Enseigner la mémoire ? > René Bousquet> La politique vichyste d'exclusion et de répression
Suite

René Bousquet
et la politique vichyste
d'exclusion et de répression



Retour

 

 

Le sort des Francs-maçons et des Juifs

   Dans la Marne, René BOUSQUET, fidèle à ses origines et à ses amitiés, s'est nettement démarqué de Vichy sur la question de l'épuration des Francs-maçons.
   Il a combattu ouvertement et publiquement, non sans un certain courage, la politique d'exclusion qui les frappait.
   La protection dont il a entouré les Francs-maçons marnais eut cependant ses limites, puisque Gaston POITTEVIN, ancien député radical, ainsi que son gendre Henri MARTIN, ancien député socialiste, furent tous les deux arrêtés et déportés en 1943, alors qu'il était toujours secrétaire général à la Police, et sont morts à Buchenwald.

   En ce qui concerne la répression antijuive, Serge KLARSFELD qui, à l'occasion du procès Von KORFF à Bonn, a pu consulter les archives de la Marne, n'a rien trouvé qui permette de mettre en cause BOUSQUET lorsqu'il fut préfet de la Marne et de la région de Châlons 1 ).

   Richard POUZET, qui était à l'époque secrétaire général de la Marne à ses côtés, a déclaré en 1945 :

   « Les lois raciales furent appliquées dans la Marne avec le maximum d'humanité.
   La plupart des israélites marnais réussiront à franchir la ligne de démarcation et à passer en zone dite libre où ils n'étaient pas encore traqués.
   Beaucoup d'entre eux furent avisés discrètement par la Préfecture des menaces d'arrestation qui pesaient sur eux.
   Certains furent même dotés de faux papiers, en tout cas l'apposition de la mention " Juif " sur les cartes d'identité fut réalisée avec une sage lenteur et tout à fait partiellement »
2 ).

   Néanmoins, cinq élus israélites marnais furent démissionnés d'office en 1941-1942 :
        - Léonce BERNHEIM, maire de Pourcy ;
        - André WOLFF, conseiller municipal de Vitry-le-François ;
        - Maurice DAVID, conseiller municipal de Saint-Memmie ;
        - Roger LOEZER, conseiller municipal de Lucy ;
        - Louis NETTER, conseiller municipal de Villeneuve-la-Lionne3 ).

    Jocelyne HUSSON a pu établir qu'à l'époque où BOUSQUET était préfet de ce département, au moins une dizaine de juifs y ont été arrêtés 4 ).
   L'un d'entre eux, Jacques DREYFUS, arrêté à Épernay le 7 mars 1942, a passé tout le reste de la guerre au camp de Drancy.
   Les six autres ont été déportés et sont morts à Auschwitz-Birkenau.
   Parmi eux se trouvaient l'avocat Georges SIMON, président de la section rémoise de la Ligue des droits de l'homme et André FRIBOURG, boucher à Châlons-sur-Marne, tous les deux arrêtés comme otages le 26 février 1942.

   En 1991, Madeleine SCHULTHESS a apporté sur son frère André FRIBOURG le témoignage suivant :

   « Il a été arrêté avec d'autres Juifs habitant Châlons et avec quelques communistes.
   
Les familles israélites ont pris aussitôt contact avec le préfet d'alors Mr. René Bousquet qui nous a reçus aussitôt, nous promettant d'entrer en relation avec les Allemands pour essayer de les faire libérer tout en ne nous laissant que peu d'espoir.
   Dans les jours qui suivirent deux hommes châlonnais ont été libérés.
   Je ne sais si cela a quelque rapport avec une intervention du préfet »
 5 ).


   Lors de son procès en 1949, René BOUSQUET a dit qu'il était intervenu pour faire libérer des Juifs arrêtés le 26 février et transférés au camp de Compiègne, et qu'il y avait fait livrer des colis de ravitaillement, affirmation corroborrée par plusieurs témoignages 6 ).
   Mais André FRIBOURG et Georges SIMON n'ont pas échappé à la déportation.
   On retrouve leurs noms sur la liste des déportés du convoi n° 1 du 27 mars 1942 parti de Compiègne pour Auschwitz, ainsi que celui d'Aaron WIENER, commerçant d'Épernay d'origine polonaise, arrêté en même temps que Jacques DREYFUS, le 7 mars.
   FRIBOURG et SIMON étaient tous les deux des Juifs français ; or BOUSQUET se plaisait à dire que les Juifs français n'avaient rien à craindre.
   Devenu secrétaire général à la Police en avril 1942, il a continué de rassurer les Marnais à ce sujet, déclarant que tant qu'il dirigerait la police, les Juifs français ne seraient pas inquiété7 ).

