Lieux de mémoire > Les monuments aux morts communaux > Marne
Menu
Menu

Les monuments aux morts marnais
de la Grande Guerre
Se souvenir au village

François REGNAULD

 





Un monument dans chaque commune

   La Grande Guerre a marqué la collectivité nationale car aucun des conflits qui l'ont précédée n'a été aussi meurtrier et n'a endeuillé autant de familles marnaises et françaises.
   Aucune guerre n'a suscité non plus une telle floraison de monuments.
   Cette floraison représenta aussi le marché du siècle pour quantité d'architectes, de sculpteurs, de fondeurs ou de marbriers.
   A partir de 1919 et jusqu'au début des années trente, la quasi totalité des communes marnaises érige un monument aux morts.

   Pareille unanimité pourrait laisser supposer une intervention de l'État.
   Pourtant, la loi du 25 Octobre 1919 sur « La commémoration et la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre » n'obligeait nullement les communes à élever un monument.
   La loi de finances du 31 juillet 1920 fixa le montant des subventions attribuées par l'intermédiaire du préfet selon un barème compliqué et peu généreux.
   Au final c'est chaque commune, spontanément, à sa façon et pour l'essentiel à ses frais, qui prit en charge l'édification du monument.
   Bien que d'un intérêt artistique fréquemment contestable, parfois disgracieux, le monument est pourtant le reflet de la mentalité et des sentiments d'une communauté au lendemain du conflit.
   
   Ces monuments, auxquels nous sommes habitués au point parfois de ne plus les voir, sont porteurs d'un message.
   Plusieurs éléments nous permettent de le décrypter.
   On peut en relever au moins quatre : la localisation du monument ; sa forme ; les inscriptions ; les éléments iconographiques et les sculptures.

La localisation du monument

   La moitié des monuments marnais sont élevés sur la place publique ( Cernay en Dormois, Ay ), à proximité de la mairie ( Le Meix Saint Epoing, Esclavolles-Lurey ) ou de l'église ( Chouilly, Hans ).
   
On les trouve aussi dans le cimetière ( Ambonnay, Beaunay ) pour plus d'un quart d'entre eux.
   
On en rencontre parfois à l'entrée du village ( Venteuil, Damery ) mais rarement à l'écart ( Suizy le Franc, La Neuville aux Larris ).

La forme du monument

   S'il fallait définir le monument type ce ne serait pas, comme on le croit souvent, le poilu fièrement campé sur son socle, mais plus modestement la simple obélisque de pierre.
   Cette dernière peut être surmontée, dans certains cas, d'une croix de guerre
( Wez, Ablancourt ) ou religieuse ( Recy, Berzieux ), d'une flamme ( Cuis ), d'une urne ( Bezannes ), d'un coq ( Anglure, Beine-Nauroy ) ou d'un buste de poilu ( Bouleuse, Hermonville ).

Les inscriptions qui figurent
sur les diverses faces du monument

   L'inscription que l'État faisait mentionner sur les actes de décès des tués est
« Mort pour la France ».

   On la trouve déclinée sous d'innombrable formes :
          - « La Commune de  ---------  à ses enfants morts pour la France »
( Arcis le Ponsart, Vitry en Perthoi),
       
   - « Aux morts pour la France » ( Contault le Maupas, Chatillons sur Marne ),
          -
« Aux enfants de  --------  morts pour la France » ( Berru, Bouzy ).
   
   
D'autres inscriptions sont courantes :
          - « La Commune de  -------  à ses enfants morts pour la Patrie »
( Berthon, Congy... ) est aussi une formule répandue.
          -
« A ses morts glorieux » ( Berzieux, Chaudefontaine ) revient souvent aussi.

   La catégorie des inscriptions patriotiques offre, par ailleurs, une grande diversité de déclinaisons :

          -
« À nos héros » ( Champlat-Boujacourt, Lachy ),
          -
« À la mémoire glorieuse » ( Corrobert ),
          -
« À ses glorieux enfants » Mourmelon le Petit ),
          -
« Aux enfants du pays morts pour la Patrie » ( Aulnay sur Marne, Le Baizil ).

   
L'inscription principale est parfois plus sobre et se contente d'un laconique
« À nos morts »
( Cernon, Granges sur Aube ).

   
D'autres formules apparaissent aussi, mais peu fréquentes :
          - « À la mémoire de nos morts »
( Trécon ),
          -
 « Hommage à nos morts » ( Dampierre sur Moivre ).

   
On trouve enfin une catégorie, très rare, d'inscriptions dont la formation incline vers le pacifisme :
          - « La Commune de --------- à ses enfants morts victimes de la Grande Guerre »
( Pourcy ),
          -
« Aux victimes de la Grande Guerre » ( Ablancourt ).

    
Une inscription affiche même un message ouvertement pacifiste : « Ils sont morts pour que la Paix règne entre les peuples »( La Villa d'Ay ).

