La Russie
tsariste s'est engagée dans la guerre en 1914 avec l'espoir
de faire diversion aux difficultés internes d'un régime
de plus en plus contesté, et d'effacer les déboires
de la guerre russo-japonaise de 1905.
L'expansionnisme russe stoppé en Extrême-Orient,
entendait bien se redéployer en direction des Balkans où
la Russie se présentait comme la protectrice des Slaves orthodoxes
face à l'Empire austro-hongrois, et en direction des Détroits
qui contrôlaient l'accès de la Mer noire à la
Méditerranée.
En réalité, la guerre a précipité
la chute du tsarisme et ouvert la voie à deux révolutions
qui ont abouti à la signature d'une paix séparée
avec l'Allemagne et à la naissance d'une nouvelle Russie, la
Russie bolchevique.
I. Le
régime tsariste et la guerre
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1/ La
Russie dans la crise de l'été 1914
Au départ,
la crise austro-serbe déclenchée en juin 1914 par l'attentat
de Sarajevo, n'avait débouché que sur un conflit limité
à l'Autriche-Hongrie et à la Serbie.
A la faveur de cette crise, la Russie tsariste entendait
bien, en se portant au secours de la Serbie, s'opposer à l'influence
austro-hongroise dans les Balkans dont l'axe d'expansion vers la Méditerranée
venait recouper celui de l'impérialisme russe panslave.
Confortée par l'alliance franco-russe réaffirmée
à l'occasion du voyage en Russie du président de la
République, Raymond Poincaré, le 20 juillet 1914, la
Russie a décrété dès le 30 juillet une
mobilisation générale à laquelle l'Allemagne
s'est empressée de riposter en lui déclarant la guerre.
En Russie et à Saint-Pétersbourg la
capitale, rebaptisée Petrograd, cette guerre, voulue par le
régime tsariste, devait rallier l'opposition et unir le peuple
derrière le tsar, Nicolas II, face au vieux rival germanique
dans un réflexe patriotique d'union sacrée.
2/ Les
revers militaires et l'enlisement dans la guerre
En août
1914, La Russie a mobilisé plus de 10 millions d'hommes, mais
le « rouleau compresseur » russe sur lequel le commandement
français avait fondé beaucoup d'espoirs s'est avéré
illusoire.
En réalité la Russie ne parvint à
acheminer que 7 millions d'hommes sur le front et seulement 1 million
en première ligne.
Les armées russes mal équipées,
mal armées, mal préparées, mal commandées,
constituées essentiellemnt de paysans peu motivés au
combat, ont été battues par les Allemands dès
le 30 août 1914 à Tannenberg.
En 1915, le front était percé de
toutes parts ; la Pologne et la Lituanie étaient occupées
par les Allemands qui atteignaient la Berezina.
Les armées russes avaient subi d'énormes
pertes : 1 million de morts, 900 000 prisonniers, de très
nombreux blessés.
C'était la fin de l'illusion d'une
guerre courte et facile, l'enlisement dans une guerre longue, totale,
que la Russie n'avait pas les moyens d'assumer.
3/ La
chute du régime tsariste
Toutes
les tentatives russes pour reprendre l'offensive , en particulier
celle qui a été menée par le général
Broussilov dans les Carpates en 1916, ont échoué.
Les troupes russes étaient démoralisées ;
les désertions se multipliaient.
La situation économique du pays était
catastrophique : effondrement de la production agricole ;
pénurie et rationnement ; manque de combustibles ;
flambée des prix ; transports désorganisés.
Les tensions sociales se multipliaient : colère
dans les queues devant les magasins ; manifestations ; grèves.
Sur le plan politique, l'union sacrée se
disloquait ; les intrigues enflaient ; un complot envisageait
de destituer le tsar au profit de son fils qui aurait été
placé sous la régence du Grand duc Michel ; le moine
Raspoutine, très influent à la cour, était assassiné.
La crise politique, économique et sociale
qui s'amplifiait confortait les dirigeants bolcheviques qui avaient
refusé l'union sacrée en 1914 et participé en
1915 à la conférence pacifiste de Zimmerwald en Suisse,
dans leur volonté de transformer la guerre qu'ils qualifiaient
d'impérialiste en guerre révolutionnaire.
L'incapacité du régime tsariste à
gagner la guerre dans laquelle il avait engagé la Russie a
finalement entraîné sa chute.
II. Les
révolutionnaires russes entre la guerre et la paix
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1/ Les
hésitations du gouvernement provisoire
La Révolution
de février 1917 qui a renversé le régime tsariste
de Nicolas II a débouché sur l'instauration d'un double
pouvoir : celui du gouvernement provisoire contrôlé
par des modérés, et celui du Soviet de Petrograd où
les Bolcheviks de retour en Russie étaient de plus en plus
influents.
Le gouvernement provisoire décida de maintenir
en place l'état-major tsariste, de maintenir les alliances
nouées par le régime tsariste et de continuer de combattre
aux côtés des pays de l'Entente.
Le Soviet de Petrograd quant à lui appela
à « une paix blanche ».
