Enseigner la mémoire ? > Combattre le racisme et l'antisémitisme

Combattre
le racisme et l'antisémitisme
à l'école

La création du Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme

Le Rapport Rufin

Les déclarations du Premier ministre et du président de la République à l'occasion du
60e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz

L'appel de Simone Veil aux enseignants

La création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ( HALDE )

L'émergence inquiétante d'un nouvel antisémitisme :

                    - La montée du racisme antijuif dans certains établissements scolaires
                    - 
La publication du livre antisémite Pogrom
                    - 
Les provocations antisémites de l'humoriste Dieudonné
                    - 
Les ambiguïtés de l'Appel des « Indigènes de la République »
                    - 
Le débat sur l'antisémitisme des banlieues relancé par l'émotion suscitée par le meurtre d'Ilan Halimi

Les dangers de l'instrumentalisation des mémoires qui nourrit la compétition victimaire,
la montée du communautarisme et le repli identitaire

Le piège des mémoires antagonistes

Les rapports 2004 et 2005 de la Commission nationale consultative des droits de l'homme,
et le Plan d'action civique pour la cohésion sociale

Se rassembler autour des valeurs de la laïcité et de l'humanisme universel

La Journée mondiale de lutte contre le racisme le 21 mars
les Semaines d'éducation contre le racisme et l'action du Conseil national de la vie lycéenne

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La création du Comité interministériel
de lutte contre le racisme et l'antisémitisme

   En décembre 2003, a été créé par décret le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
  
Présidé par le Premier ministre, ce comité « définit les orientations de la politique menée pour lutter contre les actes et agissements d'inspiration raciste ou antisémite » et « veille à la cohérence et à l'efficacité des actions engagées par les différents ministères [ dont le ministère de l'Éducation nationale ], tant pour prévenir ces actes et agissements que pour assurer l'exemplarité des sanctions lorsqu'ils se produisent » ( 1 ).
   En juin 2004, le ministre de l'Intérieur a adressé à Jean-Christophe RUFIN, écrivain, médecin, ancien président de Médecins sans frontières et président d'Action contre la faim, une lettre de mission par laquelle il lui demandait d'approfondir la connaissance des mécanismes qui peuvent conduire à des actes ou à des menaces de caractère raciste ou antisémite.    Le 17 juin 2004, le ministre de l'Éducation nationale, François FILLON, prononçant le discours de clotûre du colloque de l'OSCE organisé à Paris sur le thème " Le racisme et l'antisémitisme sur l'Internet, appelait à  «  la mobilisation qui doit être la nôtre dans la lutte contre le racisme et l'antisémitisme » :

   [...] Il y a quelques jours encore, certains de nos cimetières ont été salis par des messages de haine.
   Le Gouvernement français sera impitoyable à l'égard de ceux qui font honte aux fondements même de notre culture et de nos valeurs républicaines.
   Ces phénomènes ne sont pas propres à la France.
   Ils gangrènent la cohésion de nos Nations et mettent à mal le devoir de mémoire.
   De manière paradoxale, alors même que nous sortons d'un siècle de fer et de sang dont nous venons de commémorer sur les plages de Normandie l'un de ses moments les plus tragiques, voici que ressurgissent ici ou là certains des démons qui ravagèrent l'histoire des siècles derniers : l'antisémitisme, le racisme, le fanatisme ou encore le réflexe identitaire...
   À l'aube du 21ème siècle, nous avons donc l'obligation d'offrir un nouveau sens à la condition humaine. La lutte contre l'intolérance doit être placée au rang des priorités politiques [...]

   Le 14 octobre 2004, quelques jours après la présentation au ministre de l'Éducation nationale du rapport Rousso, au moment même où de nouveaux dérapages verbaux émanaient de représentants du Front national et où naissait l'affaire Gollnisch, était publiée au Bulletin officiel du ministère de l'Éducation nationale, une circulaire concernant la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

  Cette circulaire, adressée aux recteurs d'académies, aux préfets, aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie et aux procureurs de la République, définit les « m
esures visant à prévenir, signaler les actes à caractère raciste ou antisémite en milieu scolaire et sanctionner les infractions ».
   Elle se fixe comme objectif d' améliorer
« la réactivité face aux actes racistes et antisémites », « l'information et la prise en charge des victimes » et « la sensibilisation des acteurs ».
   Pour y parvenir, elle annonce la mise en place d'« un réseau de vigilance », impliquant « l'ensemble des acteurs, correspondants référents  » de l'Éducation nationale, des services préfectoraux, de la police, de la gendarmerie, de la justice, mais aussi les chefs d'établissements, les équipes éducatives, les associations antiracistes et les associations de parents d'élèves, associés dans « une fonction de veille et d'alerte », dans le cadre d'un partenariat inscrit « dans une cohérence d'ensemble organisée au niveau départemental et académique » .
   Considèrant que les Comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté ( CESC ) créés dans les établissements scolaires depuis 1998, à l'initiative de leur conseil d'administration et en cours de généralisation, « doivent être le lieu privilégié de mise en œuvre des dispositifs ayant vocation à lutter contre la violence à l'école et à promouvoir la citoyenneté », elle considère que « la lutte contre le racisme et l'antisémitisme y trouve naturellement toute sa place » 2 ).


Le Rapport Rufin

   Le 19 octobre 2004, Jean-Christophe RUFIN a remis à Dominique DE VILLEPIN, ministre de l'Intérieur, son rapport intitulé Chantier sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.
   Ce rapport, après avoir recensé les dispositifs déjà existants de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, s'interroge sur la façon de faire évoluer ces dispositifs pour répondre au défi posé par l'accroissement des violences constaté ces dernières années.
   Il propose de revoir la publication des chiffres consacrés aux violences antisémites et racistes, afin d'éviter la concurrence entre des chiffres « notablement différents » publiés par les ministères concernés qui n'utilisent pas les mêmes instruments de mesure.
   
Il suggère des remédiations à mettre en œuvre aux différents niveaux politique, policier, judiciaire et scolaire, pour agir contre les manifestations du racisme et notamment le « racisme organisé ».
   Il relève trois formes d'antisémitisme faisant apparaître trois niveaux de responsabilité pour chacun desquels il convient d'apporter un type de réponse publique particulier :

   1/  L'antisémitisme comme pulsion des auteurs de violence, dont la majorité « ne peut être cataloguée ni à l'extrême droite, ni parmi les délinquants connus des quartiers difficiles »  [ la plupart des jeunes interpellés dans ces quartiers pour actes antisémites ne sont pas d'origine maghrébine, mais originaires de pays n'ayant aucun lien avec la question israélo-arabe ], et dont « le trait commun semble plutôt à rechercher du côté du déracinement, de la perte de repère, de l'échec social et de la confusion identitaire ».
   
      Propositions de remédiation :


           Relancer le processus d'intégration et d'égalité des chances.
           Réprimer le passage à l'acte de façon adaptée et accroître la surveillance.
           Lutter contre la banalisation de l'antisémitisme en milieu scolaire.
           Éduquer aux valeurs républicaines.

           Minimiser les bénéfices secondaires [ découlant de leur médiatisation ] du passage à l'acte. 

   2/ L'antisémitisme comme stratégie des manipulateurs, idéologues des différentes mouvances de l'extrême-droite, négateurs du génocide, réseaux terroristes.

Propositions de remédiation :

   Il s'agit donc de surveiller, de réprimer les forces qui tentent d'organiser une criminalité de grande envergure, à soubassement politique et religieux dont le contenu est d'abord essentiellement négatif : opposition aux valeurs démocratiques, à la laïcité et aux droits de l'homme.
   L'antisémitisme se situe dans ce continuum antidémocratique
. 

   3/ L'antisémitisme par procuration des facilitateurs qui, par leurs opinions ou leur silence, contribuent à banaliser l'antisémitisme et légitiment les passages à l'acte, en particulier ceux qui se masquent derrière les formes multiples de l'« antisionisme radical [...]  né au confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers mondistes et écologistes [...] fortement représenté au sein de la mouvance d'extrême-gauche altermondialiste et verte ».

