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L'unification
de la résistance marnaise
L'unification
et le découpage de la résistance en régions structurées sur le même
modèle, furent réalisés d'abord en zone
sud, en
mars 1943, grâce à l'action de Jean
MOULIN qui poussa à la fusion des trois principaux mouvements,
au sein des
Mouvements unis de résistance ( MUR ) et de leurs organisations
militaires, au sein de l'Armée
secrète.
L'unification de la
zone nord fut plus
difficile à réaliser. En
avril 1943, les représentants civils et militaires de l'OCM,
CDLR,
CDLL
et Libération-Nord
décidèrent, sans le Front
national de lutte pour l'indépendance de la France qui
souhaitait conserver son autonomie, de découper la zone nord en six
régions et, à l'intérieur de chacune d'entre elles, d'en
attribuer l'organisation et le commandement militaires des FFI au
mouvement qui y était le plus solidement implanté.
La première réunion plénière du Conseil
national de la résistance ( CNR ) où siégeait désormais le
Front
national, en
mai 1943, marqua une étape importante vers l'unification
de la résistance en zone nord ( 1 ).
Ce fut
à cette époque que fut constitué à Reims un comité
départemental de coordination des mouvements de résistance.
Y siégeaient deux représentants de CDLR-Armée
secrète, le colonel
COPP ( 2 ) et
Henri BERTIN,
deux représentants de Libération-Nord,
Charles
GUGGIARI et
Raymond GUOT, un représentant du Front
national et un représentant des Francs-tireurs
et partisans ( FTP ) dont les noms ne sont pas
cités mais qui devaient être vraisemblablement Noël
VINATY et Marcel
MÈJECAZE ( 3 ).
Cette initiative rémoise, qui visait à faire
de Reims la capitale de la résistance marnaise, contribuait
à perpétuer la
vieille rivalité opposant la ville des sacres à Châlons-sur-Marne.
Ce comité provisoire fut le premier embryon
du futur Comité départemental de libération nationale ( CDLN ), mais
il fut démantelé par la vague
d'arrestations de la fin de 1943 et du
début de 1944.
Le département de la Marne
faisait partie de la Région
C dont la délimitation donna lieu à d'interminables discussions
qui ne furent définitivement tranchées qu'à la veille du débarquement
de Normandie.
Elle comprenait alors les huit
départements du nord-est de la France : la
Marne, seul département situé en zone occupée ; les
Ardennes, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, les Vosges, situés en zone
interdite ; la Moselle, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, situés en
zone annexée.
La Marne
constituait avec la Meuse
la sous-région
C1.
En
novembre
1943, le commandement militaire de la Région C avait été
attribué à CDLR
dont le chef militaire était
Pierre ARRIGHI ; mais ce dernier ayant été arrêté par
la Gestapo, il fut remplacé par Gilbert
GRANDVAL ( 4 ).
Affecté auparavant à l'État-major parisien des FFI,
le colonel
GRANDVAL
y avait acquis auprès de ROL-TANGUY
représentant des FTP, « une
bonne connaissance des différents rouages de la Résistance militaire
et de l'action immédiate » ( 5 ).
Sa nomination à
la tête des FFI de la Région C intervenait au moment même
où débutait la vague d'arrestations qui désorganisa la résistance marnaise.
Il lui fallut « renouer
les fils » dans la Marne avec l'aide du Délégué
militaire régional ( DMR ), André
SCHOCK, qui assurait la liaison avec l'État-major
FFI de Londres et avec le
Bureau des opérations aériennes ( BOA ).
Mais en
janvier 1944,
SCHOCK
fut arrêté à Paris par la Gestapo à la suite d'une trahison, et il fallut
rétablir les liaisons avec Londres, tandis que GRANDVAL
allait cumuler
désormais à la tête de la Région C, cas
unique dans la zone nord,
les fonctions de chef des FFI et de DMR ( 6 ).
En
février
1944, sur les conseils d'André
SCHNEITER, responsable BOA-CDLR
du secteur de Reims depuis le départ de BERTIN,
le
colonel GRANDVAL
confia le
commandement des FFI de la Marne au Commandant
BOUCHEZ de CDLR,
qui fut un chef départemental contesté au sein de la résistance marnaise
( 7 ).
Après la guerre, GRANDVAL
formula sur ce choix un certain nombre de réserves et
de regrets ( 8 ).
Le capitaine
André SCHNEITER et le capitaine
Pierre SERVAGNAT, responsables CDLR,
respectivement des secteurs de Reims
et d'Épernay,
furent nommés adjoints
du chef départemental.
À
Châlons-sur-Marne,
le chef des FFI était le
lieutenant Raymond LAVILLATTE.
Quant au
commandant DERRIEN, chef militaire départemental de CDLL
depuis l'implantation de ce mouvement dans le département, il fut chargé
par GRANDVAL
de superviser les deux départements des Ardennes
et de la Marne.
C'est à la même époque que fut véritablement constitué
le Comité
départemental de libération nationale ( CDLN ) de la Marne.
La plupart des responsables départementaux qui siégeaient
dans le comité de coordination formé en
mai 1943 ayant été arrêtés ou ayant dû quitter la Marne,
il fallut en renouveler
la composition.
Le
8 février
1944, furent désignés initialement pour y siéger, :
- deux responsables de la CGT,
Michel SICRE
et Jean-Marie
DOCQ, ;
-
Pierre BOUCHEZ de CDLR, ;
- Edmond
FORBOTEAUX et Robert
DUTERQUE de Libération-Nord, ;
- Noël
VINATY et Georges
DOMPMARTIN du Front
national ( 9 ).
Michel
Sicre, membre du
Front national arrivé dans la Marne en novembre 1943, qui
y siégeait au titre de la CGT,
en fut élu président.
