Enseigner la mémoire ? > La mémoire des annés noires... > Reconnaissance officielle des crimes...
Retour
Suite

La reconnaissance officielle et solennelle
des crimes de l'État français

La déclaration du 16 juillet 1995
de Jacques Chirac, président de la République

L'engagement du Premier ministre Lionel Jospin
et de son gouvernement de 1997 à 2002

Une politique de reconnaissance poursuivie
par Jacques Chirac de 2002 à 2007

La reconnaissance de la responsabilité de l'État français
par le Conseil d'État en 2009

 

Menu




La déclaration du 16 juillet 1995
de Jacques Chirac, président de la République

   En 1995, Jacques CHIRAC a rompu avec l'attitude pour le moins ambiguë de François MITTERRAND.
   Il a prononcé ces paroles attendues que l'ancien président s'était toujours refusé à prononcer, et qui constituaient enfin une reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l'État français .

   Dès le 16 juillet 1995, peu de temps après son élection à la présidence de la République, il s'exprimait en ces termes à l'occasion du 53e anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver :

    Ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions.
    Oui, la folie criminelle de l'occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'É
tat français.
     La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l'homme,
terre d'accueil, terre d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable 1 ) .


L'engagement du Premier ministre Lionel Jospin
et de son gouvernement de 1997 à 2002

   Lionel JOSPIN qui avait succédé à François Mitterrand à la tête du Parti socialiste, lorsqu'il fut le candidat de la gauche à l'élection présidentielle de 1995, avait pris d'emblée du recul, au nom du « droit d'inventaire » par rapport aux positions de Mitterrand à l'égard du régime de Vichy, et par rapport aux liens d'amitié qui unissaient l'ancien président à René BOUSQUET.
    Devenu Premier ministre de cohabitation en juin 1997, il s'est exprimé clairement dès le 16 juillet, à l'occasion du 55e anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver et sur le même registre que le président CHIRAC :

     Cette rafle fut décidée, planifiée et réalisée par des Français. […]
     Ce crime doit marquer notre conscience nationale.
     Rappeler cela, si cruelle et révoltante que soit cette réalité, ne nous conduit pas à confondre le régime de Vichy et la République, les collaborateurs et les résistants, les prudents et les « justes »
.
     Il s'agit seulement de reconnaître avec solennité, comme le fit le président Jacques Chirac il y a deux ans, qu'un gouvernement, une administration de notre pays, ont alors commis l'irréparable 2 ).

    Le 21 octobre 1997, à la séance des questions à l'Assemblée nationale, en marge du procès Papon et pour répondre à un article de Philippe SÉGUIN qui interpellait dans Le Figaro le gouvernement et y dénonçait l' « esprit d'autoflagellation », Lionel JOSPIN réaffirma la nécessité de mener « l'effort de recherche sur notre passé » :

    Oui, des policiers, des administrateurs, des gendarmes,
une administration, un
État français ont perpétré, ont assumé devant l'histoire, des actes terrifiants, collaborant avec l'ennemi et avec la « solution finale » […]
    Mais il n'y a pas de culpabilité de la France parce que, pour moi, la France était à Londres ou dans le Vercors, […] parce que Vichy était la négation de la France, en tout cas la négation de la République.

    Et à François BAYROU, ancien ministre de l'Éducation nationale qui appelait à la réconciliation des Français, le Premier ministre répliqua en ces termes :

     Les Français ne se rassembleront pas au prix de l'oubli, en tirant un signe égal entre les prudents et les justes, entre les collaborateurs et les résistants.
      Ils se rassembleront seulement sur des valeurs, qui sont celles de la démocratie, de la République […]
     Je dis que cet exercice est nécessaire si nous savons en fixer les bornes pour que plus jamais, plus jamais, plus jamais ne reviennent ces événements tragiques 3 )
.

    Le 5 décembre 1997, à l'occasion du dépôt du fichier juif dans la crypte du Mémorial du martyr juif inconnu 17, rue Geoffroy-l'Asnier à Paris, Jacques CHIRAC évoquant les rafles et « l'abdication morale du régime de Vichy » a déclaré à nouveau :

     Oui la France de l'Occupation a existé. Oui, les arrestations, les rafles, les convois ont été organisés avec le concours de l'administration française.
    Oui, des camps d'internements et de transit, Pithiviers, Beaune-la-Rolande, Drancy, Compiègne et tant d'autres, ont été sous la responsabilité de celle-ci, de même que les recensements et la constitution des fichiers.
    Cela doit être dit et reconnu. Non pour se flageller avec le passé, mais pour inventer le présent sur des bases saines et claires, ce qui suppose que nous regardions en face notre histoire 4 ).

