Pourquoi à Reims ?
Le
choix de Reims pour la signature de la capitulation allemande
a été le fruit du hasard.
C'est en
décembre 1944, que le général
Eisenhower avait décidé d'y transférer le PC avancé du Quartier général des Forces expéditionnaires
alliées en Europe ( 1 ) installé à Versailles.
Le commandant en chef du Corps expéditionnaire en
Europe trouvait Versailles trop proche de Paris, ville de toutes les tentations pour
ses officiers et ses soldats !
En
outre, dès l'automne 1944, il avait envisagé de
se rapprocher du front qui s'éloignait vers l'Est, mais la contre-offensive
déclenchée par la Wehrmacht dans les Ardennes au
cours de l'hiver 1944-1945, l'avait amené à
retarder cette décision.
Plusieurs villes avaient été envisagées : Verdun, Metz, Liège, Spa, Luxembourg.
Impressionné par la menace qu'avait fait peser sur
le dispositif allié la contre-offensive allemande des Ardennes, EISENHOWER jugea plus prudent de ne pas s'installer trop près du front et choisit Reims, sans doute aussi parce qu'il
disposait, depuis
l'automne 1944, d'un poste de commandement très léger au château de Gueux, où il avait reçu
le premier ministre britannique CHURCHILL en
novembre.
C'est finalement en février 1945, que les
Alliés s'installèrent à Reims dans les locaux du collège moderne et
technique de la rue Jolicur ( 2 ),
dont la moitié des bâtiments situés à l'arrière furent laissés à la
disposition des enseignants français et de leurs élèves.
Une barrière de bois séparait la cour intérieure en
deux parties, marquant la frontière entre deux
mondes qui s'ignoraient :
- d'un côté, les civils
français ;
- de l'autre côté, les
militaires alliés.
Le
collège de la rue Jolicur
à Reims
La
cour intérieure du collège avant la 2ème guerre
mondiale
En janvier 1945, elle fut partagée en deux parties séparées
par une barrière
Le
bureau d'Eisenhower et la War Room ou Salle des cartes
où a été signée la capitulation de l'Allemagne
nazie
avaient été aménagés dans cette aile du
bâtiment
La secrétaire particulière
d'EISENHOWER, Kay SUMMERSBY,
trouva ce choix détestable et s'en plaignit amèrement, déclarant que
Reims «
était une ville triste et grise qui n'avait rien d'aussi pétillant que
le célèbre vin de ses caves », que «
le quartier général avait été placé dans une école horrible en brique
rouge » ( 3 ) , située en face de la gare, de telle sorte qu'on ne pouvait
pas s'entendre à cause du fracas des convois de chemin de fer qui passaient
de façon presqu'ininterrompue sous les fenêtres des bâtiments.
Il n'avait pas non plus été prévu que la capitulation
serait signée au Quartier général d'EISENHOWER.
Les Alliés avaient pensé initialement que pour bien
affirmer la défaite allemande, la capitulation devrait être signée sur
le territoire de l'Allemagne vaincue.
Les Alliés occidentaux exprimèrent en secret leurs
réticences à l'égard de Berlin occupée exclusivement par
les Soviétiques.
Le conseiller de CHURCHILL avait proposé de choisir
symboliquement Torgaü,
la ville allemande où alliés occidentaux et soviétiques avaient effectué leur jonction.
L'arrivée des plénipotentiaires allemands
5 et 6 mai
1945
Le
samedi 5 mai, les
plénipotentiaires allemands arrivèrent à Reims par la route,
venant de Bruxelles où leur avion avait dû se poser en raison de mauvaises
conditions météorologiques.
La délégation
allemande composée de l'amiral FRIEDEBURG et du colonel POLECK se présenta au quartier général
allié vers
17 heures ( 4 ).
La
voiture acheminant l'amiral Von Friedeburg et le colonel Poleck
depuis Bruxelles s'arrête devant l'entrée du Quartier général
du SHAEF
Elle engagea une discussion avec le chef d'État-major
allié, le général
américain BEDELL SMITH,
assisté du chef du 2e Bureau, le général STRONG, autre officier américain
qui lui servit d'interprète.