C'était un militant communiste, originaire
de l'Ariège, qui avait été avant-guerre secrétaire du syndicat CGTU
de la société des Transports en commun de la région parisienne, ancêtre
de la RATP ( 10 ).
En 1942,
il avait organisé le Front national en Franche-Comté, dans la Haute-Saône,
le Jura, le Doubs et le Territoire de Belfort ( 11 ).
Des délégués
du CDLN furent désignés ultérieurement dans
chaque canton.
Le
25 mars
1944, l'État-major de GRANDVAL
achevait de rédiger l'instruction
numéro 1, qui fut envoyée au commandant
BOUCHEZ, un document de dix-sept pages, qui donnait l'ordre
impératif de réserver une place à un FTP
lors de la constitution de l'État-major
départemental, et qui énumérait les tâches à accomplir :
Nous
y exposons ce que doit être d'une part l'action immédiate :
perturbation des transports et de la production, recherche et châtiment
des traîtres, intervention contre les troupes, et d'autre part l'action
au jour J : neutralisation des voies de communication ( voie ferrées,
routes principales, canaux ), attaque des moyens de transport, attaque
directe contre l'armée ( postes de commandement, moyens de liaisons,
dépôts de toute nature, système de repérage aérien, positions de
DCA, aérodromes, troupes en général ), protection des ouvrages
d'art et de toutes les installations industrielles pouvant servir
aux armées alliées et constituant une partie du patrimoine français
que l'ennemi pourrait essayer de détruire.
Quant à l'action insurrectionnelle, elle vise
essentiellement à assurer l'élimination en quelques heures de tous
les fonctionnaires dépendant de Vichy et leur remplacement, ceci
afin de présenter aux autorités alliées un appareil administratif
fonctionnant normalement et issu de la volonté de la France résistante,
de sorte que celles-ci se trouvant placées devant un fait accompli
devront bien renoncer à implanter l'AMGOT ( 12 ).
L'insurrection vise également à permettre en quelques
jours la répression de la trahison selon les méthodes légales de
justice révolutionnaire.
Tout cela doit être fait en coordination étroite
avec le Comité de Libération et avec le représentant du NAP ( 13 ).
Pour appliquer
ces instructions, il fallait des armes,
et le problème des parachutages
revêtit donc une importance capitale.
Les parachutages
En ce qui
concerne les parachutages, les témoignages
des uns et des autres divergent.
D'une part, les rapports rédigés à la libération par
les différents mouvements laissent entendre que la
résistance marnaise aurait manqué d'armes ( 14 ),
en particulier celui du commandant
BOUCHEZ, daté du 25
septembre 1944, qui fait état d'« un
armement notoirement insuffisant, en raison des prises faites [
par les Allemands ]
en décembre 1943 et du petit nombre de parachutages reçus »
( 15 ).
D'autre part, le chef régional des FFI, le
colonel GRANDVAL assure que « la
Marne bénéficia d'un assez grand nombre de parachutages »
et qu'elle fut le
« département le mieux pourvu en armes et en explosifs »
au sein
de la Région C ( 16 ).
Les parachutages
dans la Marne en
1943-1944 s'effectuèrent d'abord directement
sous la direction de Michel
PICHARD, chef
régional du BOA, puis par l'intermédiaire d'un officier
opérateur, fonction assumée successivement par François
DELIMAL,
Henri COLONNA de GIOVELLINA, René
COLLIN et enfin par Christian LONGETTI,
tous membres de CDLR.
Arrêté en
mars 1944, DELIMAL
s'est suicidé en avalant du cyanure, tandis que COLLIN,
arrêté en
juin 1944, est mort en déportation.
Jusqu'en
septembre 1943, PICHARD
a assumé entièrement et directement, en liaison avec Londres,
les opérations aériennes concernant la Marne et l'ensemble
des départements des Régions C et D.
À partir de cette époque, il fut placé sous
l'autorité du DMR, poste que GRANDVAL
cumulait avec celui de chef régional des FFI de la Région C.
Selon GRANDVAL,
PICHARD
qui avait été jusqu'alors « le
patron » sans partage des opérations aériennes,
« admit
difficilement cette subordination » :
Il
me fut impossible de coordonner son action avec la mienne.
Je ne parvins pas à obtenir l'inventaire du matériel
reçu et ne pus, de ce fait, remplir vis-à-vis des FFI la mission impartie
au DMR.
Certes, les armes étaient distribuées, mais elles
l'étaient à la seule initiative de l'Officier chef des opérations
[ Pichard ], ce qui
n'était pas normal puisqu'en fonction même des directives du BCRA
[ Bureau central de renseignement
et d'action de la France libre ] , sa compétence était
strictement limitée aux questions d'opérations aériennes : atterrissages
et parachutages.
Ces difficultés qui s'étaient manifestées avec le
plus d'acuité dans la Marne, département le mieux pourvu en armes
et en explosifs, y furent aplanies lorsque, après le départ de Pichard,
Christian Longetti y acquit une autonomie qui me permit de m'entendre
directement avec lui ( 17 ).
En
1979, Michel
PICHARD a dressé un bilan
des recherches effectuées sur les opérations BOA dans la
Marne
( 18 ).
Près d'une
centaine de terrains y auraient été homologués par le BOA,
dont la
moitié dans la région d'Épernay contrôlée par SERVAGNAT,
et sur laquelle furent concentrées près
des deux tiers des opérations aériennes concernant le département
de la Marne.
Mais beaucoup
de ces terrains homologués n'ont jamais été utilisés, ou n'ont été utilisés
qu'une seule fois, ou n'ont connu que des échecs.