Propositions de remédiation :

    Il nous est clairement apparu, au cours de ce chantier, que la recherche sur ces questions est assez limitée en France.
    La création d'un observatoire national de l'antisémitisme, doté de compétences universitaires pluralistes, serait un moyen d'approfondir ces questions et de nourrir le débat public sur des bases plus sérieuses
.
    Une réflexion d'ensemble doit également être menée sur l'enseignement de la Shoah, avec les associations et fondations qui œuvrent dans ce domaine.
    Il est à la fois nécessaire de le renforcer et, peut-être de le réorienter en fonction des circonstances présentes, de façon à mieux rendre sensible en quoi, que l'on soit juif ou non, chacun est concerné.
    L'Holocauste doit garder sa valeur singulière universelle, unique.
    En même temps, il ne doit surtout pas devenir « l'affaire des Juifs ».
    Il est survenu dans le sillage d'un naufrage politique qui a été celui des démocraties et ce lien doit être mis en avant [...]
    Nous invitons à réfléchir sur l'opportunité et l'applicabilité d'un texte de loi qui complèterait les dispositions de la loi du 1er juillet 1972 et celles de la loi du 13 juillet 1990 ( dite loi Gayssot ).
    Ce texte permettrait de punir ceux qui porteraient sans fondement à l'encontre de groupes, d'institutions ou d'États des accusations de racisme et utiliseraient à leur propos des comparaisons injustifiées avec l'apartheid ou le nazisme.

   En appelant à lutter contre l'« esprit de Durban », le rapport Rufin reprend en partie à son compte les analyses développées par Alain FINKIELKRAUT dans L'Express du 30 août 2004. Dans un entretien avec Dominique SIMONNET, le philosophe déclarait qu'une nouvelle forme d'antisémitisme travesti en humanisme est née  en août 2001 à Durban, en Afrique du Sud, lors de la conférence de l'ONU contre le racisme, la xénophobie et l'intolérance, portée par un antiracisme qui opère des renversements pervers en dénonçant les Juifs d'Israël comme des racistes et des oppresseurs, et les États-Unis comme un pays totalitaire, et qu'aujourd'hui « la haine des antiracistes est aussi dangereuse que celle des racistes » 3 ).   À l'école, le rapport Rufin préconise de faire preuve de discernement dans la judiciarisation des comportements racistes  :

   Il est capital de distinguer ce qui est superficiel, tel que les injures proférées entre groupes dans le cours de la vie scolaire, et ce qui peut devenir une véritable persécution par la mise à l'écart, la stigmatisation violente et parfois l'agression physique d'un élève ou d'un groupe minoritaire et vulnérable.
   Cette dimension de protection est essentielle dans la réponse scolaire et la judiciarisation qui s'y attache.
   À cela s'ajoute évidemment le rôle éducateur de l'école qui se doit de préparer à la vie en société par la connaissance de l'autre, notamment en matière culturelle et religieuse.

   Le rapport Rufin prône la mise en place d'une veille informatique, la création d'un observatoire du racisme et de l'antisémitisme sur Internet, et l'ouverture d'une « filière officielle d'immigration économique » pour décriminaliser l'immigration, accueillir les candidats à l'immigration, et ainsi réduire les préjugés sur le travail des immigrés ( 4 ).   Dans Le Monde diplomatique du 21 octobre 2004, Dominique VIDAL, tout en reconnaissant dans le rapport Rufin « un certain nombre de suggestions positives », en particulier celles qui prennent en compte les propositions de la Commission nationale consultative des droits de l'homme ( CNDCH ) et des associations antiracistes, relevait qu'en même temps ce rapport comporte « deux erreurs graves et dangereuses » : 
   - la première consiste « à séparer radicalement l'antisémitisme des autres formes de racisme » par « une hiérarchisation implicite des racismes » visant à présenter l'antisémitisme comme « un " racisme " en quelque sorte supérieur aux autres » ;
   - la seconde consiste « à assimiler antisémitisme, " antisionisme radical " et critique de la politique du gouvernement israélien, pour placer sur le banc des accusés " l'extrême gauche altermondialiste et verte " » directement visée par la partie du rapport qui propose le vote, par le Parlement, d'une nouvelle loi destinée à punir  « ceux qui porteraient sans fondement à l'encontre de groupes, d'institutions ou d'États des accusations de racisme ».
   
En conclusion, Dominique VIDAL trouvait paradoxal que Jean-Christophe RUFIN, l'auteur de L'Empire et les nouveaux barbares, se fasse ainsi « le hérault du délit d'opinion » 5 ).
    Dans Le Monde du 2 novembre 2004, Jean-Christophe RUFIN s'efforçait de désamorcer la polémique par une mise au point où il appelait à « pacifier le débat sur le racisme et l'antisémitisme » :

   [...] En France, aujourd'hui, il existe un nombre important de personnes, la plupart du temps jeunes, voire très jeunes, souvent issues de l'immigration - pas nécessairement maghrébine, contrairement aux idées reçues -, que la perte de repères, la frustration sociale et de nombreuses discriminations rendent vulnérables à des idéologies dangereuses qui les mènent vers la violence.   L'existence de ce public chauffé à blanc doit nous inciter tous à la responsabilité. Les mots, dans ce contexte, peuvent tuer. Nous sommes dans un monde où certains, ailleurs, n'hésitent pas à prôner - et à pratiquer - le meurtre systématique à grande échelle. Il est essentiel de ne pas participer, ni de près ni de loin, à une telle entreprise. Ceux qui ont l'oreille des jeunes, parce qu'ils traitent de questions qui les passionnent, telles que l'écologie, l'avenir du tiers-monde et de la mondialisation, me paraissent avoir un devoir de vigilance dans leurs propos.

   Sans doute la formalisation de cette idée a-t-elle pris, dans mon rapport, une manière trop abrupte. Le fait d'évoquer la possibilité de créer de nouveaux outils juridiques était probablement maladroit. La présentation simplifiée de cette proposition a pu laisser croire, à tort, qu'il s'agissait d'attenter à la liberté d'opinion. Je m'en excuse auprès de ceux qui ont pu être abusés de bonne foi [...] ( 6 ).

   Dans son numéro 305, paru en novembre 2004, la revue de La Documentation française, Regards sur l'actualité, a publié un dossier intitulé " Racisme et antisémitisme ", qui comporte en particulier un entretien avec l'historienne Madeleine RÉBÉRIOUX consacré à " L'histoire de l'antisémitisme en France ".


Les déclarations du Premier ministre
et du président de la République
à l'occasion du 60e anniversaire
de la libération du camp d'Auschwitz

   Le 24 janvier 2005, le Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, venu visiter la Maison des enfants d'Izieu, a rappelé la détermination du gouvernement français à lutter contre l'antisémitisme :

   L'antisémitisme est inacceptable.
   C'est une atteinte à notre culture.
   
C'est une déviance de l'esprit humain.
   Il insulte les valeurs de notre République 7 ).

   Le 25 janvier 2005, le président de la République, Jacques CHIRAC, venu inaugurer à Paris le Mémorial de la Shoah, a réaffirmé solennellement que « l'antisémitisme n'a pas sa place en France ».
    Il a exprimé la détermination du gouvernement à mettre « tout en
œuvre pour que cesse l'antisémitisme », et il a souligné l'importance du rôle des enseignants pour que « les enfants comprennent et n'oublient jamais » 8 ).

   En cet instant, l'histoire hante nos consciences.
   Elle nous fait un devoir pour toujours.
   Ce devoir c'est d'abord une exigence de vérité [...]
   À ceux qui voudraient nier cette réalité, nier ces faits, nier cette histoire, je dis solennellement qu'ils seront poursuivis et condamnés avec toute la rigueur de la loi.
   La science fut dénaturée pour légitimer le racisme.
   Nous n'accepterons pas qu'elle soit dévoyée pour justifier le négationnisme, ce crime contre la vérité.
   Se souvenir, c'est aussi transmettre. Il faut que, toujours, l'histoire soit dite. Jamais la chaîne ne doit se rompre. Nos enfants, nos petits-enfants devront garder au plus profond de leur cœur, poignante comme une douleur et présente comme une menace, la conscience de ce qui s'est passé.
    Je compte sur tous les professeurs de France et je les invite à amener leurs élèves ici, au Mémorial de la Shoah, pour que nos enfants voient, comprennent et n'oublient jamais [...]
   Mais la mémoire et le souvenir imposent avant tout vigilance et détermination.
   En ces minutes si particulières, je veux redire avec gravité que l'antisémitisme n'a pas sa place en France. L'antisémitisme n'est pas une opinion. C'est une perversion. Une perversion qui tue. C'est une haine qui plonge ses racines dans les profondeurs du mal et dont nulle résurgence ne peut être tolérée. Il n'y a pas d'acte ni de propos excusable en la matière. Rien n'est insignifiant. Qu'elle suinte par l'écrit, la parole, la télévision, l'ordinateur ou le satellite, cette haine est intolérable.
   Le Gouvernement met et mettra tout en œuvre pour que cesse l'antisémitisme 9 ).