La lutte contre les « menées antinationales »

   Dans la Marne, la lutte contre ce que le gouvernement de Vichy appelait les " menées antinationales ", s'appliqua en premier lieu aux communistes pourtant faiblement implantés avant guerre ( 8 ).
   Elle a été menée avec persévérance et sans état d'âme par BOUSQUET, et cela d'autant plus facilement que les communistes, « étaient déjà rejetés de la communauté nationale et poursuivis, avant la débâcle, en application des mesures prises contre eux par le gouvernement Daladier » 9 ).

   Dès le retour de l'exode et sa nomination au poste de préfet de la Marne en septembre  1940, BOUSQUET avait accordé la plus grande importance à la « surveillance de l'ex- Parti communiste », faisant établir des listes par commune des « communistes notoires », et effectuer des enquêtes dans les entreprises, afin de repérer toute activité suspecte parmi les démobilisés rendus à la vie civile et les réfugiés ayant réintégré le département.
   En octobre 1940, après qu'on eut découvert que des tracts signés « Thorez-Duclos » circulaient dans les ateliers SNCF d'Épernay, dix militants furent arrêtés, arrestations suivies de quatre condamnations à Épernay et à Reims.

   En novembre, BOUSQUET transmit aux sous-préfets de son département la circulaire du ministre de l'Intérieur PEYROUTON, demandant qu'il soit procédé à un examen attentif des dénominations de rues ou d'édifices publics qui auraient pour but de rendre hommage à des personnalités marquantes de l'ancien parti communiste ou de la IIIème Internationale, et les pria de lui faire connaître s'il subsistait dans leur arrondissement des dénominations de cette nature.

   Au même moment, le commissaire central de Reims signala au préfet que la propagande communiste avait repris subitement : « tracts imprimés dans la région parisienne, papillons polycopiés et collés sur les murs » 10 ).
   Des recherches furent entreprises, sans succès, pour déterminer l'origine de la Charte   revendicative des démobilisés de 1939-1940 signée « L'Union des amicales populaires des démobilisés du département de la Marne », qui avait été adressée le 10 novembre au préfet ainsi qu'aux maires du département 11 ).

   Le 15 novembre 1940, le fondateur et le secrétaire de la section d'Épernay furent révoqués de la SNCF, en vertu du décret du 18 septembre 1940 appliquant aux employés de la SNCF la loi du 17 juillet 1940 qui permettait de relever de leurs fonctions les fonctionnaires et les agents civils de l'État.

   Le 5 décembre 1940, Louis OBIN et Jules HUON furent arrêtés à Reims et inculpés, le premier pour reconstitution d'organisations communistes, le second pour détention de tracts, et condamnés respectivement à un an et huit mois de prison.

   Le 9 décembre, BOUSQUET demanda au commissaire spécial de Châlons de « faire identifier tous les militants et de faire établir pour chacun d'eux une fiche anthropométrique avec photographie et empreintes digitales, afin d'en permettre une surveillance plus précise et plus active », et précisa qu'il voulait « que ce travail soit effectué le plus rapidement possible ».
   Ce furent environ 200 militants qui furent ainsi identifiés et mis en fiches, dans une trentaine de communes du département.
   Les notices individuelles établies depuis la création du PCF furent ressorties, mises à jour et complétées ( 12 ).

   Le 18 décembre, BOUSQUET signa un arrêté stipulant que( 13 ).
   Régulièrement dans les instructions adressées aux responsables de la police, il leur demandait « de redoubler de vigilance dans le dépistage et la répression des menées communistes ».

    Le 23 décembre, il pria les commissaires spéciaux et « la découverte de tracts extrémistes sur le territoire d'une commune entraînerait l'internement administratif immédiat de tous les militants communistes notoirement connus » les commissaires de police de la Marne de « rechercher de la façon la plus active » les agissements susceptibles de tomber sous le coup de la loi du 24 septembre portant création d'une Cour martiale et « d'en déférer sans délai les auteurs à l'autorité judiciaire » 14 ).

   Tout au long de l'année 1941, perquisitions, saisies de matériel de polycopie, de tracts et de brochures de propagande, fouilles, filatures, révocations, déplacements, arrestations et condamnations de militants à des peines d'emprisonnement, enquêtes sur d'éventuelles souscriptions en faveur des familles des communistes détenus, se multiplièrent en particulier à Reims, Châlons et Épernay 15 ).

    Le 29 janvier 1941, à la suite d'une perquisition à leur domicile où furent découverts une machine à polycopier, des tracts et des numéros de L'Humanité clandestine, Émile RENAUD, de Mareuil, et Ernest MÜLLER, d'Épernay, qui avaient refusé de donner les noms des responsables communistes avec lesquels ils étaient en contact, et de fournir des informations sur l'organisation du PCF dans la Marne, furent condamnés par le tribunal d'Épernay pour détention de matériel de propagande communiste, le premier à trois ans de prison et à 1000 francs d'amende, le second à deux ans de prison et à 500 francs d'amende 16 ).

