer et d'incarner la continuité
de l'État et d'opérer une réorganisation de tous les échelons de l'administration territoriale qui,
compte tenu des contraintes de l'occupation allemande, de l'urgence
des problèmes posés par les réfugiés,
le ravitaillement, la reconstruction, et du fait des tendances
autoritaires et dirigistes du régime, s'orienta
vers un renforcement
des pouvoirs des représentants de l'État à l'échelon
local.
Les conseils
généraux furent supprimés et remplacés
par des commissions
administratives départementales constituées
de sept à neuf membres nommés par le pouvoir central.
L'institution préfectorale fut maintenue
dans son cadre départemental, mais avec un
corps préfectoral épuré,
interdit aux juifs et aux francs-maçons.
Les maires et les membres
des délégations spéciales mis en place
dans les communes de plus de 2 000 habitants furent nommés
par le pouvoir central, tandis que les préfets pouvaient,
dans les autres communes, dissoudre le conseil municipal.
D'une
façon générale, les
pouvoirs des préfets furent renforcés dans tous les
domaines, et la suppression
des assemblées élues leur donnait toute liberté
d'action, sous le contrôle bien sûr du gouvernement de
Vichy qui pouvait à tout moment les muter ou les limoger, et
sous la surveillance vigilante, en zone occupée, des autorités
allemandes.
C'est
ainsi que 6
communes du département de l'Aisne furent placées
provisoirement sous la juridiction du sous-préfet de Reims
et intégrées
dans le département de la Marne ( 7 ).
Parmi les 30 sous-préfectures supprimées en
1926 et qui furent rétablies en
1940, figurent celle de Wassy dans la Haute-Marne et celle de Sainte-Ménehould dans la Marne
En
1987, René
BOUSQUET affirmait que c'était lui qui, en
1940, avait demandé le
rétablissement de la sous-préfecture de Sainte-Menehould, afin de mieux affirmer la présence française dans cette
partie du département appartenant à la zone rattachée,
et qui était menacée d'annexion ( 8 ).
En ce
qui concerne les conseils municipaux d'avant-guerre, Richard
POUZET a déclaré en
1945 que BOUSQUET n'avait formulé « aucune
proposition de destitution » et qu'il s'était
employé « à
les maintenir tous en place » ( 9 ),
mais contrairement à ce que pourrait laisser croire cette déposition,
il y a bien eu dans la Marne à l'époque où BOUSQUET était préfet, au
moins deux dissolutions de conseils municipaux :
- celui de Dommartin-La-Planchette,
par arrêté du ministre secrétaire d'État
à l'Intérieur en date du 19
octobre 1941 ( 10 ),
- et celui
de Cauroy remplacé par une délégation spéciale par
l'arrêté du 18
janvier 1942 ( 11 ).
Dans les communes de plus de 2 000 habitants dont
les conseils municipaux furent allégés, 149
conseillers ne furent pas confirmés par le gouvernement de
Vichy qui ne suivit pas toujours les propositions de BOUSQUET
( 12 ).
En outre, 4
maires et 7 conseillers municipaux furent démissionnés
d'office pour raisons politiques ou en raison des lois
portant dissolution des sociétés
secrètes ( 13 ) et
du statut des Juifs ( 14 ).
Un préfet
zélé de Vichy
à la tête de la région de Champagne
Par la
loi du 19 avril 1941, Vichy mit en place, à titre
provisoire, un échelon intermédiaire entre le gouvernement
et les départements, avec la création de préfets
régionaux.
Assistés de deux intendants,
ils étaient chargés de coordonner l'action du gouvernement
à l'échelle de plusieurs départements dans deux
domaines essentiels, la police et les affaires
économiques.
Ils reçurent ultérieurement le pouvoir
de suspendre
les fonctionnaires à l'exception de ceux de la justice
et de l'armée.
La mise en place de préfets régionaux,
qui intervenait au moment où la commission des provinces tenait
sa première session, apparaissait en dépit des démentis
officiels insistant sur son caractère provisoire, lié
aux nécessités du moment, comme une sorte de contre-feu
allumé par le ministère de l'Intérieur, gardien
de la tradition
étatique et centralisatrice, face aux velléités
régionalistes de l'entourage du maréchal PÉTAIN ( 15 ).