Les causes
de ces échecs qui n'ont pas toujours pu être déterminées,
pouvaient être très
variées : opération annulée au dernier moment ; mauvaise
visibilité liée à des intempéries ; tirs de la Flak ( défense
antiaérienne allemande ) ; absence de réception ;
avion ne parvenant pas à trouver le terrain ; ou encore ennuis
mécaniques.
Les parachutages
réussis correspondaient à un nombre de containers très variable
mais qui excédait rarement quinze.
BOA - Marne
( 1943 - 1944 ) |
Nombre
d'opérations |
Succès |
Échecs |
Taux
de réussite |
Mai
1943 |
3 |
0 |
3 |
0 % |
Juin
1943 |
8 |
2 |
6 |
25 % |
Juillet
1943 |
10 |
5 |
5 |
50 % |
Août
1943 |
15 |
14 |
1 |
93 % |
Septembre
1943 |
7 |
4 |
3 |
57 % |
Octobre
1943 |
14 |
3 |
11 |
21 % |
Novembre
1943 |
10 |
2 |
8 |
20 % |
Décembre
1943 |
1 |
0 |
1 |
0 % |
Janvier
1944 |
0 |
0 |
0 |
- |
Février
1944 |
3 |
2 |
1 |
66 % |
Mars
1944 |
15 |
9 |
6 |
60 % |
Avril
1944 |
4 |
2 |
2 |
50 % |
Mai
1944 |
4 |
3 |
1 |
75 % |
Juin
1944 |
0 |
0 |
0 |
- |
Juillet
1944 |
1 |
0 |
1 |
0 % |
Août
1944 |
5 |
3 |
2 |
60 % |
Septembre
1944 |
0 |
0 |
0 |
- |
TOTAL |
100 |
49 |
51 |
49 % |
Selon
PICHARD,
de
mai 1943 à septembre 1944, une
centaine d'opérations aériennes, essentiellement des parachutages,
ont donc été tentées au-dessus ou sur le territoire de la Marne, avec
un
taux de réussite d'environ 50 %.
On peut rapprocher ces chiffres de ceux retenus par
André
AUBERT qui a recensé lui aussi une centaine d'opérations,
mais avec un taux de réussite sensiblement plus élevé atteignant 60
%.
André
AUBERT précise que
les containers de 12 parachutages ont été pris par les Allemands,
et que 14
réceptions ou évacuations d'agents ont été effectuées sur
le territoire de la Marne ( 19 ).
Ces parachutages étaient destinés à fournir à la résistance
des armes
et des explosifs
qui étaient réceptionnés, convoyés et cachés dans des dépôts
d'armes, la plus grande partie devant être stockée dans l'attente
du débarquement allié.
Il y eut aussi des parachutages
d'argent, qui donnèrent lieu parfois à de mystérieuses
polémiques, jamais élucidées. Ce fut le cas en particulier
de l'opération effectuée sur le terrain
Honolulu dans
la nuit du 30 au 31 mai 1944, opération pour laquelle le
BCRA avait annoncé un
envoi de 17 750 000 francs correspondant au
budget de juin des Régions C et D.
GRANDVAL
écrit au sujet de ce parachutage :
On
m'avait annoncé 17 750 000 francs mais l'équipe de réception ne me
remit que 11 500 000 francs dont 6 000 000 pour la Région C et 5 500
0000 pour la Région D.
Jamais on n'est parvenu à savoir ce qu'il était
advenu des 6 250 000 francs manquants ( 20 ).
Près des
deux tiers de ces opérations ont eu lieu
durant la seconde moitié de 1943.
Alors qu'on aurait pu s'attendre à une intensification
des parachutages à l'approche du débarquement allié, on constate au
contraire qu'à
partir d'avril 1944, leur nombre faiblit et se tarit :
aucune opération en
juin, une seule en
juillet et qui échoua, quatre seulement en
août, à l'époque de la libération du département.
Après
la guerre, PICHARD
s'en étonna
d'autant plus que dans les autres régions, au cours des deux semaines
qui précédèrent l'arrivée des troupes alliées, le BOA avait effectué
des « parachutages
de nuit intensifs », et il rendit GRANDVAL
responsable de « cette
pénurie de parachutages dans la Région C ».
Selon lui, GRANDVAL
« non content de truster les fonctions
de Chef des FFI et de DMR, avait entrepris d'exercer celle d'Officier
Régional d'Opérations Aériennes », une
fonction pour laquelle il n'avait pas reçu de formation, et dont il
n'avait aucune expérience pratique.
PICHARD
lui reprocha de ne
pas avoir suffisamment soutenu les demandes formulées par l'officier
départemental LONGETTI,
et de ne pas avoir usé de son influence et de son autorité pour
faire intensifier les parachutages dans la Marne et dans
l'ensemble de la Région C.
S'il ne l'a pas fait, expliqua PICHARD,
c'est que GRANDVAL
s'était entièrement concentré sur un projet, que lui PICHARD
considérait irréaliste, d'opération
de jour de grande envergure dans les Vosges.
Grandval
aurait donc privilégié ce projet qui dut finalement être abandonné au
dernier moment, au
détriment des parachutages de nuit ( 21 ).
En
août
1944,
GRANDVAL
fit parvenir au général
KNIG commandant
en chef des FFI, une lettre dans laquelle
il déplorait que ses « appels
réitérés pour obtenir des armes » n'aient
pas été pris en considération, ce qui limita l'action de
la résistance et l'obligea à attendre l'arrivée des troupes américaines
pour mener à leur terme des opérations qu'elle aurait pu conclure seule
si elle avait été suffisamment armée :
Ce
manque de moyens a paralysé les opérations de harcèlement prévues
dont l'efficacité pouvait être considérable ; il a également
interdit la réalisation de plans comportant entre autres la libération
du massif de l'Argonne [...] et de certaines villes telles que Reims
( 22 ).