    En février à Châlons-sur-Marne, une perquisition effectuée à la demande du préfet BOUSQUET ( 17 ) à la Brasserie de la Comète, permit à la police française de saisir des listes de souscription en faveur des familles de communistes internés, ainsi que des tracts et des numéros de L'Humanité clandestine.
   Parmi les trois militants communistes inculpés et condamnés à la suite de cette perquisition, se trouvaient Oscar BEHR et Miladin ATCHANSKI, qui furent condamnés respectivement à six mois et à deux mois de prison, puis déportés à Oranienburg.

   À Reims où avaient été apposés des papillons de la Jeunesse communiste réclamant la mise en liberté des détenus politiques 18 ), BOUSQUET fit établir une liste de onze militants « choisis parmi ceux qui avaient les plus faibles charges de famille », en vue de l'application éventuelle des sanctions prévues par son arrêté du 18 décembre 1940, et chargea le commissaire spécial de Châlons qui lui signalait « une recrudescence partout dans le département de l'activité communiste », de lui soumettre « un projet d'organisation d'un service de renseignements et de surveillance ».
   Dans son rapport de mars adressé au préfet, le commissaire spécial de Châlons constatant que les perquisitions ne donnaient pas beaucoup de résultats intéressants, préconisa « la fouille minutieuse des ouvriers et de leurs vestiaires dans les usines », selon lui plus efficace.

   En mai, il signalait que deux centres semblaient diriger la propagande communiste dans la Marne« Reims pour la région Marne du PC, Paris pour la propagande générale », et réclamait « une organisation Marne de la police politique » spécialisée, centralisant tous les renseignements et documents de propagande, en liaison avec tous les services de police, afin de « répondre à la région Marne du PC ».

   En avril 1941, la saisie de lettres contenant des mots d'ordre de la IIIème Internationale destinés aux ouvriers des ateliers SNCF d'Épernay, amena le commissaire de la police judiciaire, chargé d'enquêter sur cette affaire, à constater que les anciens syndicats d'Épernay s'étaient reformés sur de nouvelles bases : « À la suite de l'arrêté de M. le préfet portant réorganisation des corporations [...] on constate à la tête de chacun de ces groupements, un ancien militant communiste bien connu » 19 ).

   Face à cette recrudescence de la propagande communiste, l'appareil répressif mis en place par BOUSQUET se mobilisa.
   Plus de 100 perquisitions furent effectuées en avril.
   En mai, BOUSQUET réclama une enquête sur « les agents de la SNCF considérés comme suspects ou dangereux par l'administration centrale » ( 20 ) et demanda au commissaire spécial d'effectuer en accord avec les chefs de gare « une surveillance particulière des services de consigne en particulier et en général du personnel roulant de la SNCF »21 ).

    Le 21 mai 1941, le commissaire divisionnaire de la 12ème Brigade mobile envoya à BOUSQUET un rapport où l'on pouvait lire :

   « En exécution d'une réquisition de M. le préfet de la Marne en date du 16 décembre 1940, des perquisitions ont été opérées chez tous les communistes d'Épernay, tant par notre service que par la Police municipale et la Gendarmerie avec la collaboration de la Feldgendarmerie. [...]
    Je dois signaler qu'à la suite des instructions de M. le préfet de la Marne en date du 27 janvier 1941, tous les militants communistes d'Épernay ont été prévenus qu'en cas d'action communiste, ils feraient l'objet d'un internement administratif.
   Tous ont été convoqués au commissariat où ils ont émargé l'ordre administratif »
22 ).

   En juin 1941, à la veille de l'invasion de l'Union soviétique par la Wehrmacht, le bilan de la répression communiste restait encore relativement limité :
      - quatre communistes condamnés à des peines allant de 15 mois à 3 ans de prison à Épernay en janvier ;
      - cinq militants arrêtés en février et trois condamnés en mai pour infractions au décret concernant la dissolution des organisations communistes à 6, 5 et 2 mois de prison à Châlons-sur-Marne ;
   - deux militants condamnés à 5 et 2 mois de prison à Reims en juin.

   Au lendemain de cette invasion, BOUSQUET adressa aux commissaires et aux maires des grandes villes cette mise en garde :

   « Les récents événements de politique extérieure ne seront vraisemblablement pas sans avoir de répercussions sur l'activité des éléments communistes ou autres.
   Je vous demande donc d'exercer une surveillance active et renforcée des milieux communistes et gaullistes.
   Vous voudrez bien, par ailleurs surveiller également les dépôts d'explosifs régulièrement autorisés »
 23 ).