Le
28 août 1941, le préfet de la Marn,René
BOUSQUET, recevait les pouvoirs de préfet
régional avec juridiction sur la Marne,
l'Aube et la Haute-Marne,
la nouvelle délimitation prenant le nom de région
de Châlons-sur-Marne, appellation officielle à
laquelle les Champenois substituèrent celle de région
de Champagne.
Avec ses 3
départements seulement, comprenant 9
arrondissements, 87
cantons et 1 657
communes, la région de Châlons était la moins
peuplée des régions créées
par Vichy : 837
272 habitants au dernier recensement d'avant-guerre effectué
en 1936 ( 16 ).
Elle regroupait les départements
champenois de la région économique de Nancy,
à l'exception du département
des Ardennes dont la plus grande partie du territoire se
trouvait en zone interdite et qui fut intégré
à la région de Laon avec l'Aisne, la Somme
et l'Oise.
Bien que située dans la zone occupée
et au contact de la zone interdite, elle
ne constituait pas une région très sensible,
car elle était éloignée
de la ligne de démarcation et n'était ni
une région frontalière, ni une région littorale,
ni une région d'implantation de camps d'internement de déportés.
Néanmoins, elle avait pour Vichy une certaine
importance, parce que située à
proximité des départements de l'est chers au vainqueur
de Verdun, et qu'elle se trouvait sur le lieu de passage
le plus fréquenté entre la France occupée et
l'Allemagne.
Ainsi définie, la
région de Châlons-sur-Marne apparaissait comme mutilée,
inachevée par rapport à ce qu'aurait pu être
une province de Champagne se rapprochant des limites de l'ancienne
généralité de Châlons ou mieux encore de
l'ancien « gouvernement
général de Champagne, circonscription militaire née
de la guerre de Cent ans qui s'identifiait le moins mal avec notre
espace champenois » ( 17 ).
Elle ne permettait pas non plus d'harmoniser
en son sein les services supra-départementaux déjà
existants sur le plan militaire, économique, judiciaire
et scolaire :
- les 3
départements de la Champagne appartenaient à la 6ème Région militaire dont le siège
se trouvait à Metz et à la région
économique de Nancy. ;
- la Marne
et l'Aube dépendaient de la Cour
d'Appel de Paris,
tandis que la Haute-Marne dépendait de celle de Dijon ;
- la Marne
était rattachée à l'Académie
de Paris, tandis que l'Aube et la Haute-Marne étaient
rattachées à celle de Dijon.
Le
29 août 1941, L'Éclaireur
de l'Est regrettait que la formation de la région
de Châlons-sur-Marne ne répondît pas aux voeux
des Champenois qui auraient souhaité que la future province
de Champagne englobât aussi le département des Ardennes et la plus grande partie de celui de l'Aisne.
Le
5 septembre 1941, René
BOUSQUET reçu par le conseil municipal de Reims
s'efforçait d'être à la fois rassurant et prudent
:
« En
ce qui concerne la région de Champagne, des considérations
provisoires n'ont pas permis au gouvernement de lui donner la délimitation
territoriale qu'il avait primitivement envisagée.
Cette décision n'engage en rien l'avenir,
qui permettra de replacer notre province dans le cadre qu'ont créé
son histoire et les nécessités de son activité
économique.
Dans le provisoire, je ferai tous mes efforts pour
préparer l'avenir.
J'apporterai à la tâche nouvelle qui
m'a été confiée toute mon activité et
toute ma foi patriotique dans les destinées nationales ».
Quelques
jours plus tard, La
Tribune de l'Aube et de la Haute-Marne datée
du 18
- 19 septembre 1941 publiait la longue circulaire que BOUSQUET adressait aux préfets de la région, afin de leur faire
connaître dans quel esprit, selon quelles modalités seraient
organisés et fonctionneraient les services de la préfecture
régionale, et avec quelles autorité et fermeté il entendait exercer sa nouvelle fonction.
BOUSQUET ne manquait pas de rappeler dans cette circulaire, qu'il n'avait pas
attendu les directives de Vichy pour jeter les bases d'une « coordination » et poser les principes d'une « solidarité
régionale » en Champagne, puisque dès
la fin de l'année 1940, alors qu'il n'était
encore que préfet de la Marne, il avait pris l'initiative de réunir à Châlons les préfets des départements
limitrophes, dont ceux de l'Aube et de la Haute-Marne,
pour examiner en commun les problèmes qui se posaient dans
leurs départements respectifs ( 18 ).