   À nouveau, le 27 janvier 2005 en Pologne, à l'occasion de la cérémonie internationale commémorant le 60e anniversaire de la découverte par l'Armée rouge des camps d'Auschwitz, Jacques CHIRAC a rappelé l'importance du rôle des enseignants auprès des jeunes d'aujourd'hui, à la fois dans la transmission de l'histoire et de la mémoire du génocide nazi, et dans l'éducation à la tolérance, ainsi que la détermination de la France à opposer toute la rigueur de la loi aux entreprises négationnistes, antisémites et racistes ( 10 ).

   Agir, aujourd’hui et demain, c’est construire une société dans laquelle cette entreprise, monstrueuse et criminelle, sera simplement impensable.
   Nous le faisons, en France, en maintenant fermement l’exigence de mémoire, qui est une exigence de vérité et de responsabilité.
   C'est dans cet esprit que notre pays a reconnu en 1995 ce que fut la réalité de son histoire. Ce que furent ses responsabilités.
   C'est dans cet esprit que nos professeurs ont le devoir et la mission de transmettre et de transmettre encore aux jeunes toute la vérité sur ces années. De leur rappeler notre histoire pour que jamais ne s’efface le souvenir. De leur faire partager les valeurs de tolérance et de respect de la dignité humaine.
   C'est dans cet esprit que nous opposons implacablement la rigueur de la loi à ceux qui prétendent nier l’horreur de ce qui s'est passé. Nier la réalité de la déportation. Nier la réalité des chambres à gaz et des crématoires. Nier la réalité de la Shoah.
   Nous combattons résolument toutes les résurgences de l’inacceptable  ( 11 ).


L'appel de Simone Veil
aux enseignants

   Dans un dépliant édité et diffusé le 27 janvier 2005 par Civisme et démocratie - CIDEM, à l'occasion de la journée de la mémoire de l'Holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité, Simone VEIL, présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, réaffirmait qu'enseigner la Shoah est un devoir et que les enseignants y ont un rôle essentiel  :

   Enseigner la Shoah, mais surtout le processus qui y conduisit, est un devoir.
   Devoir exigeant et difficile.
   Les enseignants y ont un rôle essentiel : montrer aux élèves le prix de la tolérance, de la primauté du savoir et de la raison sur les fantasmes et les idéologies, qui constituent le socle de l'éducation à la citoyenneté.
   La mémoire de la Shoah nous oblige, en effet, à rester vigilants, non seulement pour les Juifs, mais pour tous ceux qui sont victimes d'ostracisme en raison de leur identité, de leur ethnie ou de leur religion.
   Il a fallu près de soixante ans pour que notre souffrance soit exprimée et entendue dans sa singularité.
   Aujourd'hui, elle est partie prenante de notre mémoire commune.



La création de la Haute autorité de lutte
contre les discriminations et pour l'égalité
( HALDE )

   La création, par la loi du 30 décembre 2004, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ( HALDE ) fait suite au discours sur la cohésion sociale de Jacques CHIRAC, à Troyes le 14 octobre 2002, pendant la campagne présidentielle, et au rapport sur la lutte contre les discriminations en France présenté en février 2004 au Premier ministre Jean-Pierre RAFFARIN, par le médiateur de la République, Bernard STASI.
   
Cette Haute autorité est chargée de traquer « toutes les formes de discrimination, qu'elles proviennent du racisme, de l'intolérance religieuse, du sexisme, ou de l'homophobie ». Les personnes qui se considèreront discriminées pourront désormais saisir par écrit la HALDE, qui pourra saisir la justice, mais qui n'aura aucun pouvoir de sanction.
   Le 3 mars 2005 a été rendue publique la liste des 11 membres de la HALDE, dont la présidence a été confiée à Louis SCHWEITZER, PDG de Renault, par Jacques CHIRAC, qui a également nommé au sein de cette Haute autorité, Nicole NOTAT, ancienne secrétaire générale de la CFDT de 1992 à 2002.
   
En annonçant cette nomination, le président de la République a déclaré que la mission de la HALDE était « essentielle pour les valeurs de la République, pour défendre la cohésion de la nation, pour affirmer le respect des droits égaux de toute personne, sans distinction »12 ).


L'émergence inquiétante
d'un nouvel antisémitisme

La montée du racisme antijuif
dans certains établissements scolaires

   En 2002, un ouvrage collectif publié aux éditions Mille et une nuits sous la direction d'Emmanuel BRENNER ( pseudonyme de Georges BENSOUSSAN ) sous le titre Les territoires perdus de la République, rassemblait les témoignages de plusieurs enseignants de collège et de lycée de la région parisienne qui décrivaient l'émergence dans certains établissements scolaires d'un nouvel antisémitisme lié à la montée du communautarisme islamique et à la diabolisation de l'État d'Israël, ainsi que la passivité de beaucoup de chefs d'établissements.

   En 2004, a été publié par le ministère de l'Éducation nationale, le Rapport OBIN de l'inspecteur général de la vie scolaire, Jean-Pierre OBIN, sur Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires.
   Ce rapport relève avec inquiétude « la banalisation, parfois dès le plus jeune âge, des insultes à caractère antisémite » à l'école, banalisation qui « ne semble en moyenne que peu émouvoir les personnels et les responsables », alors même que se multiplient « les insultes, les menaces, les agressions à l'encontre d'élèves juifs ou présumés tels », qui « sont généralement le fait de condisciples d'origine maghrébine » :

   Dans les témoignages que nous avons recueillis, les événements du Proche-Orient ainsi qu'une sourate du Coran sont fréquemment invoqués par les élèves pour légitimer leurs propos et leurs agressions.
   Ces justifications peuvent aller jusqu'à assumer les persécutions ou l'extermination des Juifs.
    L'apologie du nazisme et de Hitler n'est pas exceptionnelle : elle apparaît massivement dans d'innombrables graffitis, notamment de croix gammées, et même parfois dans des propos ouvertement tenus à des instituteurs, professeurs et personnels d'éducation [...]
   Si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n'est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme antijuif.
   Il est en effet, sous nos yeux, une stupéfiante et cruelle réalité : en France, les enfants juifs - et ils sont les seuls dans ce cas - ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n'importe quel établissement.

   En septembre 2005, dans le numéro 301 de la revue L'Histoire, sous le titre " Y a-t-il des sujets tabous à l'école ? ", une enquête de Claude ASKOLOVITCH sur les difficultés d'enseigner aujourd'hui la Shoah dans certains établissements scolaires, s'appuie largement sur les témoignages rassemblés dans l'ouvrage Les territoires perdus de la République et sur les conclusions du Rapport Obin.