   En juillet 1941, commencèrent à circuler des tracts annonçant « la formation d'un comité marnais du Front national de lutte pour l'indépendance de la France », et disant qu'en Champagne « tous les patriotes, gaullistes et communistes, sont unis contre l'oppression ».
   BOUSQUET constatant que « dans la recherche et la répression des menées antinationales, les divers services de police et de gendarmerie procédaient isolément et sans liaison », et que les résultats obtenus étaient de ce fait insuffisants, décida de nommer un commissaire spécial chef de service à Châlons « personnellement chargé de la coordination des mesures de recherches et de répression des menées antinationales dans le cadre du département ».

   Il demanda aux différents services de police « de n'entreprendre aucune enquête, de ne procéder à aucun interrogatoire sans avoir préalablement informé M. H. chargé de la centralisation de tous les rapports et de la coordination des services ».    
   Et d'ajouter :
  « Je vous prie de prendre des dispositions pour que ces instructions soient strictement suivies et je ne tolérerai en aucun cas qu'il y soit dérogé » ( 24 ).    L'étau se resserra sur un certain nombre de militants : perquisitions, fouilles, filatures, enquêtes, exploitation de lettres anonymes de dénonciation, finirent par s'avérer efficaces.

   Ce fut également en juillet 1941 qu'Armande GANDON, responsable marnaise de l'Union des jeunes filles de France, âgée de 21 ans, échappa de peu à une arrestation.
   Elle était en contact avec la direction clandestine du PCF, dont elle avait reçu pour mission de réorganiser les Jeunesses communistes dans la Marne.
   Capitaine d'une équipe de basket-ball, c'est à la faveur de rencontres sportives qu'elle transmettait les directives et les mots d'ordre, transportait et diffusait les tracts et les journaux clandestins, acheminés depuis la région parisienne par des employés de la SNCF.
    Inculpée par le juge d'instruction d'Épernay et condamnée par défaut à 4 ans de prison et 500 francs d'amende le 13 août 1941, elle poursuivit son action clandestine dans l'Aube où elle fut arrêtée en mars 1942.
   Déportée en Allemagne, elle est décédée du typhus au camp de Liegnitz peu de temps après la libération de ce camp par l'armée américaine 25 ).
   Roger ARVOIS, auxiliaire SNCF âgé de 20 ans, contact d'Armande GANDON à Fère-Champenoise, arrêté lui aussi en juillet 1941, fit l'objet d'un arrêté du préfet BOUSQUET en vue d'un internement au camp de Chateaubriant ( 26 ).
   Interné dans ce camp, il échappa à l'exécution d'otages du 22 octobre 1941, fut transféré au camp de Voves en Eure-et-Loir, puis conduit à Paris où il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité par la Section spéciale ( 27 ).
   Détenu à la centrale de Poissy, puis dans celle de Melun, il sera remis aux SS, réussira à s'évader du train le conduisant en Allemagne, et reviendra dans la région de Fère-Champenoise prendre la tête d'un maquis.

   Le rythme des arrestations s'accéléra et les condamnations se firent plus sévères.

   En septembre 1941, René PATÉ, beau-frère d'Armande GANDON, déjà condamné à 5 mois de prison en juillet 1941 par le tribunal correctionnel de Reims, fut condamné par la section spéciale de la Cour d'Appel de Paris, à 5 ans d'emprisonnement.
   
   Le 11 novembre 1941, Jean et Marcel NAUTRÉ, fils de militants communistes âgés de 16 et 18 ans, furent arrêtés après avoir déposé une gerbe ornée d'un ruban tricolore au monument aux morts de la ville de Reims.

L'affaire Chatton

   Le zèle déployé par le préfet BOUSQUET dans la répression anti-communiste ne fléchissait pas, puisqu'en septembre 1941, il dénonça dans son rapport mensuel adressé aux autorités de Vichy, la mansuétude des juges à l'égard des communistes et signala qu'il avait fait interner à Châteaubriant un militant relaxé par le tribunal correctionnel d'Épernay 28 ).   En novembre 1941, cette répression jusqu'alors contrôlée par BOUSQUET et la police française a pris un tour tragique avec l'affaire CHATTON ( 29 ).
   
   Au printemps 1941
, une distribution de tracts ayant pour titre « Réintégrons nos syndicats » et signés « Les militants restés fidèles à l'esprit de 1936 » avait été signalée dans les maisons de champagne de Reims.
    Le 17 mai et à nouveau le 7 juillet 1941, BOUSQUET avait demandé au commissaire spécial de Reims de faire faire une enquête qui avait montré que ce tract avait été tapé sur la même machine qu'une feuille communiste clandestine, La Champagne ouvrière.
   
