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La déclaration du 16 juillet 1995
de Jacques Chirac, président de la République
En
1995, Jacques
CHIRAC a rompu avec l'attitude
pour le moins ambiguë de François
MITTERRAND.
Il a prononcé ces paroles
attendues que l'ancien président s'était toujours refusé
à prononcer, et qui constituaient enfin une
reconnaissance officielle et solennelle des crimes de l'État
français .
Dès
le 16 juillet 1995, peu de temps après son élection à la
présidence de la République, il s'exprimait en ces termes à l'occasion
du 53e anniversaire de la rafle du Vélodrome d'Hiver :
Ces
heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure
à notre passé et à nos traditions.
Oui, la folie criminelle de l'occupant a été,
chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l'État
français.
La France, patrie des Lumières, patrie
des Droits de l'homme,
terre d'accueil, terre d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait
l'irréparable ( 1 ) .
L'engagement du Premier ministre Lionel Jospin
et de son gouvernement de 1997 à 2002
Lionel
JOSPIN qui avait succédé
à François Mitterrand à la tête du Parti socialiste, lorsqu'il fut le
candidat de la gauche à l'élection présidentielle de 1995,
avait pris
d'emblée du recul,
au nom du « droit
d'inventaire » par rapport aux positions de Mitterrand
à l'égard du régime de Vichy, et par rapport aux liens d'amitié qui
unissaient l'ancien président à René
BOUSQUET.
Devenu Premier ministre de cohabitation en
juin 1997, il s'est exprimé clairement dès
le 16 juillet, à l'occasion du 55e anniversaire de la rafle
du Vélodrome d'Hiver et sur le même registre que le président
CHIRAC :
Cette
rafle fut décidée, planifiée et réalisée par des Français. […]
Ce crime doit marquer notre conscience nationale.
Rappeler cela, si cruelle et révoltante
que soit cette réalité, ne nous conduit pas à confondre le régime
de Vichy et la République, les collaborateurs et les résistants, les
prudents et les « justes ».
Il s'agit seulement de reconnaître avec
solennité, comme le fit le président Jacques Chirac il y a deux ans,
qu'un gouvernement, une administration de notre pays, ont alors commis
l'irréparable ( 2 ).
Le
21 octobre 1997, à la séance des questions à l'Assemblée
nationale, en marge du procès Papon et pour répondre à un article de
Philippe SÉGUIN qui interpellait
dans Le Figaro le gouvernement
et y dénonçait l' «
esprit d'autoflagellation », Lionel
JOSPIN réaffirma la nécessité de mener «
l'effort de recherche sur notre passé » :
Oui,
des policiers, des administrateurs, des gendarmes,
une administration, un État
français ont perpétré, ont assumé devant l'histoire, des actes terrifiants,
collaborant avec l'ennemi et avec la « solution finale » […]
Mais il n'y a pas de culpabilité de la France parce
que, pour moi, la France était à Londres ou dans le Vercors, […] parce
que Vichy était la négation de la France, en tout cas la négation
de la République.
Et
à François BAYROU, ancien ministre
de l'Éducation
nationale qui appelait à la réconciliation des
Français, le Premier ministre répliqua en ces termes
:
Les
Français ne se rassembleront pas au prix de l'oubli, en tirant un
signe égal entre les prudents et les justes, entre les collaborateurs
et les résistants.
Ils se rassembleront seulement
sur des valeurs, qui sont celles de la démocratie, de la République
[…]
Je dis que cet exercice est nécessaire si
nous savons en fixer les bornes pour que plus jamais, plus jamais,
plus jamais ne reviennent ces événements tragiques ( 3 ).
Le
5 décembre 1997, à l'occasion du dépôt du fichier
juif dans la crypte du Mémorial du martyr juif inconnu 17,
rue Geoffroy-l'Asnier à Paris, Jacques
CHIRAC évoquant les rafles et «
l'abdication morale du régime de Vichy » a déclaré
à nouveau :
Oui
la France de l'Occupation a existé. Oui, les arrestations, les rafles,
les convois ont été organisés avec le concours de l'administration
française.
