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L'affaire Bousquet - Leguay - Papon :
l'inculpation de trois hauts fonctionnaires français
pour crime contre l'humanité

Bousquet, Leguay, Papon et le département de la Marne

L'instruction du procès de Jean Leguay et l'inculpation de Maurice Papon

L'inculpation de René Bousquet

Le procès de Maurice Papon

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Bousquet, Leguay, Papon
et le département de la Marne

Les péripéties des procès de Barbie et de Touvier n'ont pas été sans incidence sur ce qu'on peut appeler l'affaire Bousquet - Leguay - Papon, trois anciens hauts fonctionnaires de Vichy, inculpés eux aussi pour crimes contre l'humanité, et qui chacun, à leur façon, ont été liés à un moment ou à un autre au département de la Marne :

       - René BOUSQUET, secrétaire général à la Police d'avril 1942 à décembre 1943 dans le gouvernement Laval, avait occupé antérieurement et successivement les fonctions de sous-préfet de Vitry-le-François en 1938, de secrétaire général du département de la Marne en 1939, puis de préfet de la Marne à partir de 1940, et enfin de préfet de la Région de Champagne à partir de 1941 ;

       - Jean LEGUAY, avant d'être le représentant de Bousquet auprès des autorités allemandes dans la zone occupée, a été sous-préfet de Vitry-le-François, puis secrétaire général de la Marne en 1939-1940 ;

        - Maurice PAPON, secrétaire général de la Gironde de 1942 à 1944, n'a exercé aucune responsabilité dans la Marne à l'époque de l'Occupation, mais il a été pendant de nombreuses années le directeur des Verreries mécaniques champenoises, une entreprise de la banlieue rémoise fondée par son père, un ancien notaire 1 ).


L'instruction du procès de Jean Leguay
et l'inculpation de Maurice Papon

    En 1982, le pourvoi présenté par Jean LEGUAY après son inculpation en 1979 ayant été rejeté, l'instruction de son procès put reprendre son cours.
    En 1983, Maurice PAPON, dont un article du Canard Enchaîné2 ) avait révélé en 1981, à la veille du second tour des élections présidentielles, les responsabilités exercées comme secrétaire général de la Gironde dans la déportation des Juifs de ce département, fut à son tour inculpé pour crimes contre l'humanité.

    En 1983-1985, Serge KLARSFELD publia sous le titre Vichy-Auschwitz 3 ) le résultat de ses recherches sur les responsabilités du régime de Vichy dans la mise en oeuvre de la Shoah en France .

    En 1987, alors que je préparais une communication pour le colloque La Champagne et ses administrations 4 ), destinée à montrer comment il avait mis en place en Champagne la politique régionale de Vichy , René BOUSQUET accepta de me recevoir dans son appartement parisien.

    À cette époque, il était encore persuadé qu'il était intouchable et afficha une très grande sérénité :
           - l'instruction concernant Jean LEGUAY s'enlisait ; celle qui visait Maurice PAPON venait d'être annulée pour vice de forme par la Cour de cassation ;
           - lui-même avait été blanchi par la Haute Cour de Justice en 1949 et se réfugiait derrière l'autorité de la chose jugée ;
           - en outre, il pouvait compter sur de solides et fidèles amitiés, dans tous les milieux, y compris me précisa-t-il, mais sans citer le nom de François MITTERRAND, « à l'Élysée et au niveau le plus élevé » ;
           - il n'était pas inquiet de l'action menée par Serge KLARSFELD qu'il considérait, disait-il, comme celle d' « un agité, manipulé par le lobby juif américain » 5 ).

    Mais, René BOUSQUET fut à son tour, malgré l'amitié qui le liait au président de la République, François MITTERRAND, rattrapé par son passé.
    En 1989, son ancien subordonné Jean LEGUAY est mort avant d'avoir été jugé ; cependant, l'ordonnance déclarant après son décès l'action publique éteinte relevait que « l'information [ avait ] permis d'établir... sa participation à des crimes contre l'humanité » 6 ).


