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René Bousquet
devant la Haute Cour de Justice



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De Vichy à Fresnes

   En quittant la Marne en avril 1942, pour rejoindre LAVAL à Vichy au poste de secrétaire général à la Police de Vichy, René BOUSQUET avait cru qu'il pourrait continuer de sauver ce qui pouvait l'être, comme il avait le sentiment d'avoir réussi à le faire dans ce département.
   Mais les enjeux n'étaient pas les mêmes et ne se situaient plus à la même échelle.
   En négociant directement avec les plus hauts dignitaires nazis, OBERG, le chef des SS et de la police allemande en France, HEYDRICH, le chef de l'Office central de sûreté du Reich ( RSHA ) rencontré à Paris en mai 1942, le Reichsführer SS HIMMLER lui-même, en avril 1943, il fut pris dans un engrenage qui l'amena à toujours céder un peu plus aux Allemands.
   Bien qu'ayant été renvoyé en décembre 1943, arrêté par les Allemands en 1944 et placé en résidence surveillée en Allemagne à la fin de la guerre, BOUSQUET n'échappa pas aux poursuites à son retour en France en mai 1945, et reçut à cette occasion l'appui de nombreux amis marnais qui acceptèrent de témoigner en sa faveur.
   Il fut traduit, tardivement il est vrai, devant la Haute Cour de Justice qui rendit hommage à l'ancien préfet la Marne, puis acquitta l'ancien secrétaire général à la Police.

   Les Allemands s'étaient d'abord bien entendu avec lui, au moins jusqu'au printemps 1943, époque où SCHLEIER, collaborateur de l'ambassadeur d'Allemagne Otto ABETZ, rendait compte de l'entrevue de BOUSQUET avec HIMMLER en ces termes :

   « Le Reichsführer a été impressionné par la personnalité de Bousquet.
   Il partage désormais manifestement la conception représentée jusqu'ici par Oberg, à savoir que Bousquet est un collaborateur précieux dans le cadre de la collaboration policière, et qu'il serait un adversaire dangereux s'il était poussé dans un autre camp »
 1 ).

   Le consul général Krug Von NIDDA notait quant à lui :

   « Bousquet s'est déclaré très satisfait de la compréhension qu'a témoignée à l'égard de la France le Reichsführer SS, compréhension qui dépasse encore celle manifestée par Heydrich.
   Himmler s'est exprimé d'une façon positive sur l'activité de Bousquet et lui a demandé de continuer comme il l'avait fait jusque-là »
2 ).

   Mais, à partir de la fin du mois de mai 1943, les Allemands avaient commencé à s'interroger sur l'opportunité de remplacer BOUSQUET, tout en constatant qu'ils ne pouvaient pas l'éliminer immédiatement, parce qu'il aurait fallu plusieurs mois pour que son successeur devînt aussi précieux que BOUSQUET l'avait été pour eux avec toute son expérience.

   En décembre 1943, ils avaient finalement exigé que BOUSQUET fût limogé et remplacé par le chef de la Milice, Joseph DARNAND, lui reprochant, entre autres griefs, d'avoir laissé se développer le maquis.
   En réalité, il avait été simplement placé en position de disponibilité et continuait de recevoir un traitement 3 ).

   En avril 1944,plusieurs journaux collaborationnistes, à la suite de l'arrestation d'un Bousquet dans la région de Clermont-Ferrand, croyant qu'il s'agissait de l'ex-secrétaire général à la Police, avaient annoncé par erreur son arrestation et son incarcération à Fresnes 4 ).
    De passage à Châlons-sur-Marne le 1er mai 1944, alors qu'il rentrait à Paris venant de sa « gentilhommière » d'Heiltz-le-Hutier, petit village situé près de Vitry-le-François, René BOUSQUET questionné par un pompiste sur sa prétendue incarcération répondit en souriant : « On m'a accordé une permission de quelques heures », propos immédiatement transmis à Vichy par les Renseignements généraux de la Marne 5 ).

   Le 9 juin 1944, au lendemain du débarquement allié de Normandie, il avait été arrêté par la Gestapo à Paris et mis au secret à Neuilly 6 ).
   Le National Populaire du 24 juin 1944, sousle titre « Une situation régularisée », avait affiché sa satisfaction de constater que BOUSQUET était « maintenant considéré et traité en définitive pour ce qu'il était, c'est-à-dire pour l'organisateur du maquis en France ».
   Il avait été transféré en Allemagne dans des conditions honorables, puisque le voyage se fit dans une voiture conduite par un des chauffeurs particuliers d'OBERG 7 ) et qu'il fut placé en résidence surveillée à Ober-Allmannshausen en Bavière, dans une villa où avait été relégué avant lui le comte CIANO, gendre de MUSSOLINI.
   Sa femme et son fils Guy, accueillis dans une famille marnaise amie, après son arrestation, avaient été invités à l'accompagner.
   Son frère Louis, travailleur en Allemagne, avait été muté dans une ferme voisine et autorisé à le rencontrer 8 ).

   BOUSQUET fut révoqué sans pension le 6 décembre 1944 par le Gouvernement provisoire, sur la proposition de la Commission d'épuration du ministère de l'Intérieur 9 ).

   Le 22 janvier 1945, le Procureur général MORNET signa contre lui un réquisitoire aux fins d'information.

   Par une ordonnance du 6 mars 1945, le président du Tribunal de la Seine plaça ses biens sous séquestre, y compris sa résidence secondaire d'Heiltz-le-Hutier, située dans un petit village proche de Vitry-le-françois où il avait été sous-préfet ( 10 ).

   Dès son retour d'Allemagne où il avait été libéré par les Américains, BOUSQUET fut mis sous mandat de dépôt et écroué à Fresnes le 18 mai 1945.

    Bien que les premières procédures contre lui aient commencé dès octobre 1944 à Marseille où il était impliqué dans la destruction du Vieux Port , l'instruction de son procès traîna en longueur, tant et si bien que l'ancien secrétaire général à la Police fut une des dernières personnalités du régime de Vichy à être traduite devant la Cour
de Justice ( 11 )
.