Oui, des camps d'internements et de transit, Pithiviers,
Beaune-la-Rolande, Drancy, Compiègne et tant d'autres, ont été sous
la responsabilité de celle-ci, de même que les recensements et la
constitution des fichiers.
Cela doit être dit et reconnu. Non pour se flageller
avec le passé, mais pour inventer le présent sur des bases saines
et claires, ce qui suppose que nous regardions en face notre histoire ( 4 ).
Le
11 novembre 1998, à l'occasion du 80e anniversaire de l'armistice
de 1918, ni Jacques CHIRAC,
ni Lionel JOSPIN
n'ont fait fleurir la tombe du maréchal
PÉTAIN
à l'île d'Yeu. Il a été décidé d'un commun accord entre le président
de la République et le Premier ministre, que seuls seraient honorés
à l'occasion de cet anniversaire décennal, les trois personnalités qui,
selon deux lois de 1918 et 1920, ont été proclamées comme « ayant
bien mérité de la patrie » :
- Raymond
POINCARÉ,
président de la République pendant la 1ère guerre mondiale ;
- Georges
CLEMENCEAU, président du Conseil
à la fin du conflit et au moment de la victoire ;
- et le maréchal
FOCH, commandant en chef des armées alliées en 1918 ( 5 ).
À
la Conférence internationale
sur l'éducation, la
recherche et la mémoire de
la Shoah, qui s'est tenue à Stockholm en
janvier 2000, le Premier ministre Lionel
JOSPIN, a déclaré que la France avait tardé
à « reconnaître la
responsabilité de l'État
français dans la persécution et la spoliation des Juifs de France pendant
la deuxième guerre mondiale ».
Il a annoncé que son gouvernement allait participer
au financement des travaux d'extension
du Mémorial du martyr juif inconnu qui abrite le Centre
de documentation juive contemporaine ( CDJC ) à
Paris, et qu'il apporterait son soutien à la création d'une Fondation
vouée à l'enseignement de la Shoah et à la diffusion dans
l'ensemble des écoles de France d'un ouvrage consacré à la Shoah :
L'enseignement
de la Shoah, la compréhension des causes qui l'ont permise, l'hommage
rendu à ceux qui l'ont combattue, constitue un devoir.
En France nous souscrivons désormais pleinement
à ce devoir de mémoire et d'éducation ( 6 ).
Le
29 février 2000, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité
une proposition de loi déposée par le député socialiste, Jean
LE GARREC, président de la Commission des affaires sociales,
qui institue le 16 juillet, jour anniversaire de la rafle du Vélodrome
d'Hiver, « Journée
nationale à la mémoire des victimes de crimes racistes et antisémites
de l'État
français et d'hommage aux " justes " de France ( 7 ) ».
Le but de cette loi est de lever les ambiguïtés
que contenait le décret de 1993 qui avait déjà fait du 16 juillet une
« Journée nationale
commémorative des persécutions racistes et antisémites ».
Alors que le décret de 1993 précisait que ces persécutions avaient été
« commises sous l'autorité
de fait dite " gouvernement de l'État
français ( 1940-1944 ) " », la loi de février
2000 mentionne explicitement « les crimes
racistes et antisémites de l'État
français » sans circonvolutions et sans mettre État
français entre guillemets.
Le rapporteur de cette loi, Daniel
MARCOVITCH, en a souligné la portée en ces termes :
Il
importe aujourd'hui de reconnaître que l'État français, légal
à défaut d'être légitime, a bien participé à ces crimes ( 8 ).
En
octobre 2000, le ministre de l'Éducation
nationale, Jack
LANG, a fait parvenir dans tous les collèges et les
lycées, plusieurs exemplaires de l'ouvrage « Dites-
le à vos enfants » - Histoire de la Shoah en
Europe. La diffusion de cet ouvrage tiré
à 100 000 exemplaires, est la réponse du gouvernement
français à l'engagement pris par le Premier ministre,
Lionel JOSPIN,
à la Conférence
de Stockholm sur l'éducation,
la mémoire et la recherche sur la Shoah. ll a aussi
pour objectif de « mieux
faire connaître ce que sont les persécutions racistes et
antisémites ».