La mise
en oeuvre en Champagne par Vichy de la
loi du 19 avril 1941 fut progressive et assez lente, puisque
ce n'est guère avant le printemps
1942 que fut vraiment officialisée
à la préfecture de Châlons, l'installation
d'un cabinet du préfet régional dirigé par Joseph
LÉGER, ancien sous-préfet de Sainte-Menehould,
d'une Intendance
régionale de police confiée à Henri
de LA PÉROUSE, officier de marine au nom illustre
puis, après l'arrestation de ce dernier par les Allemands en
février 1944, à Jean
SPACH, et d'une intendance régionale aux affaires économiques confiée
à Charles
CÉLIER, auditeur au Conseil d'État.
En
octobre 1941, BOUSQUET décida de créer une Commission
départementale de ravitaillement dans chacun des
trois départements de la région de Champagne ( 19 ).
En
décembre 1941, il présida à Châlons
une assemblée
regroupant les dirigeants des organisations professionnelles agricoles et des administrations intéressées de ces
mêmes départements ( 20 ).
C'est aussi à
partir de décembre 1941, qu'il participa aux conférences qui réunissaient les préfets
régionaux de la zone occupée à
Paris le premier mercredi de chaque mois.
En
novembre 1941, un préfet
délégué, M. JUST ( 21 ),
avait été nommé dans la Marne pour y seconder René
BOUSQUET, mais il était décédé
avant d'avoir pu être installé.
Il fut remplacé par M.
BARRAUD qui lui non plus ne fut pas installé et
fut appelé à d'autres fonctions.
Là encore s'agissait-il d'un hasard ou René
BOUSQUET, peu pressé de déléguer une
partie de ses pouvoirs dans la Marne, avait-il manoeuvré jusqu'à
ce que Vichy finisse par nommer un préfet délégué
qui lui convenait ?
Finalement ce fut Raymond
COURARIE-DELAGE ( 22 ) qui
occupa les fonctions de préfet délégué
de la Marne de
février 1942 à février 1944, époque
où il fut nommé préfet
de la Haute-Marne et remplacé par le sous-préfet
de Thiers, Frantz
ROBERT ( 23 ).
En
1987 et en 1990, René
BOUSQUET déclarait que, fidèle à ses
convictions républicaines, il
n'avait pas adhéré à la Révolution nationale,
qu'il avait conservé jusqu'au bout dans son bureau le
buste de Marianne, qu'il
ne se souvenait pas avoir prêté serment au maréchal
PÉTAIN, et qu'il ne s'était rendu à
Vichy qu'une seule fois ( 24 ).
Pourtant, à la préfecture de la Marne, il
appliquait scrupuleusement les directives de Vichy,
comme l'atteste par exemple « la
correspondance relative aux portraits du Maréchal » ( 25 ).
On y trouve les consignes données le 19
décembre 1940 par BOUSQUET à ses services pour récapituler le nombre de portraits officiels de PÉTAIN,
symbole du nouveau régime destiné à remplacer
le buste de la République : 113 photographies au format 30/65
et 847 photographies au format 24/30.
Et aussi cette requête adressée le
31 juillet 1941 par BOUSQUET à Paul
MARCHANDEAU, maire de Reims :
« Le
portrait du Maréchal de France, Chef de l'État, figure
à l'heure actuelle dans tous les établissements publics.
Il orne en particulier, dans votre mairie, la salle
où se réunit le conseil municipal.
Cet hommage rendu au chef de l'État m'apparaît
insuffisant.
Il serait souhaitable en effet, que l'effigie du
Maréchal, figure également, et en bonne place, dans
tous les locaux de la mairie où le public a habituellement
accès » ( 26 ).
Le 29 janvier 1941, BOUSQUET assistait à la réunion du conseil municipal de Sainte-Ménehould.
Le maire Gaston
VATIER fit l'éloge de PÉTAIN en ces termes : « Hommage
au soldat de Verdun. Hommage au maréchal, qui en juin dernier
a sacrifié son repos pour sauvegarder la France et sa population
meurtrie et errante tel un troupeau affamé » ( 27 ).