   Le 17 septembre, en vertu d'une réquisition de BOUSQUET, une perquisition avait été effectuée au domicile des parents d'un jeune caviste communiste, Marcel CHATTON.
   On y avait découvert un tract ayant pour titre « Brisons l'arme de l'antisémitisme !  Unissons-nous ! », et signé « Le Parti communiste français - SFIC », ainsi qu'une liste de souscription blanche à l'en-tête du « Comité départemental du Front national de lutte pour l'indépendance de la France ».
   À la suite de cette perquisition, CHATTON avait été arrêté sur son lieu de travail, la maison de champagne Heidsieck.
   L'enquête menée sur cette affaire, avait abouti à l'arrestation à Troyes d'André CRÉPIN.
   
   Le 6 novembre 1941, Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN, camarades de travail de CHATTON, étaient arrêtés à leur tour par la police française sur dénonciation d'un membre de la Ligue française.
   Les Allemands finirent par se saisir de cette affaire et se firent livrer les militants communistes rémois.
   Le 17 décembre 1941, ils furent condamnés lourdement par le tribunal militaire de Châlons-sur-Marne :
      - Marcel CHATTON, âgé tout juste de 22 ans, fut condamné à mort et fusillé le 23 décembre 1941 à la caserne Tirlet de Châlons-sur-Marne.
      - Georges DARDENNE et Édouard QUENTIN, âgés de 22 et 21 ans, furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité.
    À la suite d'un attentat commis contre un officier allemand à Dijon, tous les deux furent fusillés comme otages le 13 janvier 1942, en même temps qu'un autre rémois Marcel MÉLIN qui avait été condamné à mort le 25 novembre 1941 pour détention d'armes, par ce même tribunal allemand.    André CRÉPIN, père de 7 enfants, fut acquitté, remis aux autorités françaises, interné, puis déporté en 1942 à Auschwitz, d'où il n'est pas rentré.

   En janvier 1942, selon Richard POUZET et plusieurs témoignages de Châlonnais, BOUSQUET assista à l'inhumation de DARDENNE, QUENTIN et MÉLIN, et déposa une gerbe de fleurs sur chacune des trois tombes, ce qui aurait suscité le vif mécontentement des autorités allemandes d'occupation.

   Au cours d'une visite qu'il rendit à l'archevêque de Reims Monseigneur MARMOTTIN, BOUSQUET lui aurait fait part de son « indignation » et lui aurait déclaré que désormais « il ferait tout ce qu'il pourrait pour éviter que de pareils faits se reproduisent » 30 ).

Un bilan accablant

   Le bilan de la répression anticommuniste dans la Marne de septembre 1940 à la fin de 1941, est un bilan forcément incomplet compte tenu des problèmes d'accès aux sources.
   Il est cependant déjà bien lourd :
        - plus de 60 arrestations opérées par la police française ;
        - plus de 20 condamnations prononcées par les tribunaux français à des peines allant de 2 mois à 5 ans d'emprisonnement ;
        - un certain nombre d'internements administratifs à Châteaubriant et au Camp de Rouillé.
  Parmi les militants arrêtés et condamnés durant cette période, plusieurs furent ultérieurement condamnés à nouveau par la Section spéciale de la Cour d'Appel de Paris, internés comme otages et déportés.
  Parmi les 12 communistes marnais arrêtés à cette époque qui ont été ensuite déportés, la moitié ne sont pas rentrés ( 31 ).

   René BOUSQUET, qui allait bientôt accepter le poste de secrétaire général à la Police de Vichy, faisait ainsi déjà dans la Marne l'expérience du caractère illusoire d'une prétendue autonomie de la police française.
   Il pouvait constater que, s'il avait pu jusqu'alors intervenir pour protéger et sauver des Marnais, la situation commençait à changer, et que la marge de manœuvre dont il avait su habilement se servir se réduisait de jour en jour, d'autant que la Gestapo n'allait pas tarder à s'installer dans le département.

   En octobre 1941, sur l'injonction du général Von STÜLPNAGEL, commandant des forces militaires allemandes en France, une circulaire fut envoyée par INGRAND depuis Vichy aux préfets de la zone occupée, leur demandant de fournir aux autorités d'occupation « la liste des personnes du sexe masculin qui ont été ou seront arrêtés par les Autorités françaises pour activité communiste ou anarchiste ».
   