La publication
du livre antisémite Pogrom

    Accueilli dans un premier temps plutôt favorablement par la critique littéraire lors de sa parution chez Flammarion, en janvier 2005, Pogrom, le roman d'Éric BÉNIER-BÜRCKEL, professeur de philosophie en banlieue parisienne, a déclenché un mois après sa sortie, une vive polémique.
   Ce roman nihiliste raconte l'histoire d'un jeune professeur qui décide d'écrire un livre pour libérer ses multiples détestations, dont la haine des Juifs. L'auteur met en scène, Mourad, un ami d'enfance, vigile de banlieue, qui invite ce jeune professeur « à venir sodomiser Rachel, comme l'a fait son chien Brasillach »
.
   L'auteur affirme qu'il n'est pas antisémite mais romancier, et qu'il met à dos les deux communautés qui s'affrontent : la communauté juive pro-israélienne et la communauté musulmane pro-palestinienne 13 ).
   Pour Laurent JOFFRIN, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, exprimant le 17 février 2005 aux lecteurs ses excuses pour le manque de vigilance de la critique littéraire de l'hebdomadaire qui, trois semaines plutôt, avait rendu compte de la parution de Pogrom, l'ouvrage d'Éric BÉNIER-BÜRCKEL, dédicacé « Aux Noirs et aux Arabes », est bien un ouvrage antisémite quelles que soient les dénégations de son auteur :

   L'auteur jette le masque par la dédicace, [...] manière limpide et dieudonnante de dire que les Juifs qu'il insulte dans le roman sont des fausses victimes qui font privilège de la Shoah pour dominer la société française. [...]
   Bref, il manquait à notre petit article une précision essentielle : celle qui consiste à appeler un chat un chat, et Pogrom un livre antisémite.

  Les provocations antisémites
de l'humoriste Dieudonné

   Les dérapages et provocations répétés de l'humoriste DIEUDONNÉ au cours de sketchs douteux, comme celui qu'il avait donné, en 2004, sur le plateau de télévision de l'émission On ne peut pas plaire à tout le monde, en saluant, bras tendu, « Israël - Israheil ! », ont pris une tournure délibérément antisémite à l'occasion d'une conférence de presse tenue à Alger, le 16 février 2005.
   Se considérant comme directement mis en cause par les propos du Premier ministre Jean-Pierre RAFFARIN qui avait manifesté au cours du dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France ( CRIF ), le 12 février 2005, l'inquiétude que suscitaient les artistes qui cherchent « à faire applaudir la haine » ( sans nommer DIEUDONNÉ ) et « certaines initiatives supposées littéraires » ( allusion au roman Pogrom ), DIEUDONNÉ a qualifié le CRIF d'« organe d'inquisition », entre les mains d'« une équipe de malfrats »
    Déclarant que les « autorités sionistes » l'empêchent de réaliser un film sur la traite des noirs et l'esclavage, alors qu'« avec l'argent public on a fait 150 films sur la Shoah », DIEUDONNÉ en est arrivé à parler de « pornographie mémorielle » et d'« overdose » pour évoquer la mémoire du génocide des Juifs, et à considérer que « l'antisémitisme ne veut plus rien dire », que les communautés noire et arabe subissent davantage le racisme que les juifs « qui sont plutôt une communauté bien intégrée », et que c'est « une vaste escroquerie » lorsqu'« on parle d'une montée de l'antisémitisme »14 ).

   Le 18 février 2005 , le ministre de la Justice, Dominique PERBEN, a demandé au parquet de Paris d'ouvrir une enquête préliminaire pour « contestation de crimes contre l'humanité » 15 ).
    Dans le quotidien algérien L'Expression, daté du 19 février 2005, il persistait en déclarant que pour lui, « le sionisme c'est le sida du judaïsme » 16 ).

     Pour Michel TUBIANA, président de la Ligue des droits de l'homme, DIEUDONNÉ en essayant d'instaurer de façon caricaturale « une hiérarchie entre les victimes », a « atteint un niveau de paranoïa antisémite totalement intolérable », qui le conduit à véhiculer « la vieille thèse du complot juif  » 17 ).
   Calixthe BEYALA, écrivain et présidente du Collectif Égalité, condamne sans équivoque les propos de DIEUDONNÉ, qu'elle juge dangereux, parce qu'« ils insinuent chez les jeunes le sentiment que le Juif est la cause de leur mal être social », qu'« ils provoquent des replis communautaires et empêchent le dialogue interracial qui nécessite le dépassement de sa propre servitude identitaire ».
   Elle rappelle qu'au-delà des différences qui caractérisent le peuple juif et le peuple noir, il y a des « similitudes dans leurs souffrances » :

   Oui, il faut parler de la Shoah.
   Oui, il faut se battre afin que l'histoire de l'esclavage soit connue du grand public.
   Non, une tragédie n'exclut pas l'autre et il n'existe aucune hiérarchie dans la souffrance [...]
   Un antisémite est forcément un raciste.
   Noirs et Juifs sont ainsi des alliés naturels [...]
   Noirs et Juifs appartiennent à la même humanité souffrante [...]
   Judéité et négritude ne sont pas antinomiques, mais deux identités méritant égal respect [...]
18 )

   Leïla SEBBAR, qui se présente comme « la fille d'un républicain musulman, " indigène de la République " » au sein du Collectif du Manifeste des libertés, considère que « Dieudonné se trompe de cible » et ne fait qu'actualiser et attiser le vieil antisémitisme de l'extrême-droite française.
   Pour elle, le combat pour faire reconnaître les discriminations dont sont victimes les descendants des esclaves et colonisés noirs peut se développer sans instrumentaliser, comme le fait DIEUDONNÉ, la Shoah et sa commémoration :

   Combattre ces discriminations raciales est possible sans incriminer ceux et celles qui manifestent leur fidélité aux victimes de la Shoah, sans entraîner les enfants et petits-enfants de ces " Indigènes " des colonies dans une lutte dévoyée par les tenants d’un islam radical et politique 19 ).

   Pour Edwy PLENEL, éditorialiste du Monde 2, « le discours de Dieudonné est bien raciste » :

   Au nom de la « souffrance des Noirs », il verse dans un antijudaïsme radical où se ressource ce noyau dur du racisme qu'est l'antisémitisme.
   Il fait sauter l'interdit négationniste en parlant de « pornographie mémorielle » à propos de la mémoire du génocide des juifs.
   Il exacerbe une concurrence entre victimes où la hiérarchie des malheurs fait régresser l'universalité de leur dénonciation 20 ).

    Poursuivi depuis 2001 à plusieurs reprises devant les tribunaux pour diffamation raciale, apologie du terrorisme et injures raciales, DIEUDONNÉ a été à chaque fois relaxé en appel, puis finalement condamné en 2007 à 7 000 euros d'amende pour diffamation publique à caractère racial, sanction confirmée en appel en 2008.

    
Le 26 décembre 2008, au cours d'un spectacle donné au Zénith à Paris, DIEUDONNÉ a récidivé, en faisant monter sur scène Robert FAURISSON, universitaire négationniste condamné en 1981 pour diffamation raciale, qui fait l'objet d'une enquête judiciaire, ouverte le 13 juin 2007, pour avoir qualifié l'Holocauste de « religion officielle » qui « continue d'abuser des millions de gens par des procédés grossiers », au colloque The Holocaust Global Vision tenu à Téhéran les 11 et 12 décembre 2006.
   En présence de
Jean-Marie LE PEN et de plusieurs personnalités d'extrême-droite, DIEUDONNÉ a rendu hommage à FAURISSON et lui a donné l'accolade, tandis qu'un technicien déguisé en déporté juif lui remettait le « prix de l'infréquentabilité et de l'insolence ».
   Cette nouvelle provocation,
vigoureusement et unanimement dénoncée par la classe politique et les associations antiracistes ( LICRA, SOS Racisme, MRAP ), a conduit le Parquet à à ouvrir enquête préliminaire visant à « déterminer si les délits de contestation de crime contre l'humanité commis au cours de la seconde guerre mondiale ou d'injures antisémites ont été perpétrés à cette occasion ».