Après la
guerre, GRANDVAL
admit que la Région C avait
manqué d'armes ou les avait
reçues trop tard :
Les
Forces Françaises de l'Intérieur, équipées, armées et encadrées trois
mois plus tôt [...] auraient pu, dans cette région C stratégiquement
capitale, mener une action déterminante.
Encore eut-il fallu qu'Anglais et Américains fussent
décidés à ne pas contrecarrer l'action du général de Gaulle et ne
soupçonnassent pas,
à l'instar de certains membres du BCRA, la plupart des résistants
d'être communistes ( 23 ).
Cette polémique
montre combien ont pu être vives les
tensions opposant les responsables de la résistance placés
à tous les échelons de commandement, pendant et après la guerre.
C'est que
la question des parachutages et de la dotation en armes des différents
groupes de résistance à la veille de la libération, constituait bien
sûr un enjeu tout à fait essentiel, qui entama d'ailleurs
la solidarité et la cohésion de la résistance marnaise, et fit resurgir
des réflexes de défiance
mutuelle.
N'était-il pas dangereux
de
fournir
des armes aux groupes constitués de communistes, de socialistes,
de syndicalistes ?
C'est la question que n'ont pas manqué de se poser
certains chefs de la résistance,
à commencer par le commandant
BOUCHEZ,
président
du Groupement interprofessionnel des syndicats patronaux de la région
de Reims, qui avait affronté les syndicats et les partis
marxistes à l'époque du Front populaire.
De la même façon, au Front
national, chez les FTP,
à Libération-Nord,
la rumeur
courait selon laquelle, le chef départemental des FFI donnait comme
consigne à ses amis de bien conserver
les armes pour après la guerre, car ils risquaient d'en avoir
besoin pour
s'opposer aux communistes ( 24 ).
L'application
du plan Vert, du plan Violet et du plan Paul
Parmi les
différents
plans d'action de l'État-major interallié qui devaient être
appliqués au moment du débarquement,
trois concernaient plus particulièrement le département de la Marne
qui occupait une
position stratégique importante sur
l'axe reliant le littoral normand à l'Allemagne : le
plan Vert, le plan Violet et le plan Paul.
Le
plan Vert visait à neutraliser
les voies ferrées de façon à empêcher, sinon à ralentir,
l'acheminement
des renforts allemands vers les plages du débarquement.
Des équipes devaient être constituées, prêtes à exécuter
les sabotages
aux points indiqués, à un signal donné par la BBC qui correspondait
à des « phrases
d'alerte » puis à des « phrases
de déclenchement » déterminées à
l'avance.
Chaque équipe était chargée d'un objectif identifié
par un numéro
d'ordre.
Le plan
Vert incluait également un plan
de guérillas, qui prévoyait la constitution de
groupes de 30 hommes prêts à intervenir, selon les mêmes
procédures, sur des objectifs étudiés à l'avance et dont l'attaque devait
être soigneusement préparée ( 25 ).
Le plan
Violet visait à interrompre,
sinon à perturber
au maximum, les
communications téléphoniques et télégraphiques de
l'ennemi.
Le plan
Paul qui fut mis en oeuvre à
partir du 17 juin dans la Marne, prévoyait la formation
de quatre centaines constituées par le commandant
LOBERTREAU et affectées à des terrains
choisis pour recevoir
des armes et d'éventuels commandos de parachutistes alliés
:
- la centaine
Duriez était affectée au terrain
Liévin situé à Moronvilliers
à l'est de Reims ;
- la
centaine Dupleix au terrain
Agneau situé à Vandières
à l'ouest d'Épernay ;
- la centaine
Duroc au terrain
Girafe situé à Écury-le-Repos
au nord de
Fère-Champenoise ;
- la centaine
Davoust au terrain
Poisson situé près de Ville-en-Tardenois.
Ces centaines devaient se tenir prêtes à aider
aux opérations de parachutages, en prenant position sur ces
terrains, à les défendre en cas d'attaque allemande, éventuellement
à épauler les commandos de parachutistes dans des opérations de guerre
( 26 ).
Comme pour
les parachutages, l'exécution
des plans alliés reposa principalement sur la zone d'Épernay
organisée patiemment et solidement par Pierre
SERVAGNAT, et qui englobait aussi des cantons appartenant
aux arrondissements de Reims et de Châlons-sur-Marne.
En
mai 1944,
cette zone contrôlée par CDLR
et qui constituait le point
fort de la résistance marnaise, avait été subdivisée en secteurs
A, B, C, D, E, qui comptèrent au total au moment du débarquement
allié, puis de la libération du département,
25 centaines réparties en 18 groupes de FFI.
Le secteur
A qui englobait Épernay
et les villages environnants était commandé par René
AZOULAY.
Le secteur
B qui correspondait aux régions d'Avize,
Vertus
et Fère-Champenoise
avait pour chef François
du PERRON.
Le secteur
C, commandé par François
CROMBEZ, était implanté autour de Montmirail,
Esternay
et Sézanne.
Au secteur
D placé sous le commandement de
Camille ROUSSEAU et qui s'étendait d'Épernay
à Dormans, était rattaché le groupe
FTP de
Gaby FOURNY.
Enfin, le secteur
E situé dans l'arrondissement de Reims et qui allait de
Damery à Tours-sur-Marne en passant par Ay, était commandé
par René
FLORENTIN de Libération-Nord
( 27 ).
Le développement
et l'activité des maquis
La formation
ou le renforcement de ces unités
combattantes dans le cadre de la préparation et de l'exécution
des plans alliés, a entraîné un gonflement
des effectifs des maquis au printemps 1944.
Dans la Marne, département peu boisé et peu accidenté,
les maquis avaient été jusqu'à cette date assez
rares, à faibles
effectifs, et leur activité s'était concentrée sur l'accueil
des prisonniers
évadés, des réfractaires
du STO, des pilotes
alliés abattus, des résistants
recherchés par la Gestapo.