Le préfet
de la Marne lui demanda alors de donner le nom du maréchal
à une place de sa ville. Le maire de Sainte-Ménehould
lui répondit que son conseil municipal allait « répondre
avec ferveur » à cette suggestion.
En se
limitant aux seuls communiqués de L'Éclaireur
de l'Est, on constate également que les rapports
directs qu'a pu avoir BOUSQUET avec le maréchal PÉTAIN et les membres du gouvernement de Vichy, ont été bien plus fréquents que l'intéressé a bien
voulu le dire en
1987 et en 1990.
Le préfet BOUSQUET a reçu personnellement dans la Marne plusieurs membres du gouvernement
de Vichy, les y a accueillis chaleureusement, s'est plu à leur
montrer l'oeuvre qu'il y accomplissait et dont il n'était pas
peu fier.
Le 22 avril 1941, il recevait SCAPINI ( 28 ) venu
visiter le centre d'hébergement ouvert à Châlons-sur-Marne
pour accueillir les prisonniers libérés en vertu des
accords intervenus entre les gouvernements français et allemands.
Le 30 mai 1941, il accompagnait DARLAN et INGRAND ( 29 ) tout
au long de leur visite à travers le département de la
Marne, et en particulier à Reims où l'amiral avait combattu
au cours de la première guerre mondiale, et où on lui
présenta deux industriels rémois frères de l'amiral ESTÉVA,
alors résident général de France en Tunisie, « une
des gloires locales » ( 30 ).
Le 11 juin 1941, il pilotait le secrétaire d'État
aux communications, Jean
BERTHELOT, au cours de sa visite dans les départements
de la Marne et de l'Aube.
Le 23 juin 1941, il inaugurait près d'Épernay
avec RORBACH, représentant de Georges
LAMIRAND, secrétaire d'État à la Jeunesse,
le pont de Bisseul reconstruit par les Jeunes travailleurs de France.
Les 21 et 22 juillet 1941, au stade municipal de
Reims, en présence de LAMIRAND lui-même, il faisait acclamer les consignes du Maréchal « Travail,
Union, Don de soi » par des milliers
de jeunes rémois, puis par les jeunes de plusieurs villes du
département, avant d'aller inaugurer avec lui à Soulanges
deux ponts reconstruits par des jeunes travailleurs.
Au chef-lieu du département, LAMIRAND s'adressait aux jeunes Châlonnais, en leur disant : « J'ai
été accueilli dans votre département par un vrai
jeune, le plus jeune préfet de France » ( 31 ).
Le
10 décembre 1941, à La Gentillerie, BOUSQUET se rendait aux devants de PUCHEU,
ministre secrétaire d'État à l'Intérieur,
qui venait de visiter le département des Ardennes, et le recevait
à la sous-préfecture de Reims.
Après
son passage à Vichy en
juillet 1940, au moment du vote des pleins pouvoirs au
maréchal PÉTAIN, BOUSQUET s'est rendu au moins quatre fois à Vichy.
Il a été reçu par le chef de
l'État, le 27 juin et le 7 juillet 1941 ( 32 ).
Le
20 février 1942, L'Éclaireur
de l'Est en rendant compte de la cérémonie
au cours de laquelle 130 préfets avaient la veille prêté
serment devant le chef de l'État à l'Hôtel de
ville de Vichy, ne mentionnait pas la présence de René
BOUSQUET, mais en
1992 L'Événement
du Jeudi et Libération ont publié la
photographie de sa prestation de serment ( 33 ).
Le
25 mars 1942, il était à nouveau reçu
longuement par le maréchal ainsi que par DARLAN et plusieurs membres du gouvernement ( 34 ).
Ce fut
également en
mars 1942, que l'intendant régional des Affaires
économiques Charles
CÉLIER, invité à Reims par Pierre
BOUCHEZ, président du groupement interprofessionnel
des syndicats patronaux, précisa au cours d'une conférence
les objectifs économiques de la
politique régionale de Vichy ( 35 ).