   En ce qui concerne les internés administratifs, cette circulaire précisait :

   « Vous voudrez bien établir une liste de tous les internés administratifs qui ont été frappés de cette mesure par un arrêté pris sur votre initiative.
   Cette liste devra comprendre : nom, prénoms, lieu et date de naissance, ainsi que le dernier domicile, jour de l'arrestation, lieu de l'arrestation, indication de l'Autorité française qui a fait procéder à cette arrestation, ainsi que tous les renseignements sur la situation de famille ( nombre d'enfants ) de l'intéressé et sur l'activité politique ou anarchiste qui a provoqué la mesure prise à l'encontre de ce dernier. [...]
   Je précise que le lieu de l'arrestation déterminera le département sur la liste duquel les intéressés devront être portés. [...]
   Je vous rappelle que vous ne pouvez prononcer la libération d'internés administratifs détenus dans votre département pour activité communiste, gaulliste ou anarchiste, qu'après avoir obtenu l'accord des autorités allemandes de votre département »
( 32 ).

   Rien ne permet de penser que BOUSQUET ait cherché à se soustraire à cette instruction, bien au contraire, puisque le 20 octobre, il adressa au Commissaire spécial de Châlons la lettre suivante :

   « J'ai l'honneur de vous adresser sous ce pli pour être complétées les notices individuelles des nommés Chirat Jean, Chirat Marcelle femme Buytendorf, Dallier Pierre, Morlet Louis, Philippe Roger, Teste René, poursuivis pour propagande gaulliste, et du nommé Crépin André inculpé de propagande communiste.
   Je vous serais obligé de faire figurer sur ces notices, le cas échéant, non seulement le nombre mais l'âge des enfants.
   Ces fiches devant être transmises à la Feldkommandantur 608 pour le 23 octobre au plus tard, il y aurait lieu de me les retourner dans le plus bref délai »
( 33 ).

  Les mêmes directives furent adressées par le Procureur général près la Cour d'Appel de Paris dont dépendait la Marne, aux procureurs généraux du département, dans la circulaire n° 147-41 Com. 41 qui demandait à chaque parquet d'« établir en vue de sa remise à l'Autorité Allemande qualifiée de son ressort, l'état des individus ( prévenus ou condamnés ) actuellement détenus dans sa circonscription », conformément à la dépêche de la Chancellerie datée du 22 octobre 1941 « visant la confection et l'envoi aux autorités allemandes qualifiées, dans les formes et conditions spécifiées, des listes d'individus présentement détenus pour activité communiste ou anarchiste » 34 ).

   En juillet 1941, BOUSQUET avait fait établir le bilan du nombre total des détenus dans les prisons de la Marne, qui s'établissait ainsi :

Lieu de détention
Hommes
Femmes
Prévenus
Châlons-sur-Marne
279
32
33 hommes
Reims
59
10
-
Epernay
37
10
84 hommes
2 femmes
TOTAL
375
52
117 hommes
2 femmes

Source : Archives départementales de la Marne, M 3088.

   Le 26 février 1942, 18 Marnais furent arrêtés comme otages par les Allemands, à la suite d'attentats commis contre les troupes d'occupation à Chalon-sur-Saône et Montceau-les-Mines.
    Jules HUON qui avait été arrêté par la police française et condamné par un tribunal français à 8 mois de prison en décembre 1940, faisait partie de ces otages.
   Interné à Reims, puis à Châlons-sur-Marne, il fut transféré à Compiègne et déporté à Auschwitz d'où il n'est pas rentré.
   BOUSQUET relata l'événement en ces termes :

   « Les personnes arrêtées appartiennent aux milieux israélites et ouvriers du département.
   Je n'insisterai pas davantage sur l'émotion que ces arrestations d'otages ont provoqué dans le département et contre lesquelles j'ai protesté énergiquement, tant auprès des autorités allemandes locales qu'à Paris.
   Il n'en reste pas moins que ces arrestations ajoutées au malaise provoqué par les difficultés présentes, laissent à craindre dans la population ouvrière des réactions qui pourraient être violentes.
   J'ai donné à mes collaborateurs et aux services de police des instructions précises, afin d'éviter le retour de manifestations comme celle ayant eu lieu à Reims qui, interprétées par les autorités d'occupation, provoqueraient des sanctions violentes.
   Je pense néanmoins que la compréhension et le patriotisme des populations marnaises me permettront de franchir ce cap difficile, qui marquera la fin d'une période particulièrement pénible, les jours à venir paraissant incontestablement plus faciles »
 35 ).