Après
le 6 juin 1944, les maquis
virent affluer de nombreux patriotes, en particulier des jeunes, plein
de bonne volonté, soucieux de participer à la phase finale de la libération
de leur département, mais dont l'inexpérience,
l'impréparation
et le nombre même, firent courir des risques
à la résistance, avec parfois une issue
tragique comme ce fut le cas au Maquis
de Champlat.
Dans la
région d'Épernay,
selon Pierre
SERVAGNAT, il y avait une
quinzaine de maquis contrôlés par CDLR, auxquels s'ajoutaient
plusieurs
maquis FTP.
Ces maquis étaient situés dans
les bois de Mareuil-en-Brie, La Charmoye, Baye, Trécon, Germinon,
Euvy, Ecury-le-Repos, Semoine, Mondement, Champguyon, Vandières, Flavigny
et dans
les forêts d'Épernay et de Montmort.
Avant le débarquement allié, ils ne comptaient pas
plus de 20
à 60 hommes maximum chacun ( 28 ).
En
Argonne où Charles
CANONNE avait pris le relais d'André
NOIZET arrêté le
22 janvier 1944, l'application du plan Vert reposa sur le
maquis
Paulus commandé par Lucien
PICQ, constitué par les
trois groupes, Alsace, Champagne et Argonne, et appuyé par
le groupe
de Sainte-Ménehould commandé par Maurice
JAUNET, le groupe
de Ville-sur-Tourbe commandé par Roger
HENRY, le groupe
de Villers-en-Argonne commandé par Pierre
dit MÉRY,
le groupe
de Florent-en-Argonne commandé par Louis
MULON et le groupe
de Vienne-le-Château commandé par Paul
BESANÇON ( 29 ).
Dans
la région de Vitry-le-François, le maquis
de Blacy, mis en sommeil depuis l'arrestation du commandant
de La FOURNIÈRE, fut réactivé par Abel
BONTOUX qui prit le commandement du groupe
Bonnard ( 30 ).
Dans la région de Reims, près de Ville-en-Tardenois,
un maquis s'était constitué sur le territoire du petit village isolé
de Champlat
où un agriculteur, Raymond
HUIBAN, accueillit et ravitailla des réfractaires
du STO dès
1942.
En
mars 1944,
ce dernier mit à la disposition de la résistance la
Ferme
de Chantereine où les armes
provenant des parachutages effectués sur les terrains voisins furent
entreposées
avant d'être réparties entre les différents groupes.
En
avril 1944,
cette ferme fit l'objet d'une perquisition
allemande à un moment où heureusement elle était vide
( 31 ).
Les
« phrases de déclenchement » des
plans alliés concernant la Région C, furent lancées au
cours de la nuit du 5 au 6 juin 1944 à la BBC, et en totalité
y compris pour les groupes de guérillas, ce qui fut selon GRANDVAL
une grave erreur :
L'émission
de toutes les phrases " Guérilla " était évidemment un non-sens ;
la déclencher dans les départements proches du débarquement était
logique mais il ne l'était pas de faire engager immédiatement l'action
dans une zone aussi éloignée que la région C. Beaucoup de mes camarades
payèrent chèrement cette erreur manifeste ( 32 ).
Au cours
de la même nuit, le groupe
CDLR n° 16 commandé par MOUTARDIER,
faisait dérailler un train dans
le tunnel de Vindey, entre Sézanne et Épernay ( 33 ).
Une
soixantaine de sabotages d'importance inégale mais contribuant
tous à désorganiser et à retarder les renforts allemands dirigés vers
le front de Normandie, furent exécutés dans
les gares et sur les lignes de chemin de fer du département
au cours de la période allant du
6 juin, jour du débarquement allié, jusqu'à
la fin du mois d'août 1944, époque où le département de la
Marne fut libéré par les Américains :
- 13
en juin ;
- 20 en juillet ;
- 27 en août
( 34 ).
Dans
son
rapport mensuel de juillet 1944,
le préfet
régional PERETTI
DELLA ROCCA considérait que l'activité
des maquis marnais, sans atteindre l'ampleur de ceux de l'Aube
et de la Haute-Marne, n'en
était pas moins vigoureuse :
Ce
qu'on a coutume de nommer le « Maquis » se montre
dans le département de la Marne particulièrement vigoureux.
Il ne se passe guère de jours où l'on ne cite à
son actif tel exploit ou telle opération.
Si l'on veut situer son action, on s'aperçoit d'abord
qu'il s'agit là d'un mouvement général qui ne se cantonne dans aucune
zone bien définie mais qui atteint peu ou prou tous les coins du département.
À peine peut-on dire que les opérations sont plus
fréquentes dans le Sud-Est aux limites de la Haute-Marne et de la
Meuse [...]
33 bureaux de tabac ont été visités, 5 mairies soulagées
de leurs tickets de rationnement, 2 bureaux de poste de sommes d'argent
[...]
Quelques cultivateurs se sont vus intimer l'ordre
de livrer les plus précieux parmi leurs produits de la ferme [...]
19 sabotages contre des lignes de chemin de fer ;
17 attentats contre les ouvrages d'art, pylônes,
lignes téléphoniques ;
14 enlèvements d'autos ou de camions ;
7 attentats contre l'armée d'occupation [...]
En résumé, le travail effectif accompli par les
« troupes de résistance » est loin d'être négligeable.
Sans doute le mouvement a-t-il moins d'ampleur que
dans les deux autres départements limitrophes de la Région, l'Aube
et la Haute-Marne.
Cela tient certainement à la plus grande monotonie
du pays [...]
On note d'autre part en fin de mois un accroissement
marqué des opérations exécutées par le maquis, un redoublement d'efforts
qui semble coïncider avec les avances alliées de l'Ouest (
35 ).