La Haute Cour de 1949

   La Haute Cour de Justice avait été créée, conformément à l'Ordonnance du 18 novembre 1944, pour juger PÉTAIN, LAVAL et les 108 ministres, secrétaires d'État, secrétaires généraux, délégués généraux, gouverneurs généraux de l'Empire qui avaient accepté de servir l'État français instauré par le vainqueur de Verdun à Vichy en juillet 1940 ; BOUSQUET en faisait partie.
   Elle était initialement composée de 27 membres.
   Elle était présidée par trois juges ( un président et deux vice-présidents ) nommés par le ministère de la Justice, assistés de 24 jurés tirés au sort sur deux listes établies par l'Assemblée consultative provisoire : la première au sein même de cette assemblée issue de la résistance ; la seconde parmi les députés et les sénateurs qui avaient voté contre les pleins pouvoirs à PÉTAIN en juillet 1940 12 ).

   Conformément à la loi du 19 avril 1948 ( 13 ), la Haute Cour qui jugea BOUSQUET en 1949 ne comptait plus que 15 membres.
   Son président et les deux vice-présidents étaient désormais élus par l'Assemblée nationale à la majorité absolue et au scrutin secret.
   Pour chaque affaire, le président procédait au tirage au sort de 12 jurés titulaires et de 12 jurés suppléants, parmi une liste de parlementaires désignés en leur sein par les différents groupes selon la règle de la proportionnelle.
   Selon la nouvelle procédure, non seulement les listes de jurés, mais aussi les jurys eux-mêmes étaient proportionnels aux nombres de parlementaires dont disposait chaque parti politique à l'Assemblée ( 14 ).
   Les délibérations étaient secrètes.
   Si l'ensemble des jurés d'un même groupe venaient à être défaillants, ils étaient remplacés par des jurés des autres groupes 15 ).

   Le 1er mai 1948, à l'issue de l'élection des deux vice-présidents, Jacques DUCLOS, au nom du groupe communiste, dénonça violemment les modifications apportées à l'organisation de la Haute Cour, protesta contre « l'ostracisme et la partialité » manifestés selon lui par l'Assemblée nationale à l'encontre du candidat communiste à la vice-présidence, KRIEGEL-VALRIMONT, à qui elle avait préféré Edgar FAURE, et annonça la démission collective des jurés communistes, motivée en ces termes :

   « La majorité de l'Assemblée a écarté un élu communiste de la vice-présidence de la Haute Cour, donnant ainsi la fâcheuse impression d'obéir aux injonctions du traître Xavier Vallat [...]
   Le groupe communiste, refusant de s'associer à une oeuvre caractérisée par la mise en liberté des collaborateurs et par les poursuites contre les Résistants, a décidé de ne désigner aucun membre pour figurer sur la liste des jurés de la Haute Cour.
   En conséquence, les jurés membres du groupe communiste vous adressent une lettre de démission collective [...]
   Le groupe communiste a conscience [...] de respecter la volonté profonde de l'immense majorité des Français patriotes qui ne se considéreront pas comme engagés par les jugements scandaleux qui pourront intervenir à la suite des modifications apportées à la composition et au fonctionnement de la Haute Cour »
16 ).

   Le temps fit son oeuvre et les passions s'apaisèrent.
   Les ministres communistes, dans le contexte de la guerre froide, furent exclus du gouvernement par le ministre socialiste RAMADIER ; le parti communiste encore puissant se trouva à nouveau isolé.
   L'anticommunisme reprenant le dessus, d'anciennes solidarités se renouèrent autour de BOUSQUET qui fut remis en liberté provisoire le 1er juillet 1948.

   Le 21 juin 1949, BOUSQUET fut enfin traduit devant la Haute Cour de Justice dont la composition reflétait bien les changements intervenus depuis la libération 17 ).
   Elle était présidée par le socialiste Louis NOGUÈRES, assisté d'un membre du Parti républicain de la liberté, nouvelle appellation de la droite classique parlementaire, et d'un membre de l'Union démocratique et socialiste de la résistance ( UDSR ).
   Le jury était composé exclusivement de représentants des partis soutenant les gouvernements de Troisième force qui tentaient depuis 1947 de gouverner au centre en rejetant dans l'opposition communistes et gaullistes : quatre MRP ( Mouvement républicain populaire ), quatre socialistes, un UDSR, un républicain indépendant, un membre du Centre Républicain d'Action Paysanne et Sociale, et un radical-socialiste Jean BAYLET, un ami de BOUSQUET qui appartenait à la mouvance de La Dépêche de Toulouse devenue La Dépêche du Midi dont BOUSQUET lui-même était issu.

   L'acte d'accusation de 25 pages, dressé par le procureur général FRETTE-DAMICOURT le 8 février 1949, s'ouvrait sur un véritable panégyrique de l'action de BOUSQUET dans la Marne, brossé en quelques lignes définitives :

   « Sous-Préfet de Vitry-le-François en avril 1938, il était au début de la guerre, Secrétaire général de la Préfecture de la Marne, où il fut maintenu affecté spécial ; il n'en partit que le 15 juin 1940, après l'occupation allemande, et fut alors décoré de la Croix de Guerre18 ).
   
Il y reprit ses fonctions au début de juillet, fut nommé Préfet de la Marne le 17 septembre 1940, et Préfet Régional un an plus tard.
   Dans ces deux postes, il se révéla un excellent administrateur, habile et ferme, qui négocia avec l'occupant au mieux des intérêts français.
   Fidèle à ses opinions républicaines, il maintint ou fit rétablir dans leurs fonctions les Assemblées et les élus du département.
   Il intervint en faveur des Israélites, des francs-maçons, des syndicalistes et des communistes, évita des sanctions à la population et parvint, par des fausses statistiques, à limiter les impositions de l'occupant.
   Il favorisa les évasions de prisonniers du Camp de Châlons, enfin, il créa toute une organisation agricole qui permit de faire échec à l'arbitraire des réquisitions des occupants, et aux tentatives d'exploitation collective des fermes par les Allemands.
   Il apparaît donc que, pendant toute cette période de sa vie administrative, rien ne puisse être reproché à Bousquet »
19 ).