L'inculpation de René Bousquet

    Conforté par cette ordonnance, Serge KLARSFELD décida de porter plainte contre René BOUSQUET, afin d'obtenir l'inculpation de l'ancien patron de LEGUAY.
    Il apporta des éléments nouveaux par rapport au dossier examiné par la Haute Cour de Justice de 1945 à 1949, sous la forme d'un télégramme par lequel le secrétaire général à la Police de Vichy, en 1942, aurait donné des instructions pour réduire les cas d'exemption, concernant les arrestations d'enfants juifs 7 ).
    En 1990, alors que je préparais une communication sur BOUSQUET pour le colloque Vichy et les Français 8 ), je sollicitai un nouvel entretien auprès de lui.
    Il me téléphona pour me dire qu'il ne souhaitait pas me recevoir à nouveau à Paris, mais il me parla au téléphone assez longuement.
    Je le sentis désormais beaucoup moins sûr de lui et inquiet, mais prêt à se défendre.
    En 1991, René BOUSQUET a été inculpé à son tour pour crimes contre l'humanité, mais il a été assassiné le 8 juin 1993 dans son appartement parisien par Christian DIDIER, au moment même où la procédure intentée contre lui allait aboutir à un renvoi devant une Cour d'assises
   
Condamné en 1995 à 10 ans de réclusion criminelle, Christian DIDIER a été remis en liberté le 24 février 2000, et s'est retiré dans les Vosges, à Saint-Dié sa ville natale. À cette occasion, il a déclaré à la presse en se présentant comme « poète et humaniste autodidacte », qu'il regrettait beaucoup son  « geste imbécile » de 1993 qu'il expliquait par son « état dépressif et délirant », et qu'il admettait que son acte en empêchant un second procès Bousquet, avait bloqué ou en tout cas retardé le débat judiciaire sur la responsabilité de Vichy dans la mise en œuvre de la solution finale en France par les nazis 9 ).


Le procès de Maurice Papon

   LEGUAY et BOUSQUET sont morts.
   Le procès TOUVIER de 1994, a été le procès d'un homme et non pas celui de Vichy, comme aurait pu l'être un second procès Bousquet.
   Restait Maurice PAPON accusé d'avoir ordonné l'arrestation et la déportation vers le camp de Drancy de 1 690 Juifs, qui a été renvoyé, au terme d'une procédure de 15 ans, devant la Cour d'Assises de la Gironde.

    Ouvert en octobre 1997, le procès PAPON devant la Cour d'assises de la Gironde, qui a duré six mois, a été jalonné de rebondissements multiples à commencer par la mise en liberté de l'inculpé en raison de son âge ( 87 ans ) et de son état de santé, péripéties liées aussi sans doute à sa personnalité : il avait été préfet de Police de Paris de 1958 à 1967, sous la République gaullienne, député du parti gaulliste sous l'étiquette UDR-RPR, et ministre du Budget dans le gouvernement de Raymond BARRE sous la présidence de Valéry GISCARD D'ESTAING.

    Ce procès a amené un certain nombre d'historiens à se muer en témoins à charge ou au contraire en témoins de la défense.
    Il a conduit les représentants des corps des policiers et des juges, de l'ordre des médecins et de l'Église catholique, à exprimer les uns et les autres leur « repentance ».

    À l'issue de ce procès qui s'est achevé en avril 1998, Maurice PAPON, reconnu coupable de complicité de crimes contre l'humanité, a été condamné à dix ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques, mais il a quitté la Cour d'Assises libre et s'est aussitôt pourvu en cassation 10 ).

    En 1999, refusant de se constituer prisonnier à la veille de l'examen de son pourvoi, il s'est enfui en Suisse.
    La Chambre criminelle de la Cour de cassation, constatant qu'il ne s'était pas constitué prisonnier, a prononcé la déchéance de son pourvoi et a déclaré sa condamnation définitive.
    Sous le coup d'un mandat d'arrêt international, Maurice PAPON a été immédiatement arrêté par les autorités helvétiques, remis aux autorités françaises et transféré à la prison de Fresnes pour purger sa peine.