Le 26
avril 2001, le Premier ministre, Lionel
JOSPIN, a réaffirmé les
engagements de son gouvernement en matière de politique de mémoire,
à loccasion de linauguration de la plaque en hommage
à Georges MORIN, fonctionnaire
de l'Office national des anciens combattants, déporté-résistant :
[...] Nous
exprimons aussi cette reconnaissance en veillant au devoir de mémoire.
Cette année, notre pays célèbre, en particulier,
le souvenir de celles et ceux qui ont contribué, sur notre sol, il
y a soixante ans, à l’éveil de la Résistance.
[...] Ce travail de mémoire exige détermination
et lucidité.
Nous ne devons pas craindre de nous confronter à
notre passé, avec ses ombres et ses lumières.
Il nous faut lutter contre l’oubli et contre la
déformation des faits.
Nous devons savoir regarder notre Histoire en face.
Le Gouvernement s’y est appliqué à plusieurs reprises.
À l’occasion des cérémonies du 80ème anniversaire
de l’armistice de 1918, j’ai affirmé une première fois l’exigence
de vérité.
Lors de ma visite à Craonne, sur le Chemin des Dames,
j’ai souhaité que le souvenir des soldats qui, après avoir durement
combattu, avaient refusé d’être sacrifiés de façon irresponsable,
soit pleinement réintégré dans la mémoire collective.
De même, la responsabilité du régime de Vichy dans
la persécution des Juifs a été reconnue.
J’ai tenu à ce que les orphelins des déportés juifs
soient indemnisés pour réparer ce qui pouvait encore l’être, car j’estime
que la persécution particulière qui fut la leur devait être prise
en compte.
Nul ne doit rester à l’écart de cette entreprise
de mémoire.
Il est important que notre pays reconnaisse pleinement
les persécutions perpétrées durant l’Occupation contre certaines minorités – les
réfugiés espagnols, les tziganes ou les homosexuels.
C’est pourquoi le Gouvernement a notamment étendu,
en 1998, le droit à réparation aux déportés de nationalité étrangère
arrêtés en France.
Au moment où disparaissent les témoins de ces moments
tragiques de notre histoire, il me paraît nécessaire de renforcer
le rôle des fondations qui œuvrent à la perpétuation du souvenir de
la Seconde Guerre mondiale.
Depuis leur création, la Fondation pour la Mémoire
de la Déportation, la Fondation de la Résistance et la Fondation de
la France Libre ont alimenté la réflexion et nourri les débats sur
ces années sombres.
Animées, depuis le début, par les valeurs de la
Résistance, elles contribuent à les faire vivre encore aujourd’hui
et à les transmettre aux jeunes générations. Conscient de leur contribution
majeure au nécessaire travail d’élucidation du passé, le Gouvernement
a décidé de mieux soutenir ces institutions.
Le Musée de la France Libre, inauguré l’an dernier
par le Président de la République, a été créé pour conserver les témoignages
d’un grand chapitre de notre histoire.
Aujourd’hui, le Gouvernement souhaite renforcer
son soutien à la Fondation de la Résistance et à la Fondation pour
la Mémoire de la Déportation, afin de mieux garantir la pérennité
de leur mission.
Il a décidé d’accroître, dès l’an prochain, et de
façon très substantielle, la dotation en capital de ces deux fondations
( 9 ).
Au
début de 2002, a été diffusé
dans tous les lycées, un DVD
coédité par le ministère de l'Éducation
nationale et le Centre national de documentation pédagogique
dans le cadre du Plan Arts et Culture, contenant 173 minutes d'extraits
du film de Claude LANZMANN, Shoah,
accompagné de l'ouvrage de Jean-François
FORGES, Shoah de Claude Lanzmann -
Le cinéma, la mémoire, l'histoire.