Le plan
Paul, compte tenu de la rapidité de l'avance alliée en Champagne,
ne
fut que partiellement appliqué et fut endeuillé
par une action pour le moins malheureuse concernant le maquis
de Champlat et qui aurait sans doute pu être évitée.
Le
25 août 1944, la centaine
Davoust qui constituait la quatrième centaine formée dans
le cadre du plan Paul, et qui était commandée par le lieutenant
Pierre DEMARCHEZ, s'installa dans la ferme
de Chantereine bien que celle-ci fût connue des Allemands
qui y avaient déjà perquisitionné.
Trente-quatre containers parachutés dans
la nuit du 25 au 26 août y furent entreposés.
Complètement isolée,
à découvert,
au
fond d'une cuvette entourée de bois, cette ferme constituait,
selon le médecin-colonel
POURCINES « une
véritable souricière » ( 36 ).
Le
26 août au matin, la centaine Davoust fut renforcée
par les groupes
FFI de Fismes et d'Aougny, commandés respectivement
par le gendarme
Gaston RAULIN et par l'instituteur Jean
LAMBERT.
Ce dernier constata avec stupeur, qu'il n'y avait
pas de service de garde autour de la ferme, que l'arrivée
de son groupe n'avait même pas été signalée, et que le
plus grand désordre régnait à l'intérieur des bâtiments :
matériel antichar resté dans les caisses, notices d'emploi accompagnant
les explosifs égarées ( 37 ).
Au
cours de la journée du 27, arrivèrent individuellement ou
en petits groupes des hommes et des femmes souvent très jeunes, venus
offrir leurs services.
L'après-midi,
des avions
allemands survolèrent le site en rase-mottes ; plusieurs
FFI, les prenant pour des avions américains, sortirent de la ferme pour
leur faire des signes d'amitié.
Malgré les conseils des habitants de Champlat
et du médecin-colonel
POURCINES, le lieutenant
DEMARCHEZ refusa
de donner l'ordre d'évacuer la ferme.
Le
28 août, peu après qu'un avion suspect balançant les
ailes ait à nouveau survolé la ferme de Chantereine, celle-ci fut encerclée
par plusieurs chars allemands et attaquée
par surprise.
Cette attaque provoqua la « sortie
précipitée sans ordre et sans armes » de la plupart
des occupants de la ferme qui s'enfuirent vers la forêt à travers les
champs moissonnés, donc à découvert.
Le plus jeune des onze
FFI tués à la ferme de Chantereine,
Philippe COUTIEZ,
n'avait que 17 ans.
Le rôle des Jedburghs
Dans un
tout autre domaine, celui de la
coopération entre alliés et FFI, il y eut à la fois des succès
remarquables et aussi des erreurs
regrettables, dont il est difficile de déterminer exactement les causes,
et pour lesquelles les responsabilités
sont sans doute partagées.
À partir du débarquement de Normandie, l'exécution
des plans alliés pour la libération du territoire français impliquait
une
bonne coordination entre la résistance et les troupes alliées.
Il avait été prévu que ce travail de coordination serait assuré par
des Jedburghs,
équipes
mixtes d'officiers et sous-officiers anglo-saxons et français,
parachutées pour appuyer l'action des FFI, par des équipes de renseignement
comprenant un informateur et un radio, et par des commandos-parachutistes
du Special
Air Service ( SAS ) ( 38 ).
GRANDVAL
écrivit après la guerre que les
missions effectuées dans la Région C par ces équipes « furent
le plus souvent très efficaces et leur entente avec les Forces Françaises
de l'Intérieur parfaite » ( 39 ).
Il ne semble pas que ce fut le cas dans
la Marne où les agents alliés eurent beaucoup de mal à coopérer avec
la résistance.
L'équipe
Borosh-Benoit
du réseau Silversmith
Une première
équipe intervint à
partir du 6 juin 1944 et au cours des jours qui suivirent
immédiatement le débarquement allié, en exécutant 12
sabotages sur les lignes ferroviaires de la région de Reims.
Elle appartenait au réseau
Silversmith et avait à sa tête deux officiers canadiens,
le capitaine
Henry BOROSH et le capitaine
Joseph BENOIT.
Cette équipe qui n'était pas initialement destinée
à la Marne, avait été parachutée dans
la nuit du 23 au 24 mai 1944 en Saône-et-Loire : parachutage
effectué à une altitude trop élevée, équipe dispersée, matériel radio
perdu.
Elle se reconstitua à Lyon puis à Paris, récupéra
du matériel radio et se retrouva finalement dans la Marne.
De la fin du mois de juin jusqu'à la fin du mois de
juillet, elle s'installa à Épernay
et à Ay,
d'où dix-neuf messages furent envoyés qui guidèrent le bombardement
du dépôt de V1 stockés dans le tunnel de Rilly-la-Montagne,
tandis qu'à Reims
l'équipe du capitaine
BENOIT formée de cinq groupes de combat de cinq hommes chacun,
fit sauter des dépôts
d'essence et de munitions et coupa deux fois le câble
Reims-Berlin ( 40 ).
Les agents
du réseau F2 / sous-réseau Métro
À
partir de la mi-juin 1944, des agents du réseau
de renseignements F2 ( sous-réseau Métro ), vinrent à Reims
pour y poser les premiers jalons de leur extension vers l'est et y organiser
le secteur
Toto-Est. Un central fut établi à Reims, qui draina les informations
du sous-secteur
Luna couvrant les régions de Châlons-sur-Marne, Épernay
et Montmirail. Il transmettait toutes les informations recueillies par
l'intermédiaire de son équipe
radio Chantal-Est. Ces agents quittèrent la Marne à
la fin du mois d'août en direction de Verdun puis de Nancy
( 41 ).