   Le 25 février 2009, dans un article intitulé " Les bons amis de Dieudonné " publié dans la rubrique " Décryptages Enquête " du journal Le Monde, Abel MESTRE et Caroline MONNOT, exposaient les résultats de leurs investigations sur les « liaisons dangereuses » de l'humoriste DIEUDONNÉ.
   Ils constataient qu'après avoir été « un proche de la gauche alternative » et avoir combattu le Front national de Jean-Marie LE PEN, DIEUDONNÉ « est devenu une caisse de résonance pour une frange composite de l'extrême droite française », qui accueille dans son Théâtre de la Main d'Or, le négationniste FAURISSON et « les représentants de la droite la plus extrême » :

   [...] Pour l'humoriste et ses amis, il n'y a plus désormais ni gauche ni droite. Il y a le système – comprendre « l'axe américano-sioniste » – et les ennemis du système. D'où l'étrange attelage qui gravite autour de lui : chiites radicaux du Centre Zahra, héritiers de Maurras, quelques jeunes de banlieue et des étudiants membres de l'extrême droite musclée [...]
   Au centre de cette galaxie, un club politique : Égalité et Réconciliation, une association créée il y a deux ans, qui a toujours évolué à la périphérie du Front national. Ses dirigeants officiels sont le polémiste Alain Soral, transfuge du Parti communiste passé à l'extrême droite, et Marc George, qui dit avoir commencé à militer au Parti socialiste dans les années 1980 avant de rejoindre le Front national après la première guerre du Golfe, puis de jouer le rôle de coordinateur de la campagne de Dieudonné avant la présidentielle de 2007 [...]
   La véritable nature d'Égalité et Réconciliation reste un mystère. La consultation de ses statuts, déposés le 21 mars 2007 au bureau des associations de la préfecture de police de Paris, fait apparaître deux personnes qui préfèrent rester très discrètes. Outre Alain Soral, sont inscrits comme membres fondateurs Jildaz Mahé O'Chinal et Philippe Peninque. À vingt ans d'écart, tous deux ont milité activement au sein de la même organisation d'extrême droite étudiante, le Groupe union défense ( GUD ), réputé pour sa violence. La spécificité du GUD – autrefois basé à l'université de Paris II-Assas et aujourd'hui dissous – était de rassembler des adeptes de la provocation qui faisaient leurs premières armes en politique en cassant du « gauchiste » [...]

Les ambiguïtés de
l'Appel des « Indigènes de la République »

   Le 19 janvier 2005, un certain nombre d'associations communautaires, ainsi que des personnalités de gauche et altermondialistes, ont lancé un Appel à réunir des Assises de l'anticolonialisme le 16 avril 2005 à l'université de Saint-Denis, et à participer à une Marche des indigènes de la République  pour commémorer, le 8 mai 2005, le 60ème anniversaire des massacres de Sétif.
   Cet appel énumère tout ce qui peut apparaître dans la société française d'aujourd'hui, comme des survivances du colonialisme, pointées à travers les multiples discriminations « à l'embauche, au logement, à l'école et aux loisirs » dont sont victimes « les personnes issues des colonies, anciennes et actuelles, et de l'immigration post-coloniale », et qui sont «  les premières victimes de l'exclusion sociale et de la précarisation ».
   Il entend engager le débat sur l'amnésie française face à son passé colonial et réclame réparation
   Mais il dénonce en même temps la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles à l'école, qu'il qualifie de « loi anti-foulard », « une loi d'exception aux relents coloniaux, discriminatoire, sexiste, raciste ».
   Faisant un amalgame confus entre « les intérêts de l'impérialisme américain, le néo-conservatisme de l'administration Bush » et « l'héritage colonial français », il fustige « la frange active du monde intellectuel, politique et médiatique français » qui met en accusation les « jeunes "  issus de l'immigration " d'être le vecteur d'un nouvel antisémitisme », et qui identifie « les populations d'origine africaine, maghrébine ou musulmane comme la Cinquième colonne d'une nouvelle barbarie qui menacerait l'Occident et ses " valeurs " »  21 ) .
   Fin février 2005, cet appel, lancé sur Le Net, avait reçu un millier de signatures, parmi lesquelles on ne retrouve pas le nom de DIEUDONNÉ, mais celui du petit-fils du fondateur du mouvement islamiste des Frères musulmans, Tariq RAMADAN, très influent au sein du Collectif des musulmans de France, l'une des associations initiatrices de l'appel.
   Tenant du double langage, Tariq RAMADAN avait préconisé, au cours de l'émission 100 minutes pour convaincre du 20 novembre 2003 sur France 2, où il était confronté à Nicolas SARKOZY, un moratoire sur la lapidation des « femmes adultères », qu'il continue de justifier. Il a écrit dans un de ses nombreux ouvrages qu'« un musulman, résident ou citoyen, doit se considérer sous l'effet d'un contrat à la fois moral et social avec le pays où il séjourne » et « se doit d'en respecter les lois », tout en affirmant par ailleurs dans une cassette largement diffusée qu'« un musulman doit observer les lois du pays où il habite seulement dans la mesure où celles-ci ne s'opposent pas à un principe de l'islam » 22 ).

Le débat sur l'antisémitisme des banlieues
relancé par l'émotion suscitée par le meurtre d'Ilan Halimi

   En février 2006, le meurtre d'un jeune juif, Ilan HALIMI, enlevé à Paris, séquestré et torturé par la « bande des barbares », ayant à sa tête le noir ivoirien, Youssouf FOFANA, a relancé le débat autour de la montée d'un nouvel antisémitisme qui trouve un terrain propice dans les banlieues.
   Dans le journal Le Monde daté du 25 février 2006, le sociologue Michel WIEVIORKA, auteur de La Tentation antisémite. Haine des juifs dans la France d'aujourd'hui, ouvrage publié en 2005 chez Robert Laffont, affirmait sa conviction que « la haine politique et religieuse n'est pas le point de départ de ce crime » et que « ce serait une erreur d'expliquer ce crime par des critères raciaux »,  l'antisémitisme n'étant pas premier, mais venant ce rajouter à un crime d'abord crapuleux.
   Dans le même temps, il expliquait le contexte dans lequel se développe ce nouvel antisémitisme qu'il a observé dans les banlieues, au cours de ses recherches :

   [...] Il est vrai que, aujourd'hui, c'est surtout au sein de la population immigrée en provenance du monde arabo-musulman, d'Afrique subsaharienne, mais aussi chez les Antillais, que l'on trouve toutes sortes d'expressions spontanées de la haine des juifs.
   C'est là la nouveauté de l'antisémitisme contemporain en France.
   Dans les banlieues, les propos antisémites jaillissent sans tabou : l'antisémitisme est redevenu une opinion.
   Ce faisant, à l'intérieur même de la société française, le racisme vécu, l'exclusion, la fragmentation culturelle fabriquent aussi ce nouvel antisémitisme.
   Dans le passé, les juifs étaient perçus comme une menace pour la nation, pour la société, ou encore pour la religion dominante.
   Aujourd'hui, ils sont aussi perçus comme ceux qui ont réussi leur intégration, qui sont au cœur de la nation, des institutions, de la société.
   Et ceux qui les détestent leur font payer leur propre exclusion.
   Mais ce ne sont pas les mêmes, ceux qui, dans ce climat, passent à l'acte, et ceux qui fabriquent ce climat.
    Ainsi, cette « bande de barbares » semble à l'écart des courants idéologiques actuels, alors qu'en même temps elle baigne dans ce contexte.

   Il considère qu'il faut éviter « de communautariser à l'excès cette affaire qui concerne, qui doit concerner, toute la société ». « Car, selon lui, l'immense danger, c'est la radicalisation communautaire de tous les côtés », et « cette affaire doit susciter une mobilisation citoyenne, dans laquelle les juifs, en tant que tels, trouvent leur place, mais, au-delà, toute la société ».


Les dangers de l'instrumentalisation des mémoires
qui nourrit la compétition victimaire
la montée du communautarisme
et le repli identitaire

   Dans un article intitulé " Communautarisme et cloisonnement des mémoires ", publié dans Le Monde du 23 juin 2004,  Philippe BERNARD dénonçait, bien avant que n'éclate l'affaire DIEUDONNÉ, la gravité des dérapages de l'humoriste.
   Il pointait à cette occasion des dangers pour la société française de l'instrumentalisation des mémoires blessées mises en concurrence ( mémoire du génocide nazi, mémoire de la colonisation, mémoire du conflit israélo-palestinien ), de « la communautarisation des émotions »et du « repli identitaire » qui enferme chaque communauté dans la peur de l'autre.
   
Il s'inquiétait de l'incapacité des responsables politiques et des associations antiracistes, emportées elles-mêmes « dans la grande bourrasque des affiliations communautaires », à enrayer cette évolution, à tirer les leçons de l'histoire et à lutter efficacement,
ensemble, contre le racisme et l'antisémitisme.