    Le 11 novembre 1998, à l'occasion du 80e anniversaire de l'armistice de 1918, ni Jacques CHIRAC, ni Lionel JOSPIN n'ont fait fleurir la tombe du maréchal PÉTAIN à l'île d'Yeu. Il a été décidé d'un commun accord entre le président de la République et le Premier ministre, que seuls seraient honorés à l'occasion de cet anniversaire décennal, les trois personnalités qui, selon deux lois de 1918 et 1920, ont été proclamées comme « ayant  bien mérité de la patrie » :
       - Raymond POINCARÉ, président de la République pendant la 1ère guerre mondiale ;
       - Georges CLEMENCEAU, président du Conseil à la fin du conflit et au moment de la        victoire ;
       - et le maréchal FOCH, commandant en chef des armées alliées en 1918 5 ).

    À la Conférence internationale sur l'éducation, la recherche et la mémoire de la Shoah, qui s'est tenue à Stockholm en janvier 2000, le Premier ministre Lionel JOSPIN, a déclaré que la France avait tardé à « reconnaître la responsabilité de l'État français dans la persécution et la spoliation des Juifs de France pendant la deuxième guerre mondiale ».
    Il a annoncé que son gouvernement allait participer au financement des travaux d'extension du Mémorial du martyr juif inconnu qui abrite le Centre de documentation juive contemporaine ( CDJC ) à Paris, et qu'il apporterait son soutien à la création d'une Fondation vouée à l'enseignement de la Shoah et à la diffusion dans l'ensemble des écoles de France d'un ouvrage consacré à la Shoah :

   L'enseignement de la Shoah, la compréhension des causes qui l'ont permise, l'hommage rendu à ceux qui l'ont combattue, constitue un devoir.
   En France nous souscrivons désormais pleinement à ce devoir de mémoire et d'éducation 6 ).

    Le 29 février 2000, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une proposition de loi déposée par le député socialiste, Jean LE GARREC, président de la Commission des affaires sociales, qui institue le 16 juillet, jour anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver, « Journée nationale à la mémoire des victimes de crimes racistes et antisémites de l'État français et d'hommage aux " justes " de France 7 ) ».
    Le but de cette loi est de lever les ambiguïtés que contenait le décret de 1993 qui avait déjà fait du 16 juillet une « Journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites ». Alors que le décret de 1993 précisait que ces persécutions avaient été « commises sous l'autorité de fait dite " gouvernement de l'État français ( 1940-1944 ) " », la loi de février 2000 mentionne explicitement « les crimes racistes et antisémites de l'État français » sans circonvolutions et sans mettre
État français entre guillemets.
    Le rapporteur de cette loi, Daniel MARCOVITCH, en a souligné la portée en ces termes :

Il importe aujourd'hui de reconnaître que l'État français, légal à défaut d'être légitime, a bien participé à ces crime8 ).

   En octobre 2000, le ministre de l'Éducation nationale, Jack LANG, a fait parvenir dans tous les collèges et les lycées, plusieurs exemplaires de l'ouvrage « Dites- le à vos enfants » - Histoire de la Shoah en Europe. La diffusion de cet ouvrage tiré à 100 000 exemplaires, est la réponse du gouvernement français à l'engagement pris par le Premier ministre, Lionel JOSPIN, à la Conférence de Stockholm sur l'éducation, la mémoire et la recherche sur la Shoah. ll a aussi pour objectif de « mieux faire connaître ce que sont les persécutions racistes et antisémites ».

   Le 26 avril 2001, le Premier ministre, Lionel JOSPIN, a réaffirmé les engagements de son gouvernement en matière de politique de mémoire, à l’occasion de l’inauguration de la plaque en hommage à Georges MORIN, fonctionnaire de l'Office national des anciens combattants, déporté-résistant : 