   Confronté à une situation de plus en plus difficile dans ses rapports avec les autorités allemandes d'occupation, il était toujours aussi sûr de lui et confiant dans son étoile.
   Les propagandes communiste et gaulliste qu'il avait toujours combattues vigoureusement, commençaient à jeter le trouble chez un certain nombre de Marnais.
   La mise en cause, puis l'arrestation du directeur adjoint au Ravitaillement de la préfecture de la Marne, impliqué dans un trafic de cartes d'alimentation ( 36 ), affectait sa crédibilité et sapait son autorité.
   Le 13 mars 1942, il décida de contre-attaquer dans un long appel à la population de la Marne. Il y dénonçait « les nouvelles fausses et tendancieuses », « la calomnie », y fustigeait les « fauteurs de désordre », leur adressait un « dernier avertissement » et, prenant à témoin « tous les braves et honnêtes gens », les menaçait « d'une justice sommaire et expéditive ».
   Cet appel fut publié dans L'Éclaireur de l'Est et adressé à tous les maires des communes marnaises, chargés d'en assurer l'affichage ( 37 ).
   À Reims, Paul MARCHANDEAU s'y associa publiquement au cours d'un conseil municipal réuni le même jour, et en fit apposer 330 exemplaires sur les murs de sa ville 38 ).

   BOUSQUET demanda aux services de police d'agir « immédiatement » et d'appliquer ses instructions « énergiquement », à savoir interpeller, conduire au commissariat, interroger, dresser contre toute personne « colportant des nouvelles tendancieuses de nature à troubler l'opinion publique » un procès-verbal d'information et transmettre une note d'enquête à son cabinet :

   « La même procédure sera appliquée en matière de propagande antinationale et plus particulièrement de propagande communiste.
   Je vous demande de faire un effort particulier pour rechercher les auteurs d'impression ou de distribution de tracts dans le département.
   La compréhension dont ont fait preuve les autorités ne doit pas être interprétée comme de la faiblesse qui deviendrait de la complicité.
   Je demande à la police de faire preuve d'une grande activité et d'une grande vigilance.
   Je jugerai son action et sa valeur comme l'action et la valeur de ses chefs aux résultats obtenus.
   La surveillance actuelle et la tâche de la police m'obligent à vous dire que je n'accepterai aucune défaillance.
Les chefs de service sont responsables de l'ensemble des services placés sous leurs ordres.
   Ils devront me signaler immédiatement les défaillances individuelles s'ils ne veulent pas être tenus pour responsables des erreurs qui pourraient être commises »
39 ).

   Le 17 mars 1942, L'Éclaireur de l'Est annonçait que BOUSQUET avait prononcé six internements administratifs pour propagation de fausses nouvelles, et que les personnes auxquelles s'appliquaient ces mesures avaient été immédiatement arrêtées et envoyées dans « un camp de concentration », pour des durées variant de 1 à 6 mois.   À l'heure des bilans, on constatera que dans la Marne, entre septembre 1940 et avril 1942, époque où René BOUSQUET y était préfet, parmi les déportés marnais, 60 ont été arrêtés dans ce département par la police française ou la police allemande :
      - 34 politiques en majorité communistes ;
      - 16 résistants ;
      - 6 Juifs ;
      - 4 pour des motifs indéterminés.
   Parmi ces déportés, 25 sont morts dans les camps de concentration ou d'extermination.
   En 1945, Michel SICRE, maire communiste de Reims, entendu sur commission rogatoire dans le cadre du procès BOUSQUET, le présenta comme « un collaborateur actif », mais déclara qu'il ne connaissait pas de faits particuliers à signaler ( 40 ).
   Cette modération pourrait s'expliquer par le fait que BOUSQUET était intervenu pour faire libérer des communistes, comme il l'a fait pour un certain nombre de Francs-maçons et de Juifs marnais.
   C'est ainsi que Gaston MARTIN, ancien délégué syndicaliste et responsable de la cellule communiste des cavistes d'Epernay avant-guerre, arrêté par les Allemands comme otage le 26 février 1942 et envoyé au Camp de Compiègne, a été remis en liberté le 18 mars 1942, à la suite, semble-t-il, d'une intervention de René BOUSQUET sollicité par Robert de VOGÜÉ délégué du négoce à la tête du CIVC 41 ).

Le départ de Bousquet pour Vichy

   Lorsque René BOUSQUET quitta la Marne en avril 1942, la plupart des notables, personnalités civiles et religieuses confondues, regrettèrent son départ et saluèrent unanimement l'oeuvre de reconstruction et de renouveau qu'il y avait accomplie.
   Des ecclésiastiques lui écrivirent pour lui exprimer « tout l'espoir mis dans l'oeuvre entreprise par le gouvernement de Vichy » 42 ).
   Certes, quelques uns s'étonnèrent de sa nomination au poste de secrétaire général à la Police, mais presque tous lui conserveront leur estime, et accepteront de témoigner en sa faveur lors de son procès après la guerre devant la Haute Cour de Justice.
   Rares finalement sont ceux qui porteront alors un jugement plus nuancé sur René BOUSQUET.
   Pierre CLÉMENT, chef adjoint du Groupe de résistance Bleu et Jonquille de Châlons-sur-Marne, le présentera comme « un ambitieux et un arriviste » 43 ).
   Seul Jules HELLER, inspecteur d'Académie, membre de la commission municipale au retour de l'exode, blâmé et déplacé d'office par le ministre CARCOPINO en 1941, préfet provisoire à la libération, avait su percevoir les deux facettes de la personnalité du jeune et brillant préfet de la Marne :