   Les avocats de Maurice PAPON, considèrant son incarcération comme contraire au droit européen qui proscrit les « traitements inhumains et dégradants » ont saisi la Cour européenne des droits de l'homme 11 ).

   En février 2001, Maurice PAPON s'est exprimé pour la première fois depuis son incarcération en adressant une lettre au ministre de la Justice, Marylise LEBRANCHU,
dans laquelle il affirmait être « sans regrets,  ni remords » 12 ).

  En avril 2002, le Conseil d'État a reconnu que la responsabilité de l'État français était engagée dans la déportation des Juifs de Gironde pendant l'occupation allemande, ce qui a conduit ses avocats à réclamer la prise en charge par l'État de l'indemnisation des parties civiles à laquelle PAPON avait été condamné.
   Après son incarcération à Fresnes toutes les demandes de grâce et de mise en liberté pour raison médicale présentées par les avocats de Maurice PAPON ont été rejetées.

   Le 25 juillet 2002, la Cour européenne des droits de l'homme, considérant que la procédure de « mise en état » ( procédure qui obligeait à l'époque un condamné à se constituer prisonnier avant un pourvoi en cassation mais qui a été abolie depuis 2000 par la loi sur la présomption d'innocence ) était contraire à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a condamné la France pour « procès inéquitable ».
   Elle a alloué 29 193 euros au titre des frais et dépens à Maurice PAPON dont les avocats ont réclamé la remise en liberté immédiate et un réexamen de son pourvoi en cassation dans l'espoir d'obtenir un renvoi devant la Cour de cassation 13 ).

   Le 18 septembre 2002, la Cour d'Appel de Paris, dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades, s'appuyait sur deux expertises médicales affirmant que Maurice PAPON était atteint d'« une pathologie engageant son pronostic vital » et que son état était « durablement incompatible » avec son maintien en détention, pour ordonner une suspension de peine en sa faveur.
   Incarcéré à la Prison de la Santé depuis 1999, l'ancien secrétaire général de la Gironde a été immédiatement remis en liberté.
   
Quoique déclaré quasiment impotent, il a quitté le prison de la Santé, en marchant seul, sans canne ni aide, jusqu'à la voiture de son avocat ( 14 ).

   Le 22 janvier 2003, la Cour d'Appel de Paris a confirmé l'interdiction, obtenue par les avocats de Maurice PAPON, de la diffusion par la chaîne de télévision Histoire d'extraits du procès à l'issue duquel il avait été condamné à 10 ans de réclusion criminelle en 1998 15 ).


   Le 13 février 2003, la Cour de cassation a confirmé la suspension de peine de Maurice PAPON et sa remise en liberté anticipée ( 16 ).

   Le 4 juillet 2003, Maurice PAPON a obtenu le rétablissement par le Conseil d'État de sa pension de haut fonctionnaire suspendue en 1999 ( double retraite d'ancien préfet et d'ancien ministre ), avec effet rétroactif et versement des intérêts ( 17 ).

   Le 16 juillet 2003,Maîtres Jean-Marc VARAULT et Francis VUILLEMIN ont déposé devant la Cour de cassation une demande de réexamen. Il s'agit pour ses avocats de tenter d'obtenir un renvoi permettant de casser l'arrêt de la Cour d'assises de la Gironde, et de permettre à Maurice PAPON d'être jugé à nouveau devant autre juridiction 18 ).

   Le 16 février 2004, dans un long entretien accordé à l'hebdomadaire Le Point, Maurice PAPON affirmait que, n'ayant pas conscience d'être coupable et convaincu d'être sans reproche, il n'avait à exprimer ni remords, ni regrets qui seraient perçus comme des aveux :

   Je ne me suis jamais trouvé dans la position d'engendrer un événement qui porte au remords, je ne vois pas pourquoi j'en exprimerais.