   Il était bien clair que BOUSQUET n'était pas poursuivi en tant qu'ancien préfet régional de Châlons-sur-Marne, comme l'attestait d'ailleurs la conclusion de l'acte d'accusation :

   « En conséquence, le sus nommé est accusé d'avoir, en France, en 1942-1943, en tout cas depuis temps non prescrit :
        1/ - en tant que secrétaire général à la Police du Gouvernement de fait, postérieurement au 16 juin 1940, sciemment apporté une aide directe ou indirecte à l'Allemagne et à ses Alliés et porté ainsi atteinte à l'Unité de la Nation, à la Liberté des Français, et à l'égalité entre ces derniers.
        2/ - Sciemment accompli, en temps de guerre, des actes de nature à nuire à la Défense Nationale.
   Infractions prévues et punies par les articles 1er et suivants de l'Ordonnance du 26 décembre 1944, paragraphe 4 du Code Pénal.


Fait au Parquet Général de la Haute Cour de Justice
À Paris le 8 février 1949
Le Procureur Général »
( 20 )

   Le ton généralement modéré du procureur général FRETTE-DAMICOURT, parfois même complaisant à l'égard de l'inculpé, qui se dégageait de la lecture d'un acte d'accusation retenant finalement beaucoup d'éléments à mettre à son crédit, encouragea BOUSQUET qui assura lui-même sa défense, tout au long des trois jours que durèrent son procès, avec l'aide de Maurice RIBET.
   Ce dernier avait été l'avocat d'Édouard HERRIOT au procès de Riom au cours duquel le régime de Vichy avait mis en accusation les dirigeants de la Troisième République.
   Les lauriers que lui avait tressés le procureur général dans l'acte d'accusation, pour son action dans la Marne, confortaient BOUSQUET dans sa conviction qu'il fallait jouer la carte marnaise.
   Celle-ci constituait assurément son meilleur atout face au jury de la Haute Cour qu'il avait réussi à leurrer.
   Il reste qu'on ne peut s'empêcher de s'interroger sur la bienveillance à l'égard de BOUSQUET qu'a manifestée tout au long du procès le procureur général FRETTE-DAMICOURT.
   Ce dernier, certes avait été relevé de ses fonctions de procureur au tribunal de la Seine par le régime de Vichy dès novembre 1940, sans doute parce qu'il était franc-maçon, et admis à la retraite en 1941, mais il avait été avant-guerre conseiller technique du garde des Sceaux sous le Front populaire, époque où BOUSQUET lui-même s'était vu confier la direction du fichier central de la Sûreté, et on peut légitimement se demander s'il n'a pas, plus ou moins consciemment, fait preuve d'« une sorte de solidarité de corps » envers un haut fonctionnaire pour lequel, en dépit des circonstances, il conservait de l'estime ( 21 ).


L'instruction : les Marnais témoignent


   Lorsqu'à son retour d'Allemagne, BOUSQUET avait commencé d'organiser sa défense, il avait bien compris d'emblée tout l'avantage qu'il pourrait tirer de l'image de grand préfet que bon nombre de ses amis marnais étaient prêts à cautionner par leurs témoignages.
   Le 11 juin 1945, il avait remis à la Commission d'instruction de la Haute Cour une note rédigée de sa main et intitulée « Mon action de juin 1940 au mois d'avril 1942 ».
   Il y exposait quelle était la situation de la Marne en juin 1940, quels avaient été ses projets au moment du retour de l'exode, ce qu'avait été son action comme secrétaire général, préfet puis préfet régional, et il concluait en ces termes :

   « Je peux donc affirmer sans crainte d'être contredit, qu'au moment où je quittais le département de la Marne :
    - l'économie et les finances départementales étaient restaurées,
    - le ravitaillement assuré,
    - le cheptel reconstitué,
    - les stocks de champagne sauvegardés
    ( 120 millions de bouteilles environ ),
    - l'Administration française respectée et aussi indépendante que     possible, les sanctions collectives évitées,
    - les intérêts individuels ou particuliers défendus,
    - l'unité française maintenue ou renforcée,
    - les plans de reconstruction approuvés,
    - les sinistrés abrités.
   Les regrets que manifestait la population à l'annonce de mon départ paraissaient égaux à ceux que j'éprouvais moi-même en abandonnant une région où, du fait de mes administrés, je n'avais connu que des satisfactions.
   Je tiens à la disposition de l'Instruction les preuves de cette affirmation.

Le 11 juin 1945.                                  
René BOUSQUET »
 22 )

 
  Tout au long de l'été 1945, BOUSQUET avait mobilisé ses amis marnais, suscité des témoignages et des attestations favorables.
   C'est ainsi que son dossier se remplit de 70 témoignages de personnalités marnaises qualifiées, de toutes obédiences, y compris de chefs de la résistance, parmi lesquelles ont été recensées 17 attestations favorables adressées directement et spontanément au juge d'instruction 23 ), et 27 auditions de témoins entendus à la demande de l'inculpé, mais hors de sa présence, en vertu d'une Commission rogatoire du président de la commission d'Instruction près la Haute Cour de Justice ( 24 ).

   Les témoins entendus sur commission rogatoire à la demande de BOUSQUET, parmi lesquels se trouvaient plusieurs résistants en vue dont certains venaient de rentrer de déportation, avaient tous fait des déclarations qui corroboraient largement le mémoire en défense déposé par BOUSQUET en juin 1945, et qui faisaient son éloge en utilisant souvent les mêmes termes : « vrai Français comme il en aurait fallu beaucoup en ces temps difficiles », « patriote », « républicain sincère », « grand préfet », « excellent administrateur », « intelligent », « énergique », « digne », « habile défenseur des intérêts français et marnais qui a roulé les Allemands », « protecteur », « homme dévoué qui avait rendu beaucoup de services », « un ami sûr pour les Marnais ».