   « Il est indiscutable que M. Bousquet, malgré son jeune âge, acquit dès le début à son arrivée comme secrétaire général ( du département de la Marne ), une autorité qui ne fit que s'accroître comme préfet et préfet régional, autorité due à ses indiscutables qualités personnelles et administratives autant qu'au contraste qu'elles présentaient avec l'insuffisance du préfet Jozon ( son prédécesseur à la tête de la préfecture de la Marne ). [...]
   Comme membre du Comité de libération et comme préfet provisoire de la Libération, j'eus souvent l'occasion d'entendre évoquer ou d'évoquer moi-même le cas de Bousquet.
   Nous avons d'un accord unanime pris nettement position contre Bousquet et les créatures dont il avait peuplé tous les postes importants, en vue évidemment d'un rôle politique ultérieur [...]
   Il avait en effet dès le début et de plus en plus joué délibérément la carte Pétain et Laval.
   Il semble du reste qu'avant-guerre il avait joué alternativement la carte Laval et la carte Sarraut.
   Rien ne permettait évidemment de juger son action à la Direction de la Police, mais l'avis général était qu'il lui serait certainement plus difficile qu'à la préfecture régionale de " nager " sans risquer de s'enfoncer davantage dans la collaboration »
44 ).

   Préfet de la Marne puis de la région de Champagne, René BOUSQUET y a défendu et appliqué de 1940 à avril 1942, une collaboration d'État qui impliquait l'acceptation de la défaite de mai-juin 1940, posait en postulat le caractère définitif de la victoire allemande, et prétendait préserver au mieux et dans le respect de la souveraineté de notre pays les intérêts de la Marne et des Marnais.   Cette collaboration qui, selon lui, était sans aucune autre alternative possible, BOUSQUET a réussi à la faire accepter à la majorité des Marnais grâce à l'appui des notables, personnalités civiles et religieuses, de gauche comme de droite, réconciliés dans une égale et commune ferveur anticommuniste, et ralliés massivement au régime de Vichy.
   
   L'habileté dont il a fait preuve dans ses relations avec les autorités allemandes, la capacité qu'il a montrée à temporiser, le soin qu'il a apporté à dépolitiser les enjeux, à réconcilier les différentes factions d'avant-guerre, à se replier sur les problèmes de la vie quotidienne, mais aussi l'action dynamique qu'il a développée avec efficacité sur tous les terrains de l'administration départementale, la fidélité qu'il a témoignée à l'égard de ses amis et la protection qu'il leur a offerte, tout cela a indiscutablement contribué à rendre crédible dans la Marne l'image illusoire d'un Vichy bouclier-protecteur, perçu comme un moindre mal permettant d'éviter le pire, et même à laisser croire chez certains que BOUSQUET jouait le double-jeu.    En 1949, les jurés de la Haute Cour de Justice se laisseront à leur tour convaincre par BOUSQUET qu'il avait été un grand préfet de la Marne et que sa conduite dans ce département avait été irréprochable.   En réalité, si en effet BOUSQUET est parvenu à rendre l'occupation allemande plus supportable et le régime de Vichy plus présentable, le département et ses habitants n'ont été épargnés ni par le pillage économique, ni par la répression.
   Au contraire, certains Marnais, y compris des juifs et des résistants, parce qu'ils faisaient confiance à BOUSQUET, se croyant protégés, n'ont pas cru devoir se mettre à l'abri, et ont été finalement arrêtés, fusillés ou déportés.   De la même façon, le collaborationnisme vichyste bon teint que BOUSQUET a cautionné et servi, et auquel les notables se sont ralliés derrière lui, n'a pas évité aux Marnais les excès du collaborationnisme parisien.
   Dans la Marne, de façon paradoxale, les partis collaborationnistes ont attiré dans une cohabitation pour le moins conflictuelle, à la fois les ultras de la collaboration opposés à la continuité combinarde qu'incarnait à leur yeux le préfet BOUSQUET, et les maréchalistes qui pensaient sincèrement que le meilleur moyen de manifester leur soutien au régime de Vichy que représentait BOUSQUET, était d'adhérer à l'un de ces partis.

  Suite

© CRDP de Champagne-Ardenne, 2000-2008
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.