Lénine à la tête du parti bolchevique
exigeait dans les « Thèse d'avril »,
l'arrêt immédiat de la guerre par la fraternisation des
soldats sur le front.
Le gouvernement provisoire poursuivit la guerre,
mais s'avéra incapable de lancer une contre-offensive ;
les troupes allemandes avançaient sur le territoire russe ;
les désertions se multipliaient au sein des armées russes.
En mai 1917, sous la pression des soviets, le gouvernement
provisoire a proposé de réunir une conférence
internationale à Stockholm pour y discuter du principe d'« une
paix sans annexion, ni contribution », mais ce fut un échec.
Le gouvernement provisoire présidé
par Kerenski se trouva affaibli par le coup d'état militaire
déclenché par le général Kornilov, que
seuls les syndicats et les soviets parvinrent à briser.
2/ Les
Bolcheviks et la paix séparée avec l'Allemagne
Les Bolcheviks devenus majoritaires au Soviet de
Petrograd déclenchèrent une insurrection armée
qui chassa le gouvernement provisoire.
Le pouvoir bolchevique issu de la Révolution
d'octobre 1917 promulgua immédiatement un décret sur
la paix qui dénonçait les accords secrets signés
par le régime tsariste et confirmés par le gouvernement
provisoire, et sollicita un armistice avec la volonté d'aboutir
à « une paix démocratique et juste sans annexoion
ni contribution ».
Le 15 décembre 1917, un armistice suspendait
les hostilités entre la Russie et l'Allemagne.
La négociation d'une paix avec l'Allemagne
fit l'objet d'un débat contradictoire parmi les dirigeants
bolcheviques :
- fallait-il
transformer la guerre en guerre révolutionnaire destinée
à exporter la révolution, comme l'avait fait les soldats
de l'An II au moment de la révolution française, thèse
défendue par Boukharine ?
- ou bien fallait-il
temporiser, faire traîner les négociations jusqu'à
ce que la révolution éclate en Allemagne, thèse
défendue par Trotski ?
- ou bien encore,
fallait-il mieux mettre fin au plus vite à la guerre, même
au prix d'une paix humiliante, pour sauver la révolution d'octobre
en Russie même où de nombreux opposants s'étaient
dressés contre les Bolcheviks, thèse défendue
par Stlaline ?
En février 1918, les combats ayant repris,
les troupes allemandes menaçant Petrograd, Lénine se
rallia à la théorie du répit défendue
par Staline.
Le 3 mars 1918, la Russie bolchevique signa
à Brest-Litovsk un traité de paix séparée
avec l'Allemagne qui entraînait pour elle la perte de nombreux
territoires : la Finlande, les pays baltes, la Pologne,
l'Ukraine, une partie de la Biélorussie et la moitié
de l'Arménie.
3/
L'intervention des pays de l'Entente en Russie
Dès
le printemps 1918, les pays de l'Entente décidèrent
de faire le blocus de la Russie et d'envoyer des troupes combattre
aux côtés des Armées blanches contre l'Armée
rouge organisée par Trotski.
Cette intervention avait pour objectif de punir
les Bolcheviks d'avoir signé un traité de paix séparé,
de maintenir un front en Russie, mais aussi de préserver les
intérêts économiques des pays intervenents menacés
par la collectivisation et de tuer dans l'oeuf la révolution
bolchevique avant qu'elle ne se propage à d'autres pays d'Europe,
.
Par cette intervention dont les motivations idéologiques
et économiques prirent rapidement le pas sur les considérations
militaires, les Allemands devenaient des alliés objectifs des
pays de l'Entente face aux Bolcheviks, tandis que de son côté
la révolution bolchevique s'exportait en Allemagne avec l'insurrection
spartakiste.
Bien qu'elle ait finalement échoué,
cette intervention a néanmoins contribué à prolonger
la guerre civile et à pousser le pouvoir bolchevique à
radicaliser les mesures de collectivisation et de répression
prises dans le cadre du communisme de guerre.
Les dirigeants
bolcheviques ne sont pas parvenus à transformer la guerre déclenchée
en 1914 en une révolution mondiale.
La guerre extérieure dont ils ont retiré
la Russie au début de 1918, s'est prolongée par une
guerre civile meurtrière qui n'a pris fin qu'en 1920.
Le nouvel Etat soviétique né de la
Révolution d'octobre 1917 est finalement sorti victorieux de
cette guerre civile, mais il héritait d'une situation catastrophique
dans tous les domaines et d'un territoire très largement amputé
par rapport à ce qu'avait été l'Empire tsariste
auquel il se substituait désormais.
Epuisé, à bout de forces, il était
contraint de signer en 1921 avec la Pologne reconstituée, le
traité de paix de Riga qui repoussait de 150 kilomètres
à l'Est au profit de la Pologne, la frontière russo-polonaise
établie en 1918 sous le nom de ligne Curzon.
Par ce traité, il concédait à
la Pologne des territoires peuplés de Biélorusses et
d'Ukrainiens que Staline s'empressera de récupérer en
septembre 1939 conformément aux clauses secrètes du
pacte germano-soviétique.