   Antisémitisme contre islamophobie, mémoire juive contre souffrance coloniale, Shoah contre traite des Noirs... Jamais la société française n'aura autant été agitée par le souvenir de souffrances collectives.
    Jamais, sans doute, ces drames du passé n'auront à ce point été utilisés à l'appui d'affirmations identitaires et d'une compétition victimaire lourde de violence sociale.
    L'incessant recours aux victimes d'hier, s'ajoutant à l'instrumentalisation quotidienne du conflit israélo-palestinien, alimente une machine infernale [...]
    Le cloisonnement des mémoires, l'ignorance réciproque, l'incapacité à saisir la part d'universel contenue dans chacune de ces expériences historiques tendent à faire rejeter sur l'autre la responsabilité de ses malheurs ou de ceux subis par ses ancêtres.
    Ainsi, les agressions racistes ou antisémites ont presque cessé de susciter des réactions collectives : chacun compte à présent ses victimes, ses stigmates et descend dans la rue pour défendre « les siens » [...]
    À cette communautarisation des émotions, se sont ajoutés un emballement réactif, une propension aux analyses à l'emporte-pièce qui, avant même la moindre constatation policière, transforment a priori chaque agression en drame intercommunautaire [...]
    Le chacun pour soi victimaire alimente la concurrence mémorielle qui attise à son tour les tensions et éloigne la fusion des antiracismes [...]
    Il est donc urgent de stopper la machine infernale de l'affrontement des mémoires et des victimes.
    En bannissant les amalgames du type « juif = Sharon » ou
« musulmans = Ben Laden ».
    En adaptant les sanctions infligées aux auteurs, souvent très jeunes, d'actes antisémites, qui oscillent aujourd'hui entre un vide incompréhensible et des peines pour l'exemple sans visée pédagogique.
    Enfin, tâche ardue, en réhabilitant et en transmettant largement les mémoires croisées et parfois conflictuelles de toutes les populations qui, désormais, cohabitent sur le sol de France.

    En septembre 2005, à propos de l'enquête de Claude ASKOLOVITCH publiée dans le numéro 301 de la revue L'Histoire sous le titre " Y a-t-il des sujets tabous à l'école ? ",
Dominique BORNE, doyen de l'Inspection générale de l'Éducation nationale,
invité à réagir à cette enquête s'exprimait dans cette même revue sous le titre " Ce que nous pouvons faire " :

 [...] La pluralité des origines ne doit pas, si on respecte les identités culturelles, interdire l'unité.
   La France est une et plurielle. Indivisible aussi, parce qu'on ne doit pas laisser se fragmenter la société en communautés opaques les unes par rapport aux autres.
   Dans les vingt-cinq dernières années, le processus du ghetto s'est aggravé.
   Or tous les ghettos sont dangereux.
   Il n'y a pas que la communautarisation islamique ; la communautarisation de la Shoah me paraît, elle aussi, dangereuse.
   La Shoah appartient à tout le monde, elle concerne autant les non-Juifs que les Juifs.
   C'est aussi la mission de l'école, ce combat contre les ghettos.
   L'école ne peut guérir tous les problèmes qui lui sont extérieurs.
   Elle ne peut pas faire la paix au Proche-Orient.
   Elle ne peut pas éliminer l'exclusion que créent le chômage et la misère sociale.
   Reste que, grâce à l'école, une bonne partie des Beurs sont intégrés, passent le bac.
   Notre rôle n'est pas celui de la police.
   Il n'est pas non plus de programmer une politique.
   Ce que nous pouvons faire, c'est sans doute travailler un peu plus en concertation avec les travailleurs sociaux des quartiers, briser l'étanchéité de toutes les actions qui sont menées à l'intérieur de l'école et à l'extérieur
.

   Mais on ne s'en sortira pas si l'on ne retrouve pas la mixité sociale.
   Je suis donc assez pessimiste, dans la mesure où nous n'avons pas prise sur les conditions de la ghettoïsation et de la communautarisation croissante de la société.
   Je le suis beaucoup moins quant au travail en profondeur et dans la durée d'un enseignement vraiment laïque, ouvert, respectueux de la pluralité, et pour ce qui est de notre discipline
[ l'histoire ], d'un enseignement qui ne mélange pas sans arrêt l'histoire, la mémoire et le temps présent.


Le piège
des mémoires antagonistes

   Face aux polémiques provoquées par la promulgation en France le 23 février 2005, de la loi « portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », dont l'alinéa 2 de l'article 4, présenté sous forme d'un amendement, faisait référence au « rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord », et qui ont accompagné le 60ème anniversaire des massacres de Sétif, l'historien Gilbert MEYNIER dans Le Monde du 12 mai 2005, mettait en garde contre « le piège des mémoires antagonistes » :

[...] En officialisant le point de vue de groupes de mémoire liés à la colonisation, elle risque de générer en retour des simplismes symétriques, émanant de groupes de mémoire antagonistes, dont l' « histoire officielle », telle que l'envisage cette loi, fait des exclus de l'histoire ».
    L'étude scientifique du passé ne peut se faire sous la coupe d'une victimisation et d'un culpabilisme corollaire. De ce point de vue, les débordements émotionnels portés par les « indigènes de la République » ne sont pas de mise. Des êtres humains ne sont pas responsables des ignominies commises par leurs ancêtres - ou alors il faudrait que les Allemands continuent éternellement à payer leur épisode nazi [...]
    On peut clamer d'abondance que c'est toujours la faute des autres et/ou du passé. Mais il y a aussi, et toujours, urgence concomitante à balayer devant chez soi et à se confronter aux duretés d'aujourd'hui - et pas seulement aux ressentiments construits sur des hiers douloureux. Cela est valable pour tous les peuples et toutes les sociétés.
   
Les historiens doivent travailler à reconstruire les faits et à les porter à la connaissance du public. Or ces faits établissent que la traite des esclaves, dans laquelle des Européens ont été impliqués ( et encore, pas eux seuls ), a porté sur environ 11 millions de personnes ( 27,5 % des 40 millions d'esclaves déportés ), et que les trafiquants arabes s'y sont taillé la part du lion : la « traite orientale » fut responsable de la déportation de 17 millions de personnes ( 42,5 % d'entre eux ) et la traite « interne » effectuée à l'intérieur de l'Afrique, porta, elle, sur 12 millions ( 30 % ). Cela, ni Dieudonné ni les « Indigènes », dans leur texte victimisant à sens unique, ne le disent - même si, à l'évidence, la traite européenne fut plus concentrée dans le temps et plus rentable en termes de nombre de déportés par an [...]
   
Pour reprendre le texte des « Indigènes de la République », à l'évidence, les plaies dont ils saignent sont de moins en moins celles qui sont infligées par le vieux colonialisme - porté, certes, partiellement par le nationalisme français et la création en son temps d'îlots capitalistes -, mais bel et bien celles provoquées par la sauvagerie et la dureté économiques d'aujourd'hui, assez largement transnationales [...]
    ll est important, pour y voir clair, de ne pas tout mélanger. Tout, dans la situation des immigrés, ne fut pas redevable à la colonisation, dans le passé comme maintenant.

    L'historien ne se reconnaît pas dans l'affrontement des mémoires. Pour lui, elles ne sont que des documents historiques, à traiter comme tels [...]

   Le vote de cette loi a relancé le débat concernant :
   - les
rapports entre histoire et mémoire,
   - l'attitude des historiens face au concept de
« devoir de mémoire » , à la judiciarisation du passé et à la multiplication des lois mémorielles,
   - le rôle
rôle des enseignants dans la transmission de la mémoire.