Une politique de reconnaissance poursuivie
par Jacques Chirac de 2002 à 2007
Le
21 juillet 2002,
en commémorant le 60e anniversaire de la rafle du Vél'
d'Hiv' sur le site de l'ancien vélodrome, le Premier ministre,
Jean-Pierre RAFFARIN, a
réaffirmé la responsabilité et la complicité
de l'État
français dans la mise en uvre de la Shoah en France par
les nazis,
dans les mêmes termes explicites utilisés en
1995 par Jacques CHIRAC
et en 1997 par Lionel
JOSPIN :
Oui,
le président de la République a eu raison de dénoncer
au nom de la France les complices des nazis.
Oui, « la folie criminelle de l'occupant a
été secondée par des Français, par l'État
français », selon ses propres mots si forts, si
justes et ô combien nécessaires [...]
Oui, le Vél d'Hiv', Drancy, Compiègne et
tous les camps de transit, ces antichambres de la mort, ont été
organisés, gérés, gardés par des Français.
Oui , le premier acte de la Shoah, s'est joué
ici, avec la complicité de l'État français ( 10 ).
Le 8 juillet 2004,
le président Jacques CHIRAC venu
rendre hommage à la population du village du
Chambon-sur-Lignon dans la Haute-Loire,
a de nouveau évoqué la responsabilité
du régime de Vichy dans la mise en uvre du génocide :
Guidés
par des pasteurs et des enseignants admirables, villageois et paysans
du « Plateau », habitants du Chambon et des
localités voisines qui ont partagé le même idéal,
refuseront, pour reprendre le titre d'un livre édité
ici même, au Chambon, « les matins bruns ».
Ils
refuseront l'infamie du régime de Vichy.
Ils feront du beau verbe « résister »
leur étendard.
Ils transformeront chacune de leurs fermes en refuge.
Quand
d'autres, secondés par l'État français, commettaiernt
l'irréparable, ici, des milliers de Juifs, dont beaucoup d'enfants
poursuivis par la menace d'extermination des nazis, trouvèrent
hospitalité et refuge.
Ils y trouvèrent le salut.
Dans l'anonymat, la discrétion, dans le simple
élan de la main tendue, de la fraternité et de l'humanité
partagées, refusant la loi de la haine, le « Plateau »,
Juste parmi les nations, le « Plateau » a grandi
la France ( 11 ).
Le
25 janvier 2005, à l'occasion de l'inauguration
à Paris du Mémorial de la Shoah
qui a été un temps fort de la commémoration en
France du 60e anniversaire de la libération
du camp d'Auschwitz, le président de la République,
Jacques CHIRAC, est
venu se recueillir devant le Mur des noms gravés
à la mémoire des 76 000 Juifs déportés
de France.
Il a renouvelé « l'engagement
de la France à toujours se souvenir du martyre juif »
et
a rappelé
« la promesse de notre pays de ne jamais oublier ce qu'il
n'a pas su empêcher » :
En
cet instant, l'histoire hante nos consciences.
Elle nous fait un devoir pour toujours.
Ce devoir c'est d'abord une exigence de vérité
[...]
La mémoire de la Shoah n'est pas seulement
celle d'une communauté. Elle est notre mémoire
commune.
Elle est l'obligation pour la Nation, de se rappeler
son histoire ( 12 ).
Le
27 janvier 2005,
venu participer en Pologne, à la cérémonie internationale
commémorant le 60e anniversaire
de la découverte par l'Armée rouge des camps d'Auschwitz,
Jacques CHIRAC,
après avoir nauguré
l'exposition Déportés
de France à Auschwitz : 27 mars 1942 - 27 janvier 1945
au
pavillon français d'Auschwitz, a rendu hommage aux victimes du
génocide nazi et il a rappelé solennellemnt devant les
délégations d'une quarantaine de pays, les
responsabilités de l'État français dans
la mise en uvre de ce génocide :
Juifs
de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines, qui
ont tant apporté à notre pays, à notre culture,
à notre civilisation, happés par la folie criminelle
des nazis : vos enfants, vos familles, vos compatriotes se souviennent
de vous.