Le général EISENHOWER, qui s'était rendu le
12 avril 1945 dans le camp de concentration d'Ohrdruf , kommando de Buchenwald libéré par les Américains, en était revenu
très impressionné.
En quittant Ohrdruf, il avait déclaré
: « On
nous dit que le soldat américain ne sait pas pourquoi il combat. Maintenant,
au moins, il saura contre quoi il se bat ».
Il était rentré à Reims avec
la conviction qu'il fallait traiter les Allemands avec une extrême sévérité et avait donné à son chef d'État-major chargé de recevoir
les plénipotentiaires allemands, des consignes très strictes : faire
preuve de la plus grande fermeté ; se montrer inflexible.
La discussion fut donc très brève, puisqu'elle ne
dura qu'une vingtaine de minutes.
FRIEDEBURG exposa le
point de vue du Haut commandement allemand désireux de négocier une
capitulation limitée au seul front de l'Ouest.
Il lui fut signifié clairement qu'il n'y avait rien
à négocier, que les Alliés n'étaient disposés à signer, sans tergiversations,
qu'une capitulation
totale, sans condition et simultanée, de la totalité des forces allemandes
des fronts de l'Ouest et de l'Est, et que le nouveau gouvernement
allemand de l'amiral DOENITZ serait considéré
comme responsable et coupable de la poursuite des hostilités, s'il n'acceptait
pas les termes de cette capitulation, en l'habilitant, lui FRIEDEBURG,
à la signer, ou en envoyant rapidement à Reims le commandant en chef
de l'armée allemande ou son chef d'État-major, dûment mandaté.
FRIEDEBURG informa
l'amiral DOENITZ des conditions
alliées par un message codé envoyé à la IIème Armée britannique
qui fut chargée de l'acheminer par une estafette jusqu'aux lignes allemandes.
Puis, les plénipotentiaires allemands furent conduits
sous escorte 3,
Place Godinot, où se trouvait une maison réquisitionnée pour
loger les officiers de passage au Quartier général allié de Reims.
C'est là qu'ils passèrent la
nuit du 5 au 6 mai.
3,
Place Godinot
L'amiral
Friedeburg dans la maison de la Place Godinot
Dans la soirée, le général BEDELL
SMITH rencontra EISENHOWER pour lui rendre compte de son entretien avec FRIEDEBURG.
De son côté, le
premier ministre CHURCHILL avait téléphoné à plusieurs reprises au cours de la journée pour s'informer de l'évolution de la situation.
Le
dimanche 6 mai, en
fin d'après-midi, le général JODL, chef d'État-major de l'armée
allemande, et son aide de camp le commandant OXENIUS, arrivèrent à l'aérodrome
de Reims à bord d'un avion de transport de troupes C 47.
Ils
se présentèrent au Quartier général allié à
17 heures 20, où ils furent bientôt rejoints par l'amiral FRIEDEBURG et le colonel POLECK.
Le
général Jodl devant le portail du collège technique
de la rue Jolicoeur,
donnant accès au Quartier général des Forces alliées
Commencèrent
alors les
ultimes discussions qui se prolongèrent dans la soirée.
JODL tenta à son tour, mais en vain, de
fléchir l'intransigeance alliée, et d'obtenir une capitulation partielle
à l'Ouest, évitant à l'Allemagne une capitulation à l'Est face aux Soviétiques.
Il réclama un délai de 48 heures entre la signature
de la reddition et l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, afin de permettre
aux Allemands de ramener le maximum de leurs soldats dans les lignes
anglo-américaines.
Ce délai lui fut refusé, mais par contre, les Alliés
lui accordèrent 48 heures, à
compter du 6 mai à minuit, pour signer l'acte de capitulation, qui prévoyait que le cessez-le-feu
devait intervenir le
8 mai à minuit.
JODL télégraphia à l'amiral DOENITZ pour lui dire qu'il n'y avait
plus d'autre alternative pour les Allemands qu'entre la signature ou
le chaos, et reçut
l'autorisation de signer sans plus attendre.
C'est pourquoi la capitulation est intervenue dans
la nuit.
La signature de la capitulation
7 mai 1945
Le
7 mai, à 2 heures 39, JODL, FRIEDEBURG et OXENIUS pénétrèrent dans
la War Room , la Salle
de guerre, appelée encore Salle des cartes ( 5 ), qui était illuminée
par les projecteurs installés par les photographes et les cameramen : « On dirait un studio de cinéma » déclara le correspondant de guerre de la chaîne américaine CBS, dont le reportage fut retransmis le lendemain ( 6 ).