Les rapports 2004 et 2005 de la
Commission nationale consultative des droits de l'homme,
concernant la lutte contre le racisme et la xénophobie
et le Plan d'action civique pour la cohésion sociale

   En 2005, a été publié à La Documentation française, le rapport d'activité de la Commission nationale consultative des droits de l'homme concernant la lutte contre le racisme et la xénophobie en France en 2004.
   Ce rapport constate que l'année 2004 a été globalement marquée à la fois par un accroissement important des actes antisémites, et par d'autres actes racistes et xénophobes dont fait partie le racisme anti-immigrés.
   Il relève l'aggravation de la violence, notamment en milieu scolaire, la multiplication des profanations de lieux de cultes et de cimetières, et la plus grande implication de l'extrême droite.
   Il souligne que cette évolution est d'autant plus paradoxale que le sondage d'opinion réalisé par l'institut BVA pour le compte de la Commission montre que l'immense majorité des Français, plus sensibles à ces phénomènes qu'auparavant, ne sont pas racistes ou antisémites, ce qui est confirmé par l'
enquête réalisée par la SOFRES en mai 2005 pour l'Association française des amis de l'université de Tel Aviv sur l'antisémitisme en France.
   La partie thématique de ce rapport annuel est consacré aux nouvelles formes inquiétantes de propagation du racisme, de l'antisémitisme et de la xénophobie sur Internet où fleurissent les sites racistes aux contenus haineux
.


Pour consulter ce rapport

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   En janvier 2005, a été aussi publié le rapport remis par Jean-Philippe MOINET, secrétaire général du Haut conseil à l'intégration ( HCI ), à Jean-Louis BORLOO, ministre de l'Emploi, du Travail et de la Cohésion sociale.   
   Sous le titre " Plan d'action civique pour la cohésion sociale ", ce rapport présente quarante propositions pour une mobilisation nationale et locale de l'État républicain en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, appelle à une mobilisation nationale et locale, au dévelopemnt de pédagogies publiques recentrées sur de grands thèmes tels que la reconnaissance des sacrifices consentis par les troupes indigènes au cours des deux guerres mondiales, la contribution des étrangers à la victoire contre le nazisme, la valorisation des lieux de mémoire évoquant les apports économiques et sociaux de l'immigration, le renforcement de l'enseignement de la Shoah, et réclame un un plan civique pour l'école.
   En mars 2006, la publication du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme pour l'année 2005, souligne un curieux paradoxe. En effet, il prend acte à la fois d'une baisse sensible des violences et des menaces à caractère raciste et antisémite, et en même temps il relève une banalisation inquiétante du racisme au sein de l'opinion, et une certaine démobilisation dans la lutte contre le racisme, allant de pair avec la progression du repli communautaire et un regain de xénophobie à l'encontre des immigrés.


Pour consulter ce rapport

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Se rassembler
autour des valeurs républicaines
de la laïcité et de l'humanisme universel

    Ici et là cependant, des voix s'élèvent pour tenter d'enrayer l'instrumentalisation des mémoires blessées mises en concurrence, la montée du communautarisme, le repli identitaire, et pour prôner la défense des valeurs de la laïcité et de l'humanisme universel.

   Le 22 mai 2003, le présidenbt de la République, Jacques CHIRAC a réaffirmé l'importance de ces valeurs républicaines en ces termes :

   La France n'est pas et ne sera jamais une juxtaposition de communautés, avec ses rivalités et ses antagonismes [...]
   Dans notre République, respectueuse de toutes les diversités, mais République une et indivisible, nul, au motif de ses racines ou de ses croyances, n'est fondé à se prévaloir, pour lui ou sa communauté, de droits particuliers ; à s'exonérer des devoirs qui s'imposent à tous ; à réclamer pour sa propre communauté quelque chose qui ne soit pas légitime pour l'ensemble de ses compatriotes.
   L'État ne s'adresse pas à des communautés, mais à des citoyens.
   Notre seule communauté, ne l'oublions jamais, c'est la communauté nationale.
   De même, dans notre République laïque, le principe de laïcité est beaucoup plus qu'une chance. Il est le pilier de notre unité et de notre cohésion, l'expression concrète et la condition même de la solidarité nationale.
   La laïcité est une valeur d'une extraordinaire modernité tant elle exprime cet esprit de tolérance, de respect et de dialogue qui doit plus que jamais prévaloir.
   Elle est un principe sur lequel nous ne transigerons pas.
   Seule une meilleure connaissance de l'autre, le respect des différences et l'organisation d'un dialogue confiant peuvent assurer la paix et le progrès.

   Pour la première fois, des membres du Conseil représentatif des institutions juives de France ( CRIF ) ont osé critiquer le discours musclé tenu par leur président, Roger CUKIERMAN, lors du dîner annuel du CRIF, le 12 février 2005. Il y avait condamné en présence du Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, la politique étrangère de la France, ressentie par lui comme « identifiant l'Amérique et Israël, le sionisme et l'impérialisme », présentée comme incompatible avec la politique intérieure de lutte contre l'antisémitisme, et avait reproché au gouvernement français d'avoir organisé « des funérailles grandioses à Yasser Arafat ».
   Cette admonestation, assénée malgré les appels à la modération venues de l'Élysée, et qui pouvait laisser croire que la communauté juive de notre pays exigeait de la France et de son gouvernement un alignement inconditionnel sur la politique menée en Israël par le gouvernement Sharon, et à laquelle le Premier ministre invité n'avait pas immédiatement répliqué, par courtoisie, a contribué à alimenter les dérapages antisémites exprimés par DIEUDONNÉ dans les jours qui ont suivi le dîner du CRIF23 ).
   
   Pour Michel ZAOUI, membre du bureau du CRIF, le discours de Roger CUKIERMAN correspond à « un règlement de comptes » :

   La fonction du CRIF est certes de refléter les préoccupations des Juifs de France en France.
   Mais il est plus important de convaincre la composante non juive de la société française, quitte à se trouver en décalage avec la base.
   Je me demande si le président du CRIF n'a pas transposé en France le conflit du Proche-Orient, ce qu'il reproche précisément aux autres24 ).

   Théo KLEIN, ancien président du CRIF, considère que l'esprit de ce dîner annuel dont il a été l'initiateur, lorsqu'il présidait le CRIF, a changé  :

   Je n'ai pas apprécié le ton avec lequel Roger Cukierman assénait ses convictions, même s'il a été très applaudi.
   Dans ma conception, le président du CRIF doit évoquer des problèmes généraux et les éclairer par les idées que peut avoir la communauté juive.
   Mais il faut toujours mettre en avant l'intérêt général du pays, avant les intérêts particuliers 25 ).

    Dans le même temps, des femmes, des hommes de culture musulmane, croyants, agnostiques ou athées, dénoncent avec la plus grande vigueur, dans un Manifeste des libertés, les déclarations et actes de misogynie, d'homophobie et d'antisémitisme qui se revendiquent de l'islam et qu'ils s'engagent à combattre :

   Nous condamnons, avec la plus grande fermeté, les affirmations antisémites dont sont porteurs des discours proférés ces derniers temps au nom de l’islam.
   Comme les femmes « impudiques » et les homosexuels, les Juifs seraient à abattre : « Ils ont tout, et nous rien », a-t-on entendu dans la manifestation du 7 janvier
[ allusion à la manifestation du 7 janvier 2004 en faveur du port du voile islamique à l'école ] .
  Nous voyons là, à l’œuvre, l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien par les mouvements intégristes au profit de l’antisémitisme le plus inquiétant.
   En dépit de notre opposition à la politique menée actuellement par le gouvernement israélien, nous refusons de nourrir une vision archaïque et fantasmatique du « Juif » par l’utilisation d’un conflit historique et réel entre deux peuples ; nous reconnaissons le droit à l’existence d’Israël, comme l’ont fait, successivement, le congrès de l’OLP tenu à Alger en 1988 et le sommet de la Ligue arabe réuni à Beyrouth en 2002 ; et c’est dans cette reconnaissance réitérée que s’inscrit notre engagement aux côtés du peuple palestinien dans son droit de fonder un État et de faire évacuer les Territoires occupés 26 ).

   Derri BERKANI, qui est signataire de ce manifeste, déclare que « lire dans la presse une relation d'actes antisémites » lui est « physiquement insupportable et d’autant plus pénible s’il se révèle que les auteurs de ces agressions sont des jeunes d’origine maghrébine, c’est-à-dire des gens qui devraient conserver et gérer comme un trésor l’humanisme que leur ont légué les générations passées ».
   Et de rappeler l'action menée entre 1942 et 1944, par la Mosquée de Paris, avec SI KADDOUR BENGHABRIT, pour accueillir et cacher des Juifs persécutés, la lettre rédigée en kabyle qui, en juillet 1942, demandait aux ouvriers nord-africains de recueillir, de cacher et de protéger les enfants visés par la rafle du Vel’d’hiv, ou encore, le travail du photographe juif d'origine polonaise, Elie KAGAN, pour établir la vérité sur le massacre perpétré contre les Algériens de France lors de la manifestation à Paris d'octobre 1961.

