Enseigner la mémoire ? > René Bousquet> René Bousquet, une personnamité ambigue

René Bousquet,
une personnalité ambigue,
effacée de la mémoire marnaise 


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   Après avoir analysé le rôle joué dans la Marne par René BOUSQUET, et la place importante qu'ont occupée les Marnais lors de son procès devant la Haute Cour, il serait mal venu et un peu trop facile d'en faire le bouc émissaire du régime de Vichy, un personnage maudit de la collaboration, et l'unique responsable français de la déportation des juifs de France.
   En revanche, il importe de dégager les traits essentiels de ce que fut la personnalité de l'ancien préfet de la Marne et de l'ancien secrétaire général à la Police de Pierre LAVAL, une personnalité forte, riche, exceptionnelle, mais ambiguë et qui présente une double face.

   Il y a d'un côté, l'image soigneusement, constamment, habilement entretenue et amplifiée de son vivant par BOUSQUET lui-même :
      - du jeune et brillant haut fonctionnaire, moderne, intelligent, dynamique, bon gestionnaire et technicien compétent ;
      - de l'homme de terrain pragmatique et efficace, déterminé, fonceur, courageux à l'occasion, capable de faire face à toutes les situations, réussissant dans tous les postes qui lui étaient confiés même les plus difficiles, aimant prendre des risques et relever tous les défis ;
      - du républicain homme de gauche, fidèle à ses amitiés radicales-socialistes et franc-maçonnes, oeuvrant en toutes occasions en faveur de l'unité nationale la plus large ;
      - de l'homme de la continuité, ayant un sens aigu du service de l'État, qui a servi la Troisième République puis, après la défaite, le régime de Vichy, mais sans adhérer vraiment à la Révolution nationale ;
      - du grand préfet de la Marne apprécié par ses collaborateurs et ses administrés, ami des notables, qui est parvenu à réconcilier dans son département chrétiens et laïques, et qui a si bien défendu les intérêts de l'agriculture et de la viticulture champenoises, ainsi que les intérêts du négoce du champagne ;
      - du patriote enfin qui a su être à la fois courtois mais aussi ferme et digne face aux autorités allemandes d'occupation.

   Cette image très positive que René BOUSQUET s'est constamment efforcé de donner de lui-même, qui fait la part belle à son passage dans la Marne, à laquelle ses nombreux amis marnais, issus de tous les milieux y compris de la résistance, ont apporté leur caution, qu'il a défendue avec passion, conviction et avec succès lors de son procès devant la Haute Cour de Justice en 1949, et qu'il a présentée à Jean-Pierre HUSSON au cours des entretiens qu'il a eu avec avec lui en 1987 et en 1990, fait singulièrement l'impasse sur les responsabilités personnelles qu'il a assumées au poste de secrétaire général à la Police, en particulier dans la déportation des 75 000 juifs de France vers les camps d'extermination nazis.

   D'autre part, elle cherche à gommer tout ce qui, dans son parcours antérieur à son arrivée à Vichy, permet de faire apparaître sa participation, dès les années trente, à la mouvance et au réseau lavaliens, et d'éclairer d'un jour nouveau son engagement en avril 1942 aux côtés de LAVAL à qui en fait il est resté, non sans un certain courage, fidèle jusqu'au bout.

   L'autre face de la personnalité de René BOUSQUET, est celle :
      - du technocrate zélé, fier, dominateur, froid et cynique ;
      - du haut fonctionnaire arriviste, soucieux de gérer efficacement son plan de carrière, recherchant les promotions rapides ;
      - du politique ambitieux et d'une habileté remarquable qui, bien parrainé, a poussé sur le terreau viticole et radical du midi languedocien et de la Marne, sachant faire carrière, louvoyer au centre sans trop se marquer ni à gauche ni à droite, rejetant les extrêmes, capable de rebondir et de s'adapter pour durer, sûr de lui, un peu mégalomane dans sa recherche du pouvoir.

   Le soutien, que lui avaient manifesté ses nombreux amis marnais à la suite de son inculpation devant la Haute Cour de Justice en 1945 et les liens qu'il avait conservés avec la Marne, ont laissé croire à René BOUSQUET qu'il pourrait y jouer un rôle politique, en s'y présentant aux élections législatives de 1958 comme l'homme du « rassemblement républicain » et le « candidat de conciliation républicaine », une conciliation qu'il définissait alors comme « l'étape nécessaire vers la réconciliation » ( 1 ).

   Balayé par la vague gaulliste, l'ancien préfet fut éliminé de la mémoire marnaise et l'amnésie s'installa durablement, une amnésie que n'ont levée ni son inculpation pour crime contre l'humanité en mars 1991, ni son assassinat en juin 1993.
   
À Vitry-le-François, « sa ville d'adoption », où Jean-Pierre HUSSON a effectué des recherches en 1992 aux archives et à la mairie, on lui a tout d'abord déclaré que René BOUSQUET n'y avait jamais été sous-préfet, puis qu'il n'y avait été chargé que d'un intérim entre le 15 avril et le 30 octobre 1940 ( sic ).
   
À Châlons-sur-Marne où, comme son successeur PERETTI DELLA ROCCA, il ne figure pas sur la plaque installée à l'entrée de la cour d'honneur de la préfecture où sont inscrits les noms de tous les préfets de la Marne, il est tout aussi difficile d'évoquer le cas BOUSQUET qui reste associé à un passé équivoque que personne ne souhaite réveiller.

   L'assassinat de BOUSQUET en juin 1993, a empêché qu'un second procès ne fasse toute la lumière sur le rôle joué sous l'occupation par ce haut fonctionnaire qu'un réseau très solide d'amitiés a constamment soutenu et protégé, y compris parmi ceux que l'on peut appeler aujourd'hui les vichysto-résistants .
   En témoigne, la façon à la fois pathétique et en même temps dérisoire, avec laquelle le président de la république, François MITTERRAND, a tenté désespérément à la fin de son second septennat d'accréditer l'image positive de René BOUSQUET qui voyait en lui, François MITTERRAND, en 1981, « le continuateur d'une carrière qu'il n'avait pas pu faire ».

   BOUSQUET disparu, le travail des historiens se poursuit.
   Au fur et à mesure que les archives s'ouvrent et que des sources d'origines diverses peuvent être confrontées, se précisent la cohérence et l'unité de la carrière de René BOUSQUET qui ne doit rien au hasard ni à la fatalité.
   Il n'y a pas de rupture entre la préfecture de la Marne et le secrétariat général à la Police.
   Le comportement du préfet BOUSQUET aux côtés des notables marnais face aux occupants allemands, de l'automne 1940 au printemps 1942, révèle déjà l'autre face de cet habile technocrate qui, fier de son action dans la Marne, a poursuivi à Vichy, mais à une autre échelle, cette logique de la collaboration qui l'a conduit inéluctablement, sous prétexte d'éviter le pire, à accepter l'inacceptable.

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