   Tous tendaient à accréditer l'idée qu'au moins dans la Marne et pourquoi pas après son passage dans ce département, BOUSQUET n'avait jamais au fond de lui-même adhéré au régime de Vichy, qu'il était resté un républicain convaincu et qu'il avait habilement joué le double jeu.

   La plupart des auditions effectuées dans la Marne à la demande de la Commission d'instruction de la Haute Cour, auprès de « membres du personnel de la préfecture, d'interprètes, de personnes qui, par leur action dans la résistance, devaient être à même de pouvoir citer les faits qui pouvaient constituer des charges contre l'inculpé » ne contribuèrent guère à infirmer les propos des témoins entendus à la demande de BOUSQUET ; beaucoup allaient même dans le même sens25 ).

   Quelques résistants émirent certaines réserves et soulignèrent le caractère « ambitieux et arriviste » de BOUSQUET ; un seul, Pierre DECLEY, ancien adhérent du Parti social français avant la guerre, membre du Front national et président de la Commission du NAP du CDL, prit clairement position contre lui, affirmant catégoriquement :

   « Après la libération, en tant que président de la Commission du NAP, j'ai eu en main, divers documents ( dépositions ou rapports ) qui permettent de dire que M. Bousquet a eu une politique franchement collaboratrice pendant le temps où il a exercé des fonctions administratives dans le département de la Marne. Les documents que j'ai eu en mains, ont été envoyés au Ministère de l'Intérieur à Paris » 26 ).

   Ces propos ne furent pas retenus, ni même évoqués lors du procès, tant étaient nombreux, concordants et impressionnants les témoignages de résistants favorables à René BOUSQUET.

   Deux gaullistes, le lieutenant Jean CHABOT 27 ) de Reims et le chef de bataillon Lucien SITTEWELLE 28 ) de Vitry-le-François, attestaient qu'arrêtés par les Allemands pendant l'occupation, le premier en 1941, le second en 1943, ils avaient été libérés à la suite d'une intervention de BOUSQUET.
   Lucien PAUL, fondateur et chef départemental de CDLL, qui rentrait de déportation, déclarait tout net :
« Pour moi M. Bousquet était un patriote indiscutable ; il fallait un homme comme lui pour tenir tête aux Allemands comme il l'a fait. Il les a roulés chaque fois qu'il a pu ».
   
Cette déclaration formulée lors de son audition comme témoin, fut ultérieurement complétée, sans doute à la demande de BOUSQUET, par une lettre dactylographiée où il écrivait :

   « Je tiens à vous renouveler ma foi profonde dans le patriotisme sans tache de René Bousquet, et je ne mets pas en doute qu'après plus d'un an d'instruction, son innocence apparaisse clairement et qu'il soit possible à la Haute Cour de prendre la décision que ses nombreux amis marnais et moi-même attendons avec confiance et impatience » 29 ).

   Le docteur Paul LAGEY, en relation amicale avec BOUSQUET depuis son arrivée à Châlons en 1939, prisonnier de guerre libéré en vertu des accords Scapini, responsable de CDLR arrêté en septembre 1943 par la Gestapo alors que BOUSQUET était encore secrétaire général à la police de Vichy, déporté à Buchenwald en janvier 1944, affirmait tout aussi catégoriquement qu'il n'y avait rien à reprocher à BOUSQUET :

   « À mon retour de captivité en février ou mars 1941, M. Bousquet qui était devenu préfet de la Marne, alors que je lui exposais que tout ne me semblait pas perdu, me dit que la victoire de l'Allemagne ne faisait aucun doute et qu'en conséquence il fallait chercher à sauver le maximum de ce qu'on pouvait sauver et que les Français étant plus intelligents que les Allemands, nous arriverions bien à les rouler d'une façon et d'une autre.
   En tant qu'adjoint du chef du groupe Ceux de la Résistance, secteur de Châlons-sur-Marne, j'aurais eu connaissance d'actes antinationaux de M. Bousquet s'il en avait commis dans l'exercice de ses fonctions.
   Tant que M. Bousquet a été préfet puis préfet régional, jamais nous n'avons eu connaissance de faits à lui reprocher »
30 ).

   Pierre BOUCHEZ ( 31 ), chef départemental des FFI et président du Groupement interprofessionnel des syndicats patronaux, estimait que l'activité du préfet de la Marne, au point de vue économique, avait été « profitable » et qu'il avait « reçu le meilleur accueil » auprès du secrétaire général à la Police, lorsqu'il était intervenu auprès de lui en octobre 1942 à la suite de la condamnation à mort d'un gendarme ( 32 ).

   Irénée DLÉVAQUE, enseignant révoqué par BOUSQUET pour outrages au maréchal Pétain en 1941, responsable de Libération-Nord et maire de Châlons-sur-Marne à la libération, déclarait qu'à son avis, il n'y avait « rien à reprocher » à BOUSQUET pendant la période où il avait exercé les fonctions de secrétaire général, de préfet et de préfet régional et que d'une façon générale, dans ses rapports avec les Allemands, « il avait toujours défendu les intérêts français » 33 ).

   C'est ce que confirmait, Émile PETITJEAN ( 34 ), chef du service des interprètes à la préfecture, membre du Groupe de résistance Bleu et Jonquille, déporté en 1944, et Charles RUPP ( 35 ), un résistant d'origine lorraine devenu à la libération, délégué régional du ministère des prisonniers, qui avait assisté en tant qu'interprète aux négociations entre BOUSQUET et les autorités allemandes .

   Les personnalités qui avaient assumé la charge de maire sous l'occupation dans les villes les plus importantes du département, telles que le docteur Joseph BOUVIER 36 ) à Reims ou encore Louis BUDIN 37 ) à Épernay, se montraient bienveillants, tandis qu'à Châlons-sur-Marne, Georges BRUYÈRE 38 ) se souvenait qu'il avait été le « confident » de BOUSQUET et lui conservait toute son « estime », et que Lucien PRUD'HOMME 39 ) de Vitry-le-François, rappelait « les profondes attaches » qui unissaient la population vitryate à cet « ami très sûr et dévoué » qu'avait été René BOUSQUET .