   [...] Nous exprimons aussi cette reconnaissance en veillant au devoir de mémoire.
   Cette année, notre pays célèbre, en particulier, le souvenir de celles et ceux qui ont contribué, sur notre sol, il y a soixante ans, à l’éveil de la Résistance.
   [...] Ce travail de mémoire exige détermination et lucidité.
   Nous ne devons pas craindre de nous confronter à notre passé, avec ses ombres et ses lumières.
   Il nous faut lutter contre l’oubli et contre la déformation des faits.
   Nous devons savoir regarder notre Histoire en face.
   Le Gouvernement s’y est appliqué à plusieurs reprises.
   À l’occasion des cérémonies du 80ème anniversaire de l’armistice de 1918, j’ai affirmé une première fois l’exigence de vérité.
   Lors de ma visite à Craonne, sur le Chemin des Dames, j’ai souhaité que le souvenir des soldats qui, après avoir durement combattu, avaient refusé d’être sacrifiés de façon irresponsable, soit pleinement réintégré dans la mémoire collective.
   De même, la responsabilité du régime de Vichy dans la persécution des Juifs a été reconnue.
    J’ai tenu à ce que les orphelins des déportés juifs soient indemnisés pour réparer ce qui pouvait encore l’être, car j’estime que la persécution particulière qui fut la leur devait être prise en compte.
   Nul ne doit rester à l’écart de cette entreprise de mémoire.
   Il est important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l’Occupation contre certaines minorités – les réfugiés espagnols, les tziganes ou les homosexuels.
   C’est pourquoi le Gouvernement a notamment étendu, en 1998, le droit à réparation aux déportés de nationalité étrangère arrêtés en France.
   Au moment où disparaissent les témoins de ces moments tragiques de notre histoire, il me paraît nécessaire de renforcer le rôle des fondations qui œuvrent à la perpétuation du souvenir de la Seconde Guerre mondiale.
   Depuis leur création, la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, la Fondation de la Résistance et la Fondation de la France Libre ont alimenté la réflexion et nourri les débats sur ces années sombres.
   Animées, depuis le début, par les valeurs de la Résistance, elles contribuent à les faire vivre encore aujourd’hui et à les transmettre aux jeunes générations. Conscient de leur contribution majeure au nécessaire travail d’élucidation du passé, le Gouvernement a décidé de mieux soutenir ces institutions.
   Le Musée de la France Libre, inauguré l’an dernier par le Président de la République, a été créé pour conserver les témoignages d’un grand chapitre de notre histoire.
   Aujourd’hui, le Gouvernement souhaite renforcer son soutien à la Fondation de la Résistance et à la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, afin de mieux garantir la pérennité de leur mission.
   Il a décidé d’accroître, dès l’an prochain, et de façon très substantielle, la dotation en capital de ces deux fondations 9 ).

   Au début de 2002, a été diffusé dans tous les lycées, un DVD coédité par le ministère de l'Éducation nationale et le Centre national de documentation pédagogique dans le cadre du Plan Arts et Culture, contenant 173 minutes d'extraits du film de Claude LANZMANN, Shoah, accompagné de l'ouvrage de Jean-François FORGES, Shoah de Claude Lanzmann - Le cinéma, la mémoire, l'histoire.


Une politique de reconnaissance poursuivie
par Jacques Chirac de 2002 à 2007

   Le 21 juillet 2002, en commémorant le 60e anniversaire de la rafle du Vél' d'Hiv' sur le site de l'ancien vélodrome, le Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, a réaffirmé la responsabilité et la complicité de l'État français dans la mise en œuvre de la Shoah en France par les nazis, dans les mêmes termes explicites utilisés en 1995 par Jacques CHIRAC et en 1997 par Lionel JOSPIN :

   Oui, le président de la République a eu raison de dénoncer au nom de la France les complices des nazis.
   Oui, « la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'
État français », selon ses propres mots si forts, si justes et ô combien nécessaires [...]
   Oui, le Vél d'Hiv', Drancy, Compiègne et tous les camps de transit, ces antichambres de la mort, ont été organisés, gérés, gardés par des Français.
   Oui , le premier acte de la Shoah, s'est joué ici, avec la complicité de l'État français 10 ).

   Le 8 juillet 2004, le président Jacques CHIRAC venu rendre hommage à la population du village du Chambon-sur-Lignon dans la Haute-Loire, a de nouveau évoqué la responsabilité du régime de Vichy dans la mise en œuvre du génocide :

   Guidés par des pasteurs et des enseignants admirables, villageois et paysans du « Plateau », habitants du Chambon et des localités voisines qui ont partagé le même idéal, refuseront, pour reprendre le titre d'un livre édité ici même, au Chambon, « les matins bruns ».
   Ils refuseront l'infamie du régime de Vichy.
   Ils feront du beau verbe « résister » leur étendard.
   Ils transformeront chacune de leurs fermes en refuge.
   