Votre souvenir, celui de ce « monde
qui fut », est pour la France plus qu'une douleur.
Il est la conscience d'une faute.
Il est une exigence de responsabilité.
Se
souvenir, c'est être là. Mais c'est aussi agir [...]
Nous
le faisons, en France, en maintenant fermement lexigence de
mémoire, qui est une exigence de vérité et de
responsabilité.
C'est
dans cet esprit que notre pays a reconnu en 1995 ce que fut la réalité
de son histoire. Ce que furent ses responsabilités ( 13 ).
En
2007,
à l'initiative de la Fondation pour la
mémoire de la Shoah et de sa présidente, Simone
VEIL, la célébration
du 27 janvier a été précédée
en France par un hommage solennel
rendu aux
Français
qui ont sauvé des milliers de Juifs pendant
la Seconde Guerre mondiale.
Le 18 janvier 2007,
le président de la République, Jacques
CHIRAC, a présidé au Panthéon
une cérémonie au cours de laquelle a été
inaugurée une plaque commémorative
en hommage aux « Justes
de France » :
Hommage
de la nation aux Justes de France
Sous
la chape de haine et de nuit tombée sur la France dans
les années d'occupation, des lumières, par milliers,
refusèrent de s'éteindre.
Nommés « Justes parmi les
nations » ou restés anonymes, des femmes et
des hommes, de toutes origines et de toutes conditions, ont sauvé
des juifs des persécutions antisémites et des camps
d'extermination.
Bravant les risques encourus, ils ont incarné
l'honneur de la France, ses valeurs de justice, de tolérance
et d'humanité. |
Dans
son allocution,
Jacques CHIRAC a encore une fois
souligné à cette occasion
la responsabilité du gouvernement de
Vichy dans le mise en uvre par les nazis du génocide en
France, et renouvelé
sa détermination à
lutter contre l'antisémitisme, le négationnisme et tous
les racismes ( 14 ) :
[...] En
France même, le pays des Lumières et des droits de l'Homme,
le pays où tant de grands hommes se sont levés pour
l'honneur du capitaine Dreyfus, le pays qui a porté Léon
Blum à la tête du gouvernement, en France, un sombre
linceul de résignation, de lâcheté, de compromissions
recouvre les couleurs de la liberté, de l'égalité
et de la fraternité.
Le pouvoir de Vichy se déshonore, édictant
de sa propre initiative, dès le 3 octobre 1940, le sinistre
Statut des Juifs, qui les exclut de presque toutes les fonctions.
Les Juifs de France sont d'autant plus stupéfaits
de cet antisémitisme d'État que leur pays est celui
qui le premier en Europe, dès 1791, leur a accordé les
droits des citoyens. Ils aiment leur patrie avec passion. Ils se sont
battus pour elle, comme Marc Bloch et tant d'autres, en 1914 et en
1939 : soudain, devant leurs yeux incrédules, la République
abdique, rend les armes à Pétain et à Laval,
cède la place à une clique revancharde et haineuse.
Voilà
65 ans, en France, il y a la honte du premier convoi de déportation,
le 27 mars 1942. Il y a l'ordonnance allemande du 7 juin et l'ignominie
de l'étoile jaune. Il y a le crime irréparable du Vel
d'Hiv', les 16 et 17 juillet. Il y a, du 26 au 28 août, la rafle
de milliers de Juifs étrangers en zone libre [...]
Il
y a les ténèbres. Mais il y a aussi la lumière.
La France affamée, terrorisée, coupée en deux
par la ligne de démarcation, est étourdie par l'ampleur
de la défaite. Mais très vite, des voix s'élèvent [...] Aujourd'hui,
pour cet hommage de la nation aux Justes de France, reconnus ou anonymes,
nous sommes rassemblés pour évoquer notre passé,
mais aussi pour enrichir notre présent et notre avenir. « Quiconque
sauve une vie sauve l'univers tout entier », dit le Talmud,
devise qui orne la médaille des Justes. Il faut en comprendre
toute la force : en sauvant une personne, chaque Juste a en quelque
sorte sauvé l'humanité. Cette mémoire, soyez-en
certains, soyez-en fiers, perdurera de génération en
génération [...]