   À la préfecture régionale les chefs de division étaient unanimes.
   Yves BOUTEILLE, résistant rentré de déportation, affirmait que « les faits et gestes de M. Bousquet n'étaient pas ceux d'un collaborateur »40 ).

   Selon Gaston ANDRÉ , on ne pouvait « rien reprocher à Bousquet au point de vue national » ; « son attitude vis à vis des Allemands était guidée par le principe suivant : en tirer le maximum et en lâcher le minimum » 41 ).

   Raoul SOURIN 42 ), chef de bureau déporté à Neuengamme en juin 1944, était reconnaissant à René BOUSQUET d'avoir protégé les francs-maçons, et considérait que c'était un « grand préfet très intelligent, ayant beaucoup d'initiative et de caractère » et qu'il s'était montré « favorable aux milieux ouvriers », propos confirmés par Roger DENIS ( 43 ), militant socialiste et secrétaire général de la Bourse du Travail de Châlons-sur-Marne .

   Les anciens rédacteurs Tony HERBULOT ( 44 ) et Maurice MENNECIER ( 45 ), militants socialistes, résistants de Libération-Nord et sous-préfets de la libération, ne connaissaient « aucun fait positif de collaboration », ni « aucun acte » de BOUSQUET visés par les articles du Code Pénal et les ordonnances citées par la commission rogatoire .

   Jules MARTINVAL , directeur des Services agricoles, assurait que BOUSQUET avait défendu au mieux « les intérêts du département sur le plan agricole » 46 ) .

   Les responsables de la paysannerie marnaise tenaient le même discours.

   Robert MANGEART, syndic régional de la Corporation paysanne nommé par le gouvernement de Vichy, ajoutait :

:   « Ayant été appelé à Vichy pour une réunion des syndics régionaux, j'y ai rencontré M. Bousquet et je lui ai posé la question suivante :
   " Êtes-vous devenu sincèrement collaborateur ? "
   M. Bousquet m'a répondu textuellement : " Pour la sauvegarde des intérêts français, il est nécessaire, qu'au moins les membres du Gouvernement apparaissent aux yeux des Allemands comme étant sincèrement collaborateurs ".
   Cette réponse non équivoque, expliquait à mes yeux son attitude et me confirmait dans l'opinion que j'avais de lui : c'est-à-dire qu'il n'était pas favorable aux Allemands »
47 ).


   Albert BARRÉ, syndic régional adjoint, concluait son témoignage en ces termes :

   « Quand M. Bousquet a été nommé secrétaire général à la Police, je lui ai fait part de mon étonnement de le voir accepter ce poste ; il m'a répondu :
    " J'ai roulé les Allemands dans la Marne, je les roulerai encore ".
   Au cours des conversations que j'ai eues avec lui en tête à tête dans son Cabinet, il m'a déclaré plusieurs fois qu'il ne croyait pas à la victoire de l'Allemagne, qu'il était persuadé que les Allemands ne pouvaient pas gagner la guerre 
» ( 48 ).

   Paul PÉRARD, agriculteur et maire de Cernay-les-Reims, confirmait que BOUSQUET avait mis en place une organisation qui servit de « paravent entre les autorités allemandes et le monde agricole » et qui permit d'« éviter l'Ostland » ( 49 ).

   Marcel LEMAIRE déclarait que l'action de BOUSQUET avait toujours été dirigée « en faveur des paysans » 50 ).

   Tous étaient ou allaient être confirmés à la tête des syndicats d'exploitants agricoles au lendemain de la seconde guerre mondiale .

   Dans les milieux du champagne, Robert de VOGÜÉ, délégué général du Comité interprofessionnel des vins de Champagne, confirmait à son retour de déportation que grâce à BOUSQUET le stock de champagne avait été sauvegardé, que ce dernier « désapprouvait au fond totalement la politique suivie par le gouvernement de Vichy » ; il l'aurait entendu dire que « Vichy était le bocal de tous les vaincus des élections de 1936 » ; il disait sa conviction qu'il était « au moins dans ses sentiments d'accord avec la Résistance », et il relatait les propos que lui auraient tenus les Allemands lors de son interrogatoire par la Gestapo en janvier 1944 :

   « Nous savons très bien que si la résistance est organisée et développée de la sorte, c'est qu'elle a bénéficié de l'appui plus ou moins déguisé de Bousquet ; il nous a roulés ; maintenant qu'il est parti et que Darnand le remplace, la gendarmerie travaillera avec nous au lieu de travailler avec vous » 51 )

   Selon Bertrand de MUN ( 52 ), ancien député marnais de l'Alliance républicaine et président de la Chambre de commerce de Reims, BOUSQUET « faisait tout ce qu'il pouvait pour servir d'écran protecteur » entre les Marnais et les autorités allemandes .

    Pierre REGNAULT, directeur du Champagne Salon à Mesnil-sur-Oger, évoquait la « conduite magnifique » de BOUSQUET au retour de l'exode, et n'hésitait pas à affirmer que « le plus beau fleuron de la résistance de M. Bousquet à nos ennemis, fut l'organisation de la viticulture champenoise » 53 ).

   Plusieurs ecclésiastiques avaient également été mis à contribution.

   L'archevêque de Reims, monseigneur MARMOTTIN, se souvenait avoir reçu BOUSQUET à deux ou trois reprises , et l'avoir entendu exprimer son « indignation » en évoquant la condamnation à mort et l'exécution d'« un communiste » par les Allemands 54 ).

   L'évêque du diocèse de Châlons-sur-Marne, Monseigneur TISSIER, l'avait toujours considéré comme « un très bon Français » qui avait « fait preuve de dignité vis à vis des Allemands » et qui estimait que « son attitude n'avait pas été celle d'un collaborateur » ( 55 ).

   Monseigneur PETIT, ancien vicaire général à Châlons, devenu évêque coadjuteur de Verdun, déclarait que BOUSQUET lorsqu'il avait quitté le département avait « emporté la reconnaissance générale des Châlonnais et des Marnais », qu'il avait « fait figure d'un chef à l'âme française et nullement un plat serviteur des autorités occupantes », et que d'« aucuns estimaient qu'il travaillait simultanément pour le Gouvernement à venir autant que pour celui de l'heure qui passait » ( 56 ).