   Le 26 février 2004, la commission de réexamen des condamnations pénales a demandé à la Cour de cassation de réexaminer le pourvoi déposé par les avocats de Maurice PAPON, et soit de confirmer le verdict par lequel la Cour d'assises de la Gironde l'avait condamné en 1998, soit d'ouvrir la voie à un nouveau procès en renvoyant PAPON devant une nouvelle Cour d'assises ( 19 ).
   Le 11 juin 2004, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi déposé par les avocats de Maurice PAPON, confirmant ainsi sa condamnation en 1998 à 10 ans de réclusion pour complicité de crimes contre l'humanité. Néanmoins, PAPON a demandé à ses avocats de tenter une ultime voie de recours et de saisir la commission de révision de la Cour de cassation en s'appuyant sur l'arrêt du Conseil d'État du 12 avril 2002 qui « a déclaré l'État français responsable de la participation de la préfecture de la Gironde à l'exécution des ordres nazis d'arrestation et de séquestration », responsabilité qui selon ses avocats remet en cause la culpabilité personnelle de leur client 20 ).

   Prévue initialement pour janvier 2003, mais différée en raison des recours et demandes d'interdiction déposés devant la justice par les avocats de Maurice PAPON, la diffusion à la télévision sur la chaîne Histoire du procès de l'ancien secrétaire général de la Gironde a été finalement programmée du 2 février au 13 mars 2005, c'est-à dire, quelques jours après les commémorations du 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, marquées par l'inauguration à Paris du Mur où sont gravés les noms des 76 0000 Juifs déportés de France.

     Jusqu'à sa mort survenue le 17 février 2007, ses avocats
n'ont pas cessé de multiplier les démarches pour obtenir sa réhabilitation, en utilisant toutes les possibilités juridiques qu'offrent l'État de droit, et dès l'annonce de son décès, son avocat Maître Francis VUILLEMIN déclarait qu'il « veillerait personnellement à ce que l'accompagne dans son tombeau la croix de commandeur de la Légion d'honneur que Charles de Gaulle lui a remise de ses propres mains, pour l'éternité », ultime tentative de réhabilitation posthume qui a suscité une polémique. Après sa condamnation en 1998 à 10 ans de réclusion, un décret lui avait retirer cette décoration, et il avait été condamné pour port illégal de la Légion d'honneur par le tribunal correctionnel de Melun à la suite de la publication d'une photographie dans Le Point en février 2004 21 ).


Sur le site du journal Sud-Ouest

Procès Papon : les archives

Mise en ligne originale entre octobre 1997 et avril 1998


Sur le site des parties civiles

Affaire Papon

Historique - Contributions - Documents


Sur le site du
Cercle d'étude de la déportation et de la Shoah
Amicale d'Auschwitz

Conférence de maître Michel Zaoui
avocat de l'Amicale d'Auschwitz au procès Papon

6 mai 1998


Sur le site Thucydide

Le procès Papon ( 1997-1998 )

Dossier mis en ligne par Philippe MALLARD
professeur au
Collège Max Bramerie de La Force ( Dordogne )

 

   René BOUSQUET, secrétaire général de la Police de 1942 à 1944, qui avait été blanchi en 1949 par la Haute Cour de Justice, a été assassiné en 1993 au moment où il allait être jugé à nouveau.

   
Jean LEGUAY, son subordonné et représentant auprès des autorités allemandes d'occupation, est mort en 1989 avant d'avoir pu être jugé.

   Maurice PAPON, secrétaire général de la Gironde de 1942 à 1944 jugé et condamné
en 1998 à 10 ans de réclusion criminelle, est donc l' unique haut-fonctionnaire français condamné pour complicité de crimes contre l'humanité pour son rôle dans la déportation de Juifs de Bordeaux pendant l'Occupation, remis en liberté en 2002, est mort libre le 17 février 2007 à l'âge de 96 ans.

   Toutes ces péripéties montrent qu'il est bien difficile en France de faire sanctionner par les tribunaux la responsabilité des hauts fonctionnaires de Vichy inculpés de « complicité de crimes contre l'humanité ».

© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000-2008
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et d'adaptation réservés pour tous pays.