  
 D'autres inscriptions ornent souvent les autres faces du monument.

   Elles peuvent être patriotiques :

          -
« Honneur et Gloire » ( Beaumont sur Vesle ),
          -
« Pro Patria » ( Avize, Chatillon sur Marne ),
          -
« Gloria Victoribus » ( Avenay Val d'Or ),
          -
« La France Victorieuse » ( Changy ),
  
 parfois funéraires :
          - « Qu'ils reposent en paix »
( Coupetz ),
       
   - « Souvenons nous » Fère Champenoise ).

   
Sur quelques monuments figurent aussi des strophes célèbres de Victor Hugo,
le poète officiel de la Troisième République
( L'Épine, La Chaussée sur Marne ).

   Des hauts lieux du conflit sont parfois nommés : La Marne, l'Yser, Verdun, la Somme, mais jamais le Chemin des Dames
( Damery, Champigny ).
   
Le mot « PAX » apparaît aussi sur quelques uns ( Magenta, Brandonvillers ).

   
Enfin, les noms des morts sont toujours gravés, le plus souvent par ordre alphabétique ( Breban, Broussy le Petit ) ou chronologique ( Bourgogne, Bussy le Repos ).

   
Parfois figurent le grade, le lieu et la date complète du décès, le régiment ou la classe du défunt ( Alliancelles, Branscourt, Breuil sur Vesle ).

Les éléments iconographiques sculptés
sur les faces du monument
et les sculptures auxquelles il sert de support


        
  - une victoire ( Mareuil sur Ay, Cormicy ),
          
- un poilu ( Moussy, Bazancourt ),
        
  - une veuve éplorée ( Trépail, Sillery ),
        
  - un gisant Pontfaverger )
                           évoquent chacune une vision de la guerre.

   
Les symboles et allégories comptent ici beaucoup :
          - le drapeau flottant au vent
( Écueil ) ou en berne,
         
 - le coq gaulois ( Blacy, Glannes. ),
        
  - l'aigle allemand foulé aux pieds ( Cheppes la Prairie ),
          
- la couronne de lauriers Orbais l'Abbaye ) ou la palme
                            montrent un aspect différent du deuil ou de la victoire.

Le sens du monument

   La combinaison de ces divers éléments permet de déchiffrer le sens que les communes ont voulu donner à leur monument.
   On peut, globalement en identifier plusieurs types :
   
   1/ Le plus fréquent est le monument civique, généralement édifié dans un lieu public.
   C'est une plaque contre le mur de la mairie ( Chambrecy, Marfaux ), un obélisque ou une simple stèle, parfois un poilu sans drapeau ni couronne de laurier ( Saint Martin d'Ablois, Corrobert ).
   L'inscription courante, « Morts pour la France », écarte l'héroïsme et la gloire.
   Ce type de monument n'insiste pas non plus sur le deuil.

   Les autres types de monuments, au contraire, ne respectent pas cet équilibre.

   2/ Le monument patriotique se trouve, en général, sur la place publique.
   Les allégories y fleurissent :
          - coq aux ailes déployées ( Charmontois le Roi, Connantre ),
          - poilus héroïques drapeau au vent ( La Neuville aux Larris ) ou brandissant la couronne de laurier.
   L'inscription principale fait référence à la Patrie ou à l'héroïsme.

   3/ Le monument de deuil représente une troisième catégorie.
   Ce sont, le plus souvent, des stèles implantées dans le cimetière et surmontées de la croix religieuse ( Charmont, Courtemont ) ou d'une urne funéraire ( Bezannes ).
   Les monuments de deuil offrent deux variantes. :
          - patriotique, quand le poilu meurt en étreignant son drapeau ( Coulommes la Montagne ),
          - funéraire, quand la pleureuse agenouillée se lamente devant la liste des disparus Époye ).

   A noter que l'on ne rencontre pas de monument explicitement pacifiste dans notre département, même si certains s'en approchent par la présence de veuves et d'orphelins Suippes ).

Un lieu de mémoire et de culte républicain

   Le monument n'est pas seulement un lieu de mémoire.
   C'est aussi, chaque 11 Novembre, un lieu de culte républicain.
   A présent que les derniers acteurs de ce drame quittent notre monde pour entrer dans l'histoire, le monument aux morts doit retrouver son rôle initial : celui de témoin pour les générations présentes et celles à venir.
   Elles pourront alors, en y prêtant attention quelques instants, apprendre ou redécouvrir ce qu'a représenté, pour tant de familles marnaises, le premier conflit mondial : tellement de sacrifices consentis, de souffrances endurées et surtout, tant de peine dans le cœur de tant de gens.

François REGNAULD,
" Le Souvenir au village - Les monuments
aux morts marnais de la Grande Guerre "
,
Mémoires de la Société d'agriculture,
commerce, sciences et arts
du département de la Marne
,
Tome CXVI, 2001.

Menu

© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.