   L'abbé Pierre GILLET, directeur de la Maison des Oeuvres, membre de CDLL, vice-président de l'Amicale des déportés et internés de l'arrondissement de Châlons-sur-Marne, attestait que « jamais il n'avait eu connaissance que Bousquet ait fait à Châlons-sur-Marne quoique ce soit contre la France », et qu' « au contraire il y avait effectué plusieurs interventions efficaces » ; lorsque BOUSQUET, nommé au secrétariat général à la Police, avait fait ses adieux à la ville de Châlons, il lui avait fait part de son étonnement qu'il ait pu accepter un tel poste et BOUSQUET lui avait répondu : « Je sais bien que cela nuira à ma carrière, mais je ne vois qu'une chose, le bien de mon pays »57 ).

   Andrée GASNIER ( 58 ), en religion soeur MARIE, supérieure de la maison de Charité et assistante départementale de la Croix-Rouge, qui avait organisé avec Madame BOUSQUET, grâce à l'aide de son mari, un centre d'accueil pour les prisonniers rapatriés, relatait comment BOUSQUET avait obtenu la grâce de Pierre DUFRESNE, industriel rémois condamné par le tribunal militaire allemand 59 ).

   Enfin, l'abbé GILLET et soeur MARIE justifiaient l'attitude de BOUSQUET dans ce qu'on appelait à Châlons l'« affaire du Casino », par le fait qu'il avait dû flatter publiquement un officier allemand parce qu'il venait d'obtenir de lui la grâce d'un condamné à mort.

   Maurice JONQUET, notaire à Châlons, relatait cette affaire qui fit scandale et qui constituait la seule réserve émise par les Châlonnais au sujet de l'attitude de BOUSQUET.
   En 1941, au cours d'une soirée de bienfaisance au Casino de Châlons en faveur des prisonniers, devant une assistance de plus de mille personnes, BOUSQUET était monté sur la scène à l'entracte pour vanter les avantages d'une entente avec les Allemands et s'était adressé au docteur HAECKEL, représentant du Feldkommandant assis dans la loge d'honneur en lui disant : « Quoiqu'il arrive, nos relations d'amitié se maintiendront et je compte après la guerre aller chez vous comme vous viendrez chez moi » ( 60 )

   BOUSQUET avait aussi sollicité le témoignage du président de l'association cultuelle israélite de Châlons, délégué du Consistoire central des israélites de France, avec lequel il avait été en relation en mai 1940.
   Léon ULMANN, qui avait passé la guerre à Annecy puis en Suisse, fit la déclaration suivante :

   « Il m'est impossible de dire quelle a été l'activité et l'attitude de M. Bousquet à Châlons-sur-Marne pendant la durée de l'occupation allemande.
   Depuis mon retour, je n'ai rien entendu dire de particulier sur son compte dans les milieux israélites de Châlons-sur-Marne.
   D'ailleurs, presque tous ceux qui sont restés sur place ont été déportés en Allemagne d'où un seul est revenu à la date d'aujourd'hui.

Châlons-sur-Marne le 3 août 1945 » 61 ).            

    Mais ce qui impressionna sans doute le plus le président NOGUÈRES, le Procureur et les jurés de la Haute Cour, fut la très longue déposition de Richard POUZET, entendu à la demande de BOUSQUET à Rochefort-sur-Mer où il reprenait des forces à son retour de déportation.
   Secrétaire général de la préfecture, il avait été un de ses plus proches collaborateurs dans la Marne, et son témoignage donnait beaucoup de crédit au système de défense élaboré par BOUSQUET consistant à mettre en valeur son action dans ce département.
   En ce qui concerne le rôle joué ultérieurement par l'ancien préfet de la Marne au secrétariat général à la Police, Richard POUZET déclarait :

   « Il ne m'appartient pas de juger de son attitude [...]
   Je n'ai pas pu l'observer d'assez près, mais je ne veux pas douter qu'elle ait été dictée par sa constante préoccupation de freiner au maximum l'emprise allemande et de sauvegarder de son mieux les intérêts français, sans cesse plus menacés par l'activité haineuse de l'occupant.
   C'est d'ailleurs ce qui entraîna, à mon avis, sa disgrâce, son renvoi et son remplacement par un individu tout acquis aux Allemands.
   Alors qu'il avait quitté la vie publique et que j'étais redevenu moi-même un simple particulier, traqué certes, mais pouvant enfin me livrer sans contrainte à l'action résistante, j'eus l'occasion de revoir Bousquet à plusieurs reprises, en particulier au lendemain de la publication dans Je suis partout d'un article infect de Marques-Rivière intitulé je crois " Bousquet le maquisard "   ( 62 ).
   Je lui témoignai à cette occasion ma sympathie ; il ne me cacha pas qu'il considérait cet article inspiré par la milice, comme un véritable appel au meurtre.
   À partir de cet instant son arrestation par les Allemands ne faisait plus de doute ; elle devait intervenir quelques jours après le débarquement, le 9 juin si j'ai bonne mémoire.
   Je ne l'ai plus revu depuis, mais j'en ai entendu parler par les Allemands eux-mêmes, qui, lors de mes interrogatoires auxquels ils me soumirent dans leur chambre de tortures de la rue des Saussaies, me firent, parmi tant d'autres griefs mineurs, articulés par eux contre moi, celui d'avoir connu Bousquet et d'avoir continué dans la Marne son action jugée peu conforme à l'esprit de collaboration.
   Il est vrai que ce fut là l'un de mes moindres péchés, mais cette simple indication pouvant cependant éclairer la justice française, je n'hésite pas à la lui livrer.