   Il est désolant de voir tant de courage et de fraternité forgés dans des combats communs réduits à presque rien à cause de la manipulation de jeunes en errance et de l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien où l’islamisme politique a largement sa part.
   Il ne faut donc pas lui laisser le monopole de la parole à propos de cette interminable guerre et lui opposer un discours clair dans l’appréciation politique du conflit et sans complaisance quant aux moyens utilisés dans la lutte que mènent les Palestiniens.
   Si nous condamnons sans réserves les crimes commis par Sharon dans les Territoires occupés, nous condamnons aussi, avec la même vigueur, les méthodes du Hamas et du Djihad islamique.
   Les attentats-suicides commis contre des civils innocents est une horreur.
   Envoyer des jeunes bourrés d’explosifs massacrer d’autres jeunes est une double abomination.
   C’est la vie qu’on assassine. L’avenir qu’on massacre27 ).

   Edwy PLENEL dénonce l'instrumentalisation de « l'histoire complexe, faite d'ombres et de lumières de la colonisation, dont le deuil n'est pas encore accompli », et les risques de « régression identitaire » vers laquelle conduisent les dérives de l'humoriste DIEUDONNÉ.
   Il observe que « l'injustice faite au peuple palestinien sert, hélas, d'alibi » à ceux qui voudraient réveiller aujourd'hui « un vieil antisémitisme qu'on pouvait croire, sinon disparu, du moins enfoui sous l'immensité des crimes dont il fut responsable », et que Leïla SHAHID, la porte-parole de l'autorité palestinienne en France, « n'a jamais pactisé avec ces faux amis ».
   Il appelle à combattre les  « dieudonneries  » qui exacerbent le « choc des civilisations » au lieu de privilégier l'« universalité des cultures » :

   Il nous faut leur opposer les hautes paroles de ceux-là mêmes qui ont pensé l'oppression de ces peuples que l'on disait de couleur et qui, loin d'en revenir aux racines ancestrales, aux origines immuables et aux lieux sacrés, ont pansé leurs plaies en s'ouvrant au Tout-Monde et à la Toute-Humanité.
   « Tout-Monde », l'expression, qui est une sorte d'horizon, est d'Édouard Glissant, immense auteur martiniquais dans le sillage d'Aimé Césaire et de Frantz Fanon, si méconnu par la France qu'il enseigne à New York.
   Dans son dernier essai,  La Cohée du Lamentin, Glissant nous rappelle que « l'espoir de tous se maintient » quand, et seulement quand « les opprimés qui se battent ont la générosité de s'ouvrir à l'Autre ».
   
Les opprimés qui se ferment sont des oppresseurs en puissance 28 ).

   Dominique VIAL sur le même registre, revenant sur l'ampleur médiatique, mais éphémère, du 60ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz marqué par des commémorations qui ont fait davantage appel à l'émotion qu'à la raison, appelle à poursuivre le travail de mémoire et de réflexion sur le génocide, hors de tout repli communautariste :

   Principales victimes de l'entreprise génocidaire nazie, les Juifs en ont cultivé leur propre mémoire dont la légitimité va de soi.
   Ils ont le droit, mais aussi le devoir de tenter de graver dans le marbre cet effroyable apogée des persécutions qui, des siècles durant, marquèrent leur vie en Europe.
   Mais en supposant qu'elle déjoue les dangers qui la menacent, de l'instrumentalisation à la sacralisation, la mémoire juive de la Shoah ne saurait, seule, se prémunir contre l'oubli. [...]
   Le souvenir de l'holocauste nazi ne s'inscrira vraiment dans la longue durée que lorsque le plus grand nombre s'en appropriera les enseignements.
   Loin des envolées lyriques comme des discours dogmatiques, il est donc urgent de marier unicité et universalité, enseignement juifs et universels [...]

   Face aux replis communautaristes, aux manœuvres de division et aux manipulations politiciennes, il n'est qu'un chemin, escarpé mais sûr parce que fondé sur des valeurs universelles : quitter la tribu, monter sur la crête et y combattre ensemble, contre l'oubli comme contre les violences antisémites et racistes.
   Y a-t-il meilleure manière de commémorer la libération d'Auschwitz ?
   Comme si, disait Jacques Derrida
[ philosophe français né en Algérie dans une famille juive, décédé en 2004 ], le « " ça " de " plus jamais ça " » était « non seulement près de nous, mais devant nous »
29 ).


 La Journée mondiale de lutte contre le racisme le 21 mars
Les Semaines d'éducation contre le racisme
L'action du Conseil national de la vie lycéenne

   Les semaines d'éducation contre le racisme sont organisées dans les établissements scolaires autour de la date du 21 mars, proclamée en 1966 Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale par l'Assemblée Générale des Nations Unies. Le 21 mars 1960, à Sharpeville en Afrique du Sud, 69 personnes avaient été tuées lors d'une manifestation pacifique contre l'apartheid.
   Elles sont organisées par de nombreuses associations, mouvements d'éducation populaires et syndicats d'enseignants, et pilotées en partenariat avec le ministère de l'Éducation nationale par l'association Civisme et démocratie - CIDEM, collectif créé en 1984 à l'initiative de la Ligue des droits de l'homme et de la Ligue de l'enseignement.
   Ces organisations s'engagent pour informer, éduquer et agir ensemble contre le racisme et toutes les discriminations.
   Elles mettent à la disposition des enseignants et des éducateurs de nombreux outils pédagogiques de sensibilisation.

   En janvier 2006, ont été mis en ligne les 10 scénarios lauréats du concours lancé par le Conseil de la vie lycéenne en 2005 sur le thème de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, accompagnés d'une bibliographie et d'une filmographie.


" Non au racisme "

Les Clés de l'actualité, Milan Presse,
n° 657, 16-22 mars 2006.

   Dans L'Expresso du Café Pédagogique daté du 21 mars 2007, Nadia BELLAOUI, secrétaire nationale de la Ligue de l’enseignement, a signé un éditorial qui fait le bilan de 20 années d'engagement des enseignants, des éducateurs et des responsables éducatifs dans l'éducation contre le racisme :

Éduquer contre le racisme 20 ans après

   Après Auschwitz, il est difficile de croire que l’éducation soit un rempart contre le racisme et l’antisémitisme. Pourtant, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser la raison contre la barbarie.
   Un certain nombre d’enseignements ont été tirés des 20 années d’engagement des enseignants, des éducateurs, des responsables associatifs, à l’occasion des Semaines nationales d’éducation contre le racisme, que je me propose de partager avec vous.
   Il ne suffit pas de discours moralisateurs et incantatoires ; tous les éducateurs le savent. Mais tolérer un écart de langage, risquer une expression qui pourrait s’apparenter à du racisme ou à de l’antisémitisme est, pour beaucoup, un exercice trop douloureux. On est alors tenté de préparer les élèves, de les guider dans leurs prises de parole, de rappeler combien le racisme est condamnable.
   Or, c’est une condition sine qua non du dialogue que de construire des espaces de parole libres où peuvent s’exprimer des préjugés, des incompréhensions, se formuler des plaintes ou des revendications.    C’est une condition nécessaire pour les déconstruire. Il est évidemment tout aussi nécessaire que toute séance de libre expression se termine par un rappel fort de la Loi, sa lettre et son esprit.
Plus positivement, pour lutter contre le racisme, il nous faut lutter pour… les valeurs de fraternité, d’égalité des droits, de justice sociale, de démocratie.
   Ces valeurs républicaines ne sont pas des principes désincarnés. Elles doivent être vivantes dans les établissements scolaires.
   Enfin, il faut que la lumière soit systématiquement faite sur toute affaire de racisme dans une école, un collège ou un lycée, et que l’on se refuse à toute généralisation. Faire se rencontrer les acteurs, se croiser les points de vue ( y compris des parents ) permet de faire face à ce qui est l’un des défis majeurs de notre système éducatif
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