Il s'exprima en des termes qui, tout en flattant
le corporatisme des notables présents, traduisaient l'influence
des planificateurs de la Délégation générale
à l'économie nationale placée sous la direction
de François
LEHIDEUX, soucieux de reconstruire, de réorganiser
et de rationaliser la production, d'intégrer l'économie
française à l'Europe continentale, de réduire
le déséquilibre entre Paris et la province.
Il eut la prudence de préciser que cette
réforme ne pourrait pas être rapide.
En effet, la plupart des projets économiques
de Vichy allaient échouer, mais un certain nombre d'entre eux
allaient être repris et mis en oeuvre par la Quatrième
République.
Quelques jours plus tard, BOUSQUET à l'occasion de la prise de fonction de l'intendant régional
de police Henri
de LA PÉROUSE, annonça qu'après l'étatisation
en cours des polices des agglomérations urbaines - à
Reims sous la responsabilité du commissaire CHAUVET ( 36 ),
un policier franc-maçon qu'il fera venir plus tard à
Vichy pour prendre la direction du service de protection de LAVAL - l'ensemble de la police de la région de Champagne allait
être étatisée à son tour pour aboutir à
une meilleure organisation et à une coordination efficace.
Il en
définit la mission en ces termes :
« À
la police réorganisée, voici les ordres que je donne
[...]
Assurer l'ordre, protéger les faibles et
défendre la justice.
Elle est au service des honnêtes gens et doit
aller au secours de tous ceux qui ont besoin d'aide [...] elle doit
être compréhensive et humaine
[...] La sévérité et la rigueur
de son action doivent avoir une valeur exemplaire.
La police aura à collaborer avec les services
qui déjà exercent une surveillance et un contrôle
en matière économique.
J'entends que cette surveillance soit souple et
sans tracasserie ni vexations inutiles [...]
Je proscris de façon formelle la provocation
[...]
Sur le plan général, la police doit
assurer l'ordre.
Assurer l'ordre ce n'est pas nécessairement
réprimer le désordre, c'est avant tout empêcher
que le désordre se produise.
C'est donc s'efforcer d'en écarter les causes
[...]
Pour accomplir son devoir et faire face à
ses obligations si lourdes, la police a besoin de l'appui de la population.
Je suis certain que celle-ci par sa compréhension
et sa discipline viendra faciliter la tâche d'une administration
publique qui est à la fois à son service et au service
du pays » ( 37 ).
Le moins que l'on puisse dire, c'est que les propos
tenus publiquement par BOUSQUET à cette occasion ne correspondaient pas à ceux qu'il
tenait dès
1940 dans les instructions concernant la
répression anticommuniste adressées à
la police française, et qu'en outre ce beau discours ne pouvait
guère être suivi d'effet, dès
lors que les Allemands avaient décidé de dessaisir l'administration
française.
Collaborer avec
la police allemande en essayant de préserver l'autonomie de
la police française et de protéger la population, c'était
obligatoirement prendre
le risque de sacrifier les uns pour tenter de sauver les autres.
En quittant
la Marne et la Champagne en
avril 1942 pour aller occuper à Vichy le poste de secrétaire
général à la Police, René
BOUSQUET allait être confronté directement
et au niveau le plus élevé à ce dilemme.
Son successeur à la préfecture régionale
de Châlons-sur-Marne, Louis
PERETTI DELLA ROCCA, ne fera pas preuve de la même
fougue, ni du même dynamisme.
Un note du ministère de l'Intérieur,
datée du 19
mai 1943, le présente en ces termes :
« Est
avant tout un Corse, et honnête homme, dévoué
à sa tâche, au Gouvernement, à ses collaborateurs,
à ses administrés, à sa famille, à lui-même.
Ayant plus de bonne volonté que de volonté,
de bonhomie que d'énergie, de bon sens que d'intelligence.
Il est loin d'imprimer à l'action régionale
l'impulsion vigoureuse et brillante de son prédéces-seur.
Arrive néanmoins à " s'en tirer
" par de solides qualités de fond et des contacts sympathiques.
Devrait être épaulé par un Préfet
délégué énergique
et de valeur » ( 38 ).
Entravée par la pression allemande, sabotée
par l'action de la résistance infiltrée à différents
échelons, l'administration régionale allait fonctionner
dans des conditions de plus en plus difficiles jusqu'en
août 1944.