Lecture faite persiste et signe.
Richard Pouzet 
» 63 
)

La Marne au procès Bousquet

   La Haute Cour de Justice était bel et bien entrée dans le jeu de l'ancien secrétaire général à la Police de Vichy, qui entendait exploiter au maximum l'atout précieux que pouvait représenter l'évocation de son action dans la Marne.
   Cela fut confirmé par la façon dont se déroula le procès de René BOUSQUET.
   En effet, dès l'ouverture du procès le 21 juin 1949, aussitôt après avoir donné lecture d'un curriculum vitae de l'accusé tout à fait à son avantage, le président NOGUÈRES ouvrit le chapitre relatif à la Marne en ces termes :

   « Bousquet ne répond pas devant vous des actes qu'il aurait pu commettre comme Préfet, car, à ce titre, il aurait échappé à votre compétence.
   Mais il est d'autant plus nécessaire que son attitude, comme Préfet, vous soit connue que, s'il a commis, en cette qualité, des actes tombant sous le coup de la loi, il en répondrait en vertu de la connexité prévue par l'Ordonnance constitutive de la Haute Cour de Justice »
64 ).

   Il lut un court résumé de ce qu'on trouvait dans le dossier sur le comportement de BOUSQUET dans ce département, en relevant que les renseignements reçus, concernant son rôle administratif en tant que préfet, étaient « unanimement favorables à l'accusé ».
   Curieusement, dans ce résumé très bref, il privilégiait avec insistance les témoignages très favorables de Marguerite BELLO, la secrétaire de BOUSQUET à Châlons-sur-Marne que ce dernier avait installée à la délégation parisienne de son cabinet en 1942 65 ), et ceux de Jean LEGUAY qui, après avoir succédé à BOUSQUET à la sous-préfecture de Vitry-le-François, puis comme secrétaire général de la préfecture de la Marne, était devenu son délégué auprès des autorités allemandes dans les territoires occupés 66 ).

    Le président NOGUÈRES donna ensuite la parole à l'accusé.

    Selon Jean PIVERD qui suivit le procès pour L'Union de Reims, BOUSQUET fit preuve pendant deux heures d'« une indiscutable éloquence » et retraça, « non sans une émotion que l'on sentait sincère », ce que fut de 1939 à 1942 son action dans la Marne, dans un long et vibrant exposé qui s'acheva par ces mots : « En tout cas, je voudrais simplement que la Haute Cour retienne que, jusqu'au 18 avril 1942, mon attitude devant l'occupant fut une attitude de dignité. Nous verrons tout à l'heure si cette attitude a changé à partir du 18 avril 1942 »  67 ).

   Quant au procureur général, après avoir écouté BOUSQUET, il déclara qu'il n'avait pas de question à poser et ajouta :« Le Ministère Public, en ce qui concerne le passage de BOUSQUET à la Préfecture de la Marne, n'a rien à lui reprocher. J'ai entendu avec plaisir ses explications, et elles n'ont fait que me confirmer dans mon opinion première » 68 ).

   L'action de BOUSQUET comme préfet de la Marne qui, par la volonté de l'intéressé et avec l'accord complaisant du président ainsi que du procureur général, ne devait être que rapidement évoquée, fut mise à l'honneur et occupe une cinquantaine de pages dans la transcription du procès, alors que la partie consacrée à ce que fut l'attitude de BOUSQUET à l'égard des Juifs, ne représente qu'une vingtaine de pages.

    Après le chapitre marnais, « le procès singulier de René Bousquet » 69 ) suivit son cours, en faisant l'impasse sur la politique de répression et de persécution raciale dont BOUSQUET avait été cependant le principal responsable après Laval.
   Dans la Marne dont il avait été préfet, et malgré les interventions qu'il avait accepté ponctuellement d'entreprendre en faveur de Juifs marnais qui avaient sollicité sa protection lorsqu'il était devenu secrétaire général à la Police, plus de trois cents juifs avaient été finalement déportés et une dizaine seulement étaient rentrés 70 ).

   Au terme d'un procès qui ne dura que trois jours au cours desquels, BOUSQUET poursuivit « sans presque désemparer, son long monologue tendant avec succès à se disculper » 71 ), il fut acquitté « du chef d'atteinte aux intérêts de la défense nationale », déclaré « convaincu du crime d'indignité nationale » frappant automatiquement tous ceux qui avaient accepté de participer aux gouvernements de l'époque vichyste, et condamné à la peine minimale de « cinq ans de dégradation nationale » ; mais il en fut « immédiatement relevé » selon la formule consacrée qui permettait de blanchir les collaborateurs, « pour avoir participé de façon active et soutenue à la résistance contre l'occupant ».


ARRÊT


   Vu l'arrêt rendu le TREIZE JANVIER mil neuf cent quarante neuf par la Chambre d'accusation de la Haute Cour de Justice lequel ordonne la mise en accusation et le renvoi devant la Haute Cour de Justice de : BOUSQUET René, né le 11 mai 1909 à MONTAUBAN ( Tarn-et-Garonne ) de Georges Adrien Emile et de LORTAL Adrienne Marie Laure, Préfet, Ancien secrétaire Général à la Police au Ministère de l'Intérieur, domicilié à Paris ( 16° ) 12 avenue Camoëns.

   Vu l'acte d'accusation dressé par Monsieur le Procureur de la République contre le sus nommé.

   Vu l'exploit en date du 16 février 1949 portant signification de l'acte d'accusation.

   Vu l'original d'assignation en date du 14 juin 1949 portant citation à l'accusé Bousquet René à comparaître devant la Haute Cour de Justice le VINGT ET UN JUIN mil neuf cent quarante neuf.

   LA HAUTE COUR DE JUSTICE constituée conformément aux dispositions de la loi du 27 décembre 1944, modifiée par les lois du 15 septembre 1947 et 19 avril 1948.

   Après avoir entendu Monsieur le Procureur Général en ses réquisitions, l'accusé BOUSQUET René, Monsieur le Bâtonnier RIBET son conseil en ses observations, l'accusé ayant eu la parole le dernier et après en avoir délibéré conformément à la loi et en Chambre du Conseil.

