I.
Le passage de l'économie de paix à l'économie
de guerre
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1/ L'impréparation
en 1914 de l'économie des pays belligérants
à une guerre totale et longue
En 1914,
aussi bien les pays de l'Entente que les Empires centraux ont cru
qu'ils s'engageaient dans une
guerre courte,
comme l'avait été
la guerre franco-prussienne de 1870, la dernière
guerre qui avait opposé des pays industrialisés en Europe.
La mobilisation générale et massive de l'été
1914 au cours de laquelle des millions de soldats ont été
appelés à rejoindre leurs régiments, a entraîné
immédiatement un effondrement
de la production industrielle et même la fermeture
de nombreuses entreprises.
Les
transports ferroviaires de marchandises et les circuits commerciaux
ont été désorganisés
compte tenu de leur utilisation prioritaire pour les besoins des armées.
Dans tous les pays belligérants, les gouvernements
ont pris la décision de
fermer les Bourses de valeur pour empêcher toute
spéculation, et de
suspendre la convertibilité en or des monnaies afin
de pouvoir financer au moins en partie l'effort de guerre par une
inflation monétaire contrôlée.
Partout on fit appel aux femmes, aux enfants, aux
personnes âgées pour
assurer les récoltes.
Le Royaume-Uni qui avait d'emblée décrété
le blocus
des côtes allemandes, pour isoler les puissances
centrales, continuait de commercer avec les pays neutres, comme la
Hollande, en sachant très bien qu'ils servaient d'intermédiaires
entre lui et les Empires centraux.
Mais aucun gouvernement n'envisagait l'idée
d'une guerre totale donc économique,
entraînant une mobilisation
de toutes les ressources financières et économiques,
une remise en question du libéralisme économique et
une intervention appuyée des Etats dans l'économie.
2/ Les
débuts de l'économie de guerre
L'organisation
de la production
de guerre a été lente, parce qu'elle se heurtait
à des difficultés
techniques et qu'elle mettait en jeu des intérêts
contradictoires ( patrons, salariés ).
Le passage
à l'économie de guerre a été
esquissé en 1915, lorsqu'après ce qu'on a appelé
la « course à la mer », a disparu l'illusion
d'une guerre courte, puis il s'est imposé en 1916, au fur et
à mesure qu'on s'enfonçait dans la guerre de position,
la guerre des tranchées.
Dans tous les pays belligérants, les gouvernements
ont dû orienter la production dans le sens d'une guerre
longue, technique, industrielle, moderne, nécessitant
des armes
nouvelles et de plus en plus puissantes.
Les
Empires centraux, paralysés
par le blocus allié ont
été confrontés à d'énormes problèmes
d'approvisionnement en produits alimentaires, en énergie et
matières premières.
En France,
l'occupation par les armées allemandes
de 9 départements situés dans les régions
productrices de charbon et d'acier ( Nord-Pas-de-Calais et Lorraine )
a entraîné une perte non négligeable du potentiel
industriel.
Le Royaume-Uni
et la France qui pouvaient s'appuyer
pour leur ravitaillement sur leurs empires coloniaux, ont dû
faire face à la guerre sous-marine
déclenchée par l'Allemagne pour riposter au blocus de
ses côtes.
Partout,
au fur et à mesure que le conflit se prolongeait, les pays
belligérants se sont enfoncés dans une économie
de guerre qui nécessitait une intervention
de plus en plus forte des Etats dans l'économie,
développée en concertation avec les industriels et les
milieux d'affaires qui furent les principaux bénéficiaires
de l'économie de guerre.
II.
Le fonctionnement de l'économie de guerre
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1/ Les
instruments du dirigisme étatique
Une fois
installée, l'économie de guerre a fonctionné
autour d'un réseau
complexe de partenaires directement ou indirectement
contrôlés par les Etats :
- les
gouvernements,
les dirigeants
politiques et les parlementaires
qui fixaient les priorités,
déterminaient et votaient les lois et les budgets, prenaient
les décisions ;
- les ministères
spécialisés ( guerre, travail, colonies,
main d'oeuvre ) qui les faisaient
exécuter ;
- les états-majors
militaires qui déterminaient les besoins des armées
et exposaient leurs conceptions
sur la façon de faire la guerre ;
- les
industriels,
en particulier les sidérurgistes et les fabricants d'armes
et de munitions qui recevaient
et exécutaient les commandes.
L'économie de guerre a généré
d'énormes
enjeux financiers et économiques que les Etats se
sont efforcés de maîtriser sans toujours y parvenir.
2/ Mobiliser
la main d'oeuvre, assurer le ravitaillement,
prévenir les tensions sociales
Partout
les gouvernements ont dû
mobiliser la main d'oeuvre, assurer le ravitaillement
des populations civiles, faire face aux tensions sociales découlant
des pénuries et des restrictions.
En
France, dès juin 1915, une loi a permis de retirer
du front des ouvriers qualifiés dont l'industrie
de guerre avait besoin ; à la fin de 1917, ils étaient
plus de 500 000.
Il fallut aussi utiliser les prisonniers
de guerre, les réfugiés
belges, la main
d'oeuvre immigrée, faire venir des colonies plus
de 100 000 travailleurs
indigènes, et recourir à la main
d'oeuvre féminine, les « munitionnettes ».
Cette mobilisation de la main d'oeuvre ne suffisant
pas, les gouvernements ont essayé de convaincre
les syndicats de participer à l'effort de guerre
et d'accepter des sacrifices.
La durée
légale du travail est passée de 12 à
14 heures
par jour, le travail
de nuit a été généralisé.
La taylorisation,
c'est-à-dire la rationalisation du travail permettant d'utiliser
sur des machines, une main d'oeuvre peu qualifiée dans des
tâches simples et répétitives tout en augmentant
la productivité, a été développée
dans les grandes entreprises avec
l'aide financière des Etats.
En matière de ravitaillement, face à
la pénurie,
les gouvernements ont
réglementé les échanges extérieurs,
instauré le rationnement,
et ont eu recours aux réquisitions
et aux taxations
pour tenter d'enrayer la hause des prix.
3/ Financer
l'effort de guerre
Partout,
le recours
à l'impôt pour financer l'effort de guerre,
en France l'instauration de l'impôt sur le revenu, a suscité
de vives résistances et n'a pas donné les résultats
escomptés.
C'est pourquoi les gouvernements ont dû recourir
massivement à des emprunts
sur leur territoire et à l'étranger, et donc se mettre
en situation d'endettement durable.
Ils ont aussi « fait marcher la planche
à billets », c'est-à-dire financé
en partie les dépenses de guerre par l'inflation
monétaire, en augmentant bien au-delà des
réserves en or des banques centrales, donc sans contre-partie,
la masse de billets de banque en circulation.
La
1ère guerre mondiale, en se transformant en guerre longue et
totale, a finalement obligé les Etats à
intervenir directement et durablement dans l'économie,
à réglementer, à réguler, à fabriquer
massivement de la monnaie de papier.
Cette politique imposée par les nécessités
de la guerre, a été certes menée en concertation
avec les industriels et les milieux d'affaires, mais elle prenait
néanmoins le contre-pied du libéralisme économique
traditionnel.
Il s'agissait bien d'un tournant
important, d'une rupture
dans l'histoire économique des pays industrialisés.
Ayant pris l'habitude d'intervenir dans l'économie, les gouvernants
répugneront après la guerre à revenir en arrière.