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Un
monument dans chaque commune
La
Grande Guerre a marqué la collectivité nationale car aucun
des conflits qui l'ont précédée n'a été aussi meurtrier et n'a endeuillé
autant de familles marnaises et françaises.
Aucune guerre n'a suscité non plus une telle floraison
de monuments.
Cette floraison représenta aussi le marché du siècle
pour quantité d'architectes, de sculpteurs, de fondeurs ou de marbriers.
A partir de 1919 et jusqu'au début des années trente,
la quasi totalité des communes marnaises
érige un monument aux morts.
Pareille unanimité pourrait laisser supposer une
intervention de l'État.
Pourtant, la loi du 25 Octobre
1919 sur « La commémoration et la
glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre
» n'obligeait nullement les communes à élever
un monument.
La loi de finances du 31 juillet 1920 fixa le montant
des subventions attribuées par l'intermédiaire du préfet selon un
barème compliqué et peu généreux.
Au final c'est chaque commune,
spontanément, à sa façon et pour l'essentiel à ses frais,
qui prit en charge l'édification du monument.
Bien que d'un intérêt artistique fréquemment contestable,
parfois disgracieux, le monument est pourtant le
reflet de la mentalité et des sentiments d'une communauté au lendemain
du conflit.
Ces monuments, auxquels nous sommes habitués au
point parfois de ne plus les voir, sont porteurs
d'un message.
Plusieurs éléments nous permettent de le décrypter.
On peut en relever au moins quatre : la localisation
du monument ; sa forme ; les inscriptions ; les éléments
iconographiques et les sculptures.
La
localisation du monument
La
moitié des monuments marnais sont élevés sur la place publique ( Cernay
en Dormois, Ay ), à proximité
de la mairie ( Le
Meix Saint Epoing, Esclavolles-Lurey ) ou
de l'église ( Chouilly,
Hans ).
On les trouve aussi dans
le cimetière ( Ambonnay,
Beaunay ) pour plus d'un quart
d'entre eux.
On en rencontre parfois
à l'entrée du village ( Venteuil,
Damery ) mais rarement à l'écart
( Suizy
le Franc, La Neuville aux Larris ).
La
forme du monument
S'il fallait définir le
monument type ce ne serait pas, comme on le croit souvent, le poilu
fièrement campé sur son socle, mais plus modestement la simple obélisque
de pierre.
Cette dernière peut être surmontée, dans certains
cas, d'une croix de guerre ( Wez,
Ablancourt ) ou religieuse
( Recy, Berzieux ), d'une
flamme ( Cuis ),
d'une urne ( Bezannes ),
d'un coq ( Anglure,
Beine-Nauroy )
ou d'un buste de poilu ( Bouleuse,
Hermonville ).
Les
inscriptions qui figurent
sur les diverses faces du monument
L'inscription
que l'État faisait mentionner sur les actes de décès des tués est
« Mort
pour la France ».
On la trouve déclinée sous d'innombrable formes
:
- « La
Commune de --------- à ses enfants morts pour la France »
( Arcis
le Ponsart, Vitry en Perthois ),
-
« Aux
morts pour la France » ( Contault
le Maupas, Chatillons sur Marne ),
- « Aux
enfants de -------- morts pour la France »
( Berru,
Bouzy ).
D'autres inscriptions
sont courantes :
- « La
Commune de ------- à ses enfants morts pour la Patrie »
( Berthon,
Congy... ) est aussi une formule
répandue.
- « A
ses morts glorieux » ( Berzieux,
Chaudefontaine ) revient souvent
aussi.
La catégorie des inscriptions patriotiques offre,
par ailleurs, une grande diversité de déclinaisons :
- « À
nos héros » ( Champlat-Boujacourt,
Lachy ),
- « À
la mémoire glorieuse »
( Corrobert ),
- « À
ses glorieux enfants » ( Mourmelon
le Petit ),
- « Aux
enfants du pays morts pour la Patrie »
( Aulnay sur Marne, Le Baizil ).
L'inscription principale
est parfois plus sobre et se contente d'un laconique
« À
nos morts » ( Cernon,
Granges sur Aube ).
D'autres formules apparaissent
aussi, mais peu fréquentes :
- « À
la mémoire de nos morts »
( Trécon ),
- « Hommage
à nos morts » ( Dampierre
sur Moivre ).
On trouve enfin une catégorie,
très rare, d'inscriptions dont la formation incline vers le pacifisme
:
- « La
Commune de --------- à ses enfants morts victimes de la Grande Guerre »
( Pourcy ),
- « Aux
victimes de la Grande Guerre » ( Ablancourt ).
Une inscription
affiche même un message ouvertement pacifiste : « Ils
sont morts pour que la Paix règne entre les peuples »( La
Villa d'Ay ).
D'autres inscriptions
ornent souvent les autres faces du monument.
Elles peuvent être patriotiques :
-
« Honneur
et Gloire » ( Beaumont
sur Vesle ),
- « Pro
Patria »
( Avize, Chatillon sur Marne ),
- « Gloria
Victoribus » ( Avenay
Val d'Or ),
- « La
France Victorieuse »
( Changy ),
parfois funéraires :
- « Qu'ils
reposent en paix » ( Coupetz ),
- « Souvenons
nous » ( Fère
Champenoise ).
Sur quelques monuments
figurent aussi des strophes célèbres de Victor Hugo,
le poète officiel de la Troisième République
( L'Épine, La Chaussée sur Marne ).
Des hauts lieux du conflit sont parfois nommés :
La Marne, l'Yser, Verdun, la Somme, mais jamais le Chemin des Dames
( Damery,
Champigny ).
Le mot « PAX »
apparaît aussi sur quelques uns ( Magenta,
Brandonvillers ).
Enfin, les noms des morts
sont toujours gravés, le plus souvent par ordre alphabétique ( Breban,
Broussy le Petit ) ou chronologique
( Bourgogne,
Bussy le Repos ).
Parfois figurent le grade,
le lieu et la date complète du décès, le régiment ou la classe du
défunt ( Alliancelles,
Branscourt, Breuil sur Vesle ).
Les
éléments iconographiques sculptés
sur les faces du monument
et les sculptures auxquelles il sert de support
- une
victoire ( Mareuil
sur Ay, Cormicy ),
- un
poilu ( Moussy,
Bazancourt ),
-
une veuve éplorée ( Trépail,
Sillery ),
-
un gisant ( Pontfaverger )
évoquent chacune une vision de
la guerre.
Les symboles et allégories
comptent ici beaucoup :
- le drapeau
flottant au vent ( Écueil )
ou en berne,
-
le coq gaulois ( Blacy,
Glannes. ),
-
l'aigle allemand foulé aux pieds
( Cheppes
la Prairie ),
-
la couronne de lauriers ( Orbais
l'Abbaye ) ou la palme
montrent un aspect différent du deuil ou de la victoire.
Le
sens du monument
La
combinaison de ces divers éléments permet de déchiffrer le sens que
les communes ont voulu donner à leur monument.
On peut, globalement en identifier plusieurs types
:
1/ Le plus fréquent
est le monument civique, généralement édifié dans un lieu public.
C'est une plaque contre le mur de la mairie ( Chambrecy,
Marfaux ), un obélisque ou une simple stèle, parfois
un poilu sans drapeau ni couronne de laurier ( Saint
Martin d'Ablois, Corrobert ).
L'inscription courante, « Morts
pour la France », écarte l'héroïsme et la gloire.
Ce type de monument n'insiste pas non plus sur le
deuil.
Les
autres types de monuments, au contraire, ne respectent pas cet équilibre.
2/ Le
monument patriotique se trouve, en général, sur la place publique.
Les allégories y fleurissent :
- coq
aux ailes déployées ( Charmontois
le Roi, Connantre ),
- poilus
héroïques drapeau au vent ( La
Neuville aux Larris ) ou brandissant la couronne de
laurier.
L'inscription principale fait référence à la Patrie
ou à l'héroïsme.
3/ Le
monument de deuil représente une troisième catégorie.
Ce sont, le plus souvent, des stèles implantées
dans le cimetière et surmontées de la croix religieuse ( Charmont,
Courtemont )
ou d'une urne funéraire ( Bezannes ).
Les monuments de deuil offrent deux variantes. :
- patriotique,
quand le poilu meurt en étreignant son drapeau ( Coulommes
la Montagne ),
- funéraire,
quand la pleureuse agenouillée se lamente devant la liste des disparus
( Époye ).
A noter que l'on ne rencontre pas de monument explicitement
pacifiste dans notre département, même si certains s'en approchent
par la présence de veuves et d'orphelins ( Suippes ).
Un
lieu de mémoire et de culte républicain
Le monument n'est pas seulement un
lieu de mémoire.
C'est aussi, chaque 11 Novembre, un
lieu de culte républicain.
A présent que les derniers acteurs de ce drame quittent
notre monde pour entrer dans l'histoire, le monument aux morts doit
retrouver son rôle initial : celui de témoin
pour les générations présentes et celles à venir.
Elles pourront alors, en y prêtant attention quelques
instants, apprendre ou redécouvrir ce qu'a représenté, pour tant de
familles marnaises, le premier conflit mondial : tellement de sacrifices
consentis, de souffrances endurées et surtout, tant de peine dans
le cœur de tant de gens.
François
REGNAULD,
"
Le Souvenir au village - Les monuments
aux morts marnais de la Grande Guerre ",
Mémoires de la Société d'agriculture,
commerce, sciences et arts
du département de la Marne,
Tome CXVI, 2001.
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