Au total, 17
correspondants de guerre étaient présents, reporters, photographes,
cameramen du Signal Corps US, ainsi qu'un reporter et deux cameramen
de la British Paramount News, Ronnie READ et le Français Yves
NAINTUE ( 7 ).
Les officiers alliés placés autour d'une
grande table, attendaient les trois officiers allemands.
Selon le correspondant de CBS, «
le visage de Jodl [ était ] le masque même
de la mort, tiré, irréel, tous les muscles crispés ».
Au
premier plan et de dos, les plénipotentiaires allemands
1. L'amiral
FRIEDEBURG, commandant en chef de la Kriegsmarine
2. Le général JODL,
chef d'État-major de la Wehrmacht,
adjoint du maréchal Keitel, commandant en chef de l'Armée
allemande
3. Le commandant OXENIUS,
aide de camp du général Jodl
Au
second plan et de face, les officiers alliés
1/ Le général MORGAN,
adjoint du chef d'État-major du Corps expéditionnaire
allié en Europe ( officier britannique )
2/ Le général
SEVEZ,
adjoint du chef d'État-major de la Défense nationale,
le général Juin ( unique officier français
présent à Reims )
3/ L'amiral
BURROUGH,
commandant en chef des Forces navales alliées ( officier
britannique )
4/ Le général BEDELL-SMITH,
chef d'État-major, représentant le général
Eisenhower, commandant en chef du Corps expéditionnaire allié
en Europe ( officier américain )
5/ Le commandant BUTCHER,
aide de camp du général Eisenhower ( officier de la Marine américaine ),
debout un peu en retrait derrière le général Sevez
et l'amiral Burrough.
6/ Le lieutenant CHERNIAEV,
interprète du général Sousloparov ( officier
soviétique ), assis
en retrait derrière la chaise vide.
7/ Le général SOUSLOPAROV, chef de la Mission militaire soviétique en France, représentant
du gouvernement et du haut commandement soviétiques
8/ Le général SPAATZ, chef
des Forces aériennes américaines stratégiques et tactiques
( USSTAF )
9/ Le général ROBB,
chef d'État-major de l'Armée de l'Air alliée (
officier britannique )
10/ Le colonel ZENKOVITCH,
aide de camp du général Sousloparov ( officier soviétique )
La chaise vide située entre
le général
Bedell-Smith et le
général Sousloparov, était destinée au général
STRONG,
chef du 2ème Bureau allié ( officier britannique ),
qui est resté debout durant toute la cérémonie
de la signature, a servi d'interprète auprès des plénipotentiaires allemands et leur a présenté
l'acte de capitulation à signer, mais qui est absent de la photographie
ci-dessus.
À
l'extrêmité de la table, entre le général
Robb et le colonel Zenkovitch, se trouvait le général
américain BULL,
chef du 3ème Bureau allié, qui n'apparaît pas sur
la photo.
Quatre autres
officiers alliés étaient présents dans la salle :
- le commandant BUTCHER, aide de camp
d'Eisenhower, qui se tient debout sur la photographie, derrière
le général Sevez et l'amiral Burrough,
- le général FORD,
qui venait d'y escorter les trois officiers allemands,
- le colonel NEGROTTO, chef de liaison
du SHAEF,
- et le capitaine HAYS, chef de la Salle de guerre.
Le général BEDELL SMITH demanda à JODL s'il
était prêt à signer.
Ce dernier hocha la tête en signe d'assentiment.
L'apposition
des signatures sur les documents commença à
2 heures 40
et s'acheva à 2 heures 45.
L'heure
officielle indiquée sur l'acte de capitulation est 2
heures 41.
Ont
signé successivement l'acte
de capitulation :
- le général JODL, chef d'État-major de
l'armée allemande,
- le général BEDELL SMITH, chef d'État-major allié,
- le général SOUSLOPAROV, chef de la
Mission militaire soviétique en France qui, à la demande d'Eisenhower,
avait été associé, dès
le 5 mai aux négociations préliminaires,
- et le général
français François
SEVEZ, convoqué au dernier moment, qui a été
invité à signer comme
témoin.