Quand d'autres, secondés par l'État français, commettaiernt l'irréparable, ici, des milliers de Juifs, dont beaucoup d'enfants poursuivis par la menace d'extermination des nazis, trouvèrent hospitalité et refuge.
   Ils y trouvèrent le salut.
   Dans l'anonymat, la discrétion, dans le simple élan de la main tendue, de la fraternité et de l'humanité partagées, refusant la loi de la haine, le « Plateau », Juste parmi les nations, le « Plateau » a grandi la France 11 ).

   Le 25 janvier 2005, à l'occasion de l'inauguration à Paris du Mémorial de la Shoah qui a été un temps fort de la commémoration en France du 60e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, le président de la République, Jacques CHIRAC, est venu se recueillir devant le Mur des noms gravés à la mémoire des 76 000 Juifs déportés de France.
   I
l a renouvelé « l'engagement de la France à toujours se souvenir du martyre juif » et a rappelé « la promesse de notre pays de ne jamais oublier ce qu'il n'a pas su empêcher » :

   En cet instant, l'histoire hante nos consciences.
   Elle nous fait un devoir pour toujours.
   Ce devoir c'est d'abord une exigence de vérité [...]
   La mémoire de la Shoah n'est pas seulement celle d'une communauté.    Elle est notre mémoire commune.
   Elle est l'obligation pour la Nation, de se rappeler son histoire 12 ).

   Le 27 janvier 2005, venu participer en Pologne, à la cérémonie internationale commémorant le 60e anniversaire de la découverte par l'Armée rouge des camps d'Auschwitz, Jacques CHIRAC, après avoir nauguré l'exposition Déportés de France à Auschwitz : 27 mars 1942 - 27 janvier 1945 au pavillon français d'Auschwitz, a rendu hommage aux victimes du génocide nazi et il a rappelé solennellemnt devant les délégations d'une quarantaine de pays, les responsabilités de l'État français dans la mise en œuvre de ce génocide :

   Juifs de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines, qui ont tant apporté à notre pays, à notre culture, à notre civilisation, happés par la folie criminelle des nazis : vos enfants, vos familles, vos compatriotes se souviennent de vous.
    Votre souvenir, celui de ce « monde qui fut », est pour la France plus qu'une douleur.
    Il est la conscience d'une faute.
    Il est une exigence de responsabilité.
   
Se souvenir, c'est être là. Mais c'est aussi agir [...]
   
Nous le faisons, en France, en maintenant fermement l’exigence de mémoire, qui est une exigence de vérité et de responsabilité.   
   
C'est dans cet esprit que notre pays a reconnu en 1995 ce que fut la réalité de son histoire. Ce que furent ses responsabilités 13 ).

   En 2007, à l'initiative de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et de sa présidente, Simone VEIL, la célébration du 27 janvier a été précédée en France par un hommage solennel rendu aux Français qui ont sauvé des milliers de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
   Le 18 janvier 2007, le président de la République, Jacques CHIRAC, a présidé au Panthéon une cérémonie au cours de laquelle a été inaugurée une plaque commémorative en hommage aux  « Justes de France » :

   Hommage de la nation aux Justes de France

   Sous la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans les années d'occupation, des lumières, par milliers, refusèrent de s'éteindre.
   Nommés « Justes parmi les nations » ou restés anonymes, des femmes et des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé des juifs des persécutions antisémites et des camps d'extermination.
   Bravant les risques encourus, ils ont incarné l'honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance et d'humanité.

   Dans son allocution, Jacques CHIRAC a encore une fois souligné à cette occasion la responsabilité du gouvernement de Vichy dans le mise en œuvre par les nazis du génocide en France, et renouvelé sa détermination à lutter contre l'antisémitisme, le négationnisme et tous les racismes ( 14 ) :

   [...] En France même, le pays des Lumières et des droits de l'Homme, le pays où tant de grands hommes se sont levés pour l'honneur du capitaine Dreyfus, le pays qui a porté Léon Blum à la tête du gouvernement, en France, un sombre linceul de résignation, de lâcheté, de compromissions recouvre les couleurs de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.
   Le pouvoir de Vichy se déshonore, édictant de sa propre initiative, dès le 3 octobre 1940, le sinistre Statut des Juifs, qui les exclut de presque toutes les fonctions.
   Les Juifs de France sont d'autant plus stupéfaits de cet antisémitisme d'État que leur pays est celui qui le premier en Europe, dès 1791, leur a accordé les droits des citoyens. Ils aiment leur patrie avec passion. Ils se sont battus pour elle, comme Marc Bloch et tant d'autres, en 1914 et en 1939 : soudain, devant leurs yeux incrédules, la République abdique, rend les armes à Pétain et à Laval, cède la place à une clique revancharde et haineuse.
   