L'équipe
Bodington du réseau Pedlar
L'équipe
du commandant
BODINGTON, chef du réseau
Pedlar ( 42 )
fut parachutée dans la région de Troyes
le 10 juillet
1944, avec pour mission de se rendre dans la Marne. Mais
en l'absence de pièces justificatives d'identité lui permettant de prendre
contact et d'être accréditée auprès des chefs FFI marnais, pièces demandées
par Londres par deux fois avant son départ, elle resta pendant trois
semaines dans l'Aube où elle fut prise en charge par le maquis Montcalm
constitué par le capitaine
Leonard TASCHEREAU du réseau
Diplomat ( 43 ).
BODINGTON
multiplia
les tentatives pour prendre contact avec la résistance marnaise,
en particulier dans la région de Sézanne où il proposa d'envoyer un
message chiffré à Londres avec réponse immédiate.
Menacé d'être arrêté, il fit une autre tentative à
Épernay où il fut dénoncé à la Feldgendarmerie et dut
prendre la fuite.
Il se rendit alors en Haute-Marne,
département avec lequel en principe il ne devait pas être en liaison ;
il y fut bien accueilli par un groupe de FFI pour lequel il obtint immédiatement
qu'on effectuât des parachutages.
On peut donc considérer que, si la résistance marnaise
avait accueilli plus tôt et avec moins de suspicion l'équipe du réseau
Pedlar, elle
aurait obtenu les armes qu'elle réclamait avec tant d'insistance.
BODINGTON
décida en dernier ressort d'intervenir dans le département de la Marne
sans l'accord
de la résistance, et installa son poste de commandement à
Bouzy.
Lorsqu'à
la mi-août, une délégation des FFI marnais prit enfin contact
avec lui, Pierre
SERVAGNAT lui aurait déclaré : « Oh
! si seulement nous avions été informés de votre arrivée cinq semaines
plus tôt ! ».
Finalement,
compte tenu de leur
implantation tardive dans le département, les groupes constitués
par BODINGTON
se concentrèrent sur deux tâches principales :
- faciliter
l'approche des troupes américaines depuis Coulommiers où
la jonction fut établie, puis la
libération de Châlons ;
- et surtout préparer
leur progression ultérieure vers l'est, dans la Haute-Marne,
où BODINGTON
transféra son poste de commandement à Montier-en-Der.
Avant de quitter la Marne, BODINGTON
avait pu réceptionner le groupe
Jedburgh Arnold ( 44 ),
auprès duquel il détacha Jean
LEMONIER.
Le groupe
Jedburgh Arnold
Le groupe
Jedburgh Arnold commandé par le capitaine
COUDRAY fut parachuté en habits civils dans
la nuit du 24 au 25 août 1944 au sud-ouest d'Épernay
à Igny.
BODINGTON
lui confia la région située entre
Dormans et Épernay, où il fut chargé de surveiller
la retraite des Allemands sur les ponts de la Marne.
Les membres de ce groupe, eux non plus, ne parvinrent
pas à coordonner leur action avec le commandement FFI marnais, mais
par contre ils entrèrent en contact avec les résistants de la région
de Condé-en-Brie dans l'Aisne.
Un manque
de coordination regrettable
Après la
guerre, Pierre
SERVAGNAT a regretté ce manque
de coordination qu'il a tenté d'expliquer par l'absence
d'informations et en se réfugiant derrière sa hiérarchie
:
le commandant
BOUCHEZ dans la Marne,
et le colonel
GRANDVAL à la tête
de la Région
C :
Depuis
quelque temps déjà, fin juillet ou début août, l'arrivée d'un officier
britannique, qui recherchait les groupes de Résistance afin de leur
fournir des armes, nous fut signalée dans différents points de l'arrondissement.
Comme en certains endroits, des patriotes s'étaient
laissé surprendre par des individus de la Gestapo déguisés en agents
anglais, nous alertâmes immédiatement nos supérieurs.
Ces derniers n'étaient au courant de quoi que ce
soit et nous conseillèrent la méfiance.
Il nous semblait en effet normal qu'un agent anglais
venant dans la région se mît - chose facile - en rapport avec notre
DMR ( Délégué militaire régional ) [
le colonel Grandval ] et
que ce dernier nous annonçât, par la voie hiérarchique, la présence
et l'éventuelle visite de l'agent en question.
Il n'en fut rien. Nous ne pûmes donc profiter des
avantages que nous aurions certainement retirés d'un contact avec
le commandant Nick ( ou Badington ) [ le
commandant Bodington ] qui
s'était installé à Bouzy ( 45 ).
Cette argumentation
n'est toutefois pas totalement convaincante, et semble cacher soit une
mésentente
sur ce sujet au sein de la résistance marnaise, soit la volonté délibérée
des responsables marnais de
se débrouiller seuls, sans la tutelle des Alliés.
Les journées libératrices
et le bilan de l'action résistante dans la Marne
Ce que
l'on a appelé les
journées libératrices et qui furent décrites en détail dans
de nombreuses monographies d'histoire locale, furent brèves du
26 au 30 août 1944.
Le
26 août, les premières
colonnes alliées atteignirent les confins du département
qui fut libéré presque totalement en moins d'une semaine, avec l'aide
des FFI.
La première
ville qui fut libérée fut Sézanne
dans laquelle les troupes américaines sont entrées le 27, suivie d'Epernay
le 28, de Châlons-sur-Marne
et Vitry-le-François
le 29, de Reims
et de Sainte-Menehould
le 30 août.
Selon GRANDVAL,
la
3ème Armée américaine du général
PATTON « a
traversé la Champagne, sans rencontrer de résistance »
( 46 ) de la part
des troupes allemandes battant en retraite.
Des
combats très durs se poursuivirent cependant en Argonne au
début du mois de septembre, mettant durement à contribution
les FFI de l'arrondissement de Sainte-Ménehould.
Les jugements
portés respectivement par le chef départemental et le chef régional
des FFI sur ce qu'a été l'action
de la résistance dans la Marne, divergent
sensiblement.
Le commandant
BOUCHEZ,
dans le rapport consigné dans son journal
de marche à la date du
25 septembre 1944, est pour le moins laconique.
Sous prétexte de « ne
pas alourdir ce journal », il se contenta d'y
examiner les opérations
effectuées par les FFI de son département « de
haut, dans leur ensemble, en laissant dans l'ombre les actions isolées »,
sans citer aucun de ses subordonnés,
sans s'arrêter sur
le rôle des maquis
dont il indiqua simplement qu'« il
n'y en avait que très peu ».
S'agissant du plan
Vert, il souligna que les « sabotages
coordonnés [...] avaient été dans l'ensemble exécutés correctement et
courageusement, malgré quelques mécomptes dus aux circonstances du moment ».
Selon lui, la
Marne se prêtait mal « aux
actions de guérilla », l'armement
dont disposaient les FFI était de toute façon
« notoirement
insuffisant ».
Il ajouta que le rôle de la résistance marnaise «
bien que simple, était néanmoins assez difficile » mais
que son
« action fut reconnue par le commandement de la 3ème Armée
américaine, qui voulut bien [
lui ] en
exprimer sa satisfaction en précisant que grâce à [ elle ], il
avait été en avance sur son horaire »..
Il y affirma sa « conviction
d'avoir réussi » dans
tous les domaines, et dressa l'état des pertes
de façon un peu sèche :
-
233 tués, 270 blessé, 1 200 prisonniers du côté de l'ennemi ;
- 107 tués, 78 fusillés ou assassinés et 58
blessés du côté des FFI.
Après la guerre, le jugement
du colonel
GRANDVAL,
commandant
en chef de la région C, fut
beaucoup plus nuancé en ce qui concerne le rôle joué par les FFI marnais,
et critique
à l'égard de leur chef, Pierre
BOUCHEZ.
Selon le commandant en chef de la Région C, les arrestations
qui avaient décimé les principaux responsables de la résistance marnaise
à la fin de 1943 et au
début de 1944 eurent de « graves
conséquences » qui affectèrent durablement
son organisation et dont elle
ne s'était pas remise.
Lorsqu'il prit contact avec le département de la Marne,
il constata que non seulement le commandant
BOUCHEZ « ne
faisait pas l'unanimité », mais que « certains
secteurs échappaient en fait à son autorité »
en particulier dans la région d'Épernay.
Par la suite, il se rendit compte que les relations
du chef des FFI marnais
avec le CDLN
et les FTP
« étaient
difficiles ».
Il reçut à ce sujet des « doléances »
émanant du COMAC
( Comité d'action militaire du Conseil national de la résistance )
et de l'État-major
national des FFI ,
et l'État-major
interallié se plaignit dès le mois de juin «
d'une mauvaise exécution du plan Vert »
dans la Marne.
GRANDVAL
essaya alors de faire revenir Henri
BERTIN, mais le Haut-Commandement estima que sa présence
était indispensable à Londres.
Il conserva donc Pierre
BOUCHEZ
à la tête des FFI marnais, tout en constatant que ce dernier
avait un tempérament « mieux
adapté à l'armée régulière et au combat au grand jour, qu'à l'activité
clandestine », et que le
courant ne passait pas entre lui et « la
hiérarchie descendante ».
Et GRANDVAL
d'ajouter ce jugement lucide quoiqu'un peu sévère :
L'insuffisante
cohésion qui en résulta à l'échelon départemental
et les nombreux drames qui frappèrent la résistance marnaise ne permirent
pas, en dépit de l'approvisionnement massif dont la Marne avait bénéficié,
que l'action atteigne l'ampleur que l'on pouvait attendre ( 47 ).
Le chef
de la Région C n'en rendait pas moins hommage
aux morts de la résistance marnaise, dont il reconnaissait
les actions
héroïques.
La
Marne n'a donc pas vécu à la libération de période véritablement insurrectionnelle
comme en ont connue d'autres départements où la résistance
et les maquis étaient plus solidement installés.
La plupart des responsables de la résistance étaient
d'ailleurs hostiles
à une insurrection populaire qui n'aurait profité qu'au PCF.
De leur côté, les communistes n'étaient pas placés
dans un rapport
de force qui leur permettait de prendre la tête d'une telle
insurrection.
Ils se sont donc contentés d'appeler
les Champenois à la « mobilisation »,
à l'« action »,
à « l'unité
de la Nation Française », et de leur demander
de se tenir «
prêts pour l'insurrection nationale », par le
canal de l'organe départemental du Front
national de lutte pour l'indépendance de la France.
Son titre, Les
Fils de Valmy, s'inscrivait dans la stratégie de
tentative de prise de pouvoir du parti communiste au sein de la résistance
à la libération, stratégie construite sur le modèle de l'An II de la
révolution française, appelant
à la guerre à outrance,
à la levée en masse et à la radicalisation
politique, stratégie
révolutionnaire de rupture, que les communistes marnais n'étaient
cependant pas en mesure de mettre en oeuvre dans ce département et qui
échoua ( 48 ).
Ce
n'est pas faire injure à la résistance marnaise que d'admettre que son
rôle en août 1944, loin d'être négligeable,
n'a cependant été qu'un rôle d'appoint au service de la puissante armée
américaine.
La rapidité
avec laquelle
celle-ci a libéré le département, allait faciliter et accélérer
la mise en place simultanée des nouvelles
institutions dans tous les arrondissements, avec le concours
des FFI.
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