LA HAUTE COUR DE JUSTICE,

   Considérant que pour si regrettable que soit le comportement de BOUSQUET en divers moments de son activité comme Secrétaire Général à la Police et notamment lorsqu'il a accepté d'aider à l'action de la mission DESLOGES, il n'apparaît qu'il ait sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale dans le sens de l'article 83 du Code Pénal et qu'il échet en conséquence de prononcer son acquittement,
   Considérant d'autre part qu'en acceptant de remplir dans le Ministère constitué par LAVAL au mois d'avril 1942 le poste de Secrétaire Général à la Police qui est un de ceux qui le rende justiciable de la Haute Cour, il s'est rendu coupable du crime d'indignité nationale,
Mais considérant qu'il résulte de l'information et des débats la preuve qu'en de nombreuses circonstances BOUSQUET a, par ses actes, participé de façon active et soutenue à la résistance contre l'occupant,

PAR CES MOTIFS,

   Acquitte BOUSQUET René du chef d'atteinte aux intérêts de la défense nationale,
   le déclare convaincu de crime d'indignité nationale, le condamne à la peine de CINQ ANS de DEGRADATION NATIONALE de ce chef, le relève de la dite peine en application de l'article 3 par. 4 de l'ordonnance du 26 décembre 1944.

   Fait et prononcé au Palais de Justice, à Paris, le Jeudi vingt trois juin mil neuf cent quarante neuf, à 20 heures, en audience publique de la Haute Cour de Justice, où siégeaient : Monsieur Louis NOGUERES Président de la Haute Cour de Justice, Messieurs MONTILLOT et KUEHN Vice-Présidents, membres de la Haute Cour de Justice; Madame Renée PREVERT, Messieurs BESSAC, GUILBERT, HULIN, DEPREUX, MAZIER, HUGUES, GERVOLINO, BARBIER, DAMAS, TOUBLANC et BAYLET Jurés de jugement, également membres de la Haute Cour de Justice.

   Et ont signé le présent arrêt, Monsieur Noguères Président de la Haute Cour de Justice et Me Fanchon greffier d'audience
72 ).

   La nouvelle fit l'objet d'un maigre entrefilet dans Le Monde du 25 juin 1949.
   Le procès de BOUSQUET devant la Haute Cour de Justice ne suscita aucune réaction dans la Marne, et le verdict de clémence dont il bénéficia n'y entraîna aucune protestation de la part des mouvements de résistance qui contrôlaient L'Union, dont le chroniqueur judiciaire avait pourtant fait honnêtement son travail de journaliste tout au long des trois jours qu'avait duré le procès.
   Il est vrai que le directeur-gérant, Pierre BOUCHEZ, avait témoigné en faveur de BOUSQUET en 1945, que le député socialiste de la Marne, Lucien DRAVENY ( 73 ), était un ami de BOUSQUET , et que le MRP qui disposait de deux députés dans la Marne, dont l'ancien sous-préfet de Reims à la libération, Pierre SCHNEITER, devenu ministre de la santé publique, réclamait déjà depuis quelque temps une amnistie.

    Dans L'Aube des 5 et 7 mars 1949, Georges BIDAULT, tout en soulignant que l'épuration avait été nécessaire, considérait qu'il y avait eu sans doute des disparités, et que l'heure était maintenant venue pour les résistants de se montrer cléments, d'oublier et de dire ce qui pouvait être oublié ( 74 ).

    Au moment même où se déroulait le procès BOUSQUET, François MITTERRAND, secrétaire d'État à la présidence du Conseil et porte-parole du gouvernement QUEUILLE, fut chargé de présenter au Parlement un projet d'amnistie très discuté, qui fut finalement adopté en décembre 1950 et promulgué en janvier 1951.

   Écarté de la haute fonction publique, René BOUSQUET allait poursuivre une brillante carrière à la Banque d'Indochine et dans la presse.
   Le Conseil d'État, après avoir refusé de le rétablir dans ses droits de préfet, consentit en 1957 à lui rendre sa Légion d'honneur, et l'ancien secrétaire général à la Police de Vichy fut même amnistié le 17 janvier 1958 ( 75 ) .

    Il put se lancer dans la politique à l'occasion des élections législatives de 1958, et fut candidat dans la troisième circonscription de la Marne, c'est à dire dans les arrondissements de Châlons-sur-Marne et de Vitry-le-François où il tenta de reconstituer un réseau d'influence avec l'aide de ses fidèles amis marnais.
   Dans sa profession de foi, il expliquait qu'il revenait dans la Marne, « attiré par des sentiments d'amitié et de fidélité », et « parce que des amis de diverses obédiences politiques » lui avaient demandé à nouveau de mettre son nom et ses efforts à la disposition des Marnais « pour tenter de réaliser une action de conciliation républicaine » 76 ).
   Son suppléant était Hector BOUILLY, conseiller général radical-socialiste de Saint-Remy-en-Bouzemont.
    Mais l'époque des notables radicaux-socialistes était révolue, et ce fut un échec.
    René BOUSQUET avec seulement 4 461 voix rassembla moins de 10 % des suffrages, tandis que la Marne élisait deux députés gaullistes, un divers droite et un MRP..

    Après la mort de son ami Jean BAYLET, survenue en 1959, BOUSQUET siégea au conseil d'aministration de La Dépêche du Midi, dont il anima un temps la direction aux côtés de sa veuve Évelyne, et qui fit campagne en faveur de François MITTERRAND, candidat à la présidence de la République opposé au général dE GAULEE en 1965 ( 77 ).

   En septembre 1989, l'association Les Fils et Filles des déportés juifs de France ( FDJF ), la Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes ( FNDIRP ) et la Ligue des droits de l'homme, ont déposé une plainte contre René BOUSQUET pour crime contre l'humanité, qui fut finalement inculpé en mars 1991, au terme d'une longue procédure judiciaire.
   Mais ce que certains appelaient déjà le « second procès Bousquet », auquel l'ancien préfet de la Marne se préparait 78 ) tout en le considérant comme très improbable 79 ), et qui risquait de se transformer en « procès du procès de 1949 », n'a pas eu lieu puisque René BOUSQUET a été assassiné à son domicile parisien, le 8 juin 1993.

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