Voilà 65 ans, en France, il y a la honte du premier convoi de déportation, le 27 mars 1942. Il y a l'ordonnance allemande du 7 juin et l'ignominie de l'étoile jaune. Il y a le crime irréparable du Vel d'Hiv', les 16 et 17 juillet. Il y a, du 26 au 28 août, la rafle de milliers de Juifs étrangers en zone libre [...]
   
Il y a les ténèbres. Mais il y a aussi la lumière. La France affamée, terrorisée, coupée en deux par la ligne de démarcation, est étourdie par l'ampleur de la défaite. Mais très vite, des voix s'élèvent [...]   Aujourd'hui, pour cet hommage de la nation aux Justes de France, reconnus ou anonymes, nous sommes rassemblés pour évoquer notre passé, mais aussi pour enrichir notre présent et notre avenir. « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier », dit le Talmud, devise qui orne la médaille des Justes. Il faut en comprendre toute la force : en sauvant une personne, chaque Juste a en quelque sorte sauvé l'humanité. Cette mémoire, soyez-en certains, soyez-en fiers, perdurera de génération en génération [...]
   
Vous, Justes de France, vous avez transmis à la nation un message essentiel, pour aujourd'hui et pour demain : le refus de l'indifférence, de l'aveuglement. L'affirmation dans les faits que les valeurs ne sont pas des principes désincarnés, mais qu'elles s'imposent quand une situation concrète se présente et que l'on sait ouvrir les yeux.
   
Plus que jamais, nous devons écouter votre message : le combat pour la tolérance et la fraternité, contre l'antisémitisme, les discriminations, le racisme, tous les racismes, est un combat toujours recommencé.
   Si l'antisémitisme s'est déchaîné dans les années 1930 et 1940, c'est faute d'avoir été condamné avec la fermeté nécessaire. C'est parce qu'il a été en quelque sorte toléré comme une opinion parmi d'autres.
   Telle est la leçon de ces années noires : si l'on transige avec l'extrémisme, il faut bien le mesurer, on lui offre un terreau pour prospérer, et tôt ou tard on en paye le prix. Face à l'extrémisme, il n'y a qu'une attitude : le refus, l'intransigeance. Et c'est sans merci qu'il faut lutter contre le négationnisme, crime contre la vérité, perversion absolue de l'âme et de l'esprit, forme la plus ignoble, la plus abjecte de l'antisémitisme 15 ).

Jacques CHIRAC
au Panthéon le 18 janvier 2007


La reconnaissance de la responsabilité de l'État français
par le Conseil d'État en 2009

   Par un avis donné le 16 février 2009 à la suite de la demande de réparation déposée auprès du tribunal administratif de Paris par la fille d'un déporté juif mort à Auschwitz, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a reconnu « la responsabilité de l’État français dans la déportation résultant des persécutions antisémites » pendant le Seconde Guerre mondiale, et considéré que « les différentes mesures prises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tant sur le plan indemnitaire que symbolique, ont réparé, autant qu'il était possible, l’ensemble des préjudices » :

   [...] Le Conseil d’État reconnaît la faute et la responsabilité de l’État en raison des dommages causés par les agissements qui, ne résultant pas d’une contrainte directe de l’occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites. Engagent en particulier cette responsabilité les arrestations, internements et convoiements qui ont abouti à la déportation de 76 000 personnes, dont 11 000 enfants, 3 000 d’entre elles seulement étant revenues des camps. Ces persécutions, en rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et par la tradition républicaine, ont provoqué des dommages exceptionnels et d’une gravité extrême. [...]
   Le Conseil d’État a ensuite passé en revue les mesures prises pour compenser ces préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et leurs ayants droit. Il estime que, prises dans leur ensemble, et bien qu’elles aient procédé d’une démarche très graduelle et reposé sur des bases largement forfaitaires, ces mesures ont permis, autant qu’il a été possible, l’indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l’État qui ont concouru à la déportation. Il précise que ces mesures sont comparables, tant par leur nature que dans leur montant, à celles adoptées par les autres Etats européens dont les autorités ont commis des agissements semblables. Il souligne que cette indemnisation est conforme aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales
   Cet avis comporte une innovation juridique. Le Conseil d’État estime en effet que la réparation de ces souffrances exceptionnelles ne pouvait se borner à des mesures d’ordre financier : elle appelait la reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l’État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doit à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles. L’avis prend acte de ce que cette reconnaissance a été accomplie par les actes et initiatives des autorités publiques françaises [...]

 

© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000-2009
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.