Vous,
Justes de France, vous avez transmis à la nation un message
essentiel, pour aujourd'hui et pour demain : le refus de l'indifférence,
de l'aveuglement. L'affirmation dans les faits que les valeurs ne
sont pas des principes désincarnés, mais qu'elles s'imposent
quand une situation concrète se présente et que l'on
sait ouvrir les yeux.
Plus
que jamais, nous devons écouter votre message : le combat pour
la tolérance et la fraternité, contre l'antisémitisme,
les discriminations, le racisme, tous les racismes, est un combat
toujours recommencé.
Si l'antisémitisme s'est déchaîné
dans les années 1930 et 1940, c'est faute d'avoir été
condamné avec la fermeté nécessaire. C'est parce
qu'il a été en quelque sorte toléré comme
une opinion parmi d'autres.
Telle est la leçon de ces années noires
: si l'on transige avec l'extrémisme, il faut bien le mesurer,
on lui offre un terreau pour prospérer, et tôt ou tard
on en paye le prix. Face à l'extrémisme, il n'y a qu'une
attitude : le refus, l'intransigeance. Et c'est sans merci qu'il faut
lutter contre le négationnisme, crime contre la vérité,
perversion absolue de l'âme et de l'esprit, forme la plus ignoble,
la plus abjecte de l'antisémitisme ( 15 ).
Jacques
CHIRAC
au
Panthéon
le 18 janvier 2007
La reconnaissance de la responsabilité de l'État français
par le Conseil d'État en 2009
Par un avis donné le 16 février 2009 à la suite de la demande de réparation déposée auprès du tribunal administratif de Paris par la fille d'un déporté juif mort à Auschwitz, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’État a reconnu « la responsabilité de l’État français dans la déportation résultant des persécutions antisémites » pendant le Seconde Guerre mondiale, et considéré que « les différentes mesures prises depuis la fin de la seconde guerre mondiale, tant sur le plan indemnitaire que symbolique, ont réparé, autant qu'il était possible, l’ensemble des préjudices » :
[...] Le Conseil d’État reconnaît la faute et la responsabilité de l’État en raison des dommages causés par les agissements qui, ne résultant pas d’une contrainte directe de l’occupant, ont permis ou facilité la déportation à partir de la France de personnes victimes de persécutions antisémites. Engagent en particulier cette responsabilité les arrestations, internements et convoiements qui ont abouti à la déportation de 76 000 personnes, dont 11 000 enfants, 3 000 d’entre elles seulement étant revenues des camps. Ces persécutions, en rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et par la tradition républicaine, ont provoqué des dommages exceptionnels et d’une gravité extrême. [...]
Le Conseil d’État a ensuite passé en revue les mesures prises pour compenser ces préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la déportation et leurs ayants droit. Il estime que, prises dans leur ensemble, et bien qu’elles aient procédé d’une démarche très graduelle et reposé sur des bases largement forfaitaires, ces mesures ont permis, autant qu’il a été possible, l’indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l’État qui ont concouru à la déportation. Il précise que ces mesures sont comparables, tant par leur nature que dans leur montant, à celles adoptées par les autres Etats européens dont les autorités ont commis des agissements semblables. Il souligne que cette indemnisation est conforme aux exigences de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Cet avis comporte une innovation juridique. Le Conseil d’État estime en effet que la réparation de ces souffrances exceptionnelles ne pouvait se borner à des mesures d’ordre financier : elle appelait la reconnaissance solennelle du préjudice collectivement subi par ces personnes, du rôle joué par l’État dans leur déportation ainsi que du souvenir que doit à jamais laisser, dans la mémoire de la nation, leurs souffrances et celles de leurs familles. L’avis prend acte de ce que cette reconnaissance a été accomplie par les actes et initiatives des autorités publiques françaises [...]
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