Après la signature, le général Jodl se leva et s'adressa en anglais au général BEDELL
SMITH : « Je
voudrais dire un mot ». Puis
il continua en allemand :
Général,
par cette signature, le peuple allemand et les forces armées allemandes
sont pour le meilleur et pour le pire, livrés entre les mains du vainqueur.
Dans cette guerre qui a duré plus de cinq ans, l'un
et l'autre ont réalisé et ont souffert plus peut-être que n'importe
quel autre peuple au monde.
En cette heure, je ne peux exprimer qu'un espoir
: c'est que le vainqueur les traite avec générosité ( 8 ).
Il
n'y eut pas de réponse à cette requête.
À
2 heures 55, les
officiers allemands furent conduits dans le bureau du commandant suprême pour être présentés au général EISENHOWER et à son adjoint, le maréchal
de l'Air britannique TEDDER.
Ces derniers étaient intervenus en coulisse, sans
assister directement aux discussions avec les plénipotentiaires allemands,
ni à la signature.
EISENHOWER, qui n'avait
pas d'interlocuteur militaire allemand de son rang, s'était fait représenter
par son chef d'État-major.
Il leur demanda d'un ton sec s'ils avaient compris
parfaitement les termes de la capitulation et s'ils étaient prêts
à les exécuter.
Les Allemands répondirent affirmativement et s'inclinèrent
avec raideur, avant de se retirer.
L'amiral FRIEDEBURG s'est
suicidé quelques jours plus tard en se tirant une
balle dans la tête, tandis que le général
JODL a été condamné
à mort comme criminel de guerre par le Tribunal militaire
international siégeant à Nuremberg, et a
été pendu en
1946.
Le discours de la victoire
Aussitôt après le
départ des Allemands, les officiers alliés
se regroupèrent pour procéder à la « photo de famille »
autour d'EISEHOWER brandissant
en V les stylos utilisés lors de la signature ( 9 ).
Après
la signature, dans le bureau d'Eisenhower
À
2 heures 59, EISENHOWER et TEDDER pénétrèrent dans la Salle
des cartes où le commandant suprême prononça le discours
de la victoire destiné aux Actualités
cinématographiques, sous les drapeaux américain, britannique
et soviétique :
Devant
le micro installé sur la table de la Reddition, le général
Eisenhower
et son adjoint le maréchal de l'Air Tedder
En
janvier 1943, le président Roosevelt et le Premier ministre Churchill
se sont rencontrés à Casablanca et ont annoncé que la formule de la
reddition sans condition serait appliquée aux puissances de l'Axe.
En Europe cet engagement a été tenu [...]
Ma gratitude, qui ne peut être assez grande, va
à chacun des cinq millions d'hommes qui ont pris part à la lutte [...]
Je pense qu'il est particulièrement symbolique
que la reddition ait été signée au cœur de la France, ce pays où nous
avons débarqué en juin dernier et dont les forces armées et les mouvements
de résistance nous ont tant aidés [...]
La profonde reconnaissance et la gratitude durable
de tous les citoyens libres des Nations Unies leur sont dues » ( 10 ).
À
3 heures 24, le général EISENHOWER adressa, à tous les
chefs militaires anglo-américains placés sous son commandement, un message qui leur
signifiait que la victoire était acquise, mais sans mentionner
la ville de Reims où venait d'être signée la capitulation allemande ( 11 ) :
SHAEF
FORWARD
STAFF MESSAGE CONTROL
OUTGOING MESSAGE
URGENT
TO : AGWAR
FOR COMBINED CHIEFS OF STAFF
FROM : SHAEF
FORWARD, SIGNED EISENHOWER
REF
N° : FWD-20798 TOO
070325B
The
mission of this Allied Force was fulfilled
at 0241, local time, May 7th, 1945.
EISENHOWER
ORIGINATOR : SUPREME
COMMANDER AUTHENTIFICATION : J. S. MOORE, III
LT COLONEL
Signé : Dwight
Eisenhower
La
mission des forces alliées a été remplie
à 2 heures 41, heure locale, le 7 mai 1945.
Dwight
Eisenhower
À
3 